« L’Inde, le Canada et l’universalité de la démocratie »

Notes pour une allocution
de l’honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

Centre d’études canadiennes
Campus sud de l’Université de Delhi

New Delhi (Inde)

le 23 avril 2002

L'allocution prononcée fait foi


          Ce discours que j’ai l’honneur de prononcer aujourd’hui dans le cadre de ces colloques Pearson coïncide plus ou moins avec trois événements importants pour les Canadiens : premièrement, la tournée du Premier ministre du Canada, il y a deux semaines, en Afrique; deuxièmement, la mission économique canadienne qui se déroule actuellement dans votre pays, sous la conduite du ministre canadien du Commerce international; troisièmement, le 20anniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés, que le Canada a fêté il y a à peine quelques jours, le 17 avril dernier.

          Une tournée en Afrique, une mission économique en Inde, l’anniversaire d’une charte des droits et libertés, on ne voit pas a priori le lien entre ces trois événements. Pourtant, c’est en les abordant un après l’autre que je vous communiquerai ce que je tiens tant à vous dire aujourd’hui.

          Je veux vous faire part d’une de mes convictions profondes au sujet de votre pays. Je crois que l’Inde est, pour l’humanité, une source d’espoir. L’Inde illustre la quête du triomphe de la démocratie et de l’État de droit. À tous ceux qui auraient pu croire que la démocratie n’est faite que pour les pays occidentaux, ou qu’elle est un luxe que seuls les pays les plus riches et développés peuvent se permettre, l’Inde, malgré toutes les difficultés, bien des embûches, bien des dérapages, offre le démenti le plus éloquent. Depuis plus d’un demi-siècle d’indépendance, vous prouvez au monde entier l’universalité de la démocratie.

1. Un Premier ministre canadien en Afrique

          Du 3 au 13 avril dernier, le Premier ministre Jean Chrétien a visité sept pays d’Afrique. En partie, cette tournée africaine est une préparation au sommet du G-8, qui aura lieu cette année au Canada, et où le Premier ministre, en tant qu’hôte, a fait inscrire l’Afrique comme l’un des grands thèmes à l’ordre du jour.

          Dans chacun de ces pays africains, notre Premier ministre a livré le même message. Il a exprimé sa foi en un Nouveau Partenariat entre l’Afrique et le Canada certainement, mais aussi, idéalement, entre l’Afrique et la communauté internationale. Ce Nouveau Partenariat prévoit que l’aide au développement sera liée au progrès démocratique. Dans la mesure où un gouvernement est issu d’élections libres et honnêtes, agit dans le cadre de la démocratie et de l’État de droit, respecte les droits et libertés de ses citoyens et adopte la bonne gouvernance dans la gestion publique, il aura accès à une aide privilégiée pour accélérer son développement.

          Ainsi, le 11 avril, à Addis Abeba, devant l’Organisation de l’unité africaine, le Premier ministre a déclaré : « (...), votre rôle sera de donner corps au Nouveau Partenariat. Les pays africains qui ont fait la preuve de leur volonté de le mettre en œuvre dans tous ses aspects – y compris la bonne gouvernance – pourront prétendre à un partenariat amélioré. Un partenariat qui promet de rehausser la qualité de vie en favorisant le bon gouvernement, la démocratie et une saine politique économique. »1

          Autrement dit, le Premier ministre est persuadé qu’il faut offrir aux pays africains la même incitation à la bonne gouvernance que celle que l’Europe offre aux pays d’Europe centrale et de l’Est. Ces pays savent qu’il leur sera impossible d’être acceptés dans l’Union européenne sans embrasser la démocratie et l’État de droit. En Afrique aussi, il faut un lien plus clair entre l’aide économique et le progrès démocratique.

          Deux arguments seront certainement opposés à la proposition du Premier ministre canadien. Il convient d’en étudier la validité. Le premier est d’ordre économique : on dira que quand les estomacs sont vides, il faut commencer par offrir de la nourriture, des vêtements, des logis et des services essentiels à une population avant de se préoccuper des libertés individuelles et de l’État de droit. En somme : le pain avant la démocratie. Le second argument est d’ordre culturel : on soutiendra que la démocratie à l’occidentale, fondée sur le pluralisme et les droits des personnes face à l’État, ne doit pas être imposée à d’autres cultures fondées sur le respect des traditions et les devoirs stricts des citoyens envers l’État.

