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Archives - Jean Chrétien

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Allocution du Premier ministre Jean Chrétien devant la «American Society of Newspaper Editors


Le 6 avril 1995
Dallas (Texas)

Aujourd'hui, permettez-moi de vous parler de mon pays, des orientations et des priorités que nous poursuivons, aussi bien pour nous-mêmes qu'en tant que membre actif de cet hémisphère et de la communauté des nations.

S'il peut sembler étrange de parler de l'identité canadienne en plein coeur du Texas, je pense que cette réunion, ainsi que la présence des chefs d'État et de gouvernement des trois pays qui forment l'Amérique du Nord, nous offre une excellente tribune pour parler de ce qui rapproche nos pays, et de nos différences.

Au Canada, notre Administration est arrivée au pouvoir il y a maintenant un an et demi.

Un an et demi de changement. Mais également une période au cours de laquelle nous avons insisté sur les valeurs canadiennes. Nous avons des problèmes semblables à ceux qu'on retrouve dans d'autres démocraties de l'hémisphère occidental. Et nous tentons de les régler d'une façon appropriée pour le Canada, c'est-à-dire en respectant les valeurs canadiennes et en rassemblant les Canadiens.

À notre arrivée au pouvoir, nous avons hérité d'un pays à bout de souffle, démoralisé et morcelé. Les Canadiens éprouvaient de la méfiance à l'égard de la classe politique. Des années de polarisation avaient laissé des cicatrices profondes. L'économie venait de traverser la pire récession depuis les années 30. Les coffres de l'État étaient vides.

Notre Administration n'a rien caché aux Canadiens. Elle n'a favorisé aucune région ou segment de la société. Nous avons travaillé d'arrache-pied pour restaurer l'intégrité dans la vie politique. Nous gouvernons sans bruit, mais en préconisant la compétence, l'équité et l'honnêteté.

En contrepartie, les Canadiens ont repris confiance en leurs moyens et en leur pays.

Notre taux de croissance économique a surpassé celui de tous les États membres du G7; s'établissant à 4.5 % l'an dernier, il devrait se maintenir à ce niveau cette année. Le chômage est à la baisse et nos exportations atteignent des niveaux records.

Je n'essaie pas de vous montrer un seul côté de la médaille. En effet, nous éprouvons encore des problèmes financiers sérieux. Mais nous tentons de les régler. Nous sommes arrivés au pouvoir avec un programme de compression des dépenses axé sur la création d'emplois et la croissance économique. Nous savons qu'une économie forte est l'essence même d'une société forte. Comme il est tout aussi essentiel de maintenir, et je l'espère, un jour, élargir les mesures sociales qui font partie intégrante de la vie au Canada.

Pour cette raison, nous avons déposé en février le budget le plus dur des 50 dernières années. Nous avons du réduire des mesures que nous aurions préféré maintenir. Ce n'est jamais facile de faire des compressions.

Nous avons réduit les dépenses de l'État parce que les déficits successifs affaiblissent notre économie. Nous avons tenté d'être équitables ­ envers toutes les régions et envers chaque Canadien. Nous avons établi des priorités qui respectent les valeurs canadiennes.
Quelles sont ces valeurs ? Voici, il y a quelques années, un Texan célèbre avait utilisé l'expression suivante pour décrire notre pays « plus bienveillant, plus aimable ». C'est ce que nous sommes au Canada et nous entendons bien le rester.

Les deux valeurs canadiennes les plus importantes sont certes la tolérance et le partage. Nous savons qu'un gouvernement ne peut et ne devrait pas tout faire. Mais nous savons également qu'il doit agir pour le bien de la société.

Et en période de changements, le gouvernement a le devoir d'aider la population à s'adapter.

Et plus important encore, nous savons que la citoyenneté est assortie de responsabilités. Les droits individuels sont importants au Canada. Très importants. J'étais le ministre de la Justice qui a contribué à l'enchâssement de la Charte des droits dans la Constitution. Et cela demeure un des grands moments de ma vie.

