« L'IDÉAL CANADIEN »
NOTES POUR UNE
ALLOCUTION DEVANT
L'ASSOCIATION DES ÉTUDES CANADIENNES EN ISRAËL
HEBREW UNIVERSITY OF JERUSALEM
ISRAËL
LE 28 JUIN 1998
Les Canadiens sont des gens polis et modestes. Du moins telle est la réputation
que nous font les Américains. Nos voisins du Sud prétendent que pour
reconnaître un Canadien dans un ascenseur bondé, il suffit de marcher sur les
pieds de tout le monde, et la personne qui s'excuse, c'est le Canadien. Pour ce
qui est de notre réputation en France, vous connaissez l'histoire du touriste
canadien égaré dans Paris qui, au lieu de demander : «la tour Eiffel s'il
vous plaît?» utilise une formule typique de chez-nous : «excusez-moi, mais
j'aimerais aller à la tour Eiffel», ce à quoi l'agent de circulation répond
: «mais allez-y Monsieur, allez-y !».
Alors vous comprendrez à quel point ce grand
congrès heurte ma modestie, lui qui réunit un nombre impressionnant de
participants venus de plusieurs pays qui, durant les trois prochains jours, vont
étudier les principales facettes de la vie canadienne : le système
d'éducation, l'économie, la littérature, l'histoire... Je tiens -- tout de
même -- à en remercier l'Association des études canadiennes en Israël et le
Centre Halbert d'études canadiennes.
Les Israéliens aussi ont leur blague sur le
Canada qui met à mal notre modestie. Lorsque Dieu a demandé à Moïse : «où
la veux-tu, ta terre promise?», ce dernier voulait répondre : «au Canada».
Mais comme chacun sait, le libérateur du peuple d'Israël avait un problème
d'élocution. Alors qu'il bafouillait : Can... Cana... Cana..., Dieu s'est
impatienté : «Canaan, d'accord, je t'y envoie!».
Le Canada n'est évidemment pas une terre
promise, mais je suis tout de même fier de constater que mon pays ait su
intéresser tant de chercheurs comme vous à travers le monde, que tant d'êtres
humains de toutes origines et de tous les continents aient choisi le Canada
comme pays d'adoption, que tant d'autres rêvent de s'y installer : même les
Français, qui passent pour être gens de bon goût, ainsi que les Australiens
et les Américains choisissent le Canada comme le pays où ils aimeraient le
mieux vivre après le leur. (Paris-Match-BVA, le 12 février 1998; Canada and
the World, Angus Reid, 1997).
Tous, vous avez eu vos raisons de vous
spécialiser sur le Canada. Comme tous ceux qui ont choisi d'y immigrer ont eu
leurs propres raisons. Pour mon beau-père, un Autrichien d'origine, c'est parce
qu'il avait lu les livres de Jack London étant petit!
Moi aussi, d'une certaine façon, j'ai choisi le
Canada bien que j'y sois né. J'ai choisi la cause d'un Canada uni au point
d'accepter l'invitation du Premier ministre Jean Chrétien de quitter
l'université et de travailler à ses côtés pour l'unité canadienne.
Permettez que je vous expose aujourd'hui les raisons de mon choix pour l'unité
canadienne ainsi que la place importante que la société qui est la mienne, le
Québec, occupe parmi ces raisons.
Pourquoi l'unité canadienne
Je commencerai en citant un ancien président du
pays où nous sommes aujourd'hui, Chaim Herzog. Dans un discours prononcé le 27
juin 1989 à la Chambre des communes, il a été trop généreux envers le
Canada :
«Vous êtes un modèle insigne de coexistence
entre individus de cultures et de formations différentes qui vivent ici dans un
climat de tolérance réciproque et de respect pour leur identité première» [Traduction
libre].
