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Discours

Puiser dans le bassin international de connaissances pour créer une société du savoir novatrice

Arthur J. Carty
Conseiller national des sciences auprès du Premier ministre

Le texte prononcé fait foi.

Association internationale des bibliothèques d'universités polytechniques
Québec

Le 31 mai 2005


Introduction

Je vous remercie de cette chaleureuse introduction. C'est pour moi un plaisir de participer à cette conférence sur l'information et l'innovation.

Depuis un demi-siècle, l'Association internationale des bibliothèques d'universités polytechniques assure un leadership important en aidant les bibliothécaires techniques du monde entier à répondre aux besoins de gestion du savoir en constante évolution de la collectivité scientifique. Et nous vivons aujourd'hui une période de changements sans précédents.

J'aimerais commencer par citer T.S. Eliot : " Où est la sagesse que nous avons perdue par le savoir? Où est le savoir que nous avons perdu par l'information? "

Je crois que ces mots sont empreints d'une sagesse qui peut être directement appliquée aux défis auxquels l'Association est confrontée, et auxquels vous faites face en tant que spécialistes en gestion de l'information.

Je suis scientifique. Je ne suis pas bibliothécaire. Pourtant, à titre de conseiller national des sciences auprès du Premier ministre du Canada, je constate des forces qui transforment rapidement la façon dont on aborde les sciences et la technologie et qui, assurément, auront une influence tout aussi grande sur le système de communication savante.

Les chercheurs d'aujourd'hui ont besoin d'accéder rapidement et sans entrave aux données, aux renseignements et au savoir afin de demeurer à la fine pointe des découvertes! La mondialisation des sciences et de la technologie, jumelée à une quantité de données, de renseignements et de connaissances sans précédent, tisse des liens de plus en plus complexes entre la recherche-développement, l'innovation, la croissance économique et le mieux-être social.

L'accès aux banques de données et aux sources de renseignements internationales dans les domaines du génie et des sciences naturelles, de la santé et des sciences sociales est désormais nécessaire à la création et au maintien d'une société du savoir novatrice, et ce, à l'échelon tant national qu'international.

Ces pressions, alliées aux progrès que sont le contenu numérique, la publication électronique et la documentation en ligne, entraînent pour les décideurs et la collectivité des bibliothèques techniques des défis et possibilités qui sont intimement liés aux programmes nationaux d'innovation partout dans le monde.

Mon objectif aujourd'hui est de présenter en m'inspirant de l'expérience du Canada certains des liens qui existent entre l'information et l'innovation, et de vous proposer, en votre qualité de représentants de la collectivité des bibliothèques techniques, des façons de relever ces défis.

Ce faisant, je voudrais préciser que je parlerai de la communication savante en termes généraux, couvrant un spectre allant de la conservation et de l'échange de données et métadonnées issues de la recherche scientifique financée par le secteur public à l'accessibilité à court et à long terme des articles revus par les pairs, aux données non officielles contenues dans les rapports de recherche, les actes de congrès et les publications préliminaires, ainsi qu'aux courriels informels, aux forums en ligne et aux blogues, qui jouent maintenant un rôle croissant dans la collaboration et les discussions scientifiques.

Pour moi, il est évident que les chercheurs, les décideurs et les spécialistes en gestion de l'information doivent travailler ensemble pour veiller à ce que, en tant que société, nous tirions pleinement avantage de la gamme complète de connaissances et de renseignements émanant de la collectivité scientifique et technique partout dans le monde.

Vue d'ensemble : Plan d'action du Canada pour l'innovation et performance canadienne en sciences et technologie à l'échelon international

Permettez-moi d'abord de mettre en contexte l'investissement du Canada dans les sciences, la technologie et l'innovation, de même que notre performance relative en recherche-développement à l'échelon international.

Comme le Canada est un pays de taille moyenne, j'espère que l'approche qu'il privilégie présentera un intérêt pour vous, que vous travailliez au sein d'économies développées ou en développement.

Comme le montrent les premières diapositives, la performance du Canada est assez bonne quand on considère le contexte scientifique, puisqu'il se classe parmi les leaders mondiaux dans plusieurs domaines.

L'été dernier, sir David King, mon homologue britannique, a publié un article dans Nature sur l'incidence scientifique des nations, comparant les extrants (c'est-à-dire le nombre de publications et de mentions) afin d'évaluer la productivité et la qualité des collectivités scientifiques. Il a classé le Canada au sixième rang mondial quant à sa part du premier centile de publications les plus citées1. Plus impressionnant encore, le Canada ne cède le premier rang qu'au Royaume-Uni au chapitre des mentions par chercheur, des mentions par unité du PIB et du nombre de publications par chercheur.