Mais nous accordons tout autant d'importance aux responsabilités que nous avons les uns envers les autres et envers notre collectivité.

C'est pour cette raison que le dossier de la santé revêt une telle importance au Canada.

Dans notre pays, il existe un large consensus sur le maintien de notre régime public de soins de santé. En vertu de ce système, vous pouvez vous rendre chez le médecin de votre choix. Et vous serez admis à l'hôpital parce que vous en avez besoin, et non parce que vous avez suffisamment d'argent ou que vous souscrivez à l'assurance privée appropriée. Au Canada, personne ne se soucie des factures de soins médicaux. C'est l'une de nos plus grandes réalisations. Les Canadiens et Canadiennes veulent garder l'assurance-santé. Et c'est ce que nous ferons.

Je crois que c'est ce qui nous rend notre société « plus bienveillante, plus aimable ».

Au même titre que l'intérêt que nous attachons à vivre dans des collectivités sûres et tranquilles.

Pouvoir nous promener dans nos quartiers, fréquenter l'école et les parcs sans craindre la violence est important à nos yeux. Cette donnée n'apparaît pas dans les états financiers ou les diagrammes, mais elle constitue une dimension importante de notre société. Nous sommes fiers de nos collectivités sûres et tranquilles. Et nous voulons qu'elles le demeurent.

C'est pour cette raison, par exemple, que la Chambre des communes a adopté, hier soir, le projet de loi réglementant l'utilisation des armes à feu le plus musclé de notre histoire - qui compte parmi les plus stricts au monde. Cette mesure législative recueille par ailleurs un appui massif auprès de la population canadienne.

Je crois que notre caractère bilingue et la grande diversité multiculturelle de notre population contribuent également à rendre notre société « plus bienveillante, plus aimable ». Ils contribuent évidemment à rendre notre pays plus intéressant et à le rendre beaucoup plus concurrentiel sur le plan économique ­ positionné d'une façon qui en fait un attrait unique pour les marchés internationaux.

Mais surtout, je crois que notre diversité et nos deux langues ont largement contribué à nous donner une perspective globale. En raison de notre histoire et de notre population, on décrit le Canada comme le premier pays dit « post-nationaliste ».

Je sais que les efforts additionnels que nous avons dû consentir pour arriver à mieux nous comprendre nous ont aidés à mieux comprendre le monde. Et croyez-moi, le Canada est un pays dont l'attention se porte bien au delà de ses frontières.

Le sens des responsabilités qui accompagne la citoyenneté, et que j'évoquais tout à l'heure, s'étend également aux responsabilités que nous assimilons au fait d'être des citoyens internationaux.

Cette responsabilité remonte à notre participation, il y a un demi-siècle, à la Deuxième guerre mondiale. Nous avions alors combattu avec les États-Unis et les autres pays alliés.

Notre contribution avait été très grande comparativement à la taille de notre pays.

À l'instar du combat que nous avons mené avec d'autres pays pour gagner la guerre contre le fascisme, nous avons également oeuvré avec la communauté des nations pour maintenir la paix durant les années qui ont immédiatement suivi la fin de la guerre.

Le Canada a été l'un des artisans de l'établissement des organisations multilatérales qui ont vu le jour après la fin de la guerre et qui existent encore aujourd'hui : les Nations Unies, les institutions de Bretton Woods, l'OTAN.

Et, depuis 50 ans, nous contribuons activement à en assurer la réussite.

Notre engagement est aujourd'hui plus fort que jamais. Le Canada continue de participer à presque toutes les opérations multilatérales de maintien de la paix dans le monde. Nous maintenons une présence à Haïti. Et, la semaine dernière, nous avons renouvelé notre engagement à maintenir des forces de maintien de la paix dans l'ancienne Yougoslavie. Les Canadiens sont fiers, très fiers de notre tradition de maintien de la paix, ainsi que des hommes et des femmes qui y prennent part aujourd'hui. Le concept des casques bleus de l'ONU est une invention canadienne ­ mon prédécesseur Lester Pearson avait d'ailleurs remporté le prix Nobel de la paix pour cette invention.

