«L'ÉVOLUTION CONTRASTÉE DE NOS DEUX FÉDÉRATIONS»

NOTES POUR UNE ALLOCUTION DEVANT
LE CANADIAN-AMERICAN CENTER,
UNIVERSITÉ DU MAINE

ORONO, MAINE

LE 19 MARS 1999

 

L’histoire de deux fédérations

La plus longue frontière non protégée du monde, une histoire aux multiples points de rencontre - à preuve, près de 20 % de la population du Maine est de descendance française - et, ne l’oublions pas, la pratique du fédéralisme, témoignent du fait que nos deux pays partagent une foule de choses. Et l’on aura beau parler du Nouveau Monde, le Canada et les États-Unis sont en fait, avec la Suisse, les plus anciennes fédérations démocratiques.

Examinons nos deux fédérations avec le recul du temps. Ce qui frappe d’emblée, et qui mérite explication, c’est leur évolution diamétralement opposée. Doté d’une constitution centralisatrice, le Canada a, au fil des ans, évolué vers un fédéralisme décentralisé, alors qu’au contraire, votre pays s’est davantage centralisé alors même que votre texte constitutionnel pointait vers une grande décentralisation.

Après avoir retracé cette évolution contrastée, je vais en examiner les causes, pour ensuite m’attarder à l’une de ses expressions contemporaines : le pouvoir fédéral de dépenser.

C’est ma conviction que de telles comparaisons entre nos deux fédérations avec leurs différences et leurs similitudes nous seront mutuellement bénéfiques. C’est un exercice auquel nous devrions nous livrer plus souvent et je remercie le Canadian-American Center de m’en donner l’occasion. C’est pourquoi d’ailleurs le gouvernement du Canada a pris l’initiative de créer un forum des fédérations où les praticiens de ce système d’organisation gouvernementale, venus de partout au monde, auront l’occasion d’échanger au sujet de leurs expériences respectives. Une conférence internationale portant sur le fédéralisme à l’ère de la mondialisation se déroulera à Mont-Tremblant, Québec, du 6 au 8 octobre 1999. La conférence y réunira des élus, des fonctionnaires, des universitaires et des représentants du secteur privé d’un grand nombre de fédérations. Elle aura pour thème les défis que pose la gouvernance au sein des fédérations.

J’ai une autre conviction : une meilleure connaissance des autres fédérations va renforcer l’unité de mon pays. Non pas parce que la fédération canadienne serait parfaite, ou à ce point meilleure que les autres, mais bien parce que les affirmations en faveur du séparatisme dans mon pays n’apparaissent jamais aussi fausses que lorsqu’on les confronte à ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Il n’est pas vrai que la fédération canadienne est un carcan mal adapté au monde d’aujourd’hui. Le fédéralisme a bien servi le Canada; il sert bien ma société, le Québec, comme il a bien servi les États-Unis. En fait, nos deux pays seraient inconcevables s’ils n’étaient des fédérations.

Une évolution contrastée

La Constitution canadienne est le fruit d’un compromis entre ceux qui prônaient une union législative, c’est-à-dire un État unitaire avec un seul Parlement et un seul gouvernement, et ceux qui réclamaient plutôt une union fédérative. Le compromis auquel ont abouti les Pères de la Confédération a consisté à adopter un système fédéral centralisé, à l’intérieur duquel les compétences considérées à l’époque les plus importantes, surtout en matière économique, ainsi que les pouvoirs résiduels, ont été attribués au Parlement fédéral. De plus, la Loi constitutionnelle de 1867 contient des éléments unitaires nettement dérogatoires aux principes classiques du fédéralisme. Il en est ainsi du pouvoir de «désaveu» qui permet au gouvernement fédéral de faire annuler par le gouverneur général toute loi provinciale qui lui paraîtrait contraire à l’intérêt national, même si cette dernière est tout à fait conforme au partage des compétences législatives établi par la Constitution. De plus, le Parlement fédéral se voit reconnaître un pouvoir «déclaratoire» qui lui permet d’augmenter unilatéralement ses champs de compétence au détriment des provinces.

