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Discours

Sciences et technologie au XXIe siècle : défis et possibilités pour le Canada

Arthur J. Carty

Le texte prononcé fait foi.

Institut océanographique de Bedford
Dartmouth (Nouvelle-Écosse)
Le 7 mars 2005


Introduction

Bonjour à vous tous et merci beaucoup de m'avoir invité à l'Institut océanographique de Bedford. Ça me fait un très grand plaisir d'être parmi vous aujourd'hui et d'avoir l'occasion de visiter les laboratoires et de mieux comprendre les programmes de recherche.

C'est un honneur pour moi d'entretenir le personnel et les amis de l'Institut de certains des défis et des possibilités qui touchent le milieu canadien des sciences au XXIe siècle.

Mon objectif aujourd'hui comporte trois volets :

  1. Donner mon point de vue par rapport à mon mandat à titre de conseiller national des sciences auprès du Premier ministre.
  2. Donner un aperçu de la position du Canada sur l'échiquier mondial dans le domaine des sciences.
  3. Donner un aperçu des défis qui nous attendent, plus particulièrement dans le domaine des sciences et de la technologie océanographiques au sein de la collectivité scientifique fédérale.

Rôle du conseiller national des sciences

J'aimerais commencer par brièvement aborder mon rôle à titre de conseiller national des sciences et la vision du gouvernement en termes de sciences et d'innovation au Canada.

En tant que Conseiller national des sciences, j'ai un mandat très large, qui couvre tout le spectre des sciences, de sorte à dispenser des conseils judicieux, indépendants et impartiaux au Premier ministre sur des questions, des orientations et des priorités de nature scientifique.

On m'a aussi demandé de veiller à ce que les investissements du gouvernement dans le domaine soient stratégiques et cohérents, puis à ce qu'ils portent leurs fruits.

Le but général de cette démarche est d'établir une vision et un plan à long terme pour les sciences et la technologie, fondés sur les excellents effectifs de chercheurs au Canada et sur la poursuite de la quête d'excellence tout en assurant des avantages économiques et sociaux au pays.

Voici certains des secteurs prioritaires qui ont retenu mon attention jusqu'ici :

  • Amélioration de la capacité du Canada à adapter de nouvelles idées et des découvertes par la commercialisation et l'innovation pour en faire des produits et des activités commerciales concurrentiels sur le marché mondial.
  • Mobiliser le savoir-faire scientifique et technique national afin de relever les défis pressants auxquels les pays en développement sont confrontés.
  • Renforcer les collaborations horizontales au sein du système d'innovation et trouver des façons d'obtenir la pleine intégration des activités scientifiques et techniques du gouvernement fédéral. Je reviendrai sur cet aspect tout à l'heure.
  • Améliorer la culture scientifique au pays et se faire l'ambassadeur du milieu scientifique canadien à l'étranger.
  • Enfin, concevoir une stratégie globale permettant des investissements majeurs dans les sciences.

Sciences, technologie et innovation au XXIe siècle

C'est presque un cliché maintenant de dire que les sciences et la technologie sont des moteurs clés de la croissance économique et de la qualité de vie dans le monde entier.

Autant dans le secteur public que dans le secteur privé, les sciences et la technologie font partie intégrante de presque toutes les décisions que nous prenons, de tous les plans que nous mettons en œuvre ou de tous les produits et services que nous offrons.

Qu'il s'agisse du VIH-sida ou encore de changements climatiques, nous nous tournons vers les sciences, la technologie et l'innovation pour trouver des solutions à un nombre grandissant de problématiques mondiales.

D'ailleurs, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, déclarait dernièrement que " les progrès récents des technologies de l'information, de la génétique et des biotechnologies ont ouvert des perspectives extraordinaires pour l'humanité dans son ensemble1 ".

Cela est plus particulièrement vrai quand il est question de comprendre et de gérer notre relation avec les océans.

Il reste encore beaucoup à faire sur le plan de la science fondamentale et de la technologie avant de même commencer à comprendre la complexité des nombreux écosystèmes océaniques et leurs interactions. Ce matin, l'approche globale de gestion des écosystèmes présentée par Ken Frank m'a beaucoup impressionné.

Si nous voulons tirer pleinement profit des ressources des océans de façon responsable et durable, ces connaissances nous sont essentielles.

Comme le disait le scientifique et philosophe français Pascal : " Le moindre mouvement importe à toute la nature, la mer entière change pour une pierre. " L'océan est un milieu délicat; la moindre perturbation, ne serait-ce qu'un léger réchauffement, peut avoir des conséquences très concrètes.