Par contre, il est triste de constater que l'histoire semble aller à contre-courant dans certains pays, notamment en Bosnie, au Rwanda, en Somalie et en d'autres points chauds du globe.

Des endroits dont il serait raisonnable de se demander si nous pouvons encore y faire quelque chose ­ ou si nous devrions même nous en soucier.

Je crois que nous devrions nous en soucier. Et je crois que nous nous en soucions.

Je suis rassuré de voir que la souffrance humaine parvient encore à émouvoir les Canadiens et Canadiennes. Et qu'ils demandent à leur gouvernement d'intervenir. Nous n'arrivons pas toujours à arranger les choses. Et nous n'avons pas les moyens d'intervenir seuls. Mais, si nous ne tentions absolument rien, la situation se détériorerait davantage. Si nous en venions collectivement à ne plus nous soucier du sort des citoyens des autres pays, nous finirions par devenir insensibles au sort de nos propres concitoyens.

Si nous croyons que les systèmes internationaux ne peuvent plus régler les situations les plus épineuses et les plus urgentes, nous finirons par cesser de croire à notre capacité de travailler ensemble à la réalisation d'un objectif commun.

C'est pour cette raison que la présence des Nations Unies revêt autant d'importance. Et pourquoi cette organisation doit être réformée afin de jouer un rôle encore plus déterminant. Le Canada appuie l'ONU car elle est une illustration de nos plus grands idéaux. L'ONU représente la primauté du droit, la justice sociale, économique et politique, le pouvoir de négociation et le règlement pacifique des différends.

Je suis conscient des frustrations qui entourent l'ONU. C'est d'ailleurs pourquoi le Canada pilote des initiatives visant à en assurer la refonte. Mais pour reprendre les paroles de Winston Churchill, l'ONU est la pire des tribunes internationales du monde ­ sauf les autres.

Nous avons le devoir d'en renouveler l'efficacité et la pertinence. L'isolationnisme, peu importe son attrait, n'est plus une option. L'histoire nous l'enseigne. Et ce qui était vrai il y a cinquante ans, est encore plus vrai aujourd'hui, alors que nous vivons dans un monde où la technologie rapproche encore davantage.

Cela n'est pas seulement vrai en terme de géopolitique, mais également en ce qui a trait au commerce international.

Le protectionnisme est l'équivalent économique de l'isolationnisme. Il n'a plus sa place dans le monde actuel. De fait, la libéralisation des échanges est le meilleur moyen de créer les emplois et la croissance économique que nous recherchons tous pour nos pays respectifs.

Et cela est certainement le cas au Canada. Nous dépendons davantage du commerce international que pratiquement tous les autres pays industrialisés du globe. Pour cette raison, nous avons été des chefs de file - et continuerons de l'être - en matière d'élimination des barrières commerciales et de recherche active de nouveaux marchés.

C'est pour cette raison que le commerce international a été un des dossiers prioritaires de notre gouvernement.

L'automne dernier, j'ai dirigé la mission commerciale la plus réussie de l'histoire du Canada ­ la mission commerciale de l'Équipe Canada en Chine ­ qui comprenait presque tous les premiers ministres des provinces et des centaines de gens d'affaires. Nous avons conclu des ententes qui créeront des milliers d'emplois au Canada. Il y a deux mois à peine, j'ai dirigé une deuxième mission commerciale, cette fois vers les économies dynamiques de l'Amérique latine.

Le commerce continuera d'être un dossier des plus prioritaires pour nous. C'est pour cela que le démarrage de l'Organisation mondiale du commerce revêt autant d'importance. C'est pour cette raison que l'élargissement de l'ALENA pour permettre l'adhésion du Chili et, éventuellement, l'établissement d'une zone de libre-échange des Amériques qui s'étendra à tous les pays de l'hémisphère, revêt une telle importance.