Nous ne sommes pas ce modèle de tolérance que
le président Herzog ainsi que tant d'autres observateurs étrangers ont
célébré. Cette notion de «modèle de tolérance» doit être maniée avec
beaucoup de prudence, car les contextes varient énormément d'un pays à
l'autre. Ainsi les contraintes géostratégiques du Canada n'ont rien à voir
avec celles qui pèsent sur Israël. Et par ailleurs, il y a encore beaucoup
trop de manifestastions d'intolérance au Canada. Mais sur le fond, l'ancien
président Herzog avait raison : le Canada n'a de sens que s'il se rapproche
toujours davantage de ce modèle de tolérance auquel on l'associe, et c'est
cette quête qui fait sa vraie grandeur.
La principale raison pour laquelle je crois que
le Canada doit demeurer uni tient plus à ce qu'il a d'universel qu'à ce qu'il
a de particulier. Certes, notre drapeau, notre hymne national, la beauté
grandiose de notre immense territoire, toutes ces manifestations de notre
singularité canadienne remplissent nos coeurs de fierté. Mais la vraie raison
pour laquelle le Canada est un joyau de l'humanité, c'est que notre pays compte
parmi les plus humains qui soient, parmi ceux où les valeurs de liberté, de
tolérance et de respect des différences sont les mieux observées. Il est peu
de pays où l'être humain ait de meilleures chances d'être considéré en
être humain quelles que soient ses origines ou sa religion.
«Je regarderais comme un grand malheur pour le
genre humain que la liberté dût en tous lieux se produire sous les mêmes
traits», a écrit Alexis de Tocqueville. L'idéal canadien vise à éviter ce
malheur. Les Canadiens savent que la quête de ce qui est vrai, juste et bon
doit être plurielle, ils savent que c'est en tirant le meilleur parti de chaque
culture, de chaque expérience individuelle, régionale ou historique, que l'on
se rapproche de ce qu'il y a de meilleur dans la civilisation. Les Canadiens
savent que l'égalité n'est pas à confondre avec l'uniformité.
Certains affirment que le Canada est un pays
artificiel. S'ils veulent dire par là que le Canada a triomphé des
différences dites naturelles de la race ou de l'ethnie, pour se rapprocher de
ce qu'il y a de véritablement universel chez l'être humain, alors prenons leur
critique comme le plus beau des compliments. Le philosophe Johann Herder, qui a
écrit que «L'État le plus naturel est un État où n'existe qu'une
nationalité faite d'un seul caractère», aurait peut-être lui aussi trouvé
le Canada bien artificiel. Je me soucie peu de savoir si mon pays est un «État
naturel», mais je sais qu'un pays gagne en humanité quand il tire le meilleur
parti de ce que le philosophe canadien et québécois, Charles Taylor, appelle
la diversité profonde («deep diversity»).
Laissez-moi vous résumer quelques-uns des motifs
de ma fierté d'être Canadien.
Le Canada a été un pionnier de la démocratie.
C'est un fait exceptionnel et admirable que, depuis 1792, mon pays a presque
toujours été gouverné par un régime politique comportant une assemblée
élue. Le 11 mars 1998 a marqué le 150e anniversaire du gouvernement
responsable dans ce qui était alors la Province du Canada. (La Nouvelle-Écosse
soulignait le même anniversaire le 2 février dernier). À cette occasion, un
historien que plusieurs d'entre vous connaissent, Ged Martin, professeur à
l'Université d'Édimbourg, écrivait : «Pour ce qui est de la combinaison
cruciale de la participation populaire, des droits de la personne et de
l'autonomie gouvernementale, l'histoire canadienne n'a pas son égale dans le
monde» [Traduction libre]. Je ne vois pas d'exploit dont un pays puisse être
plus fier.
Les Canadiens peuvent s'enorgueillir de n'avoir
jamais eu d'empire et de n'avoir jamais envoyé leurs troupes à l'étranger au
XXe siècle pour d'autres raisons que la défense de la démocratie et de la
paix. Ils ont inventé l'insuline, proposé les casques bleus -- précisément
lors de la crise de Suez en 1956 -- et rédigé la version initiale de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, laquelle, comme l'avait prédit
Eleonor Roosevelt, est devenue la «Grande Charte internationale de toute
l'humanité». Encore récemment, le Canada a joué son rôle de bon citoyen du
monde en menant une vaste initiative mondiale pour l'interdiction des mines
antipersonnel.
