Notes pour une allocution dans
le cadre du colloque « Facing the future »

Pour les dirigeants
des secteurs public et privé

Ottawa (Ontario)

le 11 novembre 1996


Je suis très honoré de m'adresser à un regroupement de décideurs du secteur privé et de l'administration publique. Les sujets de discussion qui vous sont proposés pour les deux journées qui viennent vous inviteront à réfléchir sur la dynamique de nos organisations publiques et privées à la lumière des grandes tendances et des enjeux stratégiques qui baliseront notre marche vers le XXIe siècle.

L'avenir des organisations et des institutions passe par des réorganisations en profondeur, et par la remise en question des concepts les plus fondamentaux. Certains futurologues, comme M. Stan Davis, que vous aurez le privilège d'entendre au cours de votre colloque, vont même jusqu'à remettre en question les notions de temps, d'espace et de matière. Les spécialistes en planification stratégique et en réorganisation, comme Marcel Côté, qui vous fera lui aussi une présentation, vous diront que les courants et les mutations d'envergure planétaire auxquels nous sommes tous confrontés nous obligent à faire preuve d'inventivité, de souplesse et d'ouverture d'esprit, mais aussi de sagesse et de rigueur. Ils vous diront aussi que les organisations publiques et privées sont promises à un bel avenir dans la mesure où nous saurons tirer parti des nouveaux enjeux plutôt que de les considérer seulement comme des menaces et dans la mesure où nous saurons créer une synergie constructive entre les organisations publiques et privées.

C'est la même chose pour l'avenir de notre fédération et de notre pays. Loin d'être figée dans le temps et dans l'espace, la fédération canadienne est en constante évolution, et je vous dirai qu'elle aussi est promise à un bel avenir. Nous avons des difficultés, c'est vrai, qui sont reliées principalement au risque d'une sécession. Mais je suis convaincu que nous les surmonterons, parce que nous avons la capacité de le faire en travaillant tous ensemble, tant le secteur privé que le secteur public, pour convaincre tous les Canadiens que c'est en s'appuyant sur notre fédération qu'ils se garantiront le meilleur avenir possible. Et c'est en apportant des changements porteurs de résultats concrets, de prospérité et d'espoir que nous les convaincrons.

Je me propose de vous exposer d'abord mon point de vue quant à ce qui fait la force et la grandeur du fédéralisme canadien. Je poserai ensuite un diagnostic sur la situation actuelle de notre fédération, pour finalement vous présenter un bilan sommaire des initiatives que le gouvernement fédéral a prises pour améliorer davantage cette fédération.

1. LA NATURE DU FÉDÉRALISME CANADIEN

La question des débats sur les relations fédérales-provinciales est trop souvent abordée sous un angle qui n'a rien de constructif, celui des rapports de pouvoirs. Il vaudrait beaucoup mieux se concentrer uniquement sur les réalités quotidiennes des citoyens. Je prétends que la meilleure perspective pour aborder les enjeux de l'unité nationale c'est de les considérer sous l'angle du service au public. Si toutes les Québécoises et tous les Québécois, comme les autres Canadiens d'ailleurs, s'arrêtaient à penser à quel point cette fédération permet d'améliorer la qualité du service au public, on ne parlerait pas de sécession dans ce pays.

C'est une conception des choses qui m'habite depuis longtemps. C'est d'ailleurs pourquoi, comme étudiant en sciences politiques, je me suis particulièrement intéressé à l'étude de l'administration publique parce que la compréhension de la théorie politique et des questions plus globales passe par la compréhension de l'État. Et l'État n'est pas une idée abstraite et sans visage; c'est un ensemble d'institutions, de gens en chair et en os qui pensent, qui travaillent, qui décident; il faut les comprendre et il faut les connaître. En même temps, pour vraiment comprendre la fédération canadienne et sa dynamique, il faut s'intéresser d'abord et avant tout au service public, car c'est ce qui fait la grandeur du fédéralisme.

Assurer des services publics efficaces signifie non seulement reconnaître certains principes de base à l'action gouvernementale, mais requiert aussi, la plupart du temps, la recherche d'un équilibre heureux entre des valeurs qui se font concurrence. Par exemple, le gouvernement doit rechercher le point d'équilibre d'une part entre l'égalité et la diversité, et d'autre part entre la solidarité et la subsidiarité.