En fait, les éléments «unitaires» contenus dans la Constitution de 1867 sont si importants que le grand spécialiste du fédéralisme, le professeur K.C. Wheare, écrivait dans son ouvrage classique sur les gouvernements fédéraux que le régime originalement mis en place constituait un système «quasi fédéral» plutôt qu’une fédération véritable. Il semble que le choix d’un modèle constitutionnel aussi centralisé s’explique notamment par le désir de ne pas répéter les «erreurs» des rédacteurs de la Constitution américaine. Les Pères de la Confédération estimaient en effet que le caractère trop décentralisé du fédéralisme américain, où les pouvoirs résiduels appartiennent aux États de l’Union, constituait l’une des principales causes de la guerre civile américaine.

Cependant, si la Constitution de 1867 ne respecte pas l’orthodoxie fédérale en tous points, elle a évolué dans son application vers un véritable fédéralisme. Même le leader séparatiste historique Jacques Parizeau admettait récemment que «le fédéralisme canadien est à peu près le plus décentralisé du monde, avec la Suisse». Il ajoutait à cette même occasion que le Canada «est une fédération extraordinairement décentralisée.» (le 28 février 1999) Ce rajustement ne résulte pourtant pas de modifications formelles du texte constitutionnel, la répartition des compétences législatives n’ayant fait l’objet que de quatre changements depuis 1867. L’évolution s’explique par la désuétude progressive des mécanismes unitaires, par l’interprétation décentralisatrice donnée à la Constitution par les tribunaux, et par la signature d’une multitude d’ententes intergouvernementales ayant pour objet d’harmoniser les responsabilités des deux ordres de gouvernement.

La Constitution américaine de 1787 était nettement plus décentralisée que la loi constitutionnelle canadienne de 1867. En plus de se voir confier toutes les responsabilités non explicitement réservées au gouvernement fédéral, les États étaient également habilités à légiférer sur les banques, le mariage et le divorce, le droit criminel et les pénitenciers, des compétences exclusivement fédérales au Canada. Pourtant, l’évolution qu’a connue la fédération américaine s’est faite dans un sens diamétralement opposé à celle qui a marqué le Canada, à la faveur notamment d’une interprétation judiciaire très favorable au pouvoir central. Aujourd’hui, il n’est pas exagéré de soutenir que les provinces canadiennes jouissent d’une autonomie nettement plus grande que les États américains. Pour n’en donner qu’un exemple, le pouvoir fédéral de légiférer sur le commerce, pourtant défini de façon très restrictive dans la constitution américaine, a effectivement été interprété par les tribunaux comme permettant au Congrès de réglementer tous les aspects des échanges et du commerce à l’intérieur même d’un État dès lors que les biens produits sont susceptibles d’être acheminés dans d’autres États. Au Canada, la Loi constitutionnelle de 1867 octroie au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer sur le commerce sans aucune restriction; or, les plus hauts tribunaux ont jugé que le commerce intra-provincial, sous toutes ses formes et à toutes les étapes, relève de la compétence exclusive des provinces.

Ce qui est vrai au niveau législatif se vérifie également en matière fiscale. Pour ne citer que quelques chiffres, les dépenses fédérales après les transferts intergouvernementaux représentaient 61,2 % du total des dépenses gouvernementales aux États-Unis en 1996 alors qu’elles s’élevaient à 37,8 % au Canada. Par ailleurs, la part des transferts fédéraux dans les recettes totales des États américains a augmenté, passant de 20,5 % en 1986 à 29,6 % en 1994, alors qu’elle diminuait au Canada, passant de 23,3 % des recettes des provinces en 1986-1987 à 14,7 % en 1997-1998.