Je suis aussi fier de mon pays parce qu'il est
resté fidèle à son idéal d'origine. Selon George-Étienne Cartier, l'un des
plus connus des «Pères» de notre confédération, le Canada devait être une
«nationalité politique» de langue anglaise et de langue française, formée
de plusieurs populations différentes, fières de leurs identités, et réunies
autour d'objectifs communs :
«Dans notre propre fédération, nous aurons des
catholiques et des protestants, des Anglais, des Français, des Irlandais et des
Écossais, et chacun, par ses efforts et ses succès, ajoutera à la
prospérité et à la gloire de la nouvelle confédération» (le 7 février
1865).
Le Canada a maintenu son caractère francophone
en cette Amérique du Nord dominée par l'anglais et ce, malgré le vent
d'assimilation qui a soufflé sur le monde en cette époque où, pour la
première fois dans l'histoire de l'humanité, le nombre de langues parlées a
diminué au lieu d'augmenter. Le Canada a été le premier pays au monde à se
doter d'une politique en matière de multiculturalisme et il continue de donner
le ton à cet égard comme le soulignait récemment un rapport de l'UNESCO. Dans
les sondages, l'immense majorité des Canadiens se déclarent d'accord avec
l'idée que la diversité culturelle renforce le Canada.
Je suis fier de ce que nos grandes métropoles --
Montréal, Toronto, Vancouver -- aient su contenir le racisme, fléau qui
afflige tant d'autres grandes villes à travers le monde. Ne serait-ce que pour
cette raison, ces trois grandes villes méritent de rester dans le même pays,
malgré la distance géographique qui les sépare. Une enquête menée par le
Corporate Resources Group de la Suisse les classe parmi les zones
métropolitaines où la qualité de vie est la meilleure au monde. Vancouver
s'est classée deuxième, Toronto, quatrième et Montréal, septième. Vous
connaissez la phrase de Kipling : «L'Orient est l'Orient et l'Occident est
l'Occident, et les deux ne se rencontreront jamais.» S'il existe une ville au
monde qui a des chances de faire mentir Kipling et de réussir à marier les
civilisations d'Extrême-Orient et d'Occident, n'est-ce pas Vancouver? Je veux
vivre cette aventure aux côtés de mes concitoyens de Vancouver, car je sais
que leurs chances de succès, comme celles de ma ville, Montréal, sont
meilleures si nous restons tous ensemble au sein d'une même fédération
généreuse. La circonscription que je représente à la Chambre des communes,
Saint-Laurent-Cartierville, située sur l'île de Montréal, est en soi un
exemple de communauté plurielle et harmonieuse, une véritable ONU condensée,
faite de plus de cinquante communautés culturelles différentes, dont une
communauté juive.
La communauté juive du Canada compte aujourd'hui
350 000 personnes, dont 90 000 à Montréal et 7 200 dans ma circonscription de
Saint-Laurent-Cartierville (recensement de 1996). L'arrivée des premiers juifs
au Canada remonte au début des années 1750 à Montréal et à Halifax. La
première synagogue est aussi apparue à Montréal en 1777.
Le premier juif élu comme parlementaire dans
tout le Commonwealth britannique fut Ezekiel Hart, choisi en 1807 par les
électeurs de Trois-Rivières, majoritairement francophones et catholiques, pour
les représenter à l'Assemblée législative du Bas-Canada. Malheureusement, il
ne put occuper son siège puisque la loi interdisait aux non-chrétiens de faire
leur serment d'allégeance sur la Bible. Ce n'est qu'en 1832 que les juifs
obtiendront leurs pleins droits civiques et politiques, tout de même quelque 25
années avant qu'une telle mesure de justice soit prise au Royaume-Uni.