Égalité et diversité

Commençons par la recherche de l'équilibre entre l'égalité et la diversité, tant au niveau des individus que des provinces, et prenons un exemple. Le gouvernement fédéral verse des montants de péréquation à certaines provinces et pas à d'autres. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que l'on s'assure que tous les citoyens ont accès à des services publics comparables, peu importe la région du Canada dans laquelle ils vivent.

Prenons un autre exemple. Lorsque le gouvernement fédéral travaille avec celui de la Colombie-Britannique pour soutenir les communautés côtières et les pêcheurs licenciés à cause de la baisse des stocks de saumons, il ne suit pas nécessairement le même modèle que celui qu'il utilise pour compenser les fermiers de la Saskatchewan lorsque les récoltes sont mauvaises, parce que les contextes sont différents. Les gouvernements doivent reconnaître que tous les citoyens sont égaux, mais ils doivent aussi répondre à une diversité de besoins et de circonstances. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il se crée une inégalité entre les provinces; il faut bien comprendre qu'égalité de traitement ne signifie pas uniformité de traitement. Confondre égalité et uniformité, c'est faire sombrer le service public dans la médiocrité.

Ce même principe s'applique lorsqu'il s'agit de reconnaître la différence linguistique et culturelle du Québec comme caractéristique fondamentale du Canada. Cette reconnaissance répond à un besoin particulier, à une circonstance unique, mais elle ne brime pas pour autant l'égalité juridique des provinces, encore moins l'égalité des citoyens. Reconnaître cette différence historique et contemporaine, c'est montrer que tous les Canadiens souhaitent que cette culture, cette langue et cette façon québécoise d'être Canadien soient reconnues, célébrées et protégées. Solidarité et subsidiarité

L'autre équilibre qu'il est important de rechercher, c'est l'équilibre entre la solidarité et la subsidiarité. La solidarité, qui s'appuie sur le sens du bien commun et de la compassion à l'égard de nos concitoyens, nous permet de consolider nos ressources et nos forces, d'agir ensemble pour le mieux-être de chacun. Le gouvernement fédéral agit pour le bien commun de tous les Canadiens et de toutes les régions, particulièrement les moins avantagés. La subsidiarité, c'est-à-dire le respect de l'autonomie des citoyens, des institutions et des gouvernements locaux, nous permet de nous appuyer sur les forces locales pour répondre aux besoins particuliers de chaque communauté, de chaque région, de chaque province du pays. Plus que jamais, nous avons besoin de concilier le global et le local, ce que mon collègue de l'Université Queen's, Tom Courchene, appelle la « glocalisation ». La conciliation des objectifs de solidarité et de subsidiarité à travers le fédéralisme a bien servi l'humanité par le passé et sera plus nécessaire que jamais dans les années à venir.

L'équilibre canadien repose sur une forte subsidiarité -- notre fédération est, avec la Suisse, la plus décentralisée au monde -- et une forte solidarité : le Canada est une fédération très généreuse. On ne retrouve dans aucun autre pays fédératif un mécanisme de péréquation aussi développé que le nôtre, encore moins un enchâssement constitutionnel qui reconnaît à tous les citoyens du pays, où qu'ils soient, le droit à des services comparables. Voilà pourquoi l'amélioration de notre fédération, toujours dans la perspective du service public, passe notamment par cet équilibre entre la solidarité et la subsidiarité.

Les gouvernements doivent toujours rechercher le juste équilibre entre ces principes d'égalité et de diversité, de solidarité et de subsidiarité, et s'ajuster en conséquence si nous voulons être efficaces et offrir les meilleurs services publics possibles aux citoyens.

