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Salle de presse

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Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

devant le

Comité spécial sénatorial chargé
d'étudier le projet de loi C-20

Le Sénat

Ottawa (Ontario)

le 19 juin 2000

L'allocution prononcée fait foi


          Le projet de loi sur la clarté garantit aux Canadiens que jamais leur gouvernement fédéral n'entreprendra des négociations sur la sécession d'une province en l'absence d'un appui clair des électeurs de cette province en faveur de la sécession. Les Canadiens ont droit à cette garantie essentielle. Honorables sénateurs, vous avez l'occasion de leur donner cette garantie en votant pour le projet de loi C-20.

          Depuis ma comparution devant votre comité, le 29 mai dernier, vous avez interrogé avec une assiduité admirable 20 autres témoins. Après avoir pris connaissance de ces témoignages, je suis plus persuadé que jamais de la pertinence et de la nécessité du projet de loi sur la clarté.

          Ma conviction vient de deux principes bien définis par la Cour suprême du Canada dans son avis du 20 août 1998 et qui constituent le fondement du projet de loi C-20 : la clarté (art. 1 et art. 2) et la légalité (art. 3).

          Permettez que je revoie avec vous ces deux principes avant de traiter du rôle du Sénat et de conclure sur votre débat à propos du concept d'indivisibilité.

1. La clarté

          Le gouvernement du Canada ne peut pas entreprendre des négociations sur la sécession en l'absence d'un appui clair en faveur de celle-ci. C'est là une évidence qui a rallié la totalité de vos témoins, à l'exception du professeur Lachapelle. Par exemple, M. Ryan, qui a répété devant vous que les questions des référendums de 1980 et de 1995 n'étaient pas claires, ne conteste en aucune façon le droit du gouvernement du Canada de ne pas négocier en l'absence d'un appui clair.

          Il veut cependant - et le professeur Garant a émis une opinion similaire - que la Chambre des communes s'abstienne de se prononcer par résolution sur la clarté de la question avant que le résultat du référendum ne soit connu. M. Ryan estime qu'une telle résolution serait une ingérence dans un référendum provincial incompatible avec l'esprit du fédéralisme.

          Je suis persuadé du contraire. J'ai la conviction que dans aucune fédération au monde on jugerait inacceptable que les élus au Parlement fédéral se prononcent sur la clarté d'une question référendaire qui mettrait en cause l'unité du pays.

          Un référendum sur la sécession tenu par le gouvernement d'une province est provincial, mais il porte sur l'abolition de toutes les compétences fédérales dans cette province, en fait sur l'abolition du pays lui-même en ce qui a trait à la province.

          Supposons une situation un peu inversée. Imaginons que ce soit le gouvernement fédéral qui entreprenne d'éteindre par référendum les responsabilités constitutionnelles des législatures provinciales. Plus précisément, demandons-nous ce qui se passerait si le Premier ministre du Canada annonçait la tenue d'un référendum dans tout le Canada dont la question serait : «Acceptez-vous l'abolition des provinces après une offre de partenariat politique et économique?». Personne, j'en suis sûr, ne contesterait aux assemblées législatives provinciales le droit de se prononcer aussitôt sur une telle initiative, y compris sur la clarté de la question, par résolutions. Personne ne dirait que de telles résolutions seraient des ingérences dans un référendum fédéral et contraires à l'esprit du fédéralisme.

          La Chambre des communes a parfaitement le droit de se prononcer par résolution sur la clarté de la question, après avoir tenu compte des points de vue qui auraient été exprimés par le Sénat et d'autres acteurs politiques, mais avant que les électeurs de la province en question n'aillent aux urnes. Les électeurs auraient droit à cette information.

          Une telle information aiderait d'ailleurs grandement la cause de l'unité canadienne. À une question claire sur la sécession, les Québécois répondraient qu'ils ne veulent pas renoncer au Canada, qu'ils y sont attachés. Dans le cas où la question serait confuse comme lors des deux référendums précédents sur la sécession, l'affirmation sans équivoque, par la Chambre des communes, que le Canada ne peut être brisé dans la confusion aiderait grandement à clarifier l'enjeu de la sécession. C'est ce que vous a bien exprimé le professeur Pinard lors de son témoignage.