          À mon avis, personne n’a mieux réfuté ces deux arguments qu’un citoyen de votre pays, qui a d’ailleurs enseigné à l’Université de Delhi, où il a affirmé avoir vécu « la période la plus stimulante sur le plan intellectuel de toute [sa] carrière d’universitaire »2. [traduction] Je veux parler d’Amartya Sen. Ce professeur, qui s’est mérité, en 1998, le prix Nobel d’économie, a démontré que la démocratie est une valeur universelle, qui doit continuer de progresser sur tous les continents et qui, partout, favorise le développement économique et la qualité de vie.

          Sen a résumé sa pensée dans une allocution importante prononcée ici, à New Delhi, en février 1999. Son constat fondamental est que jamais une démocratie n’a connu de famine, alors que ce fléau frappe encore des pays sous le joug d’une dictature : « Même les démocraties les plus pauvres, qui ont connu de terribles sécheresses ou inondations, ou d’autres formes de désastres naturels (comme ce fut le cas de l’Inde en 1973, du Zimbabwe et du Botswana au début des années 1980), ont été en mesure de nourrir leurs citoyens sans connaître la famine. »3 L’explication de ce phénomène est simple : « Il est facile d’éviter une famine quand on s’y met sérieusement, et un gouvernement démocratique qui est confronté à des élections et à la critique des partis d’opposition et des journaux indépendants ne peut faire autrement que de fournir cet effort. »4

          La démocratie se rattache à des valeurs de trois ordres différents, selon Sen. D’abord une valeur intrinsèque : la participation politique à la vie communautaire répond à une aspiration partagée par tous les humains. Ensuite une valeur instrumentale : la libre circulation des opinions et des idées permet l’expression des besoins économiques et sociaux. Enfin une valeur constructive : c’est dans le libre débat que s’approfondit la compréhension de ces besoins et des moyens pour y remédier.

          Les déclarations du Premier ministre Chrétien font écho aux conclusions du professeur Sen. Comme ce dernier, M. Chrétien soutient que, pour favoriser le développement économique, il faut recourir à des incitatifs politiques. Pour reprendre les termes du professeur Sen : « Plusieurs spécialistes de l’économie recommandent le recours à des incitatifs économiques (qui font partie de l’économie de marché) sans tenir compte des incitatifs politiques (qui pourraient être garantis par les régimes démocratiques). Cela revient à adopter une série de règles de base qui ne sont pas équilibrées. »5 [traduction]

          En fait, à ceux qui doutent de la portée universelle de la démocratie et de ses vertus économiques, je parlerais de l’Inde. Votre pays, malgré les défis de taille qu’il doit relever, est un exemple remarquable de ce que la démocratie peut réussir. C’est là une conviction sur laquelle je vais élaborer davantage.

2. Un ministre canadien du Commerce international en Inde

          Au moment où je parle, une délégation de gens d’affaires canadiens, comptant plus de 150 participants, est en visite en Inde. Mon collègue, l’honorable Pierre Pettigrew, ministre du Commerce international, a expliqué pourquoi il a tant tenu à organiser cette mission économique qui fait suite à une première mission en janvier 1996, celle-là dirigée par le Premier ministre Chrétien. Le ministre Pettigrew a écrit dans un journal canadien avant son départ : « Avec une économie dont le taux de croissance annuel est de cinq à six pour cent, un marché comptant un milliard de consommateurs et une classe moyenne qui croît rapidement et qui compte quelque 150 millions de citoyens hautement scolarisés, des gens d’affaires et des professionnels ouverts sur le monde, l’Inde possède un énorme potentiel pour investir au Canada, pour établir des partenariats avec le Canada et pour faire du commerce avec notre pays. »6 [traduction]

          Malgré les difficultés terribles et considérables auxquelles l’Inde a dû faire face depuis 1947, et auxquelles elle est toujours confrontée, votre pays a réalisé des progrès qui impressionnent. Aujourd’hui, l’Inde se classe au quatrième rang des grandes économies pour ce qui est du PIB à la parité des pouvoirs d’achat. Une telle progression a pu être réalisée par un pays qui a adopté la démocratie.

          Ai-je raison de penser qu’il s’agit d’une réalisation remarquable? Permettez-moi de faire appel une fois de plus aux propos du professeur Sen qui font autorité. Dans sa conférence de New Delhi, il a déclaré : « Il était difficile de croire en l’avenir d’une République de l’Inde unie et démocratique. Et pourtant, un demi-siècle plus tard, l’Inde est une démocratie qui, quand on fait la somme de ses réussites comme de ses difficultés, fonctionne relativement bien. Les divergences politiques ont été en grande partie aplanies à l’intérieur de paramètres constitutionnels et les gouvernements ont été nommés et défaits conformément aux règles électorales et parlementaires. »7 [traduction]

          C’est un fait remarquable que, malgré tous les immenses défis politiques et économiques qu’elle a dû relever, l’Inde démocratique et indépendante n’a jamais connu de famine, la dernière remontant au régime colonial, en 1943. La démocratie a bien servi les Indiens et, en retour, ils se sont attachés à elle.