La valeur du service public

Il est trop facile de perdre de vue cette perspective de la valeur du service public, et de regarder les relations fédérales-provinciales comme un jeu à somme nulle. La concentration ou la dévolution du pouvoir gouvernemental est souvent perçue non pas du point de vue des usagers des services, c'est-à-dire les citoyens, mais plutôt sous l'angle d'un « gain » ou d'une « perte » pour l'un ou l'autre ordre de gouvernement. Quantité d'articles réduisent leur analyse de la répartition des responsabilités fédérales et provinciales à la formule « qui reçoit quoi », sans jamais consacrer, ne serait-ce qu'un paragraphe, une phrase, une ligne, à la dimension du service au public. Et pourtant, ce sont la santé, la sécurité et le bien-être des citoyens qui sont les vrais enjeux. Considérer la marche de notre fédération comme une lutte de pouvoir, c'est faire fi de la valeur des services au public et des attentes des Canadiens face à leurs institutions communes.

Au Québec, par exemple, trop de penseurs et de politiciens prennent fait et cause pour le gouvernement du Québec en associant inconsidérément le gonflement de ses pouvoirs aux intérêts des Québécois. L'adhésion aux prétendues « demandes traditionnelles du Québec » monopolise à un tel point leur esprit quand il s'agit de la répartition des rôles entre Ottawa et Québec qu'ils perdent totalement de vue la valeur du service public. Ces fameuses « demandes traditionnelles » sont devenues la référence obligée, l'impératif, le réflexe conditionné qui tiennent lieu de raisonnement. Ceux qui osent y déroger en suggérant un rôle moins restreint pour Ottawa sont trop souvent accusés d'avoir une attitude paternaliste, arrogante et méprisante envers les Québécois.

J'ai toujours déploré cette façon de penser. La vérité, à mon sens, c'est que le gouvernement fédéral est aussi le gouvernement des Québécois, et les Québécois y apportent leur culture, leurs talents, leur unicité. Et c'est en exerçant les responsabilités qui lui reviennent en toute légitimité que leur gouvernement fédéral est en mesure de servir adéquatement les Québécois et les autres Canadiens.

Dans les autres provinces aussi on observe un penchant provincialiste; on y retrouve également, à l'inverse, une forme déraisonnée de nationalisme canadien qui n'est qu'un réflexe conditionné en faveur du gouvernement fédéral. On associe les intérêts du Canada au gonflement des responsabilités du gouvernement fédéral, en lui demandant d'être actif dans tous les domaines sous prétexte que, sans cette omniprésence fédérale, l'identité canadienne serait menacée et le pays risquerait de se désagréger.

Je crois au contraire que le fait que nous soyons une fédération, que les gens de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique, du Québec ou des autres régions du pays puissent être Canadiens chacun à leur façon est une des grandes forces du Canada. En laissant chaque province inventer des solutions propres à ses besoins, mais souvent adaptables à l'échelle du pays, le Canada en ressort plus fort et les Canadiens mieux servis. Nous savons tous comment la Saskatchewan a inspiré tout le Canada en lançant l'assurance-santé.

Loin de moi l'idée de créer dix républiques égoïstes; il ne faut pas confondre un Canada fort avec un gouvernement fédéral omniprésent. Il s'agit plutôt d'atteindre ce double équilibre entre l'égalité et la diversité, entre la solidarité et la subsidiarité, en gardant toujours à l'esprit la qualité du service public. Et s'il y a un pays qui a besoin de cet équilibre et de cette dynamique fédérative, c'est bien le Canada, en raison de son territoire gigantesque et de sa société si diversifiée.

2. L'ÉTAT DE NOTRE FÉDÉRATION

Selon les principes que je viens d'énoncer, pouvons-nous dire que notre fédération fonctionne bien du point de vue du service public? Si on s'arrête à mesurer le chemin parcouru depuis la Confédération, il y a 129 ans, on s'aperçoit que le Canada est devenu une des plus belles réalisations humaines de notre siècle. Vous connaissez comme moi les indicateurs de l'ONU et de la Banque mondiale qui en disent long sur notre richesse collective et qui placent notre pays en tête du palmarès de 174 pays dans différentes dimensions de l'activité socio-économique : nous sommes au premier rang pour la qualité de vie, au cinquième rang des pays industrialisés pour le revenu par habitant, au huitième rang pour l'espérance de vie; notre taux d'inflation est le deuxième plus bas des pays du G-7 depuis trois ans; le Forum économique mondial nous classe huitième parmi les 48 pays les plus compétitifs.

