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Discours

Discours principal - NanoForum Canada

Arthur J. Carty

Forum canadien sur la nanoscience et la nanotechnologie Edmonton

Le 17 juin 2004

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Bonjour à tous,

Quel honneur et quel plaisir d'être votre invité dans le cadre de ce premier NanoForum canadien, qui à n'en pas douter ouvrira la voie à d'autres événements semblables. Il s'agit d'un autre jalon important dans la concertation des Canadiens qui s'intéressent aux nanosciences. L'occasion vous est donnée d'exprimer vos idées et de débattre les diverses questions liées à l'un des domaines les plus stimulants et prometteurs de notre époque en science et en technologie. Un bon indice de la rapidité à laquelle une spécialité gagne en popularité est le nombre de nouveaux visages que l'on aperçoit au fil des conférences. À en juger par l'assistance ici aujourd'hui, et par la présence remarquée de jeunes participants, je constate que la nanoscience est en pleine expansion au Canada.

Comme certains d'entre vous le savent déjà, je suis un ardent partisan de la nanotechnologie. En effet, c'est au cours de mon mandat à la présidence du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) qu'une initiative novatrice et audacieuse a été lancée en partenariat avec l'Université de l'Alberta et les gouvernements albertain et canadien. Cette initiative a donné naissance à l'Institut national de nanotechnologie (INN) ici même, à Edmonton.

Aujourd'hui, j'aimerais aborder les thèmes suivants : 

  • mes nouvelles fonctions de conseiller national des sciences auprès du Premier ministre; 
  • mon opinion sur l'évolution de la nanotechnologie au Canada; 
  • les tendances internationales dans le domaine des nanotechnologies, et la position du Canada selon chacune d'elles; 
  • Les possibilités et les défis qui nous attendent dans les années à venir.

Toutefois, ce qui m'importe c'est de vous écouter. J'aimerais connaître votre opinion, non pas sur l'avenir des innovations nanotechnologiques, mais plutôt sur la manière dont vous percevez le rôle de la nanoscience et de la nanotechnologie pour régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant que Canadiens, notamment en ce qui concerne la santé, l'environnement, la compétitivité à l'échelle internationale et la croissance économique à long terme.

Je crois également que nous devons sérieusement réfléchir à ce que devrait être notre future stratégie en nanotechnologie et aux mesures à prendre pour rehausser le niveau d'activité, de coordination, d'intégration et de visibilité à l'échelle internationale. Ce qui m'amène à mon premier point : l'aspect le plus important de mon rôle de conseiller est d'être à l'écoute des intervenants du milieu. J'ai vraiment apprécié ce que j'ai entendu durant les présentations et les pauses aujourd'hui. J'ai été impressionné par les idées géniales que nous avons entendues et par les progrès significatifs déjà accomplis. Il s'agit assurément d'un secteur très prometteur.

Ce que j'ai vu et entendu aujourd'hui me confirme que des travaux d'avant-garde de très haut niveau s'effectuent en nanotechnologie, au Canada.

Néanmoins, je suis certain que vous voulez en savoir davantage sur ma fonction de conseiller national des sciences auprès du Premier ministre, notamment mon rôle, mon mandat, mes priorités et, plus important encore, dans quelle mesure je peux être un porte-parole et un défenseur efficaces pour la science et l'innovation au Canada.

La création du poste de conseiller national des sciences a été très bien reçue dans le milieu, et certains ont même qualifié cette initiative de nouvelle aventure audacieuse pour le Canada. En effet, les fonctions liées à ce poste sont sans précédent au pays, bien que l'équivalent existe déjà à l'étranger, dont aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, en Finlande et en Australie. C'est pourquoi j'ai été à la fois honoré et quelque peu intimidé par l'ampleur de la tâche que le Premier ministre m'a confiée.

De plus, nombre d'observateurs ont perçu cette initiative comme la preuve de l'intérêt et de l'engagement du Premier ministre envers la science, et sa reconnaissance du rôle de plus en plus important que jouent la science, la technologie et l'innovation dans tous les aspects de notre vie, p. ex. l'économie, la société et la culture, pour ne nommer que ceux-là.