La position du Canada sur l'échiquier mondial dans le domaine des sciences, de la technologie et de l'innovation

Quelle figure le Canada fait-il à l'échelon international en termes de rendement scientifique et technologique et de capacité à innover?

À mon avis, nous faisons bonne figure compte tenu de notre taille.

Le Canada est extrêmement performant quand on considère le contexte scientifique international, puisqu'il se classe parmi les leaders mondiaux dans plusieurs domaines, comme l'illustrent les deux diapositives suivantes.

Le Canada arrive au sixième rang mondial quant à sa part du premier centile de publications les plus citées. Le Canada ne cède le premier rang qu'au Royaume-Uni au chapitre des mentions par chercheur, des mentions par unité du PIB et du nombre de publications par chercheur.

De plus, en 2002-2003, le Canada affichait les dépenses de recherche - développement par personne dans les universités et les établissements de recherche les plus élevées du G8.

Au cours des sept dernières années, le gouvernement fédéral a, à lui seul, investi 13 milliards de dollars dans le secteur scientifique au Canada. Le budget déposé le mois dernier vient ajouter 1,2 milliard de dollars à cette somme.

Le gouvernement fédéral a aussi fait des investissements importants dans la capacité du Canada à innover, ce qui comprend des dépenses dans l'enseignement supérieur, l'infrastructure des communications et les technologies environnementales afin de favoriser une économie écologiquement viable.

Le Budget 2005 prévoit 2,4 milliards de dollars pour le financement de nouvelles initiatives ayant une composante scientifique, technologique et novatrice importante, surtout dans les domaines des changements climatiques, du développement durable et du respect de nos obligations internationales.

Les résultats de cet engagement sont de plus en plus évidents.

Le Canada présente des avantages concurrentiels à l'échelon international dans un nombre croissant de secteurs, qu'il s'agisse de technologies de l'information ou des communications, de la génomique, de la biotechnologie ou encore de l'aérospatiale et de la construction automobile, de la géomatique, de l'énergie ou des technologies environnementales et océanologiques.

Le défi du Canada dans le domaine des sciences et de la technologie au XXIe siècle

Toutefois, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. Le caractère concurrentiel de l'économie mondiale du savoir ne cesse de croître et nous devons constamment nous demander si ce que nous faisons suffit.

Le fait est que le Canada ne produit actuellement que 4 % du savoir à l'échelon international. Et, bien souvent, nous n'exploitons pas le plein potentiel de commercialisation ou d'utilisation pour le bien commun de ces connaissances.

De plus, la concurrence s'intensifie. Des pays comme la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud se présentent comme de nouvelles puissances dans le domaine des sciences et de la technologie.

Prenons l'exemple de la Chine. L'an dernier, la Chine a publié un plus grand nombre d'articles scientifiques en sciences naturelles et en génie que le Canada. Par ailleurs, elle compte 200 000 nouveaux ingénieurs par an, soit trois fois plus de diplômés qu'aux États-Unis.

Le Canada devra donner le meilleur de lui-même pour demeurer un chef de file et un partenaire de choix au sein de la collectivité scientifique internationale.

Le Canada doit donc instaurer une profonde culture scientifique et un système du savoir et de l'innovation hautement efficace s'il veut continuer à prospérer et à permettre à la population canadienne de tirer pleinement profit des progrès scientifiques et technologiques.

Voilà l'un des principaux défis que le Canada devra relever au XXIe siècle.

Sciences, technologie et innovation : le défi stratégique du Canada

Comment y parvenir?

À mon avis, nos efforts doivent d'abord viser, de façon concertée et soutenue, les défis suivants :

C'est-à-dire :

  • Maintenir la position de chef de file du Canada au sein du G8 pour ce qui est des dépenses en recherche-développement dans le secteur de l'enseignement supérieur par rapport au produit intérieur brut, puis miser sur une base solide dans le secteur de la recherche.
  • Assurer à la population canadienne des avantages économiques et sociaux dérivés des investissements en recherche-développement, grâce au transfert de connaissances et à la commercialisation.
  • Stimuler l'expansion et la collaboration en recherche-développement industrielle.
  • Revitaliser les sciences au sein du gouvernement, par des réinvestissements notamment, pour répondre aux défis stratégiques clés auxquels la population canadienne doit faire face.
  • Et, intensifier la collaboration nationale et internationale dans tout le secteur de l'innovation.

Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans le déploiement des efforts nécessaires pour relever ces défis. Mais, au bout du compte, l'industrie et les universitaires doivent eux aussi faire partie de la solution.