En outre, selon un spécialiste du fédéralisme comparé, le professeur Ronald Watts de l’Université Queen’s en Ontario, tous les transferts fédéraux aux États et aux administrations locales aux États-Unis prenaient la forme de subventions conditionnelles en 1996. Au Canada, par contre, les subventions assorties de conditions ne représentaient que 4,3 % des transferts fédéraux en 1996. De fait, plus de la moitié des transferts aux provinces canadiennes sont allouées dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS); or, ces transferts ne sont pas conditionnels dans la mesure où ils sont exempts de conditions sous certains aspects ou assortis de conditions très générales.

Les causes de cette évolution contrastée

Comment expliquer ces différences? Pourquoi la dynamique a-t-elle été si différente dans nos deux fédérations? On peut donner au moins cinq raisons, qui tiennent 1) à la nature même du partage des compétences, 2) à la démographie, 3) au rapport entre les pouvoirs législatif et exécutif, 4) à la taille des États membres, et enfin 5) à l’importance de la politique étrangère. Examinons-les brièvement.

Premièrement, alors que le partage des pouvoirs aux États-Unis définissait dès le départ plusieurs fonctions partagées, au Canada on insistait sur la démarcation entre les responsabilités exclusives de chaque ordre de gouvernement. Aux États-Unis, les pouvoirs fédéraux et les pouvoirs concurrents sont définis expressément, mais la Constitution laisse de vastes pouvoirs résiduels aux États sans les définir. Les tribunaux ont eu tendance à interpréter ce qui est «implicite» dans les pouvoirs fédéraux de manière aussi large que possible, ce qui, avec le temps, a contribué à une centralisation accrue. Au Canada, où les pouvoirs provinciaux et fédéraux sont définis explicitement dans la Constitution, les tribunaux interprètent plutôt étroitement certains pouvoirs fédéraux depuis la fin du XIXe siècle, de manière à élargir la sphère de compétence provinciale. Plus tard, l’accent sur les compétences provinciales dans les domaines «de la propriété et des droits civils» a transformé ce pouvoir en une disposition résiduelle provinciale.

Deuxièmement, la situation de nos principaux groupes minoritaires n’est pas la même. Dans votre pays, les minorités sont dispersées et aucun groupe n’est suffisamment concentré dans un État donné pour y former la majorité. D’où le fait que vos minorités tendent à se tourner vers le gouvernement fédéral pour qu’il défende leurs intérêts. Au Canada, la plus importante minorité à l’échelle du pays est surtout concentrée dans une province. En effet, les francophones constituent 24 % de la population de l’ensemble du Canada, mais 81,5 % de la population du Québec. Les Québécois francophones ont une relation spéciale avec leur gouvernement provincial puisque c’est le seul gouvernement au sein duquel la majorité des représentants élus sont francophones. Bien que le gouvernement du Québec puisse parfois se rallier à la mise en commun de certaines responsabilités, il se fait généralement le grand défenseur de l’autonomie provinciale. Cette situation n’a pas d’équivalent chez vous.

Troisièmement, les pouvoirs exécutif et législatif font l’objet d’une séparation étanche aux États-Unis, tant au niveau étatique que fédéral, tandis que ces pouvoirs s’interpénètrent dans le régime parlementaire canadien. Par conséquent, les relations entre le président et le Congrès ont largement contribué à façonner la politique américaine et ont pris le pas sur les rapports qui existent entre les États et le gouvernement fédéral. Au Canada, le système s’est défini par les relations fédérales-provinciales bien davantage que par les rapports qu’entretiennent les pouvoirs exécutif et législatif.

Quatrièmement, il y a 50 États américains mais seulement 10 provinces canadiennes. Chaque province a beaucoup plus d’influence qu’un État américain sur le gouvernement fédéral. À elles seules, l’Ontario et le Québec représentent 62 % de la population canadienne; pour en arriver à la même proportion de la population américaine, il faudrait réunir les 13 États les plus populeux de la fédération. Du fait qu’elles sont moins nombreuses que vos États, il est plus facile pour nos provinces de se concerter et de former de fortes coalitions dans leurs relations avec le gouvernement fédéral. Ainsi, nos provinces deviennent des interlocuteurs incontournables pour le gouvernement fédéral qui doit négocier en permanence lors de conférences fédérales-provinciales au niveau administratif et ministériel.