L'élément principal de mon mandat consiste à fournir des conseils judicieux, impartiaux et non partisans en matière de S et T au Premier ministre pour aider le Canada à devenir un des chefs de file mondiaux. C'est pourquoi je m'attends à jouer un rôle de premier plan dans le développement d'une capacité consultative à l'échelle nationale qui servira à cibler les meilleures options possibles pour le guider le Premier ministre dans sa prise de décisions.

Nous traversons clairement une période d'incertitude. En effet, nous sommes à moins de deux semaines des élections, et les priorités du nouveau gouvernement pourraient changer du tout au tout. Je n'ai aucune idée de ce qui nous attend. Mais au lendemain de l'annonce de ma nomination, je me souviens que M. Preston Manning signait un article dans le Globe and Mail dans lequel il applaudissait l'initiative. De plus, j'ai réellement senti un appui généralisé au sein de la classe politique pour la création de mon poste et celle de mon équipe. Je crois sincèrement que peu importe le résultat des élections, le besoin et l'appui concernant le poste de conseiller national des sciences demeureront. Toutefois, le succès avec lequel je remplirai mes fonctions dépendra en grande partie d'une part, de notre habileté en tant que communauté à convaincre les politiciens et le public de l'importance de la science, et d'autre part, à leur communiquer clairement notre vision pour l'avenir des S et T au Canada. Nous avons tous un rôle à jour à cet égard, même si, en tant que scientifiques, nous y répugnons souvent.

Permettez-moi de vous raconter une fable qui illustre bien le propos. C'est M. Caspar Einem, un ministre autrichien et de l'Union européenne, qui me l'a fait connaître.

Un politicien et un journaliste participant à une réunion profitent de la pause pour se promener dans un parc. Soudainement, une grenouille se retrouve devant eux et se met à parler : " Je suis un scientifique à qui on a jeté un mauvais sort. Si vous me prenez dans vos mains et me donnez un baiser, je serai à votre service pour l'éternité! "

Le journaliste dit au politicien : " Quelle chance pour vous! Un expert serait constamment disponible pour vous fournir des conseils scientifiques! " Mais le politicien lui répondit : " Ah! non! Ce n'est pas une bonne idée! Tout le monde sait que les scientifiques parlent trop, qu'ils sont plus connaissants que quiconque sur tout, et qu'ils veulent toujours être le centre d'attention. Ce serait plutôt une chance pour vous! Les équipes de rédaction ne comptent pas toujours de spécialistes en sciences, et les rares candidats ne sont pas toujours bien renseignés. Vous en bénéficieriez plus que moi, alors saisissez votre chance! Prenez la grenouille et embrassez-la! " Le journaliste ramassa la grenouille, l'examina brièvement et la mit dans sa poche. Surpris, le politicien lui demanda pourquoi il faisait cela au lieu de l'embrasser. Et le journaliste répliqua : " C'est parce qu'une grenouille parlante est cent fois plus intéressante pour les médias que le meilleur des scientifiques! " En conclusion, nous pouvons tous tirer de grandes leçons de cette histoire.

En effet, les intervenants dans les domaines de la nanoscience et de la nanotechnologie devront prendre l'initiative de faire connaître leur discipline et les contributions qu'elle peut apporter à l'économie et à la société canadiennes

Il ne fait aucun doute que les chercheurs canadiens comptent sur le conseiller national des sciences pour défendre leurs intérêts auprès du gouvernement. Mon rôle est fondamental, et je dois non seulement prendre en considération l'opinion de la communauté scientifique, mais également celle des intervenants du secteur privé, du public et des autres gouvernements.

La plupart d'entre vous évoluent dans un environnement où la précision et les faits indéniables sont à la base de vos réflexions et discussions.

Toutefois, les politiques scientifiques ne suivent pas nécessairement cette logique. Même si faits et données sont légion, les opinions, les croyances et les valeurs ont également une grande influence sur le débat politique.