Chaque intervenant du système du savoir et de l'innovation du Canada joue un rôle essentiel pour ce qui est de veiller à ce que les sciences, la technologie et l'innovation concourent aux aspirations économiques et sociales de notre pays. Donc, si nous voulons que les investissements en sciences et technologie soient maintenus, voire accrus, nous devons montrer qu'ils portent leurs fruits!

Revitaliser les activités fédérales en sciences

J'aimerais plutôt me concentrer sur le rôle des activités fédérales en sciences et certaines des stratégies fondamentales de revitalisation de cet élément important de notre système du savoir et de l'innovation.

Le gouvernement est, bien entendu, la plus importante source de recherche-développement et d'activités scientifiques connexes menées dans l'intérêt général. Ces activités vont du soutien à l'élaboration de politiques et au processus décisionnel à l'élaboration de normes et de règlements en passant par la protection de la santé publique, de la sécurité, de la salubrité et du milieu et la promotion du développement économique et social. Comme je l'ai constaté en discutant avec les présidents de divers conseils et fondations, cette réalité n'est pas bien comprise dans l'ensemble. Nous devons donc mieux l'exprimer.

Le travail de nombre d'entre vous à l'Institut, soit la surveillance des zones côtières, des mers épicontinentales et des eaux des grands fonds au Canada afin d'établir un modèle relatif aux changements climatiques et une gestion intégrée des océans, est un excellent exemple de la façon dont les activités fédérales en sciences concourent au bien commun.

Le gouvernement fédéral joue par ailleurs un rôle fondamental de chef de file, d'intervenant, de collaborateur et d'autorité de réglementation.

Toutefois, nous connaissons tous les défis auxquels la collectivité fédérale des sciences et de la technologie est confrontée aujourd'hui. Le savoir est créé et mis de côté à une vitesse croissante. Ou, comme m'a déjà dit un Terre-Neuvien : " Le savoir, c'est comme du poisson frais : il ne reste pas frais longtemps! " La transformation des sciences et de la technologie a accru la complexité des activités scientifiques, c'est-à-dire que le processus est de plus en plus rapide, multidisciplinaire, coopératif et de nature internationale. Je crois qu'on peut dire sans se tromper que les gestionnaires au sein de la collectivité fédérale des sciences et de la technologie se demandent comment ils peuvent optimiser l'utilisation de leurs ressources limitées dans ce milieu de plus en plus exigeant.

Je serai donc très clair : je crois fermement dans la valeur des activités scientifiques fédérales. De plus, en tant que conseiller national des sciences, je compte faire tout ce qui est en mon pouvoir afin de promouvoir la reconstruction de la base scientifique du gouvernement fédéral.

Cela dit, je crois que nous devons aussi nous assurer que l'activité scientifique fédérale est étroitement liée aux objectifs sociaux et économiques de la population canadienne.

Nos ressources ne sont pas illimitées de sorte qu'il est très important d'établir nos priorités avec soin et de concentrer nos efforts sur les activités essentielles à la mission qui auront la plus grande incidence. Cela signifie qu'il faut miser sur nos forces et mettre l'accent sur des domaines d'importance nationale et internationale.

La collectivité fédérale des sciences et de la technologie doit aussi avoir la capacité et la volonté d'offrir des activités de grande qualité, pertinentes, éthiques et novatrices de manière transparente.

Enfin, nous devons nous assurer que l'activité scientifique fédérale fait appel à toute la capacité des systèmes d'innovation national et international afin d'obtenir des résultats optimaux. C'est avec grand plaisir que j'ai constaté, dans le budget déposé le mois dernier et dans lequel on consacre 20 millions de dollars aux ententes en sciences et technologie, que l'on a fait de la coopération internationale en sciences et technologie une priorité.

Le gouvernement finance de plus en plus la recherche-développement en fonction de questions et de problèmes plutôt que de domaines ou de structures existantes. Toutefois, je crois qu'il est évident que le gouvernement ne réinvestira pas dans les activités et les infrastructures scientifiques sans que nous ayons préalablement cerné avec précision les priorités actuelles et à venir, puis mobilisé la capacité scientifique nécessaire pour résoudre les problèmes.

Si vous me permettez de schématiser un peu, je vois le processus décisionnel de la façon suivante :

  • D'abord, nous définissons nos priorités d'après les besoins et les préoccupations en termes de politiques publiques.
  • Ensuite, nous précisons les résultats que nous devons obtenir en fonction de ces priorités.
  • Puis, nous cernons les activités scientifiques essentielles à la mission, soit celles qui devront être entreprises pour obtenir ces résultats ou les appuyer.
  • Enfin, nous réunissons les ressources humaines et infrastructures nécessaires pour ces activités scientifiques par l'intermédiaire de partenariats et des capacités à l'interne.

