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Salle de presse

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Notes pour une allocution sur
l'économie et l'unité nationale
devant les membres du Conseil canadien
des chefs d'entreprises

Montréal (Québec)

le 26 mars 1996


Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Avec le résultat du référendum du 30 octobre dernier au Québec, vous conviendrez tous avec moi qu'il faut prendre très au sérieux la possibilité d'une rupture du Canada. Je l'ai dit à Vancouver, lors de ma visite du 2 mars dernier, notre pays est en danger. La perspective d'une séparation n'a jamais été aussi réelle.

Plusieurs souhaiteraient que la situation au Canada soit comparable à celle d'autres pays qui se concentrent exclusivement sur la réduction du déficit et la création d'emplois - ce que notre gouvernement fait d'ailleurs très bien depuis 1993. Mais il ne faut pas non plus jouer à l'autruche. Nous ne pouvons pas ignorer que nous sommes la seule démocratie stable à faire face à un danger de sécession.

Faire sécession est une décision grave et si rare en temps normal qu'elle ne s'est jamais produite dans les démocraties bien établies ayant connu au moins dix années consécutives de suffrage universel.

Le débat constitutionnel commence à peser lourd sur l'humeur des Canadiennes et des Canadiens. Plusieurs le disent ouvertement, ils sont fatigués, ils en ont assez. D'autres sont tout simplement résignés, ils ont l'impression que la sécession du Québec pourrait être inévitable.

Le lien entre la situation économique et le danger d'une sécession est évident. Parler de l'économie canadienne, c'est également parler du danger de sécession. Vous en vivez les conséquences. Pour ceux qui font des affaires à Montréal, vous savez qu'il faudrait être aveugle pour ne pas voir ces conséquences négatives.

Même monsieur Bouchard a dû le reconnaître lors de son passage à l'émission LE POINT jeudi dernier. Monsieur Bouchard disait ceci : « ...Ça se peut, je ne le nie pas, qu'il y a des investisseurs étrangers qui disent, bien attendons que les choses soient réglées à Montréal et au Québec, avant d'aller à Montréal. » (Radio-Canada, LE POINT, jeudi le 21 mars 1996). Poussé par l'appel pressant des gens d'affaires, il a dû reconnaître qu'il y a bel et bien un lien entre l'incertitude politique et l'instabilité économique.

Il faut donc de toute urgence secouer le climat de défaitisme et d'inquiétude qui règne au Canada. Il faut réveiller l'espoir. Et je crois que les Canadiennes et les Canadiens qui ont été appelés à voter hier dans les différentes élections partielles qui se tenaient au pays ont lancé un message d'espoir dont Montréal, le Québec et le Canada ont réellement besoin.

I. LE CANADA : UNE FORCE ÉCONOMIQUE

Vous êtes des gens d'affaires. Vous êtes bien en mesure d'évaluer les impacts considérables d'une éventuelle séparation du Québec sur son économie et sur celle du pays tout entier. Vous êtes bien conscients que cela pourrait affecter vos entreprises.

Vous en êtes bien conscients parce que vous savez ce que représente l'union économique canadienne. Vous en connaissez la force et, surtout, vous n'en mésestimez pas le potentiel.

Vous savez que le Canada est la septième économie industrialisée en importance au monde, donc l'une des puissances économiques mondiales les plus fortes.

Vous savez également que parmi les pays du G-7, le Canada est le pays qui a affiché la plus forte croissance dans le domaine de la création d'emplois et la 2e plus forte croissance économique au cours des trente dernières années. Les Canadiens bénéficient du 6e niveau de vie au monde mesuré en termes de revenu par habitant. (Sondages économiques, OCDE, 1995)

L'union économique canadienne est une force extraordinaire qui profite à chaque province et dont la pertinence est plus qu'évidente avec la mondialisation de l'économie.

Les effets de la mondialisation et de la libéralisation des marchés ont bien sûr été largement débattus lors du référendum d'octobre dernier au Québec.

Du côté sécessionniste, on a présenté la fédération canadienne comme dépassée dans le contexte d'ouverture des marchés d'aujourd'hui.

Pour eux, un Québec souverain accéderait par la grande porte à l'Accord de libre échange nord-américain; l'Organisation mondiale du commerce assurerait automatiquement à un Québec souverain l'accès libre au marché canadien; dans ce contexte de libéralisation des échanges, quelques institutions communes légères, paritaires, établies dans le cadre d'un soi-disant « partenariat », pourraient suffire à garantir aux Québécois et aux Canadiens la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, ainsi qu'une union douanière, une monnaie commune et une citoyenneté commune.