Enfin, le poids différent des États-Unis et du Canada sur la scène internationale s’est répercuté sur le rôle de leur gouvernement fédéral respectif sur la scène nationale. Le rang de superpuissance des États-Unis et les dépenses militaires qui en découlent ont décuplé l’importance du gouvernement central. Le gouvernement fédéral canadien n’a pas pu s’appuyer sur un tel levier.

Une expression de cette évolution contrastée : le débat sur le pouvoir fédéral de dépenser

Le Canada a beau être une fédération décentralisée, il existe un important débat chez nous sur l’opportunité de limiter encore davantage les pouvoirs du gouvernement fédéral face aux provinces.

Ce débat se déroule dans un contexte compliqué par la présence d’un gouvernement sécessionniste à la tête de la deuxième province en importance démographique, la province à majorité francophone, la mienne, le Québec. Selon une thèse, il faut procéder à un transfert massif de compétences du gouvernement fédéral aux provinces afin de calmer les appétits séparatistes au Québec. Selon une autre, il faut au contraire affirmer le rôle et la visibilité du gouvernement fédéral afin de rendre plus palpables et plus concrets aux Québécois les avantages de leur appartenance au Canada.

Le point de vue du gouvernement du Canada et du Premier ministre Jean Chrétien est que ces deux thèses contradictoires sont pareillement erronées. C’est uniquement du point de vue de la recherche de l’intérêt public, dans le respect de la Constitution, que doit être envisagée la question du partage des compétences. Une centralisation aussi bien qu’une décentralisation mal conçues du point de vue de l’intérêt du public affaibliraient la fédération canadienne. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un gouvernement fédéral fort dans ses champs de compétence, des gouvernements provinciaux forts dans les leurs et, avant tout, d’une forte collaboration entre ces deux ordres de gouvernements. Tous les changements que le gouvernement du Canada a effectués dans cette fédération depuis trois ans ont visé ce seul objectif, dans des domaines aussi variés que l’environnement, la déconfessionnalisation des commissions scolaires ou la formation de la main-d’oeuvre. Il en a été de même quant à la façon dont le gouvernement fédéral a rendu plus collégiale son utilisation du pouvoir fédéral de dépenser, sujet sur lequel je vais maintenant m’arrêter.

Le partage des compétences constitutionnelles entre les deux ordres de gouvernement porte sur le pouvoir de légiférer. En même temps, toutes les grandes fédérations accordent à leurs gouvernements fédéral et constituants le pouvoir de dépenser dans des domaines qui ne relèvent pas strictement de leurs compétences législatives. Ce pouvoir de dépenser est assimilé à la liberté des gouvernements d’engager des relations contractuelles avec des tiers. Il offre un mécanisme souple : comme il est difficile de répartir les champs de taxation de façon étanche et permanente, et que les responsabilités et les revenus évoluent à des rythmes différents, il n’y a pas toujours adéquation entre les responsabilités législatives et les recettes disponibles. Ceci donne lieu à des déséquilibres auxquels les transferts permettent de remédier.

Bien que ce pouvoir de dépenser ne soit pas formellement prévu dans les constitutions américaine et canadienne, alors qu’il l’est souvent dans les constitutions de fédérations plus récentes telles que l’Australie, l’Allemagne, l’Inde et la Malaisie, il est maintenant reconnu comme un instrument constitutionnel légitime et les tribunaux en ont validé l’utilisation. En ce qui concerne le Canada, le pouvoir fédéral de dépenser fut confirmé encore récemment par la Cour suprême en 1989, 1991 et 1997. Dans le premier de ces trois jugements, la Cour déclarait d’ailleurs : «Le pouvoir de dépenser du fédéral peut être exercé du moment que cela ne constitue pas essentiellement de la législation relative à un sujet de compétence provinciale.»