Dans cette optique, je travaille avec les sous-ministres fédéraux des ministères à vocation scientifique sur un plan et une vision à long terme de renouvellement de l'activité fédérale.

Cette vision est celle d'un gouvernement reconnu tant au Canada qu'à l'étranger pour la qualité et la productivité de ses activités scientifiques pour le bien commun.

Afin de concrétiser cette vision, l'état auquel nous aspirons, nous devons tenir compte de cinq éléments clés :

  • La capacité de montrer que nos programmes de recherche sont ciblés et en accord avec les objectifs essentiels à la mission et qu'on ne se contente pas de remplacer l'infrastructure obsolète, mais que l'on crée de nouvelles installations essentielles à nos objectifs et priorités.
  • L'accès à une main-d'œuvre qualifiée et engagée qui se consacre aux activités scientifiques du gouvernement.
  • L'accès à de l'équipement et à des grappes d'infrastructure de base à la fine pointe de la technologie, grâce à un programme de science publique qui s'apparente à la Fondation canadienne pour l'innovation. Celui-ci doit être axé sur l'excellence et l'examen par les pairs d'après des orientations et objectifs stratégiques et reposer sur des partenariats.
  • La conclusion de partenariats et la création de réseaux de sorte à maximiser les ressources et la capacité de recherche.
  • Enfin, l'établissement de conditions administratives et financières favorables.

Intégration accrue des activités fédérales en sciences et technologie

Dans le cadre de cet engagement à revitaliser les activités en sciences et technologie, on m'a demandé de favoriser une intégration accrue des ressources en sciences et technologie du fédéral.

Les temps changent et, aujourd'hui, on ne peut plus se contenter de solliciter nos ministères et organismes pour obtenir les ressources nécessaires pour mener les activités scientifiques essentielles à la mission et traiter les questions scientifiques nouvelles.

L'intégration est un aspect fondamental de la création d'un système scientifique canadien qui se distingue vraiment sur la scène internationale.

Mais à quoi fait-on référence quand on parle d'intégration?

Pour moi, l'intégration demande le regroupement de fonctions disparates en un même système. C'est une collaboration plus cohérente, coordonnée et poussée.

Dans le cas des sciences et de la technologie, l'intégration demande, entre autres, l'établissement conjoint des priorités de recherche, l'échange de renseignements, ainsi que le partage des ressources et du savoir-faire, puis, lorsque c'est approprié, la gestion intégrée des programmes.

À mes yeux, l'intégration n'est pas une solution universelle ni une finalité. Elle doit être appliquée là où c'est logique de le faire et peut favoriser les progrès et, donc, se traduire par des avantages importants.

L'intégration peut favoriser une utilisation plus efficace de l'équipement et des installations, puis accroître l'incidence des partenariats, tant au sein de la collectivité fédérale des sciences et de la technologie qu'avec d'autres intervenants des systèmes national et international d'innovation.

L'intégration peut aussi favoriser un rapprochement des sciences et des politiques générales du gouvernement, accroître la diversité et la créativité au sein de la main-d'œuvre fédérale en sciences et technologie, optimiser les ressources et, dans certains cas, réduire les coûts.

Un rapport publié dernièrement par le Conseil d'experts en sciences et en technologie (CEST), intitulé Les liens dans le système national de connaissance, défend de façon incontestable l'intégration comme principale façon de faire des affaires dans le milieu scientifique fédéral.

Comme on peut le lire dans son rapport, le CEST croit que l'on doit prouver que " la collaboration n'est pas une tâche "quand on n'a rien de mieux à faire", ni un travail "supplémentaire", mais un mode de fonctionnement fondamental, un moyen légitime pour atteindre les objectifs de l'organisation2 ".

Je vous suggère de jeter un œil à ce rapport.

L'intégration était aussi l'objet du dernier Forum sur les sciences et la technologie du gouvernement fédéral.

À ce forum, je me suis engagé à travailler avec le Comité des sous-ministres, les sous-ministres adjoints de la collectivité scientifique fédérale et le Conseil des sous-ministres adjoints pour l'intégration des sciences et technologie afin de cerner les mesures qui permettront de passer d'une intégration théorique à une intégration concrète.

J'ai d'ailleurs l'intention de communiquer avec la collectivité fédérale des sciences et de la technologie d'ici juin afin de leur soumettre des plans concrets.

Je crois que c'est faisable. Grâce aux efforts du Conseil des sous-ministres adjoints pour l'intégration des sciences et technologie, nous avons déjà un excellent inventaire de collaborations multipartites ainsi qu'une partie du travail de fait quant à l'établissement d'une liste de questions scientifiques qui pourraient bénéficier d'une collaboration horizontale accrue et de l'intégration, comme la gestion des océans et la sécurité publique.