En somme, l'espace économique canadien offre des avantages si évidents que le gouvernement péquiste espère le conserver intact après une éventuelle indépendance du Québec.

Les sécessionnistes expliquaient également que le reste du Canada accepterait cette forme de partenariat, mutuellement avantageuse, inspirée du modèle européen.

Les leaders indépendantistes font valoir encore aujourd'hui la même argumentation que pendant la campagne référendaire. Monsieur Bouchard veut introduire le partenariat aux côtés de l'article 1 du programme du Parti québécois. Or, ce projet de partenariat ne tient pas la route. Reprenons leur argumentation point par point.

D'abord, mettons en perspective la question du libre-échange et de l'ouverture des marchés. Le Québec échange plus avec les provinces canadiennes que sur le plan international. Il est d'ailleurs la province la plus dépendante du commerce interprovincial. Malgré sa rhétorique libre-échangiste, le gouvernement du Québec pratique un protectionnisme à grande échelle, se chiffrant à plusieurs milliards de dollars en contrats publics réservés à des entreprises québécoises.

L'ALENA et l'OMC tolèrent ce genre de protectionnisme de la part d'une province, mais n'auraient pas cette indulgence pour un pays. Ce qui contraindrait l'économie québécoise à un ajustement brutal. Le Québec devrait négocier son adhésion à l'ALENA dans des conditions difficiles, avec un Congrès américain plus protectionniste que jamais.

Les grands ensembles économique stables sont les mieux placés pour négocier à leur avantage les accords internationaux. Un nouveau pays issu de la sécession risquerait d'avoir à négocier sa participation à ces ententes internationales dans un contexte d'instabilité qui ne lui serait pas favorable. Ce qui pourrait l'obliger à faire subir à son économie des ajustements rapides et pénibles.

L'importance accrue des accords internationaux est donc une inconnue additionnelle sur la route de la sécession.

En ce qui concerne un partenariat paritaire entre le Québec et le Canada, il est certain que ce serait au Canada à disposer de cette offre, pas à monsieur Bouchard. Si on y réfléchit le moindrement, on peut considérer comme improbable que le Canada voit son intérêt dans une structure paritaire qui accorderait à un partenaire trois fois plus petit que lui, plus endetté et plus faible économiquement, un droit de veto sur des pans entiers de sa politique économique; un partenaire qui, de surcroît, viendrait de le briser en deux.

Ces institutions communes prévues par l'offre de partenariat du PQ seraient de toute façon beaucoup trop faibles pour maintenir une intégration économique canadienne actuellement garantie par un ensemble d'institutions fortes : la Constitution canadienne, la Banque du Canada, un système bancaire solide et l'action régulatrice du gouvernement fédéral.

L'intégration économique canadienne ne tombe pas du ciel. L'économiste John McCallum a calculé que le commerce entre les provinces canadiennes dépassait, en 1988, vingt fois celui qu'elles entretiennent avec les États américains, toutes choses étant égales par ailleurs. Même si ces données portent sur une période antérieure aux accords de libre-échange, elles montrent à quel point l'établissement de frontières internationales constitue un puissant facteur de limitation du commerce.

Sans l'appui de la Banque du Canada, et en l'absence d'institutions communes qui inspirent confiance aux agents économiques, le commerce du Québec avec les provinces canadiennes serait bien plus entravé qu'aujourd'hui. Il est plus que probable que le gouvernement du Québec perdrait la capacité d'utiliser le dollar canadien. Finalement, il serait exclu que sept millions de personnes massées à la frontière du Canada conservent leur citoyenneté et les droits qui y sont attachés sans qu'elles ne lui versent un sou d'impôt.

La constitution de grands ensembles économiques comme la Communauté européenne démontre bien que l'avenir est aux unions et que c'est aller à contre-courant de l'histoire que de se diviser.

II. QUE DOIT-ON FAIRE MAINTENANT?

Maintenant, il faut agir. Je me suis donné trois grands objectifs : d'abord défaire les mythes véhiculés par les sécessionnistes, ensuite réveiller l'identité canadienne qui sommeille chez les Québécois et chez trop d'autres Canadiens et, finalement, rendre la fédération canadienne plus harmonieuse et plus acceptable pour tout le monde, y compris les Québécois francophones.

A. Les mythes

Un grand nombre de mythes véhiculés par les tenants de la sécession présentent le Québec comme une victime de la fédération. Au contraire, les Québécois en sont les bénéficiaires tout en contribuant activement au développement et au rayonnement de notre pays.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la contribution québécoise représente environ 22,5 % des revenus fédéraux et les Québécois reçoivent 26,5 % des dépenses totales de programmes du gouvernement du Canada. (Comptes économiques provinciaux, Statistique Canada, 1993)

Les sécessionnistes véhiculent également le mythe que la sécession peut se faire sans perturbation économique pour le Québec et tout le Canada.