La communauté juive du Canada a activement
participé à la quête de l'idéal canadien. La Hebrew University of Jerusalem,
qui nous accueille aujourd'hui, en est sûrement consciente, elle qui a
décerné un doctorat honoris causa à cet éminent juriste, Bora Laskin, juge
en Chef de la Cour suprême du Canada de 1970 à 1984 et qui a contribué de
façon remarquable à la promotion des droits et libertés individuels.
Je suis fier de ce que la communauté juive de
mon pays se sente à la fois intensément canadienne et très proche d'Israël.
C'est le cas de 83 % des juifs montréalais selon une étude de 1991.
Soixante-et-un pour cent des juifs torontois et 70 % des juifs montréalais,
comparativement à 31 % des juifs américains, ont visité Israël. Le libre
échange entre le Canada et Israël va solidifier encore davantage ces liens
bénéfiques aux deux pays. Les retombées ne seront pas qu'économiques. Les
deux pays pourront apprendre l'un de l'autre à propos d'un enjeu crucial pour
eux deux : l'intégration dans l'harmonie de populations de langues et de
cultures différentes.
Certains affirment que l'ouverture à la
diversité des cultures a développé en mon pays une mentalité de ghetto qui
dévalorise l'idée même d'une appartenance commune au Canada. Je crois que
c'est l'inverse qui est vrai. La très grande majorité des immigrants qui
viennent au Canada développent un attachement profond envers ce pays dès
leur arrivée. C'est avec enthousiasme qu'ils mettent leurs talents au service
de leur nouveau pays et qu'ils y font instruire leurs enfants. C'est parce qu'il
a su voir dans la diversité une force que le Canada a évité la montée des
mouvements politiques xénophobes qui, aujourd'hui, empoisonnent la vie de trop
de démocraties.
Avec ses deux langues officielles, qui sont des
langues internationales, avec sa population diversifiée, qui lui donne une
prise sur les cultures de tous les continents, avec son Code civil et sa common
law, qui lui permettent de partager les traditions juridiques de la grande
majorité des pays du monde, avec sa situation géographique entre l'Europe, les
États-Unis et l'Asie, le Canada est mieux placé que jamais pour faire sa
marque lors du prochain siècle, en ce monde global où la maîtrise des
différents registres culturels sera plus que jamais un atout.
Malheureusement, l'apprentissage du respect
mutuel et de l'ouverture aux autres n'est jamais un exercice facile. Il est bien
des pages sombres de l'histoire canadienne dont je ne suis pas fier, telles les
manifestations d'intolérance à l'endroit des Autochtones et des francophones,
par exemple. J'ai honte que mon pays ait accueilli si peu de juifs avant,
pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Je ne pourrai jamais oublier qu'il
ait attendu les années 1960 pour éliminer les critères raciaux de sa
politique d'immigration.
Mais si, malgré ces erreurs, l'idéal canadien a
pu aller de l'avant, c'est en partie parce que, dès le départ, les
Britanniques et les Français ont eu à apprendre à vivre ensemble,
c'est-à-dire à se tolérer d'abord, à mieux se respecter ensuite, puis à
s'entraider. Cet apprentissage, souvent difficile, nous a mieux disposés à
accueillir de nouveaux citoyens venus de tous les continents. Nous séparer
maintenant, surtout sur le clivage entre francophones et anglophones, défaire
ce qui nous a réunis à l'origine, serait bien pire que l'affaiblissement
économique annoncé par la grande majorité des économistes; ce serait une
défaite morale. Nous, Canadiens, avons trop appris de notre histoire pour ne
pas voir que le fait de travailler ensemble au sein d'un même pays nous rend
tous meilleurs citoyens.
Je dis cela en tant que Canadien, mais aussi en
tant que Québécois, fier de mon appartenance québécoise, et persuadé que
celle-ci est essentielle à l'ensemble canadien.