À quoi devons-nous ces résultats qui nous valent un classement honorable au tableau d'honneur de la communauté internationale? Nous ne les devons pas seulement à nos ressources, à notre climat de paix et de stabilité, à notre proximité des plus gros marchés du monde, à nos traditions de démocratie et de respect de la primauté du droit. Nous les devons à la synergie de nos institutions, à notre solidarité sociale, à notre union économique, à notre cohabitation harmonieuse des cultures au sein d'une citoyenneté commune. C'est ça la fédération canadienne, c'est ça le Canada.

Bien sûr, nous ne prétendons pas être champions dans tous les domaines. Nos taux de chômage sont encore trop élevés, nous avons trop de pauvreté. Nous n'avons pas de quoi être fiers, nous qui habitons l'un des pays les plus riches, de nous voir classés au rang des pires pays de l'OCDE en termes de pauvreté chez les enfants. Nous avons encore du travail à faire pour relever les défis qui secouent les sociétés et les économies de tous les pays, et aussi pour récupérer les exclus de la croissance économique en les aidant à participer activement à notre marche collective vers la prospérité. Mais, en situant les choses en perspective, on peut difficilement nier que le Canada se compare favorablement aux autres pays riches et qu'il répond toujours aux aspirations et aux ambitions de millions de gens du Québec, des autres régions du Canada, et même de l'étranger.

Ce qui démontre la force de notre fédération, c'est notre capacité de relever les défis. Rappelez-vous ce que l'on disait du Canada en 1992, notamment lors du référendum sur l'accord de Charlottetown : on disait que notre pays était au bord de la faillite, que les finances du pays croulaient sous le poids de la dette et de la lourdeur de l'appareil gouvernemental, que nous étions tributaires des sautes d'humeur des marchés étrangers, et ainsi de suite. Mais les institutions canadiennes ont prouvé qu'elles étaient capables de surmonter ces difficultés et de redresser les finances publiques.

Regardons ce que nous avons réussi à faire depuis les trois dernières années, pas seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les provinces et les Canadiens, qui ont fait preuve de lucidité, de discipline et de courage.

Le déficit, qui s'élevait à 42 milliards de dollars, ou 6 pour cent du produit intérieur brut (PIB) passera à 24,3 milliards de dollars ou 3 pour cent du PIB en 1996-1997; nous allons donc atteindre l'objectif que nous nous étions fixé. Et nous sommes confiants que, pour l'année 1997-1998, le déficit sera de 17 milliards de dollars ou de 2 pour cent du PIB. Le ministre des Finances, Paul Martin, a annoncé que le déficit visé pour 1998-1999 serait vraisemblablement de 9 milliards de dollars, soit 1 pour cent du PIB. Cela voudra dire qu'en cinq ans, nous aurons réduit notre déficit de près de 80 pour cent. L'an prochain, le Canada aura le déficit le moins important de l'OCDE. Et nous avons réalisé cela principalement en réduisant nos dépenses, non pas en augmentant les impôts et les taxes.

L'année précédant l'entrée en fonction de notre gouvernement, le Canada affichait, en ce qui a trait aux besoins d'emprunt, les pires résultats de tous les pays du G-7, à l'exception de l'Italie. En 1997, toujours d'après le même critère, le Canada obtiendra le meilleur résultat au sein du G-7. Dans ses Perspectives de l'économie mondiale, publiées récemment, le FMI prévoit que le Canada affichera, en 1997, la plus grande croissance des pays du G-7.

Le ménage des finances publiques a été opéré par le gouvernement fédéral et par la majorité des provinces, de quelque couleur politique que soit leur gouvernement. Sept des dix provinces ont rétabli l'équilibre budgétaire ou font des surplus, alors qu'elles étaient toutes en déficit il y a quelques années.

Les mesures d'assainissement des finances publiques que nous avons prises ont favorisé les quelque vingt baisses successives de taux d'intérêt au cours des 18 derniers mois, ce qui a donné un sérieux coup de pouce aux provinces dans leurs objectifs de réduction du déficit.