La cote de Thomson ISI pour le nombre de mentions par article classe actuellement le Canada au premier rang dans le domaine de l'aérospatiale et parmi les pays les plus performants dans le domaine de la médecine clinique, de la pharmacologie, de l'écologie, de la science de l'environnement et de la chimie.

Ces classements sont tous des indicateurs importants de la productivité et de l'incidence de la base scientifique et technologique d'une nation.

Sur le plan industriel, le Canada bénéficie actuellement d'avantages concurrentiels à l'échelon international dans des secteurs aussi variés que les technologies de l'information et des communications, la biotechnologie, la médecine clinique, l'aérospatiale et l'automobile, les technologies environnementales et océanologiques, sans oublier, bien entendu, nos importantes ressources naturelles.

Et on entrevoit un potentiel plus grand encore.

En 2002-2003, le Canada affichait les dépenses de recherche-développement par personne dans le secteur de l'enseignement supérieur les plus élevées au sein du G8.

Au cours des sept dernières années, le gouvernement fédéral a, à lui seul, progressivement investi 13 milliards de dollars dans les sciences et la technologie, principalement dans le système de recherche-développement dans l'enseignement supérieur, ce qui a radicalement transformé le milieu de la recherche universitaire. Les gouvernements provinciaux ont aussi contribué pour beaucoup à cette transformation en fournissant un financement de contrepartie. Nos universités peuvent aujourd'hui rivaliser avec les meilleurs établissements au monde, y compris les universités américaines. Et, puisque 70 % de cette hausse s'est faite ces quatre dernières années, son incidence sur la performance internationale du Canada en recherche-développement ne s'est pas encore fait sentir concrètement.

Cette année, les dépenses totales du Canada en recherche-développement devraient atteindre 24,5 milliards de dollars. De ce montant, quelque 9,2 milliards proviendront du gouvernement fédéral.

Plus récemment, le Budget 2005 du gouvernement fédéral annonçait l'allocation de 1,8 milliard de dollars pour de nouvelles dépenses directes dans le secteur de la recherche, y compris une augmentation du financement des conseils subventionnaires, de Génome Canada, du Conseil national de recherches du Canada et de l'Agence spatiale canadienne, de même que la création des Académies canadiennes des sciences, et 2,4 milliards de dollars supplémentaires pour de nouvelles initiatives ciblées ayant une composante scientifique, technologique et novatrice importante, surtout dans les domaines des changements climatiques, du développement durable et du respect de nos obligations internationales.

Défis socioéconomiques du Canada au XXIe siècle

Toutefois, nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer sur nos lauriers.

Le Canada est un petit marché qui dépend beaucoup du commerce. Donc, comme le caractère concurrentiel de l'économie et de la société mondiales du savoir ne cesse de croître, nous devons déployer tous les efforts possible pour être à l'avant-scène dans les sciences, la technologie et l'innovation, puis accroître notre productivité et notre compétitivité.

Pour créer de la richesse, nous savons que les sciences, la technologie et l'innovation doivent faire partie de nos pratiques commerciales, de nos procédés manufacturiers et de nos industries primaires. Dans un monde des affaires qui ne s'arrête jamais et qui comporte nombre de créneaux spécialisés, nous devons avoir la capacité de fournir de la recherche-développement quand c'est nécessaire et là où c'est nécessaire.

Nous devons aussi exceller afin de trouver des solutions à certains des défis les plus pressants de notre société, que ce soit l'incidence des changements climatiques ou la santé de la population vieillissante, ou encore notre volonté, exprimée par le Premier ministre, de jouer un rôle significatif dans le maintien de la paix et de la justice dans le monde entier.

La réaction rapide de notre collectivité médicale et scientifique à la flambée de SRAS, il y a deux ans, alors que des équipes de chercheurs de Winnipeg et de Vancouver ont conjugué leurs efforts afin de faire rapidement le séquençage du génome du virus du SRAS, est un bon exemple de la recherche agile et de niveau international à laquelle nous devrons accéder toujours davantage au cours des années à venir.

De plus en plus, le Canada comprend que l'instauration d'une profonde culture scientifique et d'un système du savoir et de l'innovation efficace doit être une priorité nationale s'il veut continuer à prospérer et à tirer pleinement profit des progrès scientifiques et technologiques, qu'ils proviennent du Canada ou d'ailleurs.

