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Archives - Jean Chrétien

Archives - Jean Chrétien

Dîner soulignant la création du Lester B. Pearson Chair of International Relations (Université d'Oxford)


Le 22 février 1996
Toronto (Ontario)

C'est pour moi un honneur et un plaisir de rendre hommage, ce soir, au grand Canadien qu'était Lester B. Pearson.

Je dis un honneur parce que je pense qu'il a su comme nul autre amener les Canadiens à prendre conscience de l'importance des affaires internationales dans leurs vies.

Les Canadiens ont répondu à son appel en relevant hardiment les défis de l'internationalisme. En outre, M. Pearson a consacré le Canada sur la scène internationale, auprès de tous ceux qui valorisent, comme lui, la paix plus que la guerre, la tolérance plus que la haine et la coopération plus que le conflit.

Il a prouvé à chacun d'entre nous que le Canada peut faire la différence au sein d'un groupe de pays axés sur la coopération et des objectifs communs.

Enfin, si je dis plaisir, c'est aussi parce que le ministre Pearson a été mon premier patron, à Ottawa, en 1965, alors que j'étais son secrétaire parlementaire. La création d'une chaire Lester B. Pearson des relations internationales à l'université d'Oxford est un hommage à l'homme que j'ai connu -- à son intelligence, à son amour des universités et à sa profonde affection pour la Grande-Bretagne et le collège St. Johns où il a étudié en tant que lauréat de la bourse Massey dans les années 20.

Pragmatique, Lester B. Pearson était davantage tourné vers l'avenir que vers le passé. Il aurait été très heureux d'apprendre la création de cette chaire qui devient un témoignage vivant de trois de ses plus grandes passions -- le Canada, les affaires internationales et l'acquisition des connaissances. Il ne manque plus que le baseball.

La juxtaposition des termes « passion » et « pragmatisme » peut paraître étrange, mais, dans le cas de Lester Pearson, elle ne l'était pas du tout.

Il était un internationaliste passionné. Sa passion ne reposait pas simplement sur son désir de stimuler la coopération entre les États, mais aussi et surtout sur sa compréhension de l'importance de cette coopération pour le Canada.

En 1948, il a déclaré : « Le Canada, qui a souffert de deux guerres mondiales et d'une grave dépression, mondiale aussi, n'échappe pas à la règle. Même les décisions prises très loin de chez lui peuvent avoir des répercussions vitales sur la vie de ses habitants. C'est simple, personne ne peut échapper aujourd'hui aux résultats et aux obligations qui découlent de l'interdépendance des États...»

Cependant, même si aucun État n'échappe à cette interdépendance, elle est malgré tout plus marquée à l'égard de certains pays que d'autres et M. Pearson comprenait que le Canada occupait une place trop centrale dans les affaires du monde pour s'isoler « des conséquences des décisions collectives prises à l'échelle internationale ».

En revanche, il affirmait aussi que nous n'exercions pas suffisamment d'influence pour « donner un poids déterminant à nos interventions au moment des prises de décisions ».

À partir de cette seule observation, il a défini l'orientation de la politique étrangère canadienne de l'après-guerre. Celle-ci devait viser l'établissement d'un système de règles dans le cadre duquel les rapports d'interdépendance seraient « civilisés », et où tous les pays -- petits et grands -- pourraient faire valoir le droit international pour protéger leurs intérêts.

M. Pearson comprenait la nécessité d'un idéal dans la politique étrangère, mais son idéal à lui ne restait pas abstrait. C'était un homme pratique, qui avait bien les pieds sur terre. Durant toute sa vie, il a souligné les liens qui existent entre les besoins immédiats du Canada et nos idéaux en faveur d'un monde paisible, prospère et juste.

En 1953, il a déclaré devant un public américain que l'intérêt premier du Canada était la paix, parce que « la paix au Canada dépendait de la paix dans le monde ».