Depuis quelques mois, le gouvernement du Québec, à l'instar des autres provinces, a entrepris un plan courageux de redressement de ses finances publiques. On peut envisager l'avenir avec optimisme grâce aux ressources de l'économie québécoise, à la culture propre aux Québécois, à la collaboration des gouvernements et à la solidarité de tous les Canadiens. Le gouvernement du Québec réussira malgré les coûts de l'incertitude politique liée à son projet insensé de sécession. Et nous avons tous, tant le secteur privé que les administrations publiques, un rôle à jouer pour que Montréal, qui connaît actuellement un taux élevé de chômage et de pauvreté, redevienne la locomotive de l'économie du Québec et un des principaux moteurs de l'économie canadienne.

Notre responsabilité, comme dirigeants politiques, nous oblige à mettre de côté tout ce qui est profondément diviseur, à chasser l'incertitude et à ramener la confiance et l'espoir. Les gouvernements doivent mettre de côté les considérations partisanes et agir dans le meilleur intérêt des citoyens. Malgré nos désaccords, nous avons prouvé que nous pouvions travailler avec le gouvernement du Québec dans un esprit de collaboration et nous allons continuer dans ce sens. Nous n'avons pas le droit d'échouer, et j'ai pleinement confiance que nous réussirons.

La grande priorité des entreprises et des gouvernements doit être d'améliorer et de multiplier les perspectives d'emplois et de prospérité pour les Canadiens, qu'ils soient de Montréal ou d'ailleurs. Et cela, nous ne pouvons le faire qu'en asseyant notre économie sur des bases stables et durables, non seulement pour conserver la confiance des investisseurs, mais aussi pour positionner avantageusement nos entreprises dans l'économie mondiale.

Depuis 1993, les entreprises canadiennes ont créé près de 675 000 emplois, ce qui place le Canada au premier rang en terme de création d'emplois. Notre pays a créé plus d'emplois que l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne confondues.

Mais nous pouvons et nous devons faire mieux. Nous savons, par exemple, que 37 pour cent de notre produit national brut est relié au commerce international, alors que seulement 10 pour cent du million de petites entreprises canadiennes transigent avec l'étranger. Nous savons aussi que chaque milliard de dollars d'exportation permet de maintenir ou de créer 11 000 emplois. Alors nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour aider les entreprises, en particulier les PME, à se lancer dans l'exportation.

Les missions commerciales d'Équipe Canada constituent un des outils qui permettent aux entreprises de percer de nouveaux marchés, mais ce n'est pas le seul. Nous avons mis en place, ici au Canada et dans nos missions commerciales à l'étranger, différents mécanismes d'appui aux entreprises, petites, moyennes ou grandes, pour leur faciliter l'accès aux marchés internationaux. Aujourd'hui, nos exportations sont en pleine expansion; elles ont augmenté de 75 pour cent depuis cinq ans, et pour la première fois depuis 12 ans, le Canada connaît un surplus dans la balance courante.

Il est important de noter que nous avons réussi tout cela sans changer une ligne à la Constitution. Mais en dépit de ces résultats encourageants, il y a encore des vieux mythes qui circulent à l'effet que les gouvernements fédéral et provinciaux dédoublent leurs activités dans une foule de domaines, car plusieurs études ont montré qu'Ottawa et les provinces interviennent dans plusieurs domaines communs.

Par exemple, une légende veut qu'il y aurait à Santé Canada 8 000 fonctionnaires qui n'auraient rien d'autre à faire que de surveiller les provinces et dédoubler leurs activités. La vérité est que pour l'année financière 1996-1997, Santé Canada ne compte que 6 400 employés. Combien d'entre eux sont chargés d'administrer la Loi canadienne sur la santé? 23 seulement. Les autres fonctionnaires de Santé Canada se consacrent à des responsabilités qui relèvent en toute logique de la compétence fédérale, tels les services de santé destinés aux Autochtones, la réglementation des médicaments et la prévention des épidémies. Je vois mal comment on pourrait exiger des compagnies pharmaceutiques qu'elles soumettent les résultats de leurs essais cliniques à l'approbation de 10 gouvernements, cela n'aurait aucun sens.

On a fait beaucoup de cas également des dédoublements au niveau des mesures d'aide à l'emploi. L'opposition officielle et le gouvernement du Québec parlent souvent de fouillis en parlant de la centaine de mesures fédérales et provinciales qui sont actuellement mises en oeuvre au Québec. Or, on apprenait, dans le magazine français L'Express, qu'il y a présentement en France quelque 2 300 mesures différentes d'aide à l'emploi. Cette pléthore de programmes tiendrait au fait que les villes, les départements, les régions et le gouvernement central mettent en place leurs propres mesures en tenant plus ou moins compte de ce que les autres font déjà.