Assurément, cet aspect ajoute de l'ampleur à mon défi.

La sécurité, la santé, l'énergie, l'environnement ainsi que la croissance économique sont autant de questions délicates auxquelles nous devons porter une attention particulière en tant que nation. La science et la technologie ont un rôle important à jouer à cet égard pour ce qui est non seulement d'apporter des preuves et des faits, mais aussi des solutions.

En résumé, un conseiller national des sciences ne peut relever ce défi à lui seul. Une de mes priorités au cours des prochains mois sera donc de développer la capacité requise au sein de mon bureau pour accomplir cette tâche.

À court terme, je réalise que pour acquérir une certaine force d'influence, je devrai faire une sélection parmi les centaines de projets " hautement prioritaires " qu'on m'a proposés, et me concentrer sur quelques dossiers seulement. La commercialisation des résultats de recherche est l'un de ceux-là. Il s'agit d'un vaste dossier qui fait l'objet de sérieuses discussions dans la majorité des pays développés. Par exemple, à la récente conférence Carnegie des ministres des Sciences des pays du G-8, qui a eu lieu plus tôt ce mois ci à Talloires en France, et à laquelle j'ai participé au nom de la ministre de l'Industrie, la commercialisation et la valeur économique dérivées de la recherche étaient au coeur des préoccupations de tous les leaders présents.

J'ai reçu le mandat de travailler en étroite collaboration avec la ministre de l'Industrie et le secrétaire parlementaire chargé des sciences et des petites entreprises afin d'élaborer un plan d'action exhaustif et intégré qui permettra au Canada de mettre à profit les idées novatrices pour le bien être de sa population et d'acquérir une renommée internationale en la matière. Bien entendu, il est possible que les deux titulaires de ces postes soient remplacés dans quelques semaines!

En second lieu sur ma liste de priorités se retrouve le développement international.

Dans sa réponse au discours du Trône, le Premier ministre annonçait que 5 % des investissements fédéraux dans la recherche seraient consacrés à appliquer ses bienfaits aux défis qui se posent aux pays en développement. Actuellement, nous examinons les mesures à prendre à l'échelle du Canada en vue de réaliser cet objectif.

En dernier lieu, le Premier ministre m'a demandé de collaborer avec la ministre de l'Industrie et le secrétaire parlementaire Fontana à un examen approfondi des investissements fédéraux en S et T effectués au cours des six dernières années, en portant une attention particulière à la structure de financement, aux retombées, aux points forts et aux lacunes.

Je suis certain que vous êtes nombreux à avoir remarqué l'incroyable vent de changement qui a balayé la recherche universitaire au cours des six dernières années en particulier. Il faut attribuer ce renouveau en grande partie à l'augmentation des fonds fédéraux investis en S et T. En effet, un financement additionnel de 13 milliards de dollars a été affecté aux conseils subventionnaires et au réseau de centres d'excellence (RCE), à la création de la Fondation canadienne pour l'innovation (FCI), de Génome Canada, des chaires de recherche du Canada, des Bourses d'études canadiennes du millénaire et des Bourses d'études supérieures du Canada, etc. Évidemment, le CNRC a également bénéficié d'une part de ces fonds, comme en fait foi l'INN. Le financement des infrastructures et de la recherche a aussi été profondément amélioré, ce qui a permis au Canada d'attirer autant des finissants que des professionnels d'expérience. Les spécialités en émergence comme la génomique et la nanotechnologie ont connu un essor considérable au point où le Canada jouit maintenant d'une présence remarquée dans ces domaines à l'échelle mondiale. Toutefois, le Canada n'investit toujours pas autant dans l'innovation qu'il ne le fait dans le savoir. De la même manière, les activités scientifiques gouvernementales n'ont pas reçu toute l'attention qu'elles méritent. Ces lacunes, ainsi que les obstacles à la collaboration et aux partenariats que l'on rencontre dans le domaine de l'innovation, appellent une attention sérieuse.

