Allocution du Premier ministre Jean Chrétien devant la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain


Le 18 octobre 1995
Québec (Québec)

Dans à peine plus de quatre ans, nous serons au 21e siècle. Comment s'y-préparer? En continuant de bâtir un pays qui est sans doute une des grandes réussites du 20e siècle. Ou, comme les tenants de la séparation le suggèrent, en reprenant tout à zéro avec les morceaux de ce qu'on aurait détruit.
Et il ne doit faire aucun doute que peu importe celui qui conduit l'autobus du OUI, la destination est toujours la même : c'est la séparation.

Défaire un grand pays qui s'est taillé une place de choix dans le monde moderne, n'est pas chose facile.

Les conséquences du démantèlement du Canada pourraient être extrêmement sérieuses pour tous nos concitoyens au Québec comme partout au pays. Et quel message serait envoyé au monde entier à l'aube du troisième millénaire?

C'est mon devoir, comme Premier ministre du Canada de le faire savoir à ceux qui prendront une décision le 30 octobre prochain, une décision qui pourrait avoir un caractère irréversible.

Quand j'entends et je vois avec quelle désinvolture les tenants de la séparation parlent de briser ce pays extraordinaire, je me demande s'ils réalisent vraiment les conséquences de leur projet.

Ils ont une facilité déconcertante pour écarter les réalités qui contredisent leur démarche.

En les écoutant, vous apprendrez que la séparation se fera tout seul, simplement, facilement, sans choc et sans difficulté, comme par magie, comme par enchantement. Tout ira bien et ça ne coûtera rien.

M. Bouchard disait en fin de semaine : « Un OUI, ça a quelque chose de magique. D'un coup de baguette, ça transforme toute la situation. » Ça me rappelle ce merveilleux conte de notre enfance : « Lucien au pays des merveilles ». Il faut dire la vérité. Dans le monde réel, il n'y a pas de baguette magique et les gens paient leurs factures.

Il faut dire aux gens ce qui arriverait si le projet de séparation de M. Parizeau et son magicien se réalisait. Il faut dire que le Québec ne ferait plus partie du Canada. Que les Québécois n'éliraient plus de députés à la Chambre des Communes. Qu'il n'y aurait plus de Québécois dans l'administration fédérale. Que les Québécois ne seraient plus citoyens canadiens et n'auraient donc plus droit au passeport canadien.

Parler des conséquences économiques de la séparation, ce n'est pas faire peur au monde, c'est dire la vérité. Derrière les chiffres que dédaignent M. Parizeau et son magicien, il y a des emplois, des hommes et des femmes qui gagnent leur vie et celle de leurs enfants. Et ce n'est pas la baguette magique de Lucien Bouchard qui va les faire vivre. Les citoyens veulent savoir s'ils paieront plus ou moins d'impôts. Est-ce qu'ils auront plus ou moins d'argent dans leurs poches à la fin de l'année?

Toutes les études - même les études séparatistes - démontrent que la séparation du Québec amènerait des augmentations d'impôts substantielles et d'importantes compressions dans les services gouvernementaux. C'est une réalité incontournable que des slogans rassurants seuls ne peuvent camoufler. Et c'est mieux de le savoir maintenant. Pensez-y bien avant d'aller voter.
Ensuite, quoi de plus normal que de signer tous nos traités. En apparence, c'est très bien, mais qu'est-ce que ça veut dire en réalité?

Parlons par exemple de l'accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA.

En se séparant du Canada, le Québec sortirait de l'ALENA pour ensuite tenter de renégocier son adhésion à titre de nouveau pays. Une telle opération comporte des risques énormes pour le Québec.

Est-ce que M. Parizeau et son magicien peuvent garantir aux travailleurs du textile, de l'agriculture, du secteur culturel et des services financiers qu'il n'y aura pas de conséquences négatives pour eux, pour leurs familles et pour leurs communautés? C'est mieux de le savoir maintenant. Pensez-y bien avant d'aller voter.