J'ajouterais que nous savons, en tant que nation de taille moyenne, que nous n'avons pas toujours les ressources pour tout faire nous-mêmes. Ce qui signifie que nous devons investir judicieusement et de manière stratégique afin de nous assurer d'en tirer le maximum d'avantages pour notre économie et la société en général. Nous devons collaborer avec d'autres entités afin d'étirer nos ressources et de veiller à contribuer à la collectivité internationale.

Sciences, technologie et innovation : Défis stratégiques pour le Canada

J'ai abordé certaines de nos réalisations récentes, mais nous avons encore du travail à faire. Pour vous donner une idée de ce qui doit retenir notre attention, je vais dresser ma liste des principaux défis stratégiques qui nous attendent :

  • Maintenir la position de chef de file du Canada au sein du G8 en ce qui concerne les dépenses en recherche-développement dans le secteur de l'enseignement supérieur par rapport au PIB, puis miser sur un système de recherche solide.
  • Assurer à la population canadienne des avantages économiques et sociaux dérivés des investissements en recherche-développement, grâce au transfert de connaissances et à la commercialisation.
  • Stimuler l'expansion et la collaboration en recherche-développement et en innovation industrielles, une de nos faiblesses pérennes.
  • Intensifier la collaboration internationale dans tout le secteur de l'innovation.
  • Revitaliser la recherche scientifique publique pour répondre aux défis stratégiques clés auxquels la population canadienne doit faire face.
  • Et, élaborer des stratégies nationales dans les secteurs émergents, comme la nanotechnologie, la technologie de l'information quantique, la biotechnologie, les technologies liées à l'énergie renouvelable et à la durabilité de l'environnement, et la recherche scientifique sur le Nord.

Le géant qui dort : le rôle fondamental des communications dans le domaine de la recherche

Qu'en est-il de la communication savante? De bien des façons, on peut la comparer à un géant qui dort, ce géant étant à la base de notre capacité à relever les défis que je viens d'énumérer.

Le Canada doit aborder la question de front : Quel est le meilleur moyen de restructurer son système de diffusion de la recherche de sorte à puiser dans le bassin international du savoir et à renforcer notre capacité à maintenir une activité scientifique à la fine pointe et à commercialiser ses découvertes.

Les collectivités nationales de recherche du monde entier sont confrontées à cette difficulté. C'est un défi que je vous soumets aujourd'hui.

Comme je l'ai dit un peu plus tôt, les bibliothèques de recherche des quatre coins du monde doivent composer avec de nouvelles pressions. Les données scientifiques créées sous forme numérique, les nouvelles capacités en matière de collecte de métadonnées, la publication électronique et l'incidence d'Internet et de la recherche en ligne changent tous la façon dont on aborde la recherche et l'infrastructure de l'information telle qu'on la connaît.

Des défis fondamentaux comme le coût galopant des publications savantes, les droits de propriété intellectuelle et les questions éthiques liées à la confidentialité et à la sécurité sont devenus des points brûlants d'actualité.

Stevan Harnad, David Schulenberger et d'autres conférenciers aborderont sûrement ces questions et d'autres sujets sous différents angles cette semaine.

Je vous incite fortement à accorder une attention particulière à leurs points de vue sur le mouvement du libre accès, car, sans aucun doute, ce concept est là pour rester, que ce soit sur le plan de la publication, de l'archivage ou de l'échange de données.

La collectivité scientifique a une longue tradition de collaboration et de libre-échange des résultats de recherche pour le bien de l'humanité et les progrès du savoir.

Toutefois, la convergence scientifique et l'arrivée de fonds communs d'information donnent naissance à de nouvelles formes puissantes de collaboration scientifique dans tous les coins du monde. Du mouvement des logiciels libres à la création de milieux virtuels de collaboration, la cyberscience transforme la façon dont la collectivité scientifique mondiale travaille et diffuse ses résultats intellectuels, analytiques et d'enquête.

Laissez-moi vous parler plus en détail des changements rapides en cours dans la façon dont les chercheurs travaillent avec les données afin d'illustrer l'incidence énorme que pourrait avoir un échange libre et efficace de renseignements et connaissances scientifiques sur les plans de l'innovation et des retombées pour la société.

Comme vous le savez probablement, la croissance phénoménale de la puissance et de la capacité informatiques nous permet de stocker, de manipuler et de mettre en réseau de grandes quantités de données. La capacité des chercheurs à échanger et à regrouper des données dans différents domaines, de même qu'à collecter, interpréter et réinterpréter des données, ne cesse de croître.