« Ensuite, a-t-il affirmé, venait le bien-être et la prospérité de la population canadienne, inséparables du bien-être et de la prospérité des autres. »

Notre troisième centre d'intérêt, a-t-il conclu, est « moins tangible que la paix et le bien-être économique mais non moins important, il s'agit de notre attachement à certains principes profondément enracinés dans notre histoire et dans notre expérience en tant que Canadiens »

Rétrospectivement, il n'est pas si difficile d'être sage. Mais Lester B. Pearson se démarquait par une capacité admirable d'entrevoir l'avenir à partir des détails révélés par le présent.

À l'époque de M. Pearson, le Canada était une puissance moyenne qui s'efforçait de jouer un rôle utile après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, nous nous comportons de la même façon dans l'après-guerre froide.

Bien entendu, nous avons été témoins de nombreux bouleversements au cours des quarante dernières années. Le communisme s'est effondré. Des États pauvres autrefois se sont hissés au rang de puissances industrielles. Le marché s'est mondialisé et est axé sur la technologie. Le pouvoir est moins concentré et tout autant économique que politique.

De nos jours, les pays comme le Canada s'inquiètent de la concurrence internationale, pas du communisme international.

Nous avons réalisé d'immenses progrès. Dans le monde entier, la prospérité a gagné du terrain. Nous comprenons mieux les liens entre la sécurité matérielle, sociale, économique, environnementale et politique.

Le principe d'une citoyenneté mondiale n'a jamais été si près de se réaliser.

Les défis d'aujourd'hui ne sont pas ce qu'ils étaient il y a quarante ans. Par contre, et c'est triste à dire, les problèmes restent souvent les mêmes.

Pour des millions de personnes dans le monde, la paix est toujours aussi insaisissable.

La communauté internationale est toujours appelée à défendre les droits des peuples et des gens.

Le fossé qui sépare les États riches des pauvres, les forts des faibles, est toujours très profond.

Nous n'avons toujours pas réussi à établir l'équilibre entre le développement économique et la salubrité de l'environnement.

Beaucoup reste à faire et nous voulons nous atteler à la tâche.

Pour cela, il nous faut le soutien et l'aide de tous les Canadiens. Preuve s'il en est de sa clairvoyance, M. Pearson a prononcé en 1951 un discours où il affirmait :

« Les affaires étrangères sont maintenant les affaires de toutes les familles canadiennes et la responsabilité de tous les Canadiens. Cette vérité s'applique aussi bien à vous qu'au ministre des Affaires extérieures. J'espère qu'ensemble, nous saurons apporter notre jugement, notre calme objectivité et notre sens profond des responsabilités à la résolution de ces problèmes si pressants et si complexes. »

Ceci n'a jamais été aussi vrai qu'aujourd'hui.

C'est pour cette raison que notre gouvernement s'est efforcé de consulter régulièrement les parlementaires sur les enjeux internationaux. À l'avenir, nous voulons ouvrir encore davantage le dialogue avec les Canadiens, le faire de nouvelles façons, y compris en ayant recours aux technologies de pointe. Par exemple, à l'aide d'un message affiché sur l'Internet, nous avons demandé aux Canadiens de nous dire ce qu'ils penseraient de voir le Canada diriger les opérations de maintien de la paix de l'ONU en Haïti. Jusqu'à présent, nous avons obtenu une centaine de réponses et elles sont favorables dans une proportion de 75 %.

Ensemble, les Canadiens ont véritablement fait la différence, pour leur pays et pour le monde.

Ce ne sont pas des paroles en l'air. Lors de mes rencontres, aussi bien avec des chefs d'État et de gouvernement, qu'avec de simples citoyens de pays étrangers, je suis frappé de constater la haute estime dont jouit le Canada. Souvent, nous agissons comme s'il n'était pas canadien de se vanter. Mais qu'à cela ne tienne, un peu partout dans le monde, nombreux sont ceux qui ne se gênent pas pour le faire à notre place. Encore et encore, les étrangers de par le monde voient en nous un rayon d'espoir sur cette terre où se multiplient les échanges entre personnes de convictions, de races et de religions différentes.

