À la défense de la péréquation

          Ces derniers temps, la péréquation que verse le gouvernement du Canada aux provinces ayant une faible capacité de percevoir des recettes a fait l’objet d’un débat dans nos journaux. Des personnalités des milieux politique, universitaire et médiatique ont critiqué les soi-disant effets dissuasifs que la péréquation aurait sur le développement économique provincial.

          La péréquation est issue du principe – inscrit à l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 – selon lequel le gouvernement du Canada doit aider les gouvernements provinciaux à fournir des services publics à leur population respective à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables. Il découle de ce principe que les paiements diminuent lorsqu’un gouvernement provincial accroît sa capacité fiscale.

          L’économie – et donc la capacité fiscale – de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve bénéficiera grandement de l’exploitation des ressources extracôtières. En conséquence, la péréquation qu’elles reçoivent diminuera – et pourrait même cesser un jour. Le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, l’honorable John Hamm, l’a lui-même reconnu lorsqu’il a dit que dans des conditions favorables, les ressources extracôtières pourraient rendre à la Nouvelle-Écosse son « indépendance économique ».

          Cependant, le premier ministre Hamm et d’autres personnalités semblent dire que cela ne pourra pas se produire à moins que la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve ne bénéficient d’un traitement exceptionnel. Ils cherchent notamment à ce que leurs paiements de péréquation ne soient pas – ou soient peu – réduits dans le cas de ces deux provinces alors que l’on prévoit une augmentation de leurs recettes des ressources extracôtières au cours des prochaines années. Autrement dit, il faudrait que les contribuables canadiens accordent une péréquation exceptionnellement généreuse à ces deux provinces aujourd’hui afin de ne plus avoir à leur en verser plus tard.

          Le gouvernement du Canada estimerait mal avisé d’octroyer un tel traitement spécial à la Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve ou à toute autre province. Premièrement, il est erroné d’imputer à la péréquation un effet dissuasif ou paralysant sur le développement économique. Deuxièmement, dans le cadre de la péréquation, il est essentiel de préserver un traitement équitable de toutes les provinces.

La péréquation ne nuit pas au développement économique

          Le fait que la péréquation reçue par une province diminue lorsque sa capacité fiscale augmente ne l’empêche pas de prendre des mesures pour développer ses ressources naturelles ou pour promouvoir tout autre développement économique.

          L’impact du développement économique sur leurs recettes est loin d’être la principale considération des gouvernements lorsqu’ils prennent leurs décisions en matière de politique économique. Ce qui les guide avant tout, c’est le souci de répondre au désir de leurs résidants d’être assurés d’une prospérité accrue. Aucun gouvernement ne peut longtemps échapper aux regards critiques de ses électeurs s’il ne fait pas tout en son pouvoir pour favoriser la création d’emplois et le bien-être qu’amène le fait de profiter des possibilités de développement économique qui se présentent.

          La péréquation n’a pas empêché une province de développer ses ressources naturelles. La Saskatchewan a continué de développer son industrie du pétrole et du gaz naturel même après avoir vu ses paiements de péréquation diminuer en raison de ce développement. Pareillement, d’autres exemples – l’exploitation de la potasse en Saskatchewan, du nickel au Manitoba, et de l’hydro-électricité au Québec, au Manitoba et à Terre-Neuve et Labrador – montrent que la péréquation n’a pas entravé le développement des ressources naturelles par le passé. Il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement à l’avenir.

Maintenir un traitement équitable

          Le traitement accordé par le gouvernement du Canada à la Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve sur la question des ressources extracôtières démontre qu’il est possible, dans notre fédération, d’aider efficacement des provinces moins nanties sans mettre en cause l’équité et la logique de la péréquation.

          Le gouvernement du Canada a signé des ententes avec ces deux provinces au milieu des années 1980 pour amorcer le développement des ressources extracôtières. Par ces accords, le gouvernement a transféré toutes les redevances tirées des ressources extracôtières au Trésor des deux provinces même si la Constitution stipule que ces ressources sont la propriété de tous les Canadiens. En comparaison, aux États-Unis, toutes les ressources qui se trouvent à plus de trois milles de la côte ainsi que les redevances tirées de l’exploitation de ces ressources reviennent au gouvernement fédéral.