Mais, dans le contexte actuel, il serait approprié de nous demander si le Canada progresse au même rythme que les autres pays dans le domaine de la nanotechnologie. Selon une comparaison par habitant, le Japon dépense 6 $US, suivi des États Unis, de la Suisse, d'Israël, des Pays Bas, de la France et de l'Allemagne avec 3 $ par personne. Selon cette échelle de mesure - et honnêtement, il est difficile de bien comprendre comment on en arrive à ces chiffres - le Canada quant à lui dépense entre 1 $ et 3 $ par habitant, le dernier montant étant le plus probable si on considère les investissements dans les infrastructures comparativement à ces autres pays.

Quel est notre parcours en nanotechnologie et quelles mesures nationales ont été entreprises? En analysant les cinq dernières années, je peux relever deux succès et un point négatif. En effet, ont a pu assister à la création de réseaux en nanoélectronique au Canada avec la création d'une équipe d'experts réunis grâce à l'Institut canadien de recherches avancées, et à l'étranger par l'entremise de l'Initiative de recherche Canada Europe sur les nanostructures. La décision d'aller de l'avant avec la création de l'INN en 2001 est un grand succès, ce qui démontre l'engagement des gouvernements canadien et provinciaux à unir les efforts des laboratoires fédéraux et universitaires. Par contre, il est un peu malheureux de voir que nous n'avons toujours pas réussi à créer un réseau de centres d'excellence en nanotechnologie afin de maximiser le financement et la collaboration actuels, donnant ainsi un élan à l'effort national.

La décision du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) d'instaurer la Plateforme d'innovation en nanoscience et en nanotechnologie a été un grand pas en avant pour démontrer le sérieux de leur engagement à constituer une masse critique. Certains gouvernements provinciaux ont déjà pris les devants en déployant les ressources nécessaires pour se constituer une communauté nanoscientifique. On constate déjà des résultats au Québec avec la mise sur pied de NanoQuébec, dont Robert Sing nous a parlé, et en Alberta.

Ce qu'il faut retenir c'est que ce domaine connaît une croissance rapide au Canada grâce à l'arrivée de nouveaux cerveaux, l'émergence de nouveaux domaines de recherche et l'accès à de nouveaux outils et infrastructures. M. Peter Grütter a fait un excellent travail plus tôt aujourd'hui en dressant le tableau de l'évolution de la recherche universitaire.

Donc, où se situe le Canada par rapport aux autres pays dans le domaine de la nanotechnologie? Les pays qui aspirent à la prospérité au XXIe siècle ont presque tous fait de la nanotechnologie une priorité tant dans leurs investissements que dans leurs interventions. Les approches varient considérablement, allant de stratégies nationales clairement définies à des politiques générales moins dirigistes pour favoriser les idées et applications nouvelles. Permettez moi de vous donner quelques exemples :

Dans un premier temps, l'Allemagne a décidé d'investir massivement dans la fabrication de matériaux spécialisés, comme les poudres et les couches d'enrobage, grâce à des ententes efficaces avec des partenaires industriels. Or, les centres d'expertise en nanotechnologie jouissent également de telles ententes avec des partenaires des secteurs chimique et métallurgique, et leurs travaux sont axés sur la technologie et ses diverses applications possibles. En 2002, l'Allemagne a entrepris d'élargir le champ d'activité scientifique dans le cadre du concours suivant qu'elle a lancé.

De son côté, Taïwan a procédé à d'importants investissements dans des secteurs ciblés de la nanotechnologie afin d'obtenir des résultats à court terme orientés sur la création de nouveaux produits dans les secteurs des TI et de la microélectronique. La nanotechnologie et la nanoscience représentent maintenant 23 % du budget alloué aux programmes nationaux en S et T. Ce secteur occupe le premier rang, suivi des télécommunications avec 16% du budget national.

Quant à eux, les États-Unis ont mis en œuvre une stratégie nationale ambitieuse et de haut niveau intitulée la National Nanotechnology Initiative, qui met l'accent sur les découvertes scientifiques et l'augmentation de la capacité institutionnelle dans l'ensemble des organismes, des universités et des industries. À n'en pas douter, il s'agit de la stratégie la plus médiatisée au sein des pays de l'OCDE avec des investissements qui atteindront 1 milliard $ d'ici un an et demi, occasionnant par le fait même un changement radical des priorités des gouvernements dans le monde.