          La démocratie n’est pas la formule magique qui nous conduirait au nirvana. Dans le monde imparfait dans lequel nous nous débattons, elle offre la moins mauvaise des solutions, pour paraphraser Churchill. De même, la démocratie n’élimine pas les conflits en société. Elle aide simplement à tenter de les régler sans violence. Elle ne fait pas disparaître les différences de croyance ou de culture entre des populations diverses. Elle invite toutefois ces dernières à la cohabitation pacifique au sein d’un même État. Pour cela, il faut s’appuyer sur la tolérance, notamment sur l’esprit du fédéralisme, forme de gouvernement que nos deux pays ont adoptée. Voilà le sujet que je vais maintenant examiner avec vous.

3. Une charte canadienne de 20 ans

          Je vais vous parler d’unité dans la diversité en prenant comme point de départ la Charte canadienne des droits et libertés, cette grande œuvre de notre illustre Premier ministre Pierre Elliott Trudeau et de son ministre de la Justice de l’époque, le très honorable Jean Chrétien, aujourd’hui Premier ministre du Canada. Les Canadiens ont souligné les 20 ans de leur charte le 17 avril dernier. Depuis maintenant deux décennies, ils peuvent invoquer un document constitutionnel pour demander aux tribunaux d'invalider des lois fédérales ou provinciales qui porteraient atteinte à leurs droits fondamentaux.

          Or, il y a 20 ans, plusieurs Canadiens craignaient que la logique de la Charte n’aille à l’encontre de la diversité canadienne et qu’au nom de l’égalité des droits les jugements et avis rendus par la Cour suprême du Canada n’entraînent peu à peu l’uniformisation du pays. Autrement dit, on redoutait que la Charte n’affaiblisse le principe de l’unité dans la diversité, principe sur lequel le Canada a fondé son existence.

          Le Canada, fédération de 30 millions d’habitants répartis sur un quasi-continent, est un pays très diversifié, comptant deux langues officielles, l’anglais et le français – une province, le Québec, étant d’ailleurs à majorité francophone – des régions très fières de leur spécificité, des peuples autochtones et une population multiculturelle originaire de tous les continents, dont quelque 800 000 sont d’origine indienne. L’imposition d’une seule charte des droits à tous les citoyens canadiens allait laminer leur riche diversité, craignait-on. On pensait surtout qu’elle allait centraliser la fédération au détriment de l’autonomie des dix provinces et des trois territoires dont elle se compose.

          Ce n’est pas ce qui s’est produit. La diversité canadienne est tout aussi riche aujourd’hui qu’elle l’était il y a 20 ans. Les tribunaux ont préservé la logique du fédéralisme. Il l’ont même approfondie. En effet, la Cour suprême du Canada a confirmé que « ce qui peut bien fonctionner dans une province (ou dans une partie de son territoire) peut tout simplement ne pas fonctionner dans une autre sans contrecarrer indûment le régime de la loi ».8 Elle a établi que les provinces pouvaient appliquer des solutions différentes à des problèmes politiques similaires sans que cela n’entraîne une discrimination : « Manifestement, dans un système fédéral, les distinctions entre les provinces ne donnent pas automatiquement naissance à une présomption de discrimination. »9

          En s’appuyant sur la Charte, la Cour a aidé les minorités. Par exemple, en reconnaissant aux minorités francophones des provinces anglophones le droit au contrôle de leurs écoles et de leurs commissions scolaires, ou en reconnaissant des droits aux peuples autochtones, la Cour n’a pas uniformisé le Canada, elle en a au contraire consolidé l’hétérogénéité.

          De même, la Cour a tenu compte du caractère distinct ou unique de la province à majorité francophone, le Québec. Comme elle l’a déclaré, « le principe du fédéralisme facilite la poursuite d’objectifs collectifs par des minorités culturelles ou linguistiques qui constituent la majorité dans une province donnée. C’est le cas au Québec, où la majorité de la population est francophone et qui possède une culture distincte ».10

          Une fois de plus, le Canada a démontré que l’unité est possible dans la diversité. Notre charte nous a aidés à nous regrouper autour de valeurs communes et ce, dans le respect de nos différences et du caractère décentralisé de notre fédération. Je tiens à le dire en tant que Québécois. Comme vous le savez, il y a des citoyens de ma province qui croient que l’appartenance au Canada est incompatible avec leur identité québécoise. Ils préconisent pour cette raison la sécession du Québec du Canada. Heureusement, ils sont de moins en moins nombreux. Une majorité grandissante de Québécois estiment qu’il vaut bien mieux être tout à la fois Québécois et Canadiens et qu’il ne faut pas renoncer à l’une de ces deux parts de nous-mêmes.