Dans une étude que vous avez vous-même produite en 1992, intitulée « The Cost of Fragmentation », vous avez établi d'importantes répercussions sur l'ensemble du Canada si le Québec se séparait. Je vous en rappelle quelques lignes :

-  baisse du taux de croissance économique;

  • augmentation du taux d'intérêt;
  • monnaie instable;
  • augmentation de l'inflation;
  • perturbations ou barrières possibles en matière de transport et de           communication;
  • augmentation possible des barrières au commerce interprovincial.

(Source : Conseil canadien des chefs d'entreprises, The Cost of Fragmentation, 1992)

Vous savez que cette fédération est plus utile que jamais.

Un autre mythe à défaire est celui que le Canada est une fédération centralisée. En réalité, la fédération canadienne est très décentralisée. En fait, c'est l'une des plus décentralisées au monde. Et la tendance des dernières années va vers une décentralisation accrue.

Ainsi, les dépenses fédérales en matière de programmes représentaient une fois et demie les dépenses provinciales et municipales durant les années 50. Elles n'en représentaient plus que les trois quarts en 1990 et descendront aux deux tiers en 1996.

D'autres avancent que la nature décentralisée du Canada constitue une faiblesse et une source d'incohérence - en réalité, c'est un de ses points forts, les pays décentralisés s'en sortent mieux que les pays centralisés.

Ce n'est pas un hasard si quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des fédérations : le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse.

C'est notre diversité en tant que pays qui nous permet d'avoir des façons différentes d'être Canadiens et de célébrer le Canada.

Si je dis qu'il y a des mythes à défaire, je ne nie pas non plus qu'il y a des améliorations à apporter. Mais il faut se méfier de la démagogie qui s'empare de nous lorsque le « Ottawa bashing » supplante le hockey comme notre sport national.

Je vous donne un exemple. On entend souvent dire qu'il y aurait 8 000 fonctionnaires à Santé Canada qui n'offrent aucun service à la population et qui ne font que surveiller et dédoubler le travail des fonctionnaires provinciaux.

Cette affirmation est incorrecte. Santé Canada compte l'équivalent de 6 362 employés à temps plein. Seulement 23 de ceux-ci ont pour tâche de surveiller l'application par les provinces de la Loi canadienne sur la santé. Une partie importante des fonctionnaires de Santé Canada travaillent dans des domaines où il y a peu de dédoublements avec les provinces et où le gouvernement fédéral est le mieux placé pour intervenir.

Par exemple : les services de santé aux Autochtones et aux populations du Nord, l'homologation des médicaments, l'analyse des aliments, des médicaments et la prévention d'épidémies. Voilà autant de domaines où la présence fédérale permet de réaliser des économies d'échelle et ainsi d'éviter les coûteux dédoublements qui existeraient si chacune des provinces devait effectuer ses propres recherches et analyses.

Il ne faut donc pas être complaisant ou critique dans la façon d'évaluer la fédération, il faut être juste.

B. Réveiller le sens d'identité des Québécoises et des Québécois

Comme l'a indiqué pendant la campagne référendaire le Premier ministre du Canada, nous ne devons plus tenir notre pays pour acquis. Le référendum nous a également fait la démonstration que les arguments économiques ne suffisent plus. Nous devons parler du coeur.

Il faut un discours plus positif et ne plus abandonner à monsieur Bouchard les grandes valeurs de solidarité et de fierté.

La solidarité et la fierté qui unissent les Québécois sont remarquables. Mail il ne faut pas renoncer pour autant à la fierté ni à la solidarité qui rattachent les Québécois aux gens des provinces de l'Atlantique, de l'Ontario et de l'Ouest canadien.

D'un océan à l'autre, du nord au sud, le respect de la démocratie et de la liberté, la tolérance envers autrui, la générosité et le partage sont des valeurs qui nous rassemblent tous et qui sont à l'image de ce que nous sommes.

Vous êtes des gens d'affaires et des gens de coeur. Vous savez qu'il est possible d'être à la fois fier d'être Québécois et solidaire des Québécois et fier d'être Canadien et solidaire des Canadiens.

Il faut que, toujours, les Québécoises et les Québécois voient l'identité canadienne comme le complément de leur identité québécoise - et non comme la négation de leur culture, un affront à leur fierté ou à leur courage ou un statut d'exclu ou d'humilié.

L'appartenance à la fois au Québec et au Canada est une richesse à cultiver. Elle peut s'épanouir sans mal dans une fédération qui a fait la preuve de son efficacité et que les Québécois ont tant contribué à améliorer.