La façon dont est utilisé le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral varie d’une fédération à l’autre. Au Canada, ce pouvoir a été moins souvent exercé et assorti de moins de conditions que dans virtuellement n’importe quelle autre fédération. Pourtant, il fait depuis longtemps l’objet de controverse. Dans ma province notamment, la croyance que son exercice est contraire à la Constitution de 1867 s’étend bien au-delà des cercles séparatistes.

C’est ainsi que des initiatives fédérales qui, dans d’autres fédérations, seraient considérées comme tout à fait normales, sont dénoncées au Canada comme une violation de la Constitution et de l’esprit du fédéralisme. L’illustration la plus récente de ce phénomène est particulièrement saisissante. Il s’agit de la création par le gouvernement fédéral d’un nouveau programme de bourses pour étudiants de niveau postsecondaire. Figurez-vous que ce programme a été férocement dénoncé comme une ingérence du gouvernement fédéral dans l’éducation, champ de compétence provinciale. Pourtant, aider les étudiants à avoir accès à l’éducation, ce n’est pas se mêler d’éducation comme telle. Dans toutes les fédérations modernes, les gouvernements aident financièrement les étudiants. Dans votre pays, 75 % de l’aide financière publique aux étudiants provient du gouvernement fédéral et personne n’y trouve à redire.

Votre gouvernement fédéral utilise beaucoup plus son pouvoir fédéral de dépenser que le nôtre mais en suscitant beaucoup moins de controverse. Les décisions relatives à l’exercice du pouvoir fédéral de dépenser dans votre pays n’exigent pas de procédures spéciales; elles appartiennent au Congrès et au président. Le caractère très conditionnel des transferts fédéraux est justifié par le principe de la responsabilité envers le contribuable. Ce principe veut que ce soit le gouvernement qui a la tâche de percevoir les impôts, donc le gouvernement fédéral puisque c’est celui qui occupe presque exclusivement ce champ de taxation, qui doit fixer les conditions d’utilisation des fonds.

Le gouvernement fédéral canadien juge important de préserver un sain exercice de son pouvoir de dépenser. Comme dans toutes les fédérations développées du monde, ce pouvoir s’est avéré un facteur de développement social important au Canada. Il a permis d’établir, avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, des programmes sociaux nationaux auxquels tiennent les Canadiens, comme l’assurance-maladie. Il a joué un rôle essentiel dans la promotion de l’égalité des chances, contribuant à assurer aux Canadiens un accès à des programmes et services sociaux de base de qualité comparable, où qu’ils vivent ou se déplacent au pays.

Mais en même temps, le gouvernement du Canada veut inventer des façons plus efficaces de travailler avec les gouvernements des provinces, surtout maintenant que la plupart ont assaini leurs finances et se préparent à réinvestir dans la solidarité sociale canadienne.

Il nous fallait un modèle qui préserve à la fois la capacité des gouvernements de développer des objectifs communs tout en aidant chacun à expérimenter des solutions adaptées à son contexte propre.

Les gouvernements ont négocié pendant plus d’un an une nouvelle entente cadre sur l’union sociale, signée le 4 février dernier, par tous les gouvernements, sauf celui du Québec. Cette entente embrasse les différentes dimensions de la politique sociale canadienne, dont la mobilité, l’imputabilité et le règlement des différends entre gouvernements. L’un de ses volets essentiels est une utilisation plus collégiale du pouvoir fédéral de dépenser.

Désormais, le gouvernement fédéral ne peut plus lancer unilatéralement un programme pancanadien au moyen d’un transfert conditionnel aux gouvernements provinciaux en matière de soins de santé, d’éducation postsecondaire, de protection sociale et de services sociaux. Il lui faut maintenant travailler par objectifs dans ces secteurs. Même là, il ne peut plus fixer seul ces objectifs et priorités. Il doit rechercher le consentement des gouvernements provinciaux et territoriaux et ne peut aller de l’avant que s’il obtient au moins l’appui d’une majorité des provinces.