C'est pour cette raison que la décision de l'APEC de créer une zone de libre-échange des pays du Pacifique revêt autant d'importance.

Le Canada a travaillé avec acharnement à tous ces progrès. Nous avons été témoins de ce que la libéralisation des échanges peut apporter à un pays relativement petit comme le nôtre. Et nous savons ce que cela peut signifier ailleurs dans le monde, en termes d'amélioration de la qualité de vie, d'épanouissement des collectivités, d'accroissement de la stabilité et de garanties de paix.

L'engagement que nous manifestons envers la communauté internationale a rarement été aussi évident qu'au cours des dernières semaines, soit depuis que nous sommes intervenus de façon déterminante pour prévenir un désastre écologique dans l'Atlantique-Nord.

Il y a plusieurs années que nous sommes préoccupés par la surpêche étrangère pratiquée dans les eaux immédiatement à l'extérieur de notre zone économique.

Nous avons déjà été témoins de la surpêche des stocks de morue. Et nous subirons les conséquences de ce désastre pour des dizaines d'années. Nous ne pouvions pas laisser cela se reproduire.

Nous voulons que le droit international aborde clairement la responsabilité de tous les États en matière de préservation et de gestion du patrimoine mondial. Comme vous le savez, les poissons nagent de part et d'autre des limites territoriales ­ sans passeport, sans visa.

La façon de préserver les stocks de poissons qui nagent de part et d'autre des limites territoriales ­ les stocks chevauchants ­ est de conclure une Convention des Nations Unies sur cette question qui obligera les États à promouvoir une gestion respectueuse de l'environnement.

Mais vu l'absence d'une telle entente internationale, nous ne pouvions pas permettre la surpêche qui aurait abouti à l'extinction d'une autre espèce.

En tant que citoyen international responsable, nous devions intervenir pour protéger une ressource qui appartient à la collectivité mondiale. Et nous l'avons fait. Et nous croyons avoir ainsi contribué à prévenir un autre désastre écologique.

Et nous avons impulsé la négociation - actuellement en cours - de ce qui deviendra, nous l'éspérons, une entente historique entre le Canada et l'Union européenne. Nous espérons que cette entente servira de modèle pour la conservation des stocks de poissons partout dans le monde dans l'intérêt de la communauté internationale.

Notre rôle de citoyen mondial sera encore plus en évidence au mois de juin alors que nous accueillerons le Sommet du G7. La Russie participera également à certaines des réunions. Nombre des défis dont j'ai parlé seront inscrits à notre ordre du jour.

S'il était possible de réunir la diversité des sujets traités sous un seul thème, on pourrait alors dire que le sommet portera sur le renforcement des institutions internationales en fonction du XXIe siècle. Nous nous pencherons sur les institutions financières, économiques, commerciales et politiques, pour veiller à ce qu'elles soient en mesure de jouer leur rôle efficacement. Et pour cela, nous devrons renouveler les institutions que nous avons mises sur pied collectivement à Bretton Woods. Nous ne trouverons sans doute pas toutes les solutions à Halifax, mais nous pouvons véritablement entamer la recherche.

Le G7 n'est pas une instance décisionnelle. Nous n'avons pas compétence pour redéfinir les règles en matière d'engagement ­ économique ou politique.

Par contre, nous pouvons faire avancer les dossiers. Nous pouvons tirer parti de compétences et d'expériences inégalées dans le monde, et faire preuve de leadership véritable. Au lendemain du sommet de Halifax, il appartiendra à la communauté et aux institutions internationales de relever les défis.

Et vous pouvez avoir l'assurance que notre pays y prendra part. En tant que citoyens responsables du Canada et de la collectivité mondiale, nous continuerons à bâtir un pays et un monde cohérent avec les valeurs auxquelles nous croyons.


 


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Mise à jour: 2006-07-27  Avis importants