DISCOURS DU PREMIER MINISTRE JEAN CHRÉTIEN
À L'OCCASION D'UNE TABLE RONDE AU SOMMET SUR LA GOUVERNANCE PROGRESSISTE
Le 12 juillet 2003
Londres (Royaume-Uni)
Je suis trPs heureux de prendre
part B cette conférence
sur la gouvernance progressiste. Ces rencontres sont un forum trPs
utile pour échanger des idées
avec des dirigeants et des experts qui partagent les mLmes
convictions et qui considPrent les
gouvernements comme une force positive. On m'a demandé
de livrer mes réflexions sur les 10 années
que j'ai passées B
la tLte du gouvernement du Canada,
de dresser un bilan de notre action et de dégager
les leçons de notre expérience.
Pour ce faire, j'aborderai quatre thPmes
qui ont été
au coeur de notre action, B savoir
la souveraineté financiPre,
le partage de la prospérité,
l'intégrité
démocratique et le civisme international.
La souveraineté financiPre
Il est impossible d'Ltre
progressiste et de mettre l'économie au
service de l'humain si l'on n'en possPde
pas les moyens financiers. Ce n'est pas une vertu progressiste que de
s'accrocher aux dépenses qui contribuent B
la spirale de l'endettement. La maîtrise
des finances publiques autorise des choix et protPge
contre les fluctuations de la conjoncture internationale. Une croissance économique
soutenue repose sur des assises financiPres
saines. La maniPre d'assainir les
finances a toutefois son importance. Il faut le faire d'une maniPre
équitable et transparente et pas sur le dos
des pauvres et des marginaux.
Quand j'ai été
porté au pouvoir en 1993, le Canada
affichait des déficits budgétaires
depuis 28 ans. Pour chaque dollar de dépenses
gouvernementales, 37 cents étaient consacrés
au service de la dette. Le ratio de la dette au PIB était
de 71 % et continuait d'augmenter. Des taux d'intérLt
élevés,
une forte inflation et des impôts
relativement lourds décourageaient
l'investissement et nuisaient B la
qualité de vie.
DPs 1997, nous avions réussi
B éliminer
le déficit fédéral.
Depuis, nous avons déposé
six budgets équilibrés
de suite. Le Canada est le seul pays du G-7 B
avoir enregistré un surplus l'an dernier.
Nous avons réduit le ratio de notre dette
au PIB du tiers. Maintenant B 44 %,
il continue de diminuer. Cette réduction ne
résulte pas seulement de la croissance économique
: nous avons remboursé directement plus de
50 milliards de dollars sur la dette publique. Par conséquent,
nos taux d'intérLt
n'ont jamais été
plus faibles en 40 ans. Quant B
l'inflation, elle reste modérée
et stable depuis 10 ans.
Pour vaincre le déficit, nous avons
examiné chacun des programmes et en avons réduit
un grand nombre, mais en veillant B
tenir compte des priorités des Canadiens.
Nous avons épargné
les programmes B l'intention des
enfants pauvres et des Autochtones du Canada. Nous avons fixé
des objectifs de réduction du déficit
sur un horizon mobile de deux ans, et nous les avons dépassés
chaque fois. En procédant avec équité
et transparence, nous nous sommes assurés
de la confiance et de l'appui de la population.
Grâce B
une marge financiPre accrue, nous
avons pu offrir la plus importante baisse d'impôt
de notre histoire, soit 100 milliards de dollars sur cinq ans. Le taux
d'imposition des sociétés
et l'impôt sur les gains en capital sont
maintenant plus bas qu'aux États-Unis. Les
baisses d'impôt ont profité
d'abord aux Canadiens B revenu
faible et modeste. Nous avons également
assuré l'autosuffisance de notre du Régime
de pensions du Canada, passant de la comptabilisation au décaissement
B la capitalisation entiPre.
La viabilité du régime
est maintenant acquise pour les 50 prochaines années.
Nous avons choisi une approche équilibrée
selon laquelle nous avons consacré environ
la moitié des surplus B
réduire les impôts
et B rembourser la dette, et l'autre
moitié B
investir dans les gens. Selon nous, pour favoriser la vigueur économique,
de bons résultats sociaux représentaient
de meilleurs ingrédients que de nouvelles
baisses d'impôt. Comme de fait, la
performance économique du Canada a été
meilleure que celle de tous les pays du G-7 l'an dernier. En 2002, nous avons créé
550 000 emplois – un nombre record. Mais surtout, le niveau de vie réel
des Canadiens, d'aprPs le PIB par
personne, a progressé de 20 % depuis 1997.