Le Québec et l'idéal canadien
Je suis fier du Québec, cette société
dynamique, à prédominance francophone, que nous avons édifiée sur un
continent où l'anglais domine. Depuis le début de la Confédération, jamais
le Québec n'a été aussi francophone qu'il ne l'est aujourd'hui, alors que 94
% de ses habitants peuvent s'exprimer en français.
Les lois linguistiques fédérales et
provinciales adoptées dans les années 1960 et 1970 ont aidé la cause du
français. Ces lois linguistiques en vigueur au Québec sont plus libérales et
respectueuses de la communauté linguistique minoritaire que celles qui ont
été adoptées par d'autres démocraties plurilingues, comme la Belgique et la
Suisse. Quand elles sont appliquées dans un esprit d'ouverture et de
conciliation, elles aident les francophones et les anglophones du Québec à
vivre ensemble dans la confiance et l'harmonie.
Laissez-moi vous dire un mot sur la tolérance de
la société québécoise. Lors de mes recherches universitaires, j'ai été
frappé de constater à quel point les Québécois sont épris des mêmes
valeurs universelles que les autres Canadiens. Demandez-leur, par exemple, ce
qu'ils pensent des mariages interraciaux, et vous obtiendrez le même degré
d'ouverture qu'ailleurs au Canada, une ouverture qui est généralement plus
grande que celle que l'on retrouve aux États-Unis ou en Europe. Comme l'a
écrit Michael Adams, président d'une importante maison de sondages, en se
fondant sur une série de sondages d'opinion :
«Les francophones et les anglophones du Canada
partagent beaucoup plus de valeurs entre eux qu'avec les Américains»
[Traduction libre] (Sex in the Snow, 1997, p.195).
Et je le répète : observez Montréal dans sa
vie quotidienne, et vous constaterez qu'en dépit de la distance géographique,
cette grande ville multiculturelle appartient à la même culture de tolérance
que Toronto, Calgary et Vancouver.
Certains Québécois croient à tort qu'il leur
faut renoncer au Canada pour pouvoir demeurer Québécois. Il faut leur montrer
toutes les valeurs communes qui unissent tous les Canadiens, au delà de la
barrière de la langue. Il faut les convaincre que pour renforcer la solidarité
entre Québécois, ils doivent renforcer dans un même élan leur solidarité
avec les autres Canadiens, et non la rompre.
Le Québécois que je suis veut aider ses
concitoyens des provinces atlantiques, de l'Ontario, de l'Ouest et du Grand Nord
canadien à exprimer leur propre façon d'être Canadiens, ainsi qu'à bâtir un
avenir meilleur pour leurs enfants. Je veux aider la communauté juive ainsi que
les autres communautés de partout au Canada. Et je veux, en retour, accepter
l'aide que les autres Canadiens nous apportent, à nous Québécois, de façon
à ce que l'alliage de nos différentes cultures nous rende meilleurs et plus
forts, comme le voulait George-Étienne Cartier. Mais pour cela, nous devons
rester ensemble au lieu d'écouter les voix de la division et de la rancoeur.
Maintenant, je vais vous dire pourquoi je suis
très confiant quant à l'unité canadienne. Ce n'est pas seulement parce que,
comme vous le savez sans doute, l'appui des Québécois à la
«souveraineté-partenariat» -- même cette notion vague -- a été ramené à
environ 40 % dans les sondages. C'est aussi parce que les Québécois qui
appuient l'unité canadienne le font de plus en plus parce qu'ils trouvent cela
bien que le Québec soit dans le Canada, alors qu'il n'y a pas si longtemps,
leur choix était surtout motivé par la crainte des conséquences négatives de
la séparation. Cette valorisation accrue de l'idéal canadien est manifeste
dans certains sondages ainsi que dans ce que me disent les gens.