Quant à ceux qui se demandent ce que signifie le Canada ou encore s'il s'agit d'un véritable pays, je les invite à voyager un peu, et pas seulement dans notre pays où la diversité et la courtoisie sont évidentes, mais ailleurs dans le monde -- aux États-Unis, en Europe de l'Ouest et dans des pays moins favorisés. Mieux comprendre les perceptions qu'ont les autres à notre sujet est, à mon avis, le meilleur antidote au cynisme.

Chacun d'entre nous, à sa façon, apporte une contribution à l'édifice national. Nous savons que la stabilité politique, la prospérité et la sécurité se renforcent mutuellement. Plus des pays collaborent à l'atteinte d'objectifs communs, plus leurs relations sont stables. Plus des citoyens font des affaires de part et d'autre des frontières, plus ils apprennent à se comprendre et à s'apprécier. À mesure que de nouveaux partenariats se développent, le monde devient davantage une véritable communauté des nations. Et cela est bénéfique pour chacun d'entre nous.

Nous avons vraiment lieu d'être optimistes. En Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Afrique, des pays sont en train de prendre des mesures importantes pour changer des habitudes acquises depuis des générations. Les nouvelles façons de faire sont mieux accueillies, les initiatives davantage encouragées, et l'on a de plus en plus conscience du coût prohibitif des conflits. Tous nous devons appuyer ces changements.

Les Canadiens sont d'ailleurs prêts. À l'occasion des missions commerciales que nous avons envoyées en Asie et en Amérique latine, j'ai été très impressionné par le dynamisme et l'ouverture de nos gens d'affaires. En étroite collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux, ils ont repéré de nouveaux marchés et amené au Canada des dizaines de milliers de nouveaux emplois. Les entreprises canadiennes qui, autrefois, se faisaient concurrence, s'allient maintenant pour décrocher des contrats sur les marchés les plus compétitifs du monde. Nos exportations ne se sont jamais si bien portées et l'avenir paraît encore plus prometteur.

Politiquement, nous cherchons à répondre aux besoins de la communauté internationale en mettant nos points forts en évidence.

C'est la raison pour laquelle les pays ont été si nombreux à nous demander de l'aide dans l'établissement de leurs institutions démocratiques. C'est que nous savons comment promouvoir et défendre la liberté de presse, et administrer une force policière relevant des autorités civiles. Notre système judiciaire est reconnu pour son indépendance et son professionnalisme, et notre fiche en matière d'élections est impressionnante.

Nous comptons aussi d'excellents gardiens de la paix. Cela ne tient pas uniquement au fait qu'ils sont des professionnels très bien formés. L'excellence de ces troupes tient aux qualités canadiennes que sont la tolérance et le respect des points de vue divergents. Il s'agit précisément des qualités dont le monde a besoin en matière de maintien de la paix.

En Bosnie, des milliers de soldats et de civils canadiens ont apporté des secours et un sentiment de sécurité aux victimes de cette terrible guerre. Ce n'était pas une opération de maintien de la paix au sens traditionnel, parce qu'il n'y avait pas de paix à maintenir. Mais les cyniques qui se moquent de ces réalisations méritent qu'on leur rappelle les milliers de personnes qui attendaient des Canadiens les vivres et les médicaments qui allaient les garder en vie.

Maintenant, dans la foulée de Dayton, nous assurons des services de formation électorale et policière, et nous participons aux efforts en vue de la reconstruction et du retour à la liberté de presse.

Et les Nations unies se tournent maintenant vers le Canada pour qu'il prenne la direction des activités à Haïti.

Encore là, il ne s'agit pas, à Haïti, de maintien de la paix comme on l'entend normalement. Ce qu'on demande au Canada de contribuer à faire, c'est ni plus ni moins de bâtir une société civile qui travaille pour ses gens et non pas contre eux. Les Canadiens peuvent et souhaitent y contribuer, tout comme ils l'ont fait à l'époque de Lester Pearson.

C'est un domaine où le Canada excelle, une vocation indissociable de notre politique étrangère.