          Au titre de ces accords, le gouvernement du Canada a créé pour chacune des deux provinces un fonds de développement de 225 millions de dollars (l’équivalent de 375 millions de dollars courants). Ces fonds leur ont fourni des montants additionnels pour profiter des possibilités générées par les premières étapes du développement des ressources extracôtières. En plus, le gouvernement a consenti à leur verser des paiements spéciaux afin d’augmenter leurs recettes pendant une longue période de transition.

          Le gouvernement du Canada a scrupuleusement respecté tous les engagements qu’il a pris en signant ces accords. Il est même allé plus loin en 1993 en prenant en charge 8,5  % des actions du projet Hibernia, à un coût de 435 millions de dollars, alors qu’aucun autre investisseur n’était disposé à le faire.

          Le gouvernement a ainsi fortement aidé la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve sans pour autant mettre en cause le traitement équitable de toutes les provinces, ni l’intégrité du programme de péréquation.

          En fait, les modifications au calcul de la péréquation sous le gouvernement Chrétien ont indirectement eu pour effet de conférer un traitement encore plus avantageux aux recettes de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve provenant du pétrole et du gaz extracôtiers. Il s’agit d’un effet indirect, car l’objectif n’était pas de donner à ces deux provinces un traitement spécial. Il était plutôt de régler un problème technique qui survient dans des situations exceptionnelles où une province touche la totalité ou la quasi-totalité d’une source de recettes particulière. Après consultation avec toutes les provinces, le gouvernement a convenu que dans de telles situations, 30 % des recettes en question seraient exclues du calcul de la péréquation. Dans l’avenir, cette disposition spéciale ne s’appliquera vraisemblablement qu’au gaz naturel extracôtier de la Nouvelle-Écosse et au pétrole extracôtier de Terre-Neuve même si elle s’est appliquée à d’autres ressources par le passé. Aucune autre source de recettes provinciales (y compris le pétrole et le gaz naturel provenant de gisements terrestres) ne se verra accorder d’un tel traitement.

          Il serait injuste pour les contribuables des autres provinces de prévoir un traitement encore plus généreux des recettes extracôtières dans le calcul de la péréquation. Il serait difficile de justifier un tel traitement spécial aux résidants des autres provinces récipiendaires de péréquation qui ne touchent pas d’importants revenus de pétrole ou de gaz naturel. Les Canadiens de la Colombie-Britannique ou de l’Ontario, dont les gouvernements ne reçoivent pas de péréquation, pourraient se demander pourquoi la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve devraient recevoir des paiements de péréquation ayant pour effet de leur donner une capacité fiscale surpassant celle de Victoria ou de Queen’s Park.

          Certains ont proposé d’exclure du calcul de la péréquation toutes les recettes provinciales tirées des ressources naturelles non renouvelables, quelles qu’elles soient. Ainsi, affirment-ils, on pourrait à la fois préserver l’équité entre les provinces et permettre aux gouvernements néo-écossais et terre-neuvien d’accroître leurs recettes extracôtières sans encourir de baisse de la péréquation. Une telle modification serait également injustifiée. Elle aurait pour effet de désavantager les provinces qui ont peu de ressources naturelles par rapport à celles qui en ont beaucoup.

          Il serait arbitraire d’exclure certaines sources de recettes de la péréquation, qu’elles proviennent des redevances de l’exploitation du pétrole et du gaz naturel, d’autres ressources naturelles ou de toute autre source de recettes provinciales. La réalité fondamentale est que toutes ces recettes sont utilisées par les gouvernements provinciaux pour financer les services à la population. Afin de verser une péréquation qui puisse mettre les gouvernements provinciaux en mesure, comme le dit la Constitution, « d’assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables », le gouvernement du Canada est bien obligé de tenir compte de toutes leurs sources de recettes.

          En somme, loin d’être un obstacle au développement économique, la péréquation est l’une des manifestations les plus tangibles de la solidarité canadienne. Tout en respectant les principes de la péréquation, le gouvernement du Canada a pu aider la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve à profiter pleinement de leurs ressources extracôtières.



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