Aujourd'hui, je constate aussi une plus grande volonté d'étudier et d'adopter les modèles de collaboration au sein de la collectivité fédérale des sciences et de la technologie qu'au cours des 10 dernières années.

On peut se demander à quoi ressemble, concrètement, l'intégration. Laissez-moi vous donner quelques exemples :

La National Nanotechnology Initiative, ou NNI, américaine est un bon exemple de grande réussite. Il s'agit d'un modèle d'intégration multipartite à grande échelle.

Dotée d'un financement de 1 milliard de dollars, cette initiative réunit 22 organismes fédéraux dans le cadre d'un programme intégré, coordonné et multidisciplinaire qui appuie la recherche-développement en nanotechnologie, ainsi que le développement d'infrastructures, l'enseignement, la diffusion des connaissances et la commercialisation.

Les organismes participants collaborent aux activités de recherche dans au moins une des sept composantes du programme, qui regroupent tous les intérêts et besoins des organismes participants.

Cette approche a permis à la NNI de faire progresser à pas de géant le développement et l'application des nanotechnologies aux États-Unis, et ce, en relativement peu de temps.

L'autre exemple que je souhaite porter à votre attention est celui de l'Initiative de recherche et de technologie CBRN, au Canada. Cette initiative interministérielle fait appel à une approche intégrée pour établir les priorités, planifier et gérer les programmes, afin de renforcer la préparation du Canada aux attaques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, ou CBRN.

Ensemble, les 14 ministères et organismes fédéraux qui participent à cette initiative coordonnent un budget de 170 millions de dollars sur cinq ans de sorte à créer un réseau d'intervention de laboratoires fédéraux qui accélérera le transfert technologique et remédiera aux faiblesses quant à la capacité nationale en sciences et technologie en cas d'attaques terroristes à haut risque.

Il y a d'autres exemples remarquables d'intégration au sein de la collectivité fédérale des sciences et de la technologie, c'est certain, y compris l'Institut océanographique de Bedford. Exemple de cooccupation, vous avez prouvé qu'il est profitable de regrouper des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens issus de différents milieux et organismes pour effectuer ensemble des recherches axées sur la résolution de problèmes.

Les liens que vous avez tissés avec la Station biologique de St. Andrews de Pêches et Océans, l'Institut des technologies océaniques du Conseil national de recherches du Canada, l'Université Dalhousie et un éventail de partenaires internationaux ont aussi amplifié les avantages de cette approche.

Océanographie - De nouveaux horizons

J'ai l'impression que l'Institut, et même l'océanographie en général, est arrivé à la croisée des chemins.

J'ai cru comprendre que la collectivité scientifique de Pêches et Océans vit actuellement un processus de restructuration pénible. Ces changements ne sont jamais faciles, mais ils sont parfois nécessaires si nous voulons nous assurer que notre travail contribue de façon optimale à l'atteinte des objectifs nationaux.

En général, je crois cependant qu'un nombre croissant de personnes au sein du gouvernement reconnaît la contribution primordiale de l'océanographie à la prospérité et à la durabilité environnementales au pays, surtout dans les régions côtières.

Le soutien du Plan d'action du Canada pour les océans dans le dernier discours du Trône, un engagement impliquant de multiples organismes, est probant à cet égard. La décision de consacrer 28 millions de dollars à la santé des océans dans le budget déposé le mois dernier est aussi un signe encourageant.

Il est certain que, de mon côté, je considère que l'océanographie et le développement des techniques connexes constituent de nouveaux horizons scientifiques, tout aussi importants que l'aérospatiale, sinon davantage.

Jumelée à l'innovation, l'océanographie a la capacité d'apporter une contribution gigantesque à la qualité de vie de l'humanité tout entière. Elle peut favoriser la protection de la biodiversité marine et le développement de nouvelles sources d'énergie, en plus d'aider à remédier aux besoins croissants en nourriture, à créer des médicaments et des suppléments alimentaires dont nous avons un besoin criant et à veiller à la sécurité du transport maritime.

Il n'est donc pas surprenant que des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, pour ne nommer que ceux-là, adoptent une nouvelle approche par rapport à l'importance stratégique de l'océanographie et du développement de leurs secteurs maritime et des technologies océanologiques.

Certains d'entre vous connaissez peut-être la Carte routière technologique des secteurs maritime et océanique du Canada. D'autres ont participé à sa création. Cet exercice amorcé par l'industrie a permis un dialogue très bénéfique sur les industries océanologiques canadiennes et une plus grande synergie de leurs acteurs.