Quoi qu'il en soit, nous négocions actuellement le transfert des mesures actives d'emploi aux provinces qui le désirent afin de s'assurer qu'un seul niveau de gouvernement se charge de la prestation de l'ensemble des mesures actives d'emploi financées par le Compte d'assurance-emploi.

3. COMMENT AMÉLIORER ET RENFORCER NOTRE FÉDÉRATION

Ce qui m'amène à la troisième partie de mon exposé. J'ai parlé de la nature et des réalisations de notre fédération. Voyons maintenant comment nous pouvons l'améliorer en nous appuyant sur ses forces pour qu'elle serve encore mieux les Canadiens.

Si on regarde le discours du Trône de février dernier, le gouvernement fédéral y énonçait clairement les voies qu'il entendait suivre pour concrétiser son engagement à rendre la fédération efficace pour le bénéfice de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens.

Pour illustrer la façon dont le gouvernement fédéral envisage le changement, je m'en tiendrai à quelques dossiers-clés : la main-d'oeuvre, la santé, les forêts, et les pêches.

Le développement de la main-d'oeuvre

Je commence par la formation de la main-d'oeuvre puisque je viens d'y faire allusion en parlant des mesures d'aide à l'emploi. C'est un secteur important parce que les pays comme le Canada ne maintiendront leur avantage concurrentiel que s'ils peuvent compter sur une main-d'oeuvre hautement qualifiée.

Historiquement, le gouvernement fédéral s'est impliqué dans ce secteur pour des raisons bien légitimes. Étant responsable, au plan constitutionnel, de l'assurance-chômage, il a mis en place des programmes destinés à aider les travailleurs à sortir du cycle du chômage. Certains de ces programmes, cependant, étaient semblables aux programmes de formation sectorielle offerts par les provinces en vertu de leur responsabilité à l'égard de l'éducation.

Non seulement nous éliminons les conflits liés aux chevauchements, mais nous nous appuyons sur nos forces en donnant aux provinces des responsabilités claires, mais sans briser la solidarité canadienne. Nous voulons avoir de bons programmes de formation professionnelle partout au pays, qui soient complémentaires. Il faut une prise en charge par les provinces qui ne limite pas la circulation des travailleurs, limitation qui nuirait considérablement à notre union socio-économique et à notre capacité d'agir collectivement.

Ce que mon collègue Pierre Pettigrew, ministre du Développement des ressources humaines, est en train de négocier avec les provinces, c'est un cadre général qui leur donne la responsabilité des mesures actives d'emploi et de la formation professionnelle; le gouvernement fédéral n'agira que lorsque les responsabilités seront clairement de portée pancanadienne ou multilatérales. Le cadre de négociation est souple et permet aux provinces qui le souhaitent d'utiliser un maximum d'autonomie. Les autres qui opteront pour le maintien du rôle fédéral dans les mesures actives pourront compter sur son appui. Ici encore, égalité ne veut pas dire uniformité.

La santé

Examinons maintenant la santé, les services sociaux et les normes nationales, qui ont été les principaux sujets de discussion lors de la Conférence annuelle des premiers ministres provinciaux en août dernier à Jasper.

Commençons par nous défaire de certains mythes et exagérations. Je ne crois pas que la Loi canadienne sur la santé soit l'âme du Canada. Notre fédération existe depuis 1867 alors que cette loi, telle qu'on la connaît, n'a été adoptée après tout qu'en 1984.

Je crois, cependant, que le système de santé que les Canadiens se sont donné contribue à leur procurer un bien-être et une espérance de vie qui ont peu leur pareil ailleurs au monde. Les Canadiens peuvent aussi être fiers de s'être donné un filet de sécurité sociale comparable à ce qu'on retrouve en Europe, alors qu'ils sont en Amérique du Nord, là où notre gigantesque voisin du Sud a une toute autre perspective sociale.