Les nouvelles technologies et méthodes de travail donnent accès à de nouvelles possibilités diversifiées qui accélèrent le rythme des découvertes, ce qui profite à la société. Qu'il s'agisse de génomique et de protéomique dans le domaine des soins de santé, ou encore de la nanotechnologie dans la fabrication de nouveaux matériaux, notre capacité de recherche interdisciplinaire s'est grandement améliorée, et la collaboration internationale dans des domaines comme le bioterrorisme ou les changements climatiques s'en trouve facilitée.

Le plan à long terme de calcul de haute performance au Canada publié récemment illustre bien certaines des possibilités inouïes de développement d'un savoir nouveau à la portée du Canada dans un avenir rapproché. Cette explosion de données et de renseignements est aussi porteuse de défis pour la collectivité scientifique, qui devra gérer, diffuser et interpréter de vastes ensembles de données nouvelles et complexes.

Par exemple, une étude récente sur la biocomplexité, appuyée par la National Science Foundation américaine, illustre très bien ces liens.

Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont consulté une multitude de données internationales liées à l'épidémiologie, à la télédétection à la NASA, à la biologie marine, à la microbiologie, à la génomique et aux banques de données en sciences sociales afin d'établir la relation entre les flambées de choléra et un certain nombre de facteurs environnementaux. Grâce à ce recoupement de nombreux domaines, les conclusions tirées par les chercheurs se sont traduites par une meilleure compréhension scientifique et sociologique des épidémies de choléra et des moyens de prévention2.

La capacité d'archiver, de gérer et d'échanger librement des données et des métadonnées est, il va sans dire, la clé donnant accès à ce potentiel. Nous constatons donc la création d'un nombre croissant de banques de données mondiales permettant d'assurer la qualité des données et de favoriser les objectifs des collaborations internationales et interdisciplinaires. La GeneBank, le Système mondial d'information sur la biodiversité, ou GBIF, et l'Observatoire virtuel international en sont tous d'excellents exemples.

Et ce n'est que la pointe de l'iceberg. Avec la quantité phénoménale de données désormais disponibles en ligne, l'Internet est en quelque sorte une gigantesque banque de données. Un nombre croissant d'ordinateurs sont conçus de sorte à interagir facilement avec les gens, et les progrès réalisés dans le domaine de l'automatisation (en d'autres termes les " systèmes informatiques autogérés ") rendent possible une interaction directe entre ordinateurs.

Création d'un système de diffusion de la recherche du XXIe siècle

Où tout cela nous mène-t-il? C'est difficile à dire.

La seule chose qui paraît certaine, c'est que le système de diffusion de la recherche de l'avenir ne sera pas comme celui que nous connaissons.

Et c'est particulièrement vrai quand on tient compte du fait qu'une nouvelle génération de chercheurs exigeants est à notre porte et qu'elle s'attend à tirer pleinement profit du potentiel créatif et analytique des outils d'aujourd'hui et de demain, axés sur les technologies de l'information et des communications.

À mon avis, cela fait ressortir davantage l'importance d'étudier la situation dans son ensemble. Même si nous commençons à maîtriser le libre accès dans les domaines de la publication et de l'archivage des données, nous devrions en fait nous pencher sur la portée du système de diffusion de la recherche et cerner comment celui-ci peut le mieux servir les chercheurs, de même que l'économie et la société, dans un milieu de libre circulation du savoir.

On imagine alors un milieu hautement interactif de diffusion des connaissances et de l'information, propulsé par de nouvelles technologies, de nouveaux processus de gestion, de nouvelles sources de données et d'information, ainsi que de nouveaux utilisateurs, tant des utilisateurs commerciaux que des particuliers, le tout interagissant de façon très créative et souvent imprévisible. C'est ce qu'illustre la diapositive.

Bref, et j'insiste sur ce message clé : les pays qui s'engagent rapidement dans la création d'un système de diffusion de la recherche du XXIe siècle, qui adoptent un milieu d'accès libre et qui en exploitent totalement le potentiel seront les chefs de file dans la création des économies du savoir et des sociétés novatrices de demain.

Déjà, les plus dynamiques ont emprunté cette voie.

Individuellement, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, les Pays-Bas et l'Australie vont de l'avant, bien qu'aucun de ces pays ne dispose d'installations nationales d'accès et d'archivage numérique pour l'heure.

Depuis deux ans, nous avons assurément franchi des étapes importantes qui ont fait avancer le mouvement du libre accès.

Dans la foulée de la Déclaration de Berlin sur le libre accès, en 2003, de grands établissements de recherche un peu partout dans le monde, y compris le Centre national de la recherche scientifique ou CNRS, en France; les instituts Max-Planck, en Allemagne; l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire ou CERN; et les académies des sciences, en Chine, en Inde et aux Pays-Bas, ont adopté le principe de l'accès gratuit en ligne aux articles scientifiques revus par un comité de lecture.