Cependant, les États-Unis ont modifié leur stratégie d'une manière significative depuis un an. Auparavant, les fonds étaient destinés à augmenter la capacité de recherche du pays. Mais en 2003, Washington a précisé que la communauté scientifique doit établir quels sont les grands défis à relever, surtout en ce qui concerne les nanomatériaux, la fabrication, les domaines CBRN, l'instrumentation et la métrologie, la nanoélectronique et l'énergie. Cette nouvelle orientation amène également les chercheurs à tenir compte des aspects socioéconomiques.

En France, l'Académie des sciences et l'Académie des technologies viennent de publier un rapport sur l'avenir des nanosciences et les implications pour la R-D française. Le rapport propose le lancement d'un grand programme interministériel destiné à positionner la France au premier plan dans le domaine des nanotechnologies et de leur mise en œuvre au plan industriel.

Au Royaume Uni, le Comité de la Chambre des communes sur les sciences et la technologie a récemment rendu public un rapport sur les progrès réalisés grâce à la stratégie de nanotechnologie intitulée - et je cite - " Too little too late : Government Investment in Nanotechnology ". Ce rapport critique sévèrement le manque de progrès accomplis depuis 2001, soit depuis que la stratégie a été inaugurée sous l'autorité de sir John Taylor, ancien directeur général du Conseil de recherche du Royaume Uni. Le rapport relate les occasions ratées de miser sur les succès du programme préliminaire de nanotechnologie lancé au début des années 1980. Les membres du Comité déplorent également l'incapacité de concentrer l'allocation de ressources à un nombre limité de centres d'expertise en nanotechnologie de haut niveau, ce qui s'est traduit par un saupoudrage du financement et une trop grande lenteur de la part de la communauté scientifique à relever les défis de la nanoscience. Le Comité a conclu que les investissements gouvernementaux en nanotechnologie sont actuellement insuffisants, mal ciblés et aucunement susceptibles de susciter les niveaux de financement requis pour atteindre les objectifs du rapport Taylor! De toute évidence, le Royaume Uni révisera son approche.

Finalement, le Japon a élaboré un plan d'action à long terme et durable pour ses institutions de recherche, notamment le RIKEN, mais il s'est concentré sur une stratégie de niche en ciblant des domaines comme le verre pour la photonique. Le pays a ainsi pu réaliser des progrès.

Tout en prenant note des programmes des autres pays industrialisés, nous ne devons pas sous-estimer l'intérêt et la capacité en pleine expansion des pays dont l'économie est en voie d'acquérir de plus en plus d'influence, p. ex. la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud. En fait, cette dernière élabore actuellement sa propre stratégie de nanotechnologie. Je tiens à le préciser parce que la concurrence - et par le fait même les possibilités de partenariats - proviendront non seulement des acteurs habituels, mais aussi d'ailleurs.

Je remarque un lien évident entre la création d'une stratégie nationale clairement définie et axée sur l'innovation, et l'augmentation du financement accordé aux nanotechnologies dans tous ces pays. Nous devons tenir compte de cette corrélation.

Les États Unis ont lancé leur stratégie en 2000, et dès l'année 2003, les fonds consacrés à la nanotechnologie avaient triplé. Fait intéressant, le Japon surveille de près les activités américaines dans ce secteur, et a également augmenté ses investissements. Toutefois, les pays membres de l'Union européenne n'ont suivi la tendance que tout récemment.

Alors, comment qualifier l'approche canadienne? Selon mon expérience et à la lumière de ce que j'ai pu observer aujourd'hui, je la considère " vivante ". En effet, on assiste actuellement à l'essaimage de nombreuses équipes d'experts œuvrant dans différents secteurs de spécialité au Canada.