La responsabilité de concevoir les programmes et politiques pour atteindre les objectifs convenus incombera à chaque province et territoire. Les gouvernements s’entendront sur un cadre d’imputabilité adéquat pour ces nouvelles initiatives pancanadiennes.

Un gouvernement provincial ou territorial qui, en raison de sa programmation existante, n’aurait pas besoin d’utiliser l’ensemble du transfert pour atteindre les objectifs convenus pourra réinvestir les fonds non requis dans le même domaine prioritaire ou dans un domaine connexe. Par exemple, dans le cas d’une nouvelle initiative touchant les soins de santé, un gouvernement provincial ou territorial pourrait choisir d’investir dans le même secteur, c’est-à-dire la santé, ou dans un secteur connexe, par exemple l’aide au développement des enfants en bas âge.

Ainsi, chaque gouvernement provincial pourra déterminer le meilleur agencement de programmes pour atteindre les objectifs convenus. Les Canadiens sont mieux servis lorsqu’on leur offre des programmes adaptés à leurs besoins divers, plutôt que des programmes uniformes pour tous.

Ce nouveau modèle de transferts intergouvernementaux incitera les gouvernements à travailler ensemble, à se donner des objectifs communs, tout en renforçant leur capacité de participer de la manière qui leur convient. En somme, il favorisera la participation, récompensera l’innovation, évitera le double emploi et déclenchera donc une «course au sommet».

En plus des transferts intergouvernementaux, une autre façon d’utiliser le pouvoir fédéral de dépenser consiste à effectuer des transferts aux personnes et aux organisations. La nouvelle entente cadre sur l’union sociale prévoit que lorsque le gouvernement fédéral lance de nouvelles initiatives pancanadiennes financées par des transferts directs aux personnes et aux organisations pour les soins de santé, l’éducation postsecondaire, l’aide sociale et les services sociaux, il s’engage, avant de les mettre en oeuvre, à donner un préavis d’au moins trois mois et à consulter. Les gouvernements qui participent à ces consultations auront l’occasion de repérer les possibilités de dédoublement et de proposer d’autres approches favorisant une mise en oeuvre souple et efficace.

Ainsi, le gouvernement canadien, qui est déjà, de tous les gouvernements fédéraux, celui qui recourt le moins à son pouvoir de dépenser, s’est donné des règles de conduite pour l’utiliser en concertation avec les provinces. Ces exigences de concertation qui pèsent sur le gouvernement fédéral canadien sont sans équivalent dans les autres fédérations. Cette coopération dans l’exercice du pouvoir fédéral de dépenser aidera les gouvernements à mieux travailler ensemble au service des Canadiens.

Conclusion

Aujourd’hui, j’ai comparé nos deux fédérations sous l’angle du partage des pouvoirs. La centralisation et la décentralisation ne sont pas des vertus en soi. Chaque fédération doit trouver son juste équilibre entre, d’une part, la nécessité d’avoir des objectifs communs et, d’autre part, la possibilité d’expérimenter différentes solutions.

Si les États-Unis étaient un pays unitaire, cet «État-Uni» d’Amérique pourrait aisément se donner des objectifs communs, mais il ne les choisirait pas fort d’une riche diversité d’expériences. Si vos cinquante États constituaient autant de républiques indépendantes, leurs expériences seraient très diversifiées mais ils n’en tireraient jamais la même capacité d’agir en commun.

Voilà pourquoi nous avons des fédérations : pour bâtir l’action commune sur la diversité des expériences. La recherche du juste équilibre entre les objectifs communs et l’expérimentation plurielle est un défi permanent duquel les fédérations tirent une bonne part de leur dynamisme. Je peux vous assurer que la fédération canadienne continuera de partager avec vous, notre fédération voisine, les fruits de ce débat permanent. Il vaut bien des maux de tête aux politiciens et aux bureaucrates fédéraux et subnationaux de nos deux pays, mais en même temps, par un effet de synergie positive, il procure de meilleurs services à nos citoyens.

L'allocution prononcée fait foi.

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