Les forces du Canada en océanologie

Alors comment se situe le Canada en océanologie?

Eh bien, même si notre pays n'est pas un chef de file à tous les points de vue, il se démarque dans plusieurs créneaux clés du développement de l'océanologie.

Les laboratoires fédéraux, y compris l'Institut océanographique de Bedford, de même que les universités et le secteur maritime canadiens, ont acquis un savoir-faire de renommée internationale dans des domaines aussi variés que la cartographie et la modélisation océaniques, les propriétés des glaces de mer, la recherche halieutique, le technogénie en eaux froides et les véhicules sous-marins autonomes, dits AUV.

Par exemple, la décision, prise dernièrement, de désigner le Goulet, situé au large de la Nouvelle-Écosse, près de l'île de Sable, comme zone de protection maritime en vertu de la Loi sur les océans a donné au Canada une image de chef de file international dans la gestion scientifique des écosystèmes.

Le Canada participe également à un nombre croissant de projets internationaux de pointe en océanologie et projets de recherche connexes.

Par exemple, ici même, à l'Institut, des scientifiques participent à l'étude CLIVAR sur la variabilité du climat, au projet de déploiement de flotteurs Argo, au Partenariat pour l'observation globale des océans, au Projet de forages océaniques à grande profondeur et au Centre d'études de la vie marine.

Puis, sur la côte Ouest, le Canada joue un rôle de premier plan dans NEPTUNE, un projet de 300 millions de dollars qui se traduira par la création d'un observatoire du fond marin câblé de 3000 km de long au large des côtes de la Colombie-Britannique et des États de Washington et de l'Oregon. Une fois opérationnel, l'observatoire fournira à la collectivité internationale de chercheurs un accès sans précédent au fond marin.

La renommée internationale dont jouit la petite industrie canadienne des technologies maritimes et océanologiques, en pleine croissance, est un autre atout pour la collectivité canadienne de l'océanologie.

Un nombre grandissant de sociétés canadiennes, dont bon nombre sont des PME, se distinguent sur des marchés internationaux uniques. Les entreprises canadiennes sont concurrentielles dans une gamme de secteurs spécialisés, allant des appareils de forage modulaires aux systèmes de gestion intégrée des opérations sur les navires et sur terre.

Clearwater Fine Foods en est un exemple type. En travaillant en étroite collaboration avec la Commission géologique du Canada et le Service hydrographique du Canada, l'entreprise a utilisé des cartes obtenues par sonar multifaisceaux et la technologie GPS pour observer le fond marin et cerner les principaux habitats de pétoncles et leur concentration.

Par ailleurs, en plus du pôle de Halifax et de l'Institut océanographique de Bedford, le Canada compte trois autres pôles croissants ou émergents en technologies océanologiques, c'est-à-dire St. John's, Rimouski et Victoria. Les installations de recherche fédérales et provinciales, de même que les universités, les collèges et l'industrie, travaillent tous à accroître le réseautage multisectoriel entre ces pôles, ainsi qu'à positionner le Canada comme chef de file dans diverses technologies océanologiques et maritimes.

Adoption d'une vision pour le Canada

En gardant ces forces à l'esprit, je voudrais lancer un défi à la collectivité canadienne de l'océanologie.

Les océans du monde sont encombrés comme jamais, y compris au Canada, ce qui accentue constamment la pression sur les écosystèmes océaniques et menace la biodiversité marine.

La dynamique de l'économie marine change en raison de nouvelles activités économiques comme l'aquaculture, l'exploration gazière et pétrolière, le tourisme et d'autres activités lucratives en marge de la pêche traditionnelle.

Les technologies océanologiques poussées font de plus en plus partie des activités liées aux océans, de la surveillance acoustique et des observations de mammifères marins à la surveillance des voies navigables très fréquentées et aux études sur l'incidence de l'activité humaine sur les écosystèmes sensibles des côtes.

Le Canada doit s'assurer qu'il dispose de la capacité scientifique et technique nécessaire à la protection de ses océans et écosystèmes côtiers, de même qu'à l'exploitation durable de ses ressources et de leur potentiel.

Ma question est la suivante : Pourquoi ne pas aller encore plus loin? Pourquoi ne pas se mettre au défi de faire du Canada un chef de file international dans la gestion intégrée des océans, de l'océanographie et de l'océanologie?

La concrétisation de cette vision nous aiderait à faire progresser grandement les objectifs du Canada en vertu de son Plan d'action pour les océans, c'est-à-dire protéger la santé de nos océans et créer de la richesse, des emplois et une qualité de vie meilleure, surtout dans les collectivités côtières.