          L’unité dans la diversité : telle est la seule façon de progresser qui convienne au Canada. Vous me direz si je me trompe en affirmant que c’est aussi la seule qui convienne à l’Inde.

          Un Canadien ne peut manquer d’être impressionné par un pays de plus d’un milliard d’habitants – un sixième de l’espèce humaine – où, selon une estimation, on s’exprime dans 1652 langues ou dialectes incluant 18 langues reconnues comme « langues de l’Inde »11, et où une majorité hindoue cohabite avec plus de 200 millions de concitoyens ayant d’autres appartenances religieuses.

          Votre pratique du fédéralisme est certes bien plus centralisée que la nôtre. Comme l’a écrit un autre professeur indien : « C’est un truisme que la Constitution indienne de 1950 n’était pas un document fédéral au même titre que les constitutions canadienne (1867) et australienne (1900) qui, elles, créaient des fédérations. »12 [traduction] Mais vos 28 états – auxquels s’ajoutent sept territoires de l’Union – ont tout de même des pouvoirs non négligeables en matière de santé, d’éducation, d’agriculture, pour ne nommer que ceux-là. Et en 1993, les 73e et 74e amendements constitutionnels ont reconnu à vos municipalités et à vos gouvernements locaux (c’est-à-dire les panchayats) une existence constitutionnelle dont nos municipalités sont privées. Par ailleurs, vous êtes allés plus loin que nous en matière de protection constitutionnelle des droits des minorités, car, en plus des garanties offertes à vos minorités linguistiques et religieuses, votre Constitution renferme également des dispositions d’action positive au bénéfice des groupes défavorisés (les membres des communautés tribales, les dalits et les basses castes), qui prennent la forme de quotas pour les sièges au Parlement, les emplois à la fonction publique et les places disponibles dans les établissements d’enseignement. Et dans les institutions des gouvernements locaux, un tiers des sièges sont réservés aux femmes.

          En même temps, ce pays si diversifié est riche d’une civilisation plus que cinq fois millénaire, autre réalité qui fascine un Canadien. Vous avez une expérience de l’unité dans la diversité beaucoup plus longue que la nôtre!

          Depuis son indépendance, l’Inde a fondé son unité tout à la fois sur la démocratie, la tolérance, le fédéralisme et la laïcité de l’État. Permettez qu’à ce sujet, je m’appuie encore une fois sur les propos du professeur Sen car il m’est plus facile de m’exprimer sur votre pays en faisant appel à la pensée d’un professeur indien : « L’Inde a également survécu au défi de taille qui consiste à composer avec une diversité de langues principales et un large éventail de religions. Les différences religieuses et communautaires sont, bien entendu, sujettes à l’exploitation par les politiciens sectaires et ont effectivement été exploitées à plusieurs reprises (y compris au cours des derniers mois), provoquant la consternation générale de la population. Pourtant, le fait que la violence sectaire provoque la consternation et qu’une telle violence est condamnée dans toutes les régions du pays, constitue finalement l’assurance principale contre l’exploitation étroite du sectarisme par les factions. »13 [traduction]

          Le professeur Sen a prononcé ces paroles à New Delhi en février 1999. La bonne attitude à adopter est le rejet du sectarisme, a-t-il dit en substance. Je pense bien que vous conviendrez que cette attitude est aussi celle qui convient face aux troubles récents qui ont affecté l’Inde. Un politologue canadien, le professeur Jean-Pierre Derriennic, a écrit : « Ce n’est pas, comme on le croit souvent, l’hétérogénéité culturelle, linguistique ou religieuse qui est dangereuse pour la paix civile; c’est le refus d’accepter cette hétérogénéité (...) L’Inde, où les hindous sont le groupe religieux le plus nombreux mais où l’État est laïc, a été fondée sur l’acceptation de sa propre diversité. »14 C’est ce principe de tolérance qui est à la genèse de votre pays; ce serait à désespérer de l’humanité s’il n’incarnait pas aussi son avenir.

Conclusion

          Je vous ai parlé de votre pays, mais, à travers lui, je vous ai beaucoup parlé du Canada.