Quand Lester Pearson a gagné le prix Nobel de la paix, le monde était sous la menace d'une guerre nucléaire mais il bénéficiait également d'une stabilité attribuable à la concurrence est-ouest. La crise de Suez a failli entraîner les grandes puissances dans une guerre qui nous aurait tous engloutis. Heureusement, M. Pearson a trouvé le moyen de désamorcer la situation. Mais il n'y est pas parvenu seul. Ses efforts et ceux du Canada ont été faits dans le cadre des Nations unies, ce qui s'explique en partie du fait qu'il a toujours cru que la voie du multilatéralisme était la meilleure pour le Canada.

Nous devons continuer de travailler d'arrache-pied à l'intérieur du système multilatéral bâti par la génération de Pearson, afin d'améliorer notre capacité à faire face aux problèmes d'aujourd'hui. Le Canada est aussi un chef de file de pays qui veulent aider les Nations unies à se préparer en vue des défis de demain. L'an dernier, les participants au Sommet du G7, qui s'est tenu à Halifax, ont élaboré un ambitieux programme de renouvellement. Entourés de nos amis, nous efforçons de le mettre en oeuvre.

Le monde compte maintenant beaucoup plus de pays qu'il y a quarante ans. Dans les circonstances, il faut du temps et de la patience, encore plus que durant les premières années, pour arriver à un consensus sur le changement.

Cependant, malgré les frustrations, l'isolement n'est pas une solution et ne le sera jamais. M. Pearson a condamné l'isolationnisme dans les années 50 pour exactement les mêmes raisons qui nous incitent à le condamner aujourd'hui. Le Canada a d'importants intérêts internationaux à défendre, ce qu'il ne peut pas faire s'il se sauve et se cache. Ou nous restons dans les rangs ou nous donnons à d'autres le pouvoir de décider de notre avenir à notre place.

Tout comme Lester Pearson a combattu l'isolationnisme il y a cinquante ans, nous devons nous élever contre les voix de l'isolationnisme d'aujourd'hui -- à l'étranger, mais aussi au Canada.

La génération de M. Pearson, qui a vécu la guerre la plus meurtrière que le monde ait connue, sait ce qu'il en coûte de pratiquer l'isolationnisme. À tous ceux qui, au Canada, qu'ils soient de droite ou de gauche, semblent crier « Arrêtez le monde, je veux descendre! », je dis que cela fait peut-être un bon slogan à coller aux pare-chocs des voitures, mais certainement pas une bonne politique étrangère, peu importe le domaine d'intervention, notamment les droits de la personne, le commerce ou nos responsabilités multilatérales. Depuis cinquante ans que la Deuxième Guerre s'est terminée, nous devrions au moins avoir appris à ne pas répéter les erreurs tragiques du passé.

C'est là la responsabilité qui incombe à la nouvelle génération de Canadiens, tout comme elle incombait auparavant à la génération de Pearson.

Si, ensemble, nous mettons à contribution le pouvoir multiplicateur que nous assure un Canada fort et uni, nous arriverons à mieux servir nos intérêts et ceux de la communauté internationale au sens large, laquelle veut d'un Canada ouvert et engagé dans la course.

Renouveler, c'est moins impressionnant que de construire, mais cela n'est pas moins important pour autant. Pour percer sur les marchés étrangers et créer des emplois chez soi, il faut du temps. Or, la patience et la persévérance sont des qualités canadiennes que nous ne sommes pas prêts à oublier aux premiers signes de difficultés. Lester Pearson aurait très bien compris cela et c'est en cela que son pragmatisme était à la mesure de sa passion.

Ce soir, nous rendons non seulement hommage à ses réalisations, mais aussi à la volonté qu'il a déployée pour rendre ces réalisations possibles.

La détermination de Lester Pearson est toujours parmi nous qui nous guide. Les principes qu'il défendait sont encore les nôtres et nous continuons de les défendre.

En tant que Canadiens!

En tant que citoyens du plus formidable pays du monde
 


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Mise à jour: 2006-07-27  Avis importants