Le système canadien de santé et de protection sociale repose sur une forte subsidiarité : les provinces gèrent et donnent les soins et les services. Il repose aussi sur une forte solidarité de tous les Canadiens. Le gouvernement fédéral contribue à cette solidarité en transférant des fonds aux provinces à la condition qu'elles respectent certains principes moraux qui font consensus au Canada.

Ces principes ne forment pas un carcan rigide, et on n'en compte que cinq : l'universalité, l'accessibilité, l'intégralité, la transférabilité et la gestion publique en matière de santé et de non-assignation de résidence en matière d'aide sociale.

Ces cinq principes correspondent à une exigence sociale : sans les transferts fédéraux conditionnels à l'observance de ces principes, on pourrait craindre l'américanisation rampante de notre système de santé et la mise en cause du droit constitutionnel des Canadiens de recevoir des services comparables partout au pays.

Mais ces principes renvoient aussi à une rationalité économique. Un système de santé privé à l'américaine impose aux entreprises des coûts énormes qui nuisent à leur compétitivité. Chez nos voisins du Sud, les compagnies automobiles dépensent plus en assurance-maladie que pour acheter de l'acier. Ce n'est pas un hasard si le Canada, qui représente 6,8 pour cent du marché nord-américain de l'automobile, génère 15,8 pour cent de la production automobile.

S'il y avait au Canada dix systèmes de santé très inégaux, une protection sociale morcelée et cloisonnée, cela nuirait à la libre circulation des travailleurs. Ce qui revient à dire que l'union sociale et l'union économique se confortent l'une l'autre.

Il est à noter que l'intervention du gouvernement fédéral en matière de santé est tout à fait constitutionnelle. Le partage des responsabilités dans la Constitution porte sur le pouvoir de légiférer et non sur le pouvoir de dépenser. Le pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence des entités constituantes existe dans toutes les fédérations. On le considère comme nécessaire pour permettre une souplesse d'action. Il n'y a qu'une seule fédération où le pouvoir de dépenser est assujetti au consentement de la majorité des entités constituantes et c'est la nôtre, depuis l'engagement pris en ce sens dans le discours du Trône de février dernier. Le gouvernement du Canada a ainsi posé un geste important en vue de rendre plus harmonieuses et consensuelles les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces.

La Constitution confère au gouvernement fédéral la responsabilité des soins de santé de plusieurs populations, principalement des Indiens inscrits et des Inuit. On voit tout de suite, en examinant les principales composantes des soins de santé, que les responsabilités du gouvernement fédéral sont pertinentes. C'est le cas de la réglementation des médicaments, de la recherche, de l'admissibilité médicale des immigrants.

Nous réalisons que le secteur de la santé est devenu une source de confrontation fédérale-provinciale. Comme le gouvernement fédéral a dû, pour des raisons budgétaires, réduire sa contribution au programme de santé, il est compréhensible que les provinces sentent le besoin d'avoir une plus grande flexibilité dans la conception et la mise en oeuvre de notre système national de santé. Le gouvernement fédéral a utilisé, quoique rarement et à contrecoeur, la voie des pénalités financières dans le cas des provinces qui violent les cinq principes fondamentaux. Mais nous reconnaissons qu'un plus grand consensus est souhaité dans la façon dont les principes de la Loi canadienne sur la santé sont appliqués.

Les forêts

Le gouvernement du Canada s'est engagé à se retirer de ce qu'on a appelé les « cinq soeurs » : l'exploitation des forêts et des mines, le tourisme, le logement social et les loisirs. Une des critiques qui nous ont été adressées c'est que ce n'était pas des secteurs importants, que c'était des secteurs mineurs. Vous croyez vraiment que les forêts et les mines, par exemple, ce n'est pas quelque chose d'important pour l'économie canadienne et pour le bien-être des Canadiens?

Pourtant, si on prend le cas des forêts, les forêts canadiennes alimentent une industrie qui représente 44 milliards de dollars par année, soit 25 pour cent de tous les investissements manufacturiers et plus de 750 000 emplois directs et indirects. Les produits forestiers représentent la plus grande partie de la balance commerciale nette du Canada. Pour la province de la Colombie-Britannique, par exemple, la foresterie représente 62 pour cent de l'industrie manufacturière et 60 pour cent de ses exportations totales.