2. La légalité

          Le projet de loi sur la clarté donne «effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec».

          Nous convenons tous maintenant, j'en suis sûr, après avoir entendu les juristes qui se sont présentés devant vous, que cet avis de la Cour doit être respecté. Comme vous l'a dit le professeur Magnet : «(...) (l'avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec) a la même valeur de précédent que les jugements d'un tribunal présentant les raisons d'une décision dans une cause ordinaire.» [traduction]

          Cet avis de la Cour a été une grande victoire pour l'unité canadienne et la démocratie, car il a confirmé qu'il n'existe pas de droit à la sécession dans une démocratie comme le Canada. Une sécession n'est pas un droit, ce qui ne veut pas dire cependant que la population d'une province devrait être retenue dans le Canada contre sa volonté clairement exprimée. Pour être effectuée de façon légale au Canada, la sécession d'une province nécessiterait une modification de la Constitution (par. 97), «qui exige forcément une négociation» (par. 84), des négociations «fondées sur des principes, avec les autres participants à la Confédération, dans le cadre constitutionnel existant» (par. 149). Les principes en question sont le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la protection des minorités. «Personne ne peut prédire le cours que pourraient prendre de telles négociations», prévient la Cour (par. 96).

          Elle ajoute : «Dans ces circonstances, on ne peut douter que des négociations résultant d'un tel référendum seraient difficiles. Les négociateurs devraient envisager la possibilité d'une sécession, sans qu'il y ait toutefois de droit absolu à la sécession ni certitude qu'il sera réellement possible de parvenir à un accord conciliant tous les droits et toutes les obligations en jeu.» La seule chose certaine serait qu'«en vertu de la Constitution, la sécession exige la négociation d'une modification» (par. 97).

          L'article 3. (1) du projet de loi sur la clarté confirme que «la sécession d'une province du Canada requerrait la modification de la Constitution du Canada, à l'issue de négociations».

          La Cour ne s'est pas prononcée sur la mécanique extrêmement complexe d'une négociation aussi difficile et incertaine. Elle n'a pas déterminé non plus la procédure de modification constitutionnelle qui s'appliquerait au cas d'une sécession. Reprenons ces différents éléments.

Qui négocierait?

          Il n'appartient pas à une loi fédérale de déterminer qui négocierait. Voilà pourquoi l'article 3. (1) du projet de loi sur la clarté énonce qu'à de telles négociations participeraient «notamment» les gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada. Là comme ailleurs, C-20 est tout à fait conforme à l'avis de la Cour.

          En effet, la Cour a nommé les acteurs politiques qui auraient l'obligation de négocier si une volonté claire de faire sécession était exprimée, soit le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces (par. 88). D'autres acteurs politiques, tels que les représentants des minorités linguistiques, pourraient y participer mais ils n'en auraient pas l'obligation.

          L'article 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit la tenue d'une conférence constitutionnelle avec les représentants des peuples autochtones sur tout amendement constitutionnel qui toucherait toute disposition de la Constitution portant spécifiquement sur les peuples autochtones du Canada. Le Grand Chef Moses et le Chef Gauthier sont venus vous exprimer leurs appréhensions, mais le Chef national de l'Assemblée des Premières Nations, M. Fontaine, a tenu à réaffirmer devant vous que : «[L'Assemblée des Premières Nations] juge que l'exigence constitutionnelle de notre participation est claire et que nous ne serons pas la cause de l'échec du projet de loi C-20.» [traduction]

Comment chacun établirait sa plate-forme de négociation?