On tente aussi de nous faire croire qu'après avoir dissous le Canada, un Québec séparé pourra garder le dollar canadien et que les Québécois pourront conserver la citoyenneté et le passeport canadiens. C'est fantastique ce qu'on peut faire quand on a des pouvoirs magiques. Il faut comprendre la portée de la proposition du camp de la rupture. Pensez-y bien avant d'aller voter.

Est-ce que M. Parizeau et son magicien peuvent garantir qu'un Québec séparé garderait le dollar canadien plus de 39 jours, comme ce fut le cas pour la Slovaquie après sa séparation de la Tchécoslovaquie.

Il y a deux semaines, le ministre des finances, Paul Martin a clairement expliqué pourquoi il ne serait pas dans l'intérêt du reste du Canada d'entamer des négociations avec un Québec séparé pour établir une nouvelle union économique.

Cela disait-il, amènerait inévitablement les Américains à la table de négociation pour demander la révision d'un certain nombre de clauses qui ne font pas leur affaire dans les accords commerciaux que nous avons avec eux. Une nouvelle union économique ne serait pas possible car le reste du Canada y perdrait trop au change. Pour chaque concession consentie au Québec, le reste du Canada devrait en faire autant pour les États-Unis. Pensez-y bien avant d'aller voter.

Aucun des tenants de la séparation n'a pu contredire de façon crédible la position de M. Martin.

La semaine dernière, le Premier ministre de l'Ontario a donné clairement non seulement des raisons économiques mais également des raisons politiques pour rejeter la proposition de partenariat politique entre le Québec et le reste du Canada. Cette proposition qualifiée jusqu'ici d'irréaliste et illusoire, est maintenant jugée irrecevable par l'ensemble des provinces. Et ce n'est pas du bluff comme le suggèrent MM. Bouchard et Parizeau.

Sachant que l'union économique ne peut pas être négociée et que le partenariat politique n'a pas de preneur, il ne resterait en fait qu'une chose à négocier : la séparation pure et simple. Pensez-y bien.

Encore faudrait-il qu'il se trouve un interlocuteur qui en ait le mandat. Je vais vous montrer que ça prend plus qu'un coup de baguette magique pour faire ça.
Le mandat du magicien au lendemain du référendum, serait d'essayer de défaire l'omelette pour remettre les oeufs dans leur coquille. Et je peux vous dire que ça prend toute une baguette magique pour faire ça. Avec qui ce négociateur en chef pourrait-il s'asseoir le lendemain d'un OUI. Pour les tenants de la séparation, la réponse est très facile.

Il va s'asseoir avec le reste du Canada, présumément représenté par le gouvernement fédéral.
Et là, il faut absolument mettre fin à un mythe entretenu depuis fort longtemps par les tenants de la séparation.

Ils présentent le reste du Canada comme un bloc monolithique parlant d'une seule voix. Rien n'est plus faux.

Le Canada n'est pas comme l'ancienne Tchécoslovaquie, composée de deux républiques aux contours clairement définis.

Le Canada est une fédération composée de provinces qui ne sont pas homogènes et dont les intérêts varient. Le Canada avec le Québec forme un pays.

Personne ne sait ce qui en resterait sans le Québec. Nous devrions savoir que le reste du Canada n'est pas un pays. Qui a le mandat pour parler au nom du soi-disant reste du Canada? Est-ce que ce sera le parlement et le gouvernement du Canada avec une représentation du Québec à 25 pour cent?

Compte tenue de l'étendue des conséquences de la séparation pour chacune des autres provinces, rien ne porte à croire qu'elles seraient disposées à donner carte blanche au gouvernement fédéral pour établir les termes de la dissolution du pays.

Par définition, le reste du Canada ne pourrait même pas penser à négocier les termes de la séparation du Québec avant de prendre la décision de rester uni.

Qui peut prévoir les réactions des neuf autres provinces canadiennes, et encore moins qui peut prédire que les provinces restantes arriveraient à établir un consensus.

Et ça, contrairement à ce que prétendent M. Parizeau et son magicien, ce n'est pas simple.