Dans le cadre des exposés qui vous ont été présentés, vous avez découvert les travaux de Peter Norton, Rod Taylor, Linda Johnson, Nils Peterson et de leurs collègues sur les nanoprobes utilisés pour l'échantillonnage biologique et l'imagerie des cellules. Il s'agit d'un bel exemple d'un projet de recherche multidisciplinaire (photonique, biologie et chimie) de grande envergure et sortant des sentiers battus afin d'étudier le fonctionnement et la régulation des cellules au niveau moléculaire.

Évidemment, je pourrais mentionner de nombreux autres projets actuellement en cours tous plus intéressants les uns que les autres, comme vous avez pu le constater lors des présentations.

Il est primordial de réaliser que le Canada produit un savoir scientifique de très haut niveau; nous devons en être fiers et célébrer notre succès.

De plus, je dirais que la nanotechnologie au Canada est une science jeune, décentralisée et sous-financée. Nous n'avons pas encore élaboré de stratégie nationale, et je ne serais pas surpris que certains d'entre vous croient que nous n'en avons pas besoin. C'est vrai que le Canada n'a pas un bulletin reluisant au chapitre de l'élaboration des stratégies nationales ciblées. Bien sûr, il y a des exceptions. Pensons à la biotechnologie qui est devenue une technologie stratégique pour le Canada au milieu des années 1980, faisant de cette discipline un secteur dynamique et amenant la création de Génome Canada pour aider le pays à se tailler une place de choix dans le monde de la génomique.

Ici, la tendance générale a été de favoriser l'émergence de l'excellence et de nouvelles idées par l'entremise des multiples mécanismes de financement fédéral et provinciaux, comme le CRSNG, l'IRSC (commanditaires de ce NanoForum) et la FCI. Enfin, je pense que beaucoup d'entre vous s'accorderaient pour dire que ces mécanismes manquent de cohésion et de coordination.

Quelle serait donc la démarche appropriée pour le Canada?

Pour répondre à cette question, nous devons nous entendre sur certains éléments fondamentaux.

1) Premièrement, nous devons déterminer, dans les plus hautes sphères, quel apport socioéconomique nous souhaitons obtenir, en tant que nation, grâce à la science pour le bien être de nos concitoyens. Actuellement (mais cela pourrait bientôt changer), le Canada désire que son économie soit au diapason du XXIe en matière de S et T en vue d'être l'un des pays les plus novateurs au monde. Par conséquent, posons-nous la question suivante :

Quel rôle peuvent jouer la nanoscience et la nanotechnologie dans l'atteinte de cet objectif?

J'estime qu'il faut faire connaître tout ce que la nanoscience et la technologie peuvent apporter à nos soins de santé, à notre compétitivité industrielle, à notre environnement et à notre renommée internationale sur les plans scientifiques.

Mais il ne faut plus attendre.

2) Deuxièmement, quels obstacles devrons-nous surmonter afin d'accomplir notre objectif ultime? J'en verrais au moins quatre d'un point de vue stratégique.

a. D'abord, instaurer une masse critique dans les domaines clés où le Canada peut réellement devenir un chef de file. Il ne s'agit pas d'une sélection exclusive ni trop pointue, mais plutôt de trouver les moyens de miser sur nos points forts.

b. Ensuite, favoriser une plus grande interdisciplinarité. Dans l'univers de l'atome, la science est fondamentalement interdisciplinaire. En effet, c'est aux niveaux moléculaire et submoléculaire que la chimie, la physique, la biologie, l'ingénierie et l'informatique convergent. Ce matin, M. Peter Norton a dit qu'aucun d'entre nous ne peut accomplir de grandes choses seul. J'en prends bien note puisque cela signifie qu'il nous faut donc miser sur le travail d'équipe et interdisciplinaire. Mais dans la situation actuelle, la structure de financement et les institutions de recherche favorisent-elles cette méthode de travail? Serait-il possible qu'elles nuisent au processus?

c. Finalement, l'éthique, la gestion et la responsabilité. Il y a un mois de cela, j'ai dû faire un choix difficile lorsqu'on m'a demandé de représenter officiellement le Canada le 18 juin à Washington dans le cadre d'une discussion sur l'incidence éthique et morale de la nanotechnologie. Bien que ma priorité était de respecter mon engagement d'être ici avec vous aujourd'hui, il est intéressant de souligner qu'il nous sera impossible d'évoluer en tant que communauté, voire en tant que société, sans prendre en considération l'aspect moral et éthique potentiellement litigieux lié à l'exploration de l'inconnu et à l'application des nouvelles connaissances. Les intervenants en biotechnologie ont dû faire face à ces enjeux et prendre des mesures pour atténuer les préoccupations.