Le Canada est davantage une nation commerçante
que d'autres grandes économies. Il est vrai
que la croissance a ralenti quelque peu récemment
en raison de la faiblesse accrue de l'économie
mondiale. Nous connaîtrons néanmoins
de nouveau cette année un des plus forts
taux de croissance du G-7. Les Canadiens demeurent trPs
optimistes.
Bref, une discipline financiPre équitable
et transparente nous a permis d'assurer notre souveraineté
financiPre et de faire des choix équilibrés.
Des choix qui ont favorisé l'essor économique,
ont incité les entreprises canadiennes B
investir, ont offert de nouvelles possibilités
aux travailleurs et ont raffermi la confiance des consommateurs.
Vaincre un déficit, rembourser la dette
et réduire les impôts
sont des objectifs réalisables – et
j'estime que nous avons trouvé un moyen
progressiste de les atteindre.
Le partage de la prospérité
La souveraineté financiPre
nous permet de partager les fruits de la prospérité.
De renforcer l'autonomie des citoyens, d'investir dans les enfants et de
contribuer B favoriser la créativité
et l'innovation dans l'économie du savoir.
Une des premiPres mesures que
nous avons prises aprPs avoir maîtrisé
le déficit a été
de créer une prestation nationale pour
enfants. Ce programme contribue B
atténuer la pauvreté
en permettant aux parents B faible
revenu qui quittent l'aide sociale pour prendre un emploi de conserver le droit B
certains soutiens. DerniPrement,
nous avons considérablement enrichi ce
programme de maniPre B
assurer un bon départ B
tous les enfants du Canada.
Une autre mesure importante pour les familles a été
la décision de doubler le congé
pour les nouveaux parents, qui est passé de
26 semaines B une année
complPte. En collaboration avec les
provinces, nous avons mis en place une solide architecture de soutien du revenu
et de services de garde d'enfants. Le nombre d'enfants dont la famille vit sous
le seuil de faible revenu a diminué de 25 %
depuis 1996. Et nous prenons des mesures pour accélérer
cette tendance. Les soutiens actifs, l'accroissement de l'autonomie des familles
et les partenariats caractérisent notre
approche en faveur des enfants.
Le renforcement de notre régime
universel de soins de santé financé
par les deniers publics a également
constitué une priorité.
Nous restons fidPles au principe
selon lequel les citoyens doivent avoir accPs
aux soins selon leurs besoins, et non selon leurs moyens. Les Canadiens refusent
d'abandonner l'équité,
la solidarité et l'efficacité
du systPme B
payeur unique.
Au lieu de réduire l'assurance-maladie,
notre gouvernement a conclu un Accord sur la santé
avec les provinces qui étend la couverture
aux soins B domicile et aux médicaments
trPs onéreux
B l'échelle
nationale. Nous analysons les résultats et
nous en faisons rapport au public. Nous mettons sur pied un Conseil de la santé
qui rendra compte des progrPs
accomplis et recommandera des orientations pour l'avenir.
En tant que pays partisan de la TroisiPme
voie, nous avons voulu rendre l'économie du
savoir accessible aux citoyens. Au cours des derniPres
années, nous avons investi des sommes énormes
– plus de 11 milliards de dollars – dans la recherche et les études
supérieures. Nous avons créé
2000 chaires de recherche dans nos universités
afin d'attirer les plus grands talents. Nous avons considérablement
accru le financement des universités dans
tout l'éventail des disciplines. Pour
encourager nos jeunes cerveaux les plus brillants, nous avons créé
4000 Bourses d'études supérieures
du Canada. De plus, nous avons facilité la
tâche des familles qui économisent
pour des études postsecondaires en leur
offrant un régime d'épargne
exonéré
d'impôt. Notre Fondation du millénaire
décerne 100 000 bourses d'études
par année pour promouvoir l'excellence et
assurer l'accPs aux études.
Au Canada, la volonté de partager la
prospérité
nous a amenés B
accueillir des immigrants parmi nos citoyens pour contribuer B
la société
et bâtir un nouvel avenir pour leurs
familles. Notre politique du multiculturalisme encourage les nouveaux venus B
célébrer
leur patrimoine. La citoyenneté canadienne
leur confPre B
la fois des droits et des responsabilités
envers notre société.
Nous investissons dans notre culture et dans notre histoire afin de nous assurer
que les Canadiens conservent leurs repPres
culturels. De cette maniPre, nous
reflétons la mondialisation sur le plan
culturel et nous sommes plus susceptibles de la percevoir comme une occasion que
comme une menace.
En tant que nation commerçante, nous
contribuons ainsi B instaurer un
climat propice aux investissements étrangers.