Plusieurs des principaux organismes de financement ont fait de même. Les chercheurs qui reçoivent des fonds du National Institutes of Health américain et du prestigieux Wellcome Trust sont maintenant incités ou appelés à déposer une copie de leurs articles publiés dans une logithèque de référence à libre accès. Les Research Councils of the United Kingdom préparent quant à eux une politique du libre accès.

Le mouvement de la publication électronique a aussi ses défenseurs. Au Royaume-Uni, le Joint Information Systems Committee finance le libre accès des universités aux revues spécialisées par l'intermédiaire de Biomed Central. Puis, aux États-Unis, la Public Library of Science propose maintenant plusieurs revues spécialisées à libre accès de haut niveau, dont PLoS Biology et PLoS Medicine.

Enfin, sur le plan des données, les pays membres de l'OCDE ont signé au niveau ministériel la Déclaration sur l'accès aux données de la recherche financée par des fonds publics, dans le cadre de laquelle les pays membres s'engagent à œuvrer à l'adoption du libre accès pour les données numériques de recherches financées par les fonds publics. Le Canada est l'un des signataires de cette déclaration et joue un rôle important dans le groupe de suivi correspondant.

Ici, au Canada, des consultations récentes menées par le Conseil de recherches en sciences humaines, l'Association des bibliothèques de recherche du Canada et la Consultation nationale sur l'accès aux données de recherche scientifique ont abordé divers aspects du système de diffusion de la recherche de l'avenir. Le Conseil de recherches en sciences humaines a par ailleurs adopté une politique exigeant que les chercheurs bénéficiant de fonds publics rendent leurs données disponibles en libre accès.

Comme vous pouvez le constater, le mouvement prend de l'ampleur. Le train du libre accès file à vive allure! La question n'est donc pas de savoir si on veut embarquer, mais plutôt quand le faire afin d'éviter d'être dans le wagon de queue.

Justement, cette analogie sur les trains me rappelle une histoire au sujet d'Albert Einstein. Nous célébrons d'ailleurs le 100e anniversaire d'une année mémorable, celle où Einstein a publié trois articles qui sont passés à l'histoire, dont un sur la théorie de la relativité. Alors, Albert Einstein était à bord d'un train. Il fouillait dans ses poches et sa serviette à la recherche de son billet. Le contrôleur s'approche et lui dit : " Tout le monde sait qui vous êtes Professeur Einstein. Princeton peut sûrement se permettre de vous payer un autre billet de train. " Ce à quoi Einstein répondit : " Ce n'est pas une question d'argent. Je dois trouver mon billet pour savoir où je vais. "

La morale de cette histoire : Ne nous préoccupons pas de l'argent, mais plutôt de notre destination. Si nous savons où nous allons, l'argent suivra.

Une vision du système de diffusion de la recherche du XXIe siècle

À quoi ressemblerait un système de diffusion de la recherche du XXIe siècle?

D'abord et avant tout, il doit viser l'optimisation de l'incidence du savoir scientifique sur la société. Et pas seulement dans les pays développés. Les pays en développement doivent pouvoir accéder et contribuer à la vitalité de tout futur système de communication savante.

Un tel système faciliterait les liens entre les personnes et les établissements de sorte à fournir des voies de circulation rapide, de gestion efficace et de conservation de l'information. Le libre accès est donc essentiel à sa réussite.

Du point de vue du Canada, le système de diffusion de la recherche du XXIe siècle doit présenter les caractéristiques suivantes :

  • D'abord, il doit tirer pleinement avantage du potentiel exceptionnel des nouvelles technologies de l'information et des communications.
  • Ensuite, il doit pouvoir traiter une quantité inégalée de renseignements dans un large éventail de formats.
  • Il doit communiquer le savoir canadien au reste du monde et permettre aux chercheurs d'ici d'accéder aux connaissances d'ailleurs.
  • Il doit être suffisamment perfectionné pour ne pas imposer un fardeau supplémentaire aux chercheurs, aux bibliothécaires techniques et aux établissements en raison de procédures, de formalités et de règlements exigeants.
  • Enfin, il doit être accessible pour l'ensemble de la population canadienne, dans tous les secteurs, de sorte que l'investissement public dans la recherche se traduise par la création d'une richesse économique et l'amélioration du mieux-être social et culturel.

Je présume que les autres pays ont des objectifs semblables.