          Chaque gouvernement, chaque acteur politique, devrait déterminer sa propre conduite. Les gouvernements et assemblées législatives des provinces détermineraient eux-mêmes si l'appui à la sécession est clair. Le cas échéant, ils établiraient leurs propres positions de négociations. Celles-ci porteraient, nous dit la Cour, «sur l'acte potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles si elle devait effectivement être réalisée» (art. 151).

          Chaque participant aux négociations pourrait choisir de consulter à sa façon sa population. Bien que la Constitution n'exige pas la tenue d'un référendum, les acteurs constitutionnels pourraient consulter les électeurs à toute étape du processus pour connaître leur opinion.

          Toutefois, ce serait un fait sans précédent qu'un gouvernement du Canada tienne un référendum national avant d'engager des négociations constitutionnelles, comme le propose le professeur Howse. Il n'a pas raison lorsqu'il affirme que le Renvoi relatif à la sécession du Québec exige la tenue d'un tel référendum. Comme l'a souligné la Cour suprême : «Au Canada, l'initiative en matière de modification constitutionnelle relève de la responsabilité des représentants démocratiquement élus des participants à la Confédération. Pour ces représentants, le signal peut être donné par un référendum mais, en termes juridiques, le pouvoir constituant au Canada, comme dans bien d'autres pays, appartient aux représentants du peuple élus démocratiquement.» (par. 88)

          Aucun des autres experts ayant comparu devant le comité ne partage l'avis du professeur Howse selon lequel il existe une obligation légale de tenir un référendum national pour obtenir le mandat d'entamer des négociations sur la sécession. Par exemple, le professeur Hogg a déclaré que : «Les référendums ne sont pas un élément nécessaire des procédures de modification prévues dans la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, et, comme je l'ai déjà mentionné, la Cour suprême du Canada a affirmé clairement que ces procédures de modification s'appliquent à toutes les modifications constitutionnelles imaginables, y compris la sécession d'une province.» [traduction]

Quelle procédure de modification constitutionnelle s'appliquerait?

          Conformément à l'avis de la Cour, C-20 établit que la sécession d'une province requerrait une modification constitutionnelle mais il ne précise pas quelle procédure de modification s'appliquerait. Comme l'a écrit la Cour suprême, «chaque option exigerait que nous présumions l'existence de faits qui sont inconnus à ce stade» (par. 105).

          Sur cette question, je partage tout à fait l'opinion exprimée devant vous par le professeur Monahan, à l'effet que la véritable difficulté ne serait pas d'identifier la procédure de modification constitutionnelle qui permettrait d'entériner un accord de séparation. La principale difficulté serait de négocier un tel accord de séparation. Selon le professeur Monahan : «Ce qu'il nous faudra de toute façon, ce serait un large consensus. Si on en arrive à un tel consensus, alors le fait que nous nous référions à l'article 38 ou à l'article 41 ne fera pas beaucoup de différence. Si nous parvenons à un tel consensus, la modification sera adoptée. Si nous n'obtenons pas un large consensus, alors il n'y aura pas de modification constitutionnelle.» [traduction]

          La négociation, dans le respect des droits de chacun, de la scission d'un État démocratique moderne comme le Canada serait une tâche inédite, énorme et semée d'embûches dont nous ne pouvons mesurer l'ampleur.

          En de telles circonstances, il serait fort souhaitable que les gouvernements s'entendent sur toutes ces questions extrêmement difficiles : la clarté de l'appui à la sécession, les positions de négociation, la liste des participants, les consultations nécessaires auprès des citoyens, l'équilibre à établir entre les principes constitutionnels qu'il faudrait respecter. Mais une loi fédérale ne peut pas décréter à l'avance de tels accords.

          Les provinces seraient libres de déterminer leurs positions de négociation et leurs procédures de consultation. Le projet de loi sur la clarté n'encadre que le gouvernement du Canada. Mais ce faisant, C-20 accomplit déjà beaucoup.

          Justement parce qu'une tentative de sécession serait un événement extrêmement grave, chargé d'incertitudes, il importerait que les gouvernements donnent l'exemple aux citoyens en respectant scrupuleusement le droit. Le gouvernement du Canada s'y engage. C-20, s'il devient loi, si le Sénat lui accorde son appui, donnera aux Canadiens cette ferme garantie.