Selon une récente étude
de la firme KPMG, le Canada est actuellement le meilleur endroit au monde pour
les investisseurs commerciaux.
Nous avons toujours été
conscients des avantages de la tolérance
pour l'harmonie sociale. Nous apprécions
maintenant la contribution de l'ouverture et de la diversité
B la vitalité,
au dynamisme et B la créativité
de nos collectivités ainsi qu'B
la qualité et B
la richesse culturelle de notre tissu urbain.
La ville de Vancouver, en Colombie-Britannique, en constitue un bon exemple :
multiculturelle, débordante d'énergie,
bien planifiée. J'ai eu le plaisir d'Ltre
présent la semaine derniPre
B Prague quand l'honneur
d'accueillir les Jeux olympiques d'hiver de 2010 a été
attribué B
Vancouver. Les Canadiens vont organiser un événement
formidable qui réaffirmera les valeurs
olympiques et comportera un cachet canadien bien particulier.
En investissant avec nos partenaires dans la modernisation des
infrastructures urbaines, nous assurons B
nos citoyens l'accPs B
des équipements collectifs de la plus haute
qualité. Nos efforts ont porté
en particulier sur l'eau et le logement pour les Autochtones du Canada et sur
l'aide aux sans-abri.
Une prospérité
partagée par le plus grand nombre, sans
laissés-pour-compte, et des investissements
stratégiques font en sorte qu'il fait bon
vivre, travailler, se divertir et investir dans nos collectivités.
Cet état de choses rend les gens fiers et
contents de leur pays.
L'intégrité
démocratique
Le succPs d'un gouvernement ne se
mesure pas seulement au bon état de ses
comptes et B la qualité
de ses programmes. Cela ne suffit pas. Les gens doivent avoir confiance dans
leurs gouvernements et sentir qu'ils veillent aux intérLts
des simples citoyens. C'est essentiel dans toute société
qui fonctionne bien.
La baisse du taux de participation des électeurs
et la perception cynique voulant que les puissants nous influencent indfment
sont des questions qui nous préoccupent
tous. Trop de citoyens croient que le gouvernement ne s'adapte pas B
l'évolution des valeurs sociales. Ces
perceptions font problPme.
Au Canada, nous avons décidé
de nous y attaquer de front : nous venons d'adopter un projet de loi qui
transforme le financement politique pour de bon. Les sociétés
et les syndicats ne peuvent plus verser de contributions B
la caisse des partis nationaux. Une petite exception de 1000 $ par année
a été
prévue B
l'échelon local. Le financement privé
dont bénéficiaient
auparavant les partis sera remplacé par un
financement public. Nous mettons fin B
la perception que les grosses contributions politiques permettent d'acheter de
l'influence.
Nous nous sommes engagés B
rétablir la confiance dans l'administration
publique. Nous avons présenté
un projet de loi qui assouplirait les modalités
de recrutement et d'emploi et nous permettrait d'attirer des personnes qui
contribueront B l'intégrité.
Nous cultivons la transparence, la mesure du rendement et l'établissement
de rapports sur les résultats B
l'échelle pangouvernementale.
Nous adoptons des modes de prestation des services centrés
sur les citoyens et nous avons recours aux nouvelles technologies pour faciliter
l'accPs. Nous sommes fiers du fait
que la firme Accenture ait classé le Canada
au premier rang mondial pour la fourniture de services en ligne.
Je rangerais aussi sous la rubrique de l'intégrité
démocratique l'adaptation B
l'évolution des valeurs sociales. Les
gouvernements progressistes doivent Ltre
tournés vers l'avenir et prLts
B affronter la controverse, au lieu
d'espérer voir simplement disparaître
les problPmes. Nous avons déposé
un projet de loi visant B moderniser
les peines pour la possession de petites quantités
de cannabis. Nous voulons éviter que des
jeunes traînent un casier judiciaire toute
leur vie. Au lieu, nous découragerons la
consommation par l'imposition d'amendes.
D'autre part, nous appliquons le principe de l'égalité
consacré par notre Charte des droits et
libertés en reconnaissant par la loi
l'union de conjoints de mLme sexe.
Le Canada devient l'un des trois seuls pays B
le faire. Nous allons également affirmer le
droit des groupes religieux de sanctifier le mariage suivant leur propre définition.
Nous n'avions pas l'intention de prendre cette mesure, mais les tribunaux nous y
ont poussés. D'ailleurs, la majorité
des Canadiens semble prLte B
s'engager dans cette voie. Nous avons donc décidé
que le gouvernement se devait de réagir.