Une fois un système de diffusion de la recherche du XXIe siècle en place, tout chercheur canadien aura directement accès, à partir de son ordinateur :

  • Au contenu intégral des derniers numéros des revues spécialisées, ainsi qu'à une collection importante de numéros antérieurs.
  • À un ensemble complet de monographies et de thèses dans leur domaine de recherche.
  • Aux données de recherche pertinentes qui sous-tendent les hypothèses formulées dans les résultats publiés.
  • À des moteurs de recherche puissants qui trouvent et donnent accès aux dernières conclusions des recherches, dans les deux langues officielles, soit le français et l'anglais, de même qu'en mandarin, en coréen et en japonais, par exemple.
  • Aux rapports de recherche, aux actes de congrès et au matériel de recherche non revu par les pairs, de source tant universitaire que gouvernementale.
  • À une série complète de forums de discussion, de listes de personnes-ressources, de répertoires et d'autres sources de renseignements de base.
  • Et à des outils électroniques permettant de personnaliser les voies de communication, comme les sites Web et les blogues, et la façon dont les conclusions des recherches sont regroupées et présentées.

Les composantes de base pour le Canada

Pour arriver à créer un tel système, il ne s'agit plus de mettre au point les technologies nécessaires, puisque la majorité existent déjà.

C'est plutôt une question d'établir, d'intégrer et d'améliorer l'infrastructure technique, les normes opérationnelles, les rôles et responsabilités institutionnels, les systèmes de soutien à la recherche et la réglementation.

Au Canada ce serait d'autant plus facile qu'un certain nombre des composantes clés d'un tel système sont déjà en place. Laissez-moi vous en citer quelques-unes.

Premièrement, les bibliothèques de recherche universitaire du pays procèdent rapidement à la mise en place d'une infrastructure technique et des ressources humaines nécessaires pour créer un réseau de logithèques efficace. Il y en a actuellement 26 en opération ou à un stade avancé de développement. Des initiatives régionales, comme l'Ontario Scholars Portal, permettent aussi de développer les capacités de réseautage et les banques de contenu nécessaires à des fonctions avancées de recherche et d'extraction de documents scientifiques.

Deuxièmement, l'Institut canadien de l'information scientifique et technique du Conseil national de recherches du Canada, la bibliothèque scientifique nationale et le plus important éditeur de renseignements scientifiques, techniques et médicaux, offre notamment des méthodes de recherche, de commande et de fourniture de documents sécurisées sur le Web, un accès à tout le contenu des revues électroniques du Conseil national, ainsi qu'un accès aux collections de ses partenaires du monde entier.

Le nouveau plan stratégique de l'Institut canadien de l'information scientifique et technique comporte deux objectifs d'une importance fondamentale :

  1. Offrir un accès universel, direct et permanent à l'information au service de la recherche et de l'innovation canadiennes.
  2. Et, permettre aux chercheurs et entrepreneurs de faire progresser et d'exploiter le savoir au moyen de communications scientifiques novatrices et accélérées.

Troisièmement, la Bibliothèque et les Archives nationales, vivifiée par l'adoption d'un nouveau mandat tourné vers l'avenir, est un chef de file mondial dans la gestion et l'organisation du matériel électronique et dans la conservation à long terme des éléments numériques en archives.

Quatrièmement, CA*Net4, de CANARIE, un réseau de grande capacité pour les données optiques reliant toutes les universités canadiennes, peut traiter des volumes astronomiques de demandes numériques sans problème.

Cinquièmement, le réseau HPCC offre à la fois la puissance informatique nécessaire à l'analyse de séries de données en tétraoctets, qui devient rapidement une tâche usuelle en recherche, et la capacité de stockage à court et moyen terme nécessaire pour traiter de gros volumes d'ensembles de données plus petits formant la matière de base des recherches quotidiennes.

Sixièmement, Érudit, un service de publication électronique sans but lucratif dont le siège est au Québec, propose à la collectivité universitaire une gamme complète de services de préparation de manuscrits, de gestion de dossiers, ainsi que de publication et de dépôt électroniques. Les dépôts d'Érudit comprennent des revues spécialisées, des rapports de recherche, des monographies, des thèses et des ensembles de données des sciences humaines, sociales et naturelles. Les revues spécialisées qui ont recours aux services d'édition numérique d'Érudit peuvent rendre leur contenu accessible soit en libre accès soit sur paiement de frais d'accès.

Il est par ailleurs intéressant de souligner que le Centre national de la recherche scientifique français a dernièrement fait l'acquisition de la plate-forme logicielle avant-gardiste d'Érudit, et qu'elle la mettra en place dans tous ses établissements.

Enfin, nos conseils et fondations dans le domaine de la recherche offrent un soutien financier et les cadres réglementaires nécessaires pour créer la nouvelle génération de systèmes de diffusion de la recherche.