          Les Canadiens tiennent à ce que le Canada, en bon citoyen du monde, fasse progresser partout les idéaux auxquels ils croient, dont la démocratie. L’exemple de ce que votre pays a accompli, en devenant la plus grande démocratie de la planète, nous incite à poursuivre nos efforts pour faire avancer la démocratie sur tous les continents.

          Les Canadiens veulent intensifier leurs échanges économiques avec des pays qui respectent les droits humains et qui, sur cette base, se donnent le vrai moyen de sortir de la misère. En alliant la démocratie et la croissance économique, l’Inde est une inspiration et un espoir.

          Et les Canadiens savent que l’unité est possible dans la diversité. Ils veulent continuer de croire que la différence de langue ou de religion est une force et non un problème au sein d’un État. Ils veulent que le fédéralisme soit un moyen de vivre ensemble et non une étape vers le morcellement.

          Les vertus de l’unité dans la diversité, les Canadiens en trouvent la preuve dans leur propre histoire. Mais rien ne pourrait leur en donner une meilleure confirmation que le succès de la grande fédération indienne. Il semble que ce soit réciproque et que, dans la réussite du Canada, les Indiens puissent trouver un sens à leur lutte pour la démocratie, pour l’unité et pour plus de justice. C’est du moins ce que suggère cette citation d’Indira Gandhi qui compte parmi les plus beaux compliments qu’on ait pu faire à mon pays : « Votre plus belle réussite n’est pas le haut niveau de vie économique que vous avez atteint, mais le fait que la communauté internationale voit dans le Canada une nation d’amis, un facteur d’harmonie et de paix internationale. Les Canadiens ont une vision large et libérale du monde et de la vie. Ils ont combattu pour la paix et pour la justice envers toutes les races. Ils se sont efforcés, à titre individuel ou à travers les organismes internationaux, d’aider ceux qui sont moins favorisés qu’eux-mêmes. Les Canadiens n’ont pas de passé colonial à déplorer, ni d’obligations de " grande puissance " qui les gênent dans leur action, en tant qu’êtres humains au plein sens du mot. »15

          Ceux qui ont nommé cette conférence annuelle en l’honneur de Lester B. Pearson, prix Nobel de la paix à qui on doit l’idée de la mise sur pied des Casques bleus, ont pris là une décision qui en dit long, tant sur le Canada que sur l’Inde. Ce que j’ai voulu exprimer dans ma propre conférence Pearson, à vous, universitaires indiens qui vous intéressez au Canada, c’est que, quand je regarde votre immense pays, j’y vois, en plus grave, plus tragique et plus grandiose, le miroir grossissant des défis les plus fondamentaux qui se posent à la société canadienne : la quête incessante de la démocratie, de la justice, de l’esprit fédéral, de l’unité dans la diversité.


NOTES

  1. Discours du Premier ministre Jean Chrétien devant l’Organisation de l’unité africaine et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, le 11 avril 2002 Addis Abeba (Éthiopie). http://pm.gc.ca

  2. Amartya Kumar Sen, « Autobiography », dans The Bank of Sweden Prize in Economic Sciences in Memory of Alfred Nobel 1998, sur le site officiel de la fondation Nobel.

  3. Amartya Kumar Sen, « Democracy as a Universal Value », dans Journal of Democracy, vol.10, no 3, juillet 1999, p. 8. Voir aussi, du même auteur, Development as Freedom, Alfred A. Knopf, New York, 1999.

  4. Ibid, p. 8.

  5. Ibid, p. 9.

  6. The Hill Times (Ottawa), 15 avril 2002, p. 14.

  7. Amartya Kumar Sen, op. cit. (1999), p. 5.

  8. R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, au par. 193.

  9. Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995.

  10. Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 au par. 59.

  11. Reeta Chowdhari Tremblay, « Living Multiculturally in a Federal India », dans The India Handbook, Regional Handbooks of Economic Development Prospects onto the 21st Century, sous la direction de Steven LaRue, Fitzroy Dearborn, Chicago, 1997, pp. 158-169.

  12. Balveer Arora, « Adapting Federalism to India : Multilevel and Asymmetrical Innovations », dans Multiple Identities in a Single State, Centre for Policy Research, New Dehli, 1995, p. 71.

  13. Amartya Kumar Sen, op.cit., 1999, p. 5.

  14. Jean-Pierre Derriennic, Les guerres civiles, Presses de Sciences Po, Paris, 2001, p. 87.

  15. Indira Gandhi, Débats de la Chambre des communes, Hansard, 19 juin 1973, p. 4929.



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