Le financement des élections, le
renouvellement de la fonction publique et le respect de l'évolution
des valeurs sociales sont autant d'aspects du rétablissement
de la confiance dans le gouvernement. De nombreux observateurs ont qualifié
notre programme d'action d'« audacieux »; pour ma part, je le considPre
responsable, adapté aux besoins de la
population et progressiste.
Civisme international
Le Canada a toujours préconisé
une approche multilatérale B
l'égard des problPmes
internationaux. Les principaux enjeux de l'heure comprennent la pauvreté,
la dégradation de l'environnement, les
maladies infectieuses, les conflits régionaux,
le crime organisé et le terrorisme. Aucune
nation, aussi puissante soit-elle, ne saurait B
elle seule venir B bout de ces fléaux.
La tâche de mettre la mondialisation au
service du mieux-Ltre de l'humanité
en favorisant le commerce et un développement
judicieux exige également une certaine
coordination de la part des organisations multilatérales.
Au cours des derniPres années,
nous avons assumé un rôle
de chef de file en plaidant B l'ONU
pour un programme d'action international axé
sur la sécurité
des personnes et les droits humains. Les Canadiens comprennent qu'en assurant la
sécurité
des personnes B risque dans leur
propre pays, nous contribuons B
notre sécurité
B tous.
Nous avons dirigé l'effort pour faire
adopter le Traité d'Ottawa interdisant les
mines terrestres. Nous avons également pris
l'initiative en ce qui concerne le Tribunal pénal
international afin de faire savoir aux auteurs d'atrocités
qu'ils auront des comptes B rendre B
la communauté internationale. Nous restons
profondément engagés
envers la prévention des conflits et le
maintien de la paix.
Le Canada a agi avec fermeté dans la
guerre contre le terrorisme. Nous avons participé
B l'effort militaire en Afghanistan
et nous avons consacré des ressources au
maintien de la paix et B la
reconstruction.
Nous avons pris la décision de ne pas
participer B la guerre en Iraq. Néanmoins,
nous nous sommes joints B l'effort
en vue de stabiliser et de rétablir le
fonctionnement de la société.
Le Canada doublera son aide au développement
international au cours des prochaines années.
Nous avons parrainé le NEPAD en faveur de
l'Afrique lors du Sommet du G-8 B
Kananaskis.
Nous avons décidé
de supprimer unilatéralement les tarifs et
les contingents sur la quasi-totalité des
produits importés des pays les moins avancés.
Nous continuons d'appeler les autres pays B
éliminer les subventions B
l'agriculture et les autres obstacles qui empLchent
les pays pauvres de recourir au commerce pour se sortir de la pauvreté.
Malgré la vive opposition de certains
milieux d'affaires au Canada et le fait que nous sommes voisins des États-Unis,
nous avons ratifié le Protocole de Kyoto.
Nous sommes convaincus qu'une action collective coordonnée
est le seul moyen de lutter contre ce problPme
environnemental.
Nos obligations environnementales envers la communauté
internationale doivent comprendre la conservation de nos propres espaces
sauvages et de notre biodiversité. C'est
pourquoi l'an dernier, au Sommet mondial sur le développement
durable, nous avons pris l'engagement de conserver de vastes territoires en créant
10 nouveaux parcs et cinq nouvelles aires marines de conservation. Nous avons
essentiellement parachevé notre réseau
de parcs nationaux.
Agissant selon nos convictions en matiPre
de sécurité
des personnes et devant les échecs
collectifs en Somalie, au Rwanda et B
Srebrenica, le Canada a créé en septembre
2000 la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté
des États au Sommet du millénaire
des Nations Unies B New York. Le
temps en venu de réfléchir
sérieusement B
la proposition de la Commission de redéfinir
la souveraineté du point de vue de « la
responsabilité de protéger
». Il nous faut aussi réfléchir
aux prochaines étapes, car la communauté
des Nations Unies doit se doter d'une approche cohérente
B l'égard
des cas oj des États
ne peuvent pas, ou ne veulent pas, protéger
leurs citoyens contre les exactions brutales. Le Canada est disposé
B faire avancer ce débat.
J'ai toujours été
convaincu de la nécessité
de faire preuve de civisme international pour servir les intérLts
de ses propres citoyens. Cependant, un tel civisme représente
également une expression de notre idéalisme
et de notre esprit humanitaire.
Conclusion
VoilB donc la recette d'une
gouvernance progressiste que suit le Canada depuis 10 ans. La version canadienne
de la « TroisiPme voie » est faite
de souveraineté financiPre,
de prospérité
partagée, d'intégrité
démocratique et de civisme international.
Je préfPre
l'appeler la « voie canadienne ». Les historiens en jugeront peut-Ltre
autrement, mais je crois qu'elle donne de bons résultats.
Merci de votre attention.
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