Trois propositions rallient actuellement les collectivités de la recherche et des bibliothèques au pays et pourraient s'avérer le tremplin nécessaire à la création d'un système global de communication savante.

  • L'Alliance stratégique des bibliothèques scientifiques et techniques fédérales procède à l'analyse du projet de création d'une Cyberbibliothèque scientifique. Cette initiative commune réunit six des principaux ministères et organismes à vocation scientifique et vise la création d'une bibliothèque virtuelle à l'intention de tous les scientifiques, chercheurs en sciences et technologie et analystes des politiques au sein du gouvernement fédéral.
  • Le Conseil de recherches en sciences humaines et la Fondation canadienne pour l'innovation appuient la phase de développement du projet Synergies. Se fondant sur le modèle d'Érudit, ce projet réunira les services de publication électronique et de dépôts numériques les plus modernes pour l'ensemble des chercheurs universitaires canadiens, peu importe leur emplacement ou les ressources de leur établissement d'attache.

Chaque centre régional offrira des services de production pour les revues universitaires et des services de diffusion électroniques, par l'intermédiaire de dépôts institutionnels, pour la publication des conclusions des recherches du corps professoral, y compris les articles scientifiques, les données de recherche, les thèses et les rapports de recherche, entre autres.

  • La Consultation nationale sur l'accès aux données de recherche scientifique recommandait dernièrement la création d'une infrastructure nationale assurant le libre accès sécurisé à des banques de données d'importance scientifique ou historique, tant pour le Canada que le reste du monde.

Faire de notre vision une réalité

Alors, comment faire de ce concept une réalité?

Permettez-moi de délaisser le contexte canadien un instant pour aborder cette question dans une perspective plus large.

De mon point de vue de conseiller stratégique, si l'on veut créer un système de diffusion de la recherche du XXIe siècle, à l'échelon tant national qu'international, il faudra prêter une attention spéciale à différentes questions liées à la gestion, à la législation, aux politiques, à la culture et au financement.

Parmi les défis fondamentaux à relever, mentionnons :

  • Surmonter le cloisonnement institutionnel.
  • Mettre à jour les cadres législatifs et réglementaires.
  • Améliorer la compréhension par les chercheurs et les autres intervenants des nouvelles voies de communication.
  • Former des réseaux de systèmes et de gestionnaires.
  • Et allouer les ressources humaines et financières que nécessitent les structures des programmes.

Pour relever ces défis, il faudra du leadership, de la volonté politique et la coopération des établissements, et ce, à tous les niveaux du système.

Par-dessus tout, la création d'un système de diffusion de la recherche global et à libre accès exige un changement culturel. Peu importe les réseaux, les installations et les systèmes que l'on met en place, il faut que les chercheurs optent pour ces médias dans l'échange de leurs données et de leurs résultats pour que nos efforts aient un sens.

Les chercheurs de tous les pays doivent être motivés à conserver et échanger leurs données adéquatement, à publier leurs conclusions dans des revues spécialisées à libre accès et à transmettre leurs articles publiés aux dépôts institutionnels.

Mais, pour que cela se fasse, nous devons amorcer un changement de mentalités au sein des universités et du secteur public en faveur de la reconnaissance et de la récompense des chercheurs pour la valeur de leur travail de collaboration et de leur gestion ultramoderne des données. Nous devrons aussi regarder les établissements sous un autre angle et reconnaître la taille et la qualité de leurs archives de données et de leurs dépôts à libre accès comme des apports scientifiques quantifiables.

Cette question revêt aussi une dimension internationale. Comme je l'ai dit précédemment, il est primordial que le système international de diffusion de la recherche de l'avenir sollicite efficacement la participation des bibliothèques et établissements de recherche des pays en développement.

Compte tenu du lien étroit qui existe entre les sciences, l'innovation et le développement économique et social, c'est une question qui tient autant à la justice sociale qu'aux progrès scientifiques.

Selon les chiffres donnés par Stevan Harnad à une conférence tenue récemment sur le libre accès, à Southampton, en Angleterre, on compte actuellement 114 archives à libre accès aux États-Unis, 51 en Angleterre et 28 en Allemagne. Comparativement, il n'y en a que six en Inde et quatre en Chine3 . Au Canada, 26 universités ont inscrit leurs dépôts comme des sources à libre accès.

Pour ma part, mon bureau travaillera avec la collectivité nationale des bibliothèques et de la recherche afin de veiller à ce que le Canada collabore avec les pays en développement à la mise en place de l'infrastructure, ainsi qu'à l'acquisition des compétences et du savoir-faire dont ils ont besoin pour créer et gérer leurs propres ressources d'information et de savoir et pour tirer profit des fonds communs d'information.