C. Des changements pour une fédération plus harmonieuse

Nous avons besoin d'une fédération plus harmonieuse. Nous devons trouver de meilleures façons d'atteindre nos buts et nos idéaux communs que, par exemple, l'imposition de règles aux provinces par l'entremise des dépenses fédérales conditionnelles.

Nous devons donc trouver des moyens de mieux collaborer pour protéger nos acquis et relever les défis qui se présentent à nous.

Nous convenons tous que des changements sont nécessaires. Le Premier ministre s'est engagé en ce sens pendant la campagne référendaire.

C'est exactement ce que propose le gouvernement du Canada dans le discours du Trône. Ainsi :

  • Le gouvernement du Canada s'est engagé à ne pas utiliser son pouvoir de dépenser pour créer de nouveaux programmes co-financés dans des domaines de compétence provinciale exclusive sans le consentement de la majorité des provinces. Tout nouveau programme sera conçu de telle sorte que les provinces qui s'en dissocieront seront indemnisées, à condition de mettre en oeuvre un programme comparable.

C'est la première fois dans notre histoire qu'un gouvernement fédéral prend l'initiative d'acquiescer unilatéralement à cette demande répétée des provinces, en dehors des négociations constitutionnelles officielles.

  • Par ailleurs, il existe certains secteurs où le gouvernement du Canada n'a pas besoin d'intervenir. Nous sommes disposés à nous retirer de domaines tels que la formation professionnelle, les forêts, les mines et les loisirs dont la responsabilité convient mieux aux provinces et à d'autres instances.
  • Nous travaillerons de concert avec les provinces pour assurer la viabilité de notre système de sécurité sociale. Nous sommes disposés à explorer de nouvelles formules de prise de décision en matière de politique sociale.
  • Nous poursuivrons le travail entrepris pour réduire les entraves au commerce intérieur et à la mobilité de la main-d'oeuvre tout en continuant de jouer un rôle clé pour promouvoir l'union économique canadienne.
  • Pour éliminer les dédoublements coûteux et inutiles et pour favoriser les économies d'échelle, nous proposons de travailler de concert avec les provinces à mettre sur pied une Commission canadienne des valeurs mobilières, un service unifié d'inspection des aliments et un organisme national de perception des impôts.
  • Nous nous sommes également engagés à faire inscrire dans la Constitution canadienne le droit de veto régional et la reconnaissance que le Québec forme une société distincte au sein du Canada.

CONCLUSION

En terminant, je veux partager avec vous un commentaire qui m'a été fait à quelques reprises pendant la campagne électorale que je viens tout juste de terminer dans mon comté, Saint-Laurent/Cartierville.

Lors de mon porte-à-porte quotidien, plusieurs personnes m'ont dit : « monsieur Dion, j'admire votre courage, mais vous avez une tâche impossible et vous ne réussirez pas à convaincre les Québécois de rester au Canada ». Alors ces gens me disaient qu'ils partaient avec leur amour pour Montréal, leur expérience, leur potentiel et leur actif.

Deux sondages récents (Globe and Mail et CBC) confirment que cette inquiétude est largement répandue. Un Québécois sur six, dont un non-francophone sur deux, songe à quitter en cas de sécession.

Je veux vous répéter ce soir ce que j'ai répondu à ces gens découragés que j'ai rencontrés lors de ma campagne dans Saint-Laurent/Cartierville. Je leur ai dit de rester à Montréal, qu'ils appartiennent à Montréal, que c'est leur ville, qu'ils ne pourraient être plus heureux ailleurs. Je leur ai dit qu'il ne fallait pas perdre espoir, que nous allons garder le Canada si nous travaillons tous ensemble. Je leur ai dit de continuer de dialoguer avec ceux et celles qui sont convaincus que le Québec serait plus heureux sans le Canada.

Dans l'intérêt de tous, il faut choisir la solidarité et la réconciliation plutôt que la séparation et la division.

Nous n'avons pas le droit d'échouer. Nous n'avons pas le droit d'imposer au reste du monde et à notre jeunesse la fin du rêve canadien.

Il faut continuer l'expérience canadienne et envoyer au reste du monde et aux générations futures un message positif de réconciliation.

Comme le disait si bien le Premier ministre Chrétien dans son discours à la Chambre des communes : « ...nous voyons que lorsque le monde se mire dans le Canada, il aperçoit l'avenir, ou plutôt le meilleur avenir possible, l'espoir le plus solide. Ensemble, bâtissons ce modèle d'espoir et de confiance. Un modèle pour toute l'humanité. »

 

L'allocution prononcée fait foi.

 

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Mise à jour : 1996-03-26  Avis importants