Nous devons nous préparer à en faire autant collectivement, mais le plus important sera d'inclure la population canadienne pour qu'elle se sente écoutée. Ainsi, nos actions s'inscriront dans une logique réfléchie.

Il doit certainement y avoir de nombreux autres obstacles, mais d'après moi ceux que je viens de vous énumérer doivent être au premier plan.

3) Troisièmement, qu'en est-il de la vision et de la stratégie? Tel que je l'ai mentionné plus tôt, il semble que le Canada, contrairement à d'autres pays comme les États-Unis, l'Allemagne ou, plus récemment la France et la Hollande, n'a pas de stratégie globale intégrée dans les secteurs de la nanoscience et de la technologie. Une telle stratégie nous permettrait de faire en sorte que nos efforts soient complémentaires, tout en assurant une répartition et une utilisation adéquates des ressources par toutes les parties concernées dans les sphères scientifiques à l'échelle nationale et provinciale. Il est vrai que M. Peter Grütter a fait un excellent travail en assurant la coordination de la Plateforme d'innovation du CRSNG, en plus de jouer un rôle déterminant auprès de NanoQuébec. Mais en réalité, il n'y a aucune coordination d'ensemble. Si l'on prend l'exemple des États Unis, la National Nanotechnology Initiative de 2001, est née d'une concertation entre différents organismes, et elle vise à maximiser le rendement des investissements fédéraux en R-D dans le domaine de la nanoscience en coordonnant les activités relatives au financement, à la recherche et aux infrastructures pour l'ensemble des organismes.

La stratégie américaine favorise la création de partenariats et de réseaux interdisciplinaires, canalise le financement en R-D vers l'augmentation de la capacité de recherche, encourage la formation de chercheurs en nanoscience et aide les petites entreprises à exploiter les possibilités en nanotechnologie.

Le Canada devrait il s'inspirer de ce modèle ou l'adopter tel quel?

Une telle stratégie au Canada pourrait contribuer à centrer les efforts en fonction des priorités dans le domaine de la nanoscience, en plus de fournir les moyens utiles à l'élaboration d'un plan d'action pour le financement futur. Rappelez-vous que la génomique canadienne accusait un retard jusqu'à ce que deux organismes, soit le Conseil de recherches médicales et le CNRC, unissent leur savoir, trouvent de nouveaux partenaires et établissent un conseil de direction intérimaire chargé d'élaborer un plan pour la création de Génome Canada.

4) Que pouvons-nous faire pour relever ces défis? La parole est maintenant à vous. J'aimerais enclencher le processus en précisant que les partenariats sont particulièrement importants si l'on veut relever ces trois grands défis. Nous devrons mettre au point des mécanismes et des ententes institutionnelles dans le but de partager les ressources, d'échanger les idées et d'effectuer de nouvelles percées. Pour ce faire, il s'agit non seulement de favoriser la collaboration entre les universités canadiennes, mais aussi avec celles de l'étranger, sans oublier les gouvernements ni surtout les intervenants de l'industrie.

En terminant, je tiens à vous dire que nous pouvons être fiers des progrès remarquables accomplis au cours des dernières années. Sachez que je suis très optimiste quant à l'avenir du Canada dans ce domaine passionnant. Les possibilités sont infinies et tout à fait à notre portée si nous sommes prêts à nous serrer les coudes et à tendre la main à de nouveaux acteurs.

Merci.

 

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Mise à jour: 2004-06-17  Avis importants