Cette réussite aurait aussi une grande incidence sur notre capacité à respecter nos engagements internationaux, comme ceux prévus dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le Code de conduite de la FAO pour une pêche responsable et la Convention sur la biodiversité marine.

Pour atteindre ces objectifs et ces visées avec certitude, il faut faire preuve d'ambition. Puis, se lancer.

On peut commencer simplement, c'est-à-dire miser sur nos atouts actuels et cerner les possibilités supplémentaires qui s'offrent à nous dans des secteurs connexes.

Déjà, de nombreuses possibilités se profilent à l'horizon, et dans bien des cas, elles sont liées aux mandats de recherche de l'Institut océanographique de Bedford.

Prenons le secteur pétrolier et gazier. Le savoir-faire du Canada en technogénie en eaux froides, en surveillance des glaces de mer et en modélisation environnementale peut nous donner un avantage manifeste alors que la prospection et la production d'énergie migre vers les profondeurs et le milieu fragile de l'Arctique.

Le Canada est reconnu en tant que chef de file international dans la recherche sur le méthane hydraté. Ce méthane ou gaz hydraté se présente sous forme de clathrates, de petites structures en forme de cages qui emprisonnent les molécules de méthane ou d'autres hydrocarbures dans la glace. Situé sous de grandes parties des plate-formes continentales arctiques et marines, ce méthane pourrait permettre la production de plus d'énergie que toutes les autres formes d'hydrocarbures combinées, soit le pétrole, le gaz naturel et le charbon.

En 2002, les efforts de recherche dans le delta du Mackenzie ont permis de montrer que la production de gaz à partir d'hydrates de gaz est techniquement possible. Le savoir-faire acquis dans le cadre de ce travail, et d'autres recherches sur les hydrates de gaz marins au pays, devrait rendre notre collaboration précieuse pour d'autres chercheurs ailleurs dans le monde.

Le grand intérêt associé à une meilleure compréhension des formes de vie et des systèmes énergétiques uniques qui sont liés aux cheminées sous-marines et aux activités volcaniques à des profondeurs extrêmes est une autre possibilité. Ce secteur est prêt pour l'aventure scientifique et promet des retombées à long terme.

D'autres possibilités du genre sont prêtes à exploiter, que ce soit en cartographie océanique, en modélisation environnementale, en gestion intégrée des données, en aquaculture ou en pêche sauvage, entre autres.

La clé, ici, c'est d'établir nos objectifs et de créer les réseaux de recherche capables de les atteindre.

La commercialisation de nos réussites sera essentielle si nous voulons que nos découvertes et notre technologie soient utilisées.

Principaux défis

Évidemment, tout cela ne se fera pas en claquant des doigts. Nous devrons surmonter divers obstacles.

Parmi ces obstacles importants ou secteurs problématiques, mentionnons :

  • La complexité et la fragilité des écosystèmes marins.
  • La nécessité de sensibiliser davantage les décideurs et la population au potentiel de l'océanologie dans le maintien de la croissance économique et de la qualité de vie de la population canadienne.
  • La complexité du système canadien d'innovation océanique. La diversité des intervenants exige des efforts importants en matière de coordination, de même que d'échange de renseignements et de connaissances.
  • Une grande part des obstacles à la commercialisation que rencontrent généralement les PME.

À mon avis, il ne revient pas uniquement au gouvernement de remédier à ces problèmes.

Par exemple, quand il est question de commercialisation, la responsabilité principale relativement à la mise en marché de nouveaux produits et procédés revient à l'industrie, puisque le rôle du gouvernement dans ce cas est avant tout d'établir un contexte fiscal et réglementaire adéquat.

Toutefois, d'autres formes d'aide importantes sont à la portée du gouvernement, surtout si on fait appel à sa capacité à réunir les principaux acteurs, à faciliter l'échange de renseignements et à se faire le catalyseur de nouvelles initiatives, comme les efforts de création de grappes dont j'ai fait mention un peu plus tôt. Le gouvernement peut par ailleurs influer sur le milieu en adoptant rapidement les nouvelles technologies par l'intermédiaire du processus d'acquisition.

Le gouvernement joue aussi un rôle primordial sur la scène internationale; il travaille avec d'autres gouvernements à la protection de l'intégrité des océans, à la mise à jour de la réglementation internationale en matière de sécurité maritime et à la promotion de la coopération scientifique internationale dans le domaine de la recherche océanographique.

Aller de l'avant

Voilà ma vision pour la collectivité canadienne de l'océanographie.