Les forêts sont de juridiction provinciale en vertu de la Constitution. Et c'est une bonne chose qu'il en soit ainsi parce que les provinces sont plus près des ressources, elles sont donc mieux placées pour exercer cette responsabilité.

Au plan de la recherche et du développement, le gouvernement fédéral met à la disposition des citoyens et des compagnies de toutes les provinces une banque de données unique et une expertise reconnue internationalement, ce qui leur permet de réaliser des économies d'échelle appréciables, tout en évitant des chevauchements et des dédoublements. Ce sont des responsabilités que personne de bien informé ne lui conteste, bien au contraire; c'est dans ces domaines qu'un effort national coordonné s'impose.

Je peux vous donner un exemple du type de recherche que le gouvernement fédéral mène dans le domaine forestier. Lors de ma visite dans un centre de foresterie à Québec, un chercheur m'a expliqué le problème de la tordeuse d'épinette, qui détruit nos forêts, du Manitoba au Nouveau-Brunswick. Cette maladie ne reconnaît pas les frontières interprovinciales et connaît encore moins la Constitution! J'ai demandé au chercheur combien il y avait, au Canada, d'experts de la tordeuse d'épinette qui travaillaient à la question. Il m'a répondu : « Pas plus d'une vingtaine de chercheurs pour tout le Canada ».

Ces chercheurs de pointe ont besoin de se parler, de travailler ensemble, de se concerter sans passer par des structures administratives qui feraient des blocages. Il est très souhaitable que cette masse critique reste ensemble au sein d'un même réseau. Donc, le gouvernement fédéral a un rôle que tout le monde peut apprécier à sa juste valeur.

Les pêches

La Constitution donne au gouvernement fédéral la juridiction sur « les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur ». C'est la même chose dans la plupart des fédérations.

Mais en pratique, le gouvernement du Canada a délégué aux provinces la meilleure partie de la gestion des pêches intérieures, là où il n'y a pas de facteurs de complication comme les espèces migratoires ou des négociations internationales en cours. Et même les provinces côtières sont impliquées dans la gestion des pêches : elles jouent un rôle important en ce qui concerne les habitats, de par leur réglementation en matière de développement urbain et de pratiques forestières. Elles participent également, à titre de conseillères, aux nombreuses commissions consultatives en matière de quotas et de pêche internationale. Il est parfaitement logique que les provinces jouent un rôle aussi actif compte tenu de l'importance des pêches et de l'industrie de transformation pour les économies locales. Cependant, nous avons besoin de clarifier les rôles aujourd'hui, à cause des changements profonds qui découlent de la modernisation des pêches, notamment de l'augmentation de la capacité de pêche, des problèmes environnementaux et des relations internationales de plus en plus complexes.

C'est pourquoi nous nous sommes mis d'accord avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour procéder à une révision bilatérale complète des responsabilités et des rôles fédéraux et provinciaux dans la gestion de la pêche au saumon du Pacifique, une ressource qui est cruciale pour cette province.

CONCLUSION

Je vous ai exposé comment le gouvernement du Canada envisage le changement de notre fédération en vue d'améliorer le service aux citoyens et de leur donner le goût d'affronter ensemble, et au sein d'un Canada uni, les formidables défis du XXIe siècle.

L'avenir du Canada repose sur un diagnostic objectif de la réalité; il repose aussi sur des décisions éclairées visant à améliorer cette réalité. C'est ainsi que nous pourrons faire en sorte que notre pays continue à être l'un des plus admirés dans le monde quant aux perspectives d'avenir qu'il offre à ses citoyens.

Nous sommes ouverts à vos suggestions et à vos conseils, vous les administrateurs publics et privés, dans la mesure où ils vont dans le sens de l'amélioration du service public. Le Premier ministre du Canada est à l'écoute de vos idées, dans la mesure où elles correspondent à cette logique. La seule façon de convaincre monsieur Chrétien de la pertinence de vos suggestions, c'est de lui démontrer qu'elles vont servir les Canadiennes et les Canadiens. C'est ce qui lui tient le plus à coeur et c'est ce qui fait de lui un grand chef de gouvernement.


L'allocution prononcée fait foi.



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