3. Le rôle du Sénat

          C-20 prévoit que la Chambre des communes déterminerait la clarté de la question et, le cas échéant, de la majorité. Toute résolution ou déclaration officielle du Sénat serait prise en compte.

          Le gouvernement du Canada est persuadé que ces dispositions de C-20, tout comme l'ensemble du projet de loi, sont tout à fait constitutionnelles et appropriées.

          L'attribution d'un rôle différent à la Chambre des communes tient au fait que seule celle-ci peut, par un vote de non-confiance, empêcher le gouvernement d'entamer une négociation constitutionnelle ou d'interrompre le cours d'une telle négociation. Le Sénat n'ayant pas ce pouvoir, il ne conviendrait pas que le projet de loi sur la clarté le lui accorde.

          Comme l'a bien fait valoir le professeur Hogg : «(...) les pouvoirs que la Constitution du Canada attribue au Sénat ne sont pas touchés par le projet de loi.» [traduction] Ou pour utiliser les termes du professeur Monahan : « (...) il [le projet de loi C-20] ne porte pas atteinte aux prérogatives, privilèges ou pouvoirs historiques de cette institution dont les honorables sénateurs font partie.» [traduction] De même, le professeur Magnet a déclaré : «(...) les pouvoirs constitutionnels du Sénat ne sont pas diminués. Il [le projet de loi] ne change pas son rôle constitutionnel (...).» [traduction]

          Le projet de loi peut assigner à la seule Chambre des communes la responsabilité de déterminer la clarté de la question et de la majorité. Comme l'a rappelé le professeur Hogg : «(...) le Parlement du Canada a le pouvoir de déléguer des pouvoirs décisionnels à toute entité ou personne de son choix. (...) est-ce que la Chambre des communes peut se voir attribuer des pouvoirs délégués? Je ne vois pas pourquoi elle ne le pourrait pas.» [traduction]

          En résumé, nous pouvons tous conclure, avec le professeur Monahan, que : «Ainsi, vous ne jetez aucun déshonneur sur l'institution et les traditions du Sénat en appuyant le projet de loi C-20.» [traduction]

Conclusion

          Si le Canada n'est pas indivisible sur le plan légal, sa scission serait toutefois très difficile à réaliser. Cette difficulté ne vient pas d'une mauvaise volonté. Elle ne vient pas de ce qu'on voudrait garder une province contre la volonté clairement exprimée de sa population. Il n'y a pas d'appui au Canada pour une telle attitude si contraire à notre culture politique, comme vous l'a bien exprimé, entre autres, le professeur Gibbins qui, parlant plus spécifiquement des Canadiens de l'Ouest, affirmait : «Nous espérons de tout coeur un certain résultat, mais si les Québécois jugeaient bon d'aller dans une autre direction, alors dans ce cas, vous ne verriez pas dans l'Ouest une forte volonté de maintenir l'unité du pays à tout prix.» [traduction]

          Non, la difficulté fondamentale viendrait de la nature même de l'exercice, qui consisterait à se choisir entre concitoyens, à déterminer qui l'on veut garder, qui l'on veut transformer en étrangers, et tout cela dans le respect des droits de chacun. Ce n'est pas un hasard si une telle tentative de scission ne s'est jamais réalisée à ce jour dans une démocratie moderne et bien établie.

          L'unité du Canada tient à la volonté des Canadiens de rester ensemble. L'exigence de clarté, telle qu'elle a été établie par la Cour suprême, et à laquelle le projet de loi C-20 donne effet, met en lumière notre volonté de rester tous ensemble, dans le Canada. Car tous nous savons, y inclus les leaders indépendantistes, qu'en réponse à une question claire, les Québécois exprimeraient leur volonté de rester dans le Canada.  


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Mise à jour : 2000-06-19  Avis importants