En tant que conseiller national des sciences auprès du Premier ministre, je crois que la capacité du pays à protéger l'intégrité des océans et à exploiter de façon durable ses ressources océaniques est une priorité nationale. Et il vaut la peine de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour y arriver.

Il faut donc aller de l'avant. Et je vois plusieurs possibilités de faire progresser cette vision de croissance.

La première réside dans l'engagement du gouvernement à mettre en œuvre le Plan d'action pour les océans et ses quatre volets, soit :

  • Le leadership international, la souveraineté et la sécurité
  • La gestion intégrée des océans pour un développement durable
  • La santé des océans
  • Et les nouvelles sciences et technologies de l'océan

La collectivité de l'océanographie, c'est-à-dire le gouvernement, l'industrie et les universités, a ainsi l'occasion de s'associer au processus d'élaboration des politiques et de cerner les activités scientifiques qui seront nécessaires pour soutenir ces priorités nationales importantes.

Les membres de la collectivité de l'océanographie doivent travailler de pair pour se prononcer d'une voix unie en faveur des initiatives prévues dans le Plan d'action pour les océans qui renforceront la capacité nationale en recherche et en commercialisation des technologies canadiennes.

La tenue en 2007-2008 de l'Année polaire internationale est la deuxième possibilité que j'aimerais vous signaler.

On s'attend à ce que cette Année polaire, la première en 50 ans, comprenne une campagne de recherche internationale dynamique qui fera date dans les annales des sciences polaires internationales et jettera les bases pour des décennies de recherche dans ce domaine. Au total, le budget de recherche de l'Année polaire internationale devrait être de plus de 1 milliard de dollars et mobiliser une centaine de pays.

Du point de vue des océans, voilà une occasion à ne pas manquer.

D'autres initiatives pointent à l'horizon, et elles ont le potentiel de mettre le vent en poupe aux industries et à la collectivité canadienne de l'océanographie.

L'intérêt que l'on accorde aujourd'hui aux systèmes d'alerte aux tsunamis peut se traduire par des possibilités de promotion ou de perfectionnement des sciences et de la technologie canadiennes.

Tout comme la participation du Canada au Système des systèmes globaux des observations de la Terre.

L'important ici, c'est, comme toujours, d'être créatif dans la diffusion du message, à l'échelon tant national qu'international. Et, ce message, c'est que le milieu de l'océanologie et de l'océanographie canadien peut jouer un rôle de chef de file dans la gestion durable des ressources océaniques et des activités maritimes.

L'autre nécessité, c'est de saisir les occasions qui se présentent d'établir des partenariats et de créer des réseaux pouvant optimiser soutien et ressources. Encore une fois, la coopération et le réseautage peuvent favoriser la pertinence, l'excellence et les occasions propices.

De mon côté, je m'engage à défendre avec vigueur l'océanographie canadienne et la croissance d'industries maritimes et océaniques concurrentielles sur la scène mondiale. Mes collègues Larry Murray, Peter Harrison, George Anderson et Samy Watson en sont aussi d'ardents défenseurs.

Conclusion

J'ai parlé de beaucoup de choses cet après-midi, des défis auxquels le système d'innovation canadien est confronté au travail en cours pour tirer le maximum de la capacité en sciences et technologie du gouvernement fédéral au moyen de l'intégration.

Mais, en terminant, j'aimerais insister sur un point essentiel : la croissance économique et la qualité de vie durables au Canada dépendent de notre capacité à exceller sur la scène internationale dans les sciences, la technologie et l'innovation.

En tant que membres de la collectivité fédérale des sciences et de la technologie, nous avons tous un rôle à jouer pour faire de cet objectif une réalité.

Quant à moi, à titre de conseiller national des sciences, je continuerai à œuvrer au renforcement du système du savoir et de l'innovation canadien et de la capacité du secteur scientifique fédéral à maximiser les retombées sociales et économiques des sciences, de la technologie et de l'innovation pour la population canadienne.

Enfin, j'espère que vous adopterez ma vision de l'océanographie et que vous tenterez de trouver de nouvelles possibilités permettant de faire avancer vos activités scientifiques essentielles à la mission et de les lier à l'objectif du Canada, qui est d'être chef de file mondial dans la gestion et le développement durable des écosystèmes océaniques.

Des océans en santé, des activités scientifiques de niveau international et un développement durable : voilà sur quoi nous devons axer nos efforts communs.

Merci.


1 Science, le 7 mars 2003.  Traduction tirée de http://www.fao.org/biotech/news_list.asp?thexpand=1&cat=131&lang=fr

2 Conseil d'experts en sciences et en technologie, Les liens dans le système national de connaissance (LSNC), 2005, p. 9.

 

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Mise à jour: 2005-03-07  Avis importants