Non, ce n'est pas simple de faire du reste du Canada un nouveau pays avec une nouvelle constitution, de nouvelles institutions et de nouveaux arrangements économiques et politiques. Ça prend plus qu'un coup de baguette magique.

En supposant que la partie restante du Canada décide de former un pays coupé en deux par son milieu, il semble très clair qu'il faudrait attendre longtemps avant de pouvoir amorcer des négociations sérieuses simplement sur les termes de la séparation.

Ensuite, on entamerait des années de négociations sur les conditions de la sécession; des années de négociations pour remplacer les ententes fédérales-provinciales et des années de négociations pour remplacer les accords internationaux.

Et au bout de tout cela, personne ne sait ce que les Québécois obtiendraient. Et, à part ceux qui pratiquent la pensée magique, nous savons tous que le Québec et le reste du Canada seraient perdants dans l'opération.

Entre temps, qu'arriverait-il au dollar? Qu'arriverait-il à l'investissement au Québec et partout au Canada?

Qu'arriverait-il aux emplois et aux familles qui en dépendent? Qu'arriverait-il au niveau de vie de nos concitoyens et concitoyennes? Quelles garanties pourraient alors nous donner les tenants de la séparation? Ni M. Parizeau, ni son magicien, n'ont donné de réponses à ces questions.

Les Québécois sont en droit d'obtenir des réponses claires et d'avoir accès au maximum d'information, afin d'être en mesure de décider où se trouve leur meilleur intérêt.

Renier des études qui ont coûté 10 millions de dollars aux contribuables québécois parce qu'on en aime pas les conclusions, étouffer les discussions et refuser de répondre aux questions difficiles ne sert les intérêts de personne.

Peut-on imaginer toute l'énergie, tout le temps et tous les efforts qu'il faudra mettre à résoudre les problèmes liés au démantèlement d'une des plus grandes puissances industrielles du monde?

Peut-on imaginer toute l'amertume et la colère qui marquerait ce processus? Et peut-on imaginer que nos concurrents vont se montrer prêts à nous attendre pendant que nous réglons nos affaires? Pensez-y bien avant d'aller voter.

Pouvez-vous imaginer que des investisseurs qui cherchent la stabilité et qui ne manquent pas d'endroits où placer leur argent vont nous dire : « Faites-vous-en pas! Nous n'avons pas peur d'investir chez vous parce qu'un bon jour, qui sait, vous allez peut-être réussir à vous sortir du pétrin. »

Par contre, ce qui est immédiatement garanti au lendemain d'un NON, c'est que nous conservons un pays souverain.

Un pays qui nous garantit la citoyenneté canadienne, le passeport canadien et la monnaie canadienne.

Un pays qui nous garantit instantanément un partenariat économique et politique qui nous permet de rayonner tant sur l'Atlantique que sur le Pacifique.

Un pays concret, tangible, que nous connaissons depuis longtemps. Un pays que personne ne peut nous enlever. Ce pays, le Canada, n'est pas le fruit de marchands de rêve et de magiciens, mais celui du travail et de la sueur de tous ceux qui ont contribué à le bâtir depuis plus d'un siècle.
Au lendemain d'un NON, nous pourrions ensemble mobiliser toute l'énergie et toute l'intelligence qui sont aujourd'hui consacrées à la séparation afin de voir aux véritables préoccupations des citoyens.

Une fois disparue cette menace de séparation, et toute l'incertitude qu'elle implique, le Québec et tout le Canada peuvent s'attendre à des taux d'intérêt plus bas, une amélioration qui signifie des emplois, des investissements et la croissance.

Un vote pour le NON permettra enfin aux Québécois et aux autres Canadiens de bénéficier d'une économie qui a pour elle tous les atouts, d'une productivité qui atteint des records, d'un taux d'inflation qui est le plus bas parmi les pays du G-7 et un des plus bas parmi les pays de l'OCDE. Ils auront un pays qui est en train de régler son problème de dette et de déficit. Ce n'est pas de la magie, mais c'est le progrès et le changement