Un défi pour la collectivité des bibliothèques techniques

En tant que membres de l'Association internationale des bibliothèques d'universités polytechniques et bibliothécaires, vous devez penser à la façon dont vous pouvez participer au processus d'adoption de politiques alors que la collectivité mondiale cherche la meilleure structure possible pour les systèmes de diffusion de la recherche de l'avenir.

Vous possédez une connaissance unique des défis techniques et de gestion à relever pour établir un tel système. Vous êtes extrêmement bien placés pour favoriser le dialogue et la collaboration entre de nombreux domaines. Vous pouvez enrichir le dialogue d'une grande sensibilisation à la situation internationale et de liens importants.

Votre participation est absolument nécessaire et d'une grande valeur.

Sachez également que le Canada vous soutiendra dans cette démarche. En tant que membre de la communauté des nations, il s'est engagé à être responsable et proactif sur la scène internationale, c'est-à-dire à prêter main-forte aux autres et à apporter un avantage réel dans tous ses partenariats internationaux.

Conclusion

J'aimerais conclure en revenant sur certains points que vous garderez, je l'espère, à l'esprit :

  • D'abord, les données, l'information et le savoir sont essentiels à l'innovation, à la croissance économique et au mieux-être social. Le savoir et l'information issus de la recherche financée par les fonds publics sont véritablement de propriété publique. Nous devons les gérer comme il se doit et optimiser leur incidence sur la société, pour le bien de tous.
  • Ensuite, la création d'un système de diffusion de la recherche du XXIe siècle est un défi à l'échelon tant national qu'international. Le savoir est un bien planétaire et l'avenir de l'humanité dépend en grande partie de notre capacité et de notre volonté de veiller à ce que tous les pays puissent accéder aux connaissances, à l'information et à l'innovation scientifiques et technologiques, puis s'en servir.
  • Puis, nous avons déjà fait du chemin. La science est caractérisée par une longue tradition de collaboration, et il existe de nombreuses associations internationales au sein des diverses spécialités, s'appuyant sur des réseaux et un savoir-faire sur lesquels nous pouvons compter. Nous pouvons miser sur les forces existantes. Il sera essentiel de mettre à profit les partenariats nationaux, internationaux et multidisciplinaires.
  • Enfin, il y a urgence d'agir. Alors que le monde se tourne vers les sciences pour trouver des solutions aux problématiques planétaires, la nécessité de protéger, d'évaluer et d'échanger de l'information et des connaissances est probablement plus grande que jamais. À moins d'agir maintenant, le volume sans précédent d'information scientifique deviendra graduellement ingérable. Des données de recherche d'une grande valeur et souvent irremplaçables seront perdues.

En tant que collectivité planétaire, nous devons agir maintenant pour optimiser l'incidence de la recherche scientifique, technologique et médicale sur l'ensemble de la société.

En tant que bibliothécaires techniques, vous exercez une profession à la croisée des chemins, où se présentent nombre de défis et de possibilités.

Quel chemin emprunterez-vous?

Je n'ai sûrement pas besoin de vous rappeler le stéréotype associé au bibliothécaire, cet être prudent, qui aime rester dans l'ombre et prend rarement des risques.

Mais, vous savez, je n'y crois pas deux secondes! Le succès n'appartient pas aux monolithes ni aux personnes réfractaires au changement. Parfois, il faut s'exposer au risque pour avancer.

Je trouve souvent l'inspiration dans cette citation de l'auteur de science-fiction Arthur C. Clarke :

" Le monde a besoin de penseurs sans inhibitions, qui n'ont pas peur d'extrapoler; mais il a aussi besoin d'ingénieurs conservateurs et têtus qui feront de leurs rêves une réalité. "

Esprit visionnaire et détails pratiques - deux éléments tout aussi importants l'un que l'autre. En tant que bibliothécaires techniques, vous pouvez fournir les deux.

Merci.


1 KING, David A. Nature, vol. 430, juillet 2004.

2 Promoting Access to Public Research Data for Scientific, Economic, and Social Development, rapport final du Follow Up Group on Issues of Access to Publicly Funded Research Data, de l'OCDE, mars 2003.

3 Stevan Harnad, cité par David Dickson dans " Open access archiving: an idea whose time has come? " SciDev.Net, le 7 mars 2005; communications personnelles avec David Moorman, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le 26 mai 2005.

 

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Mise à jour: 2005-05-31  Avis importants