C'est une chance extraordinaire que d'être à la
fois Québécois et Canadien. Il faut que chaque Québécois puisse se dire :
«Je suis Québécois et Canadien, et je refuse de choisir entre les deux
identités.» De la même façon que les familles juives de mon comté me disent
se sentir profondément juives, québécoises et canadiennes. Elles sont à la
fois enracinées dans Montréal et proches, par l'esprit, d'Israël.
Conclusion
Vous connaissez sans doute la réponse à cette
question : quelle a été la contribution des penseurs juifs à l'humanité?
D'abord est venu Moïse qui a dit que tout est loi. Puis Jésus a prêché que
tout est amour. Ensuite Marx a tonné que tout est lutte. Freud a diagnostiqué
que tout est sexe. Enfin, est arrivé Einstein, qui a laissé tomber : Vous
savez, tout cela est bien relatif.
Permettez que je transpose ces prémisses au
débat sur l'unité canadienne.
Tout est loi. Justement parce que le débat sur
l'unité d'un pays est quelque chose d'extrêmement délicat et difficile, il
faut que les gouvernements montrent l'exemple en s'engageant, sans ambiguïté,
à agir toujours en toute franchise, de façon pacifique, dans la légalité et
dans la clarté. Il faut que, quoi qu'il advienne, le débat se déroule dans le
respect de l'État de droit et de la démocratie pour tous. Il importe que le
cadre juridique soit clair. Voilà pourquoi le gouvernement du Canada a pris
l'initiative de demander à la Cour suprême de nous éclairer tous sur le
statut juridique d'une sécession qui serait tentée unilatéralement par le
gouvernement du Québec.
Tout est amour. Vous savez qu'au Canada, nous
parlons souvent des «deux solitudes» pour décrire les difficultés entre
francophones et anglophones. On a oublié que cette expression est tirée d'une
lettre de Rilke qui voulait par là exprimer l'amour plutôt que l'isolement.
«L'amour consiste en ceci : deux solitudes qui se protègent, se rejoignent, et
s'ouvrent l'une à l'autre», a écrit le poète. Le Canada n'est pas une
chicane constitutionnelle perpétuelle. Le Canada est, fondamentalement, un
principe d'entraide entre des populations différentes unies autour d'objectifs
communs, un principe d'entraide dont on ne doit pas prendre conscience seulement
quand le verglas nous tombe sur la tête. C'est ce principe d'entraide qui doit
guider l'amélioration de la fédération afin que le gouvernement fédéral et
ceux des provinces agissent davantage de concert, dans le respect de leurs
rôles respectifs.
Tout est lutte, ou, plus proprement, tout est
conviction. Le Canada n'est pas un argument que l'on peut sortir en catastrophe
tous les quinze ans, une semaine avant un référendum. L'idéal canadien doit
être défendu en permanence, avec conviction. Il faut montrer aux Canadiens
combien ils doivent leur qualité de vie enviable au fait d'être ensemble et
que c'est dans l'union qu'ils pourront le mieux lutter contre le chômage et la
pauvreté. Et ce travail de conviction doit se faire par le dialogue, jamais par
l'exclusion.
Tout est sexe ou, là encore, légère
modification... tout est passion. Les froides analyses économiques sur les
avantages de l'unité canadienne ont certes leur place dans ce débat, mais la
preuve est faite qu'elles ne suffisent pas. Il faut parler du Canada, et du
Québec dans le Canada, avec passion, avec la passion de la raison. Une fois de
plus, je vise moins l'agitation frénétique des drapeaux que la promotion
chaleureuse des valeurs universelles que nous recherchons tous.
Tout est relatif ou, du moins, ayons le sens de
la relativité des choses. Il nous faut à la fois le respect du droit, la
clarté, la franchise, l'entraide, la conviction et la passion. Tous ces
ingrédients sont nécessaires pour que les Canadiens prouvent au monde que leur
idéal, qui est aussi, je crois l'avoir démontré, celui de l'humanité, est
possible sur cette planète.
L'allocution prononcée fait foi.
|