Lettre ouverte au journal Le Figaro en
réponse au texte d'opinion de Mme Louise Beaudoin
(C-20)
(1 avril 2000)

Dans un texte d'opinion publié le 21 mars dernier dans Le Figaro, la ministre des Relations internationales du Québec, Mme Louise Beaudoin, a rapporté à sa façon le contenu d'un projet de loi que j'ai l'honneur de parrainer au Parlement canadien. Ce projet de loi (C-20) précise les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Canada pourrait entreprendre la négociation de la sécession d'une province du Canada.

Ce débat, qui se déroule de façon beaucoup plus posée que la lecture du texte de la ministre pourrait en donner l'impression, regarde les Québécois et l'ensemble des Canadiens. Mais il a aussi une dimension universelle au sens où la cohabitation pacifique de populations de langues, de cultures ou de religions différentes est l'un des plus grands défis qui se posent à la communauté internationale en ce début de siècle. Une question à laquelle la communauté internationale cherche réponse est de savoir dans quelles circonstances et selon quelles modalités l'érection de nouvelles frontières internationales entre des populations pourrait devenir une solution juste et équitable.

Contrairement à plusieurs États démocratiques qui se déclarent indivisibles dans leur Constitution, nous pensons au Canada que notre pays n'a de sens que s'il repose sur le consentement mutuel. Mais nous pensons aussi qu'aucun Canadien ne devrait voir son appartenance au Canada remise en cause à moins que les électeurs de sa province n'aient clairement signifié leur volonté de cesser de faire partie du Canada.

La Cour suprême du Canada a confirmé la valeur juridique de ce point de vue dans un Avis émis le 20 août 1998, lequel a reçu un très large appui dans tout le pays y compris parmi les Québécois. La Cour a fait valoir que le gouvernement d'une province canadienne ne détient pas le droit, ni en droit international ni en droit canadien, de faire unilatéralement la sécession. Une sécession devrait donc être négociée dans le cadre constitutionnel canadien, dans le respect des principes fondamentaux que sont la démocratie, la primauté du droit, le fédéralisme et le respect des minorités. Selon la Cour, l'obligation de négocier une telle sécession n'existe que si une majorité claire de la population d'une province a exprimé sa volonté de cesser de faire partie du Canada, en réponse à une question claire sur la sécession.

La Cour nous prévient que de telles négociations sur la sécession soulèveraient un grand nombre de questions très difficiles à résoudre, telles que le partage de la dette et des actifs, les droits des minorités et des peuples autochtones, et la question des frontières territoriales.

La Cour assigne aux acteurs politiques la responsabilité d'évaluer la clarté de la question et de la majorité dans le contexte d'un référendum. Le projet de loi C-20 donne effet à cette obligation de clarté établie par la Cour suprême. Il confirme que le gouvernement du Canada n'entreprendrait la négociation de la sécession d'une province du Canada que si une majorité claire d'électeurs de cette province se prononçait pour la sécession, en réponse à une question claire, c'est-à-dire une question qui permettrait aux électeurs de dire sans détour s'ils veulent que leur province devienne un pays indépendant distinct du Canada.

Le Canada devient ainsi le premier grand État démocratique à admettre sa divisibilité par un texte législatif. Il le fait en insistant sur l'obligation de clarté et de légalité du processus. Le gouvernement indépendantiste du Québec a déjà perdu deux référendums portant sur son option. Les deux fois, en 1980 et en 1995, le Premier ministre du Canada a affirmé que la question manquait de clarté et a refusé de s'engager à négocier la sécession dans de telles circonstances.

Agir autrement, négocier une sécession en l'absence d'un appui clair, serait irresponsable et injuste pour les citoyens. Nous, les Québécois, avons sur le Canada un droit plein et entier, nous l'avons bâti avec les autres Canadiens. De plus, la sécession aurait des conséquences graves non seulement pour nous, les Québécois, mais aussi pour tous les autres Canadiens, y compris les Canadiens français des autres provinces.

J'ai la conviction que la grande majorité des Québécois désirent rester Canadiens et que le projet de loi C-20 n'aura jamais à être utilisé. Mais dans le cas contraire, cette loi garantirait que le gouvernement du Canada n'entreprendrait la négociation d'une sécession que dans la légalité et la clarté. Y a-t-il d'ailleurs dans le monde un seul parlement d'un pays démocratique qui accepterait de négocier l'abdication de ses responsabilités constitutionnelles envers une partie de sa population sans avoir l'assurance que c'est clairement ce que veut celle-ci?

Mais le paradoxe est que cette approche canadienne, qui envisage la sécession mais seulement dans des conditions de clarté et de justice, constitue en elle-même un excellent argument contre la sécession. Car c'est en montrant toujours un souci d'équité et de respect envers les citoyens qu'un pays peut bâtir son unité sur la libre adhésion. Je suis sûr que c'est cet exemple d'unité que nous les Québécois, avec les autres Canadiens, saurons donner au monde.

 

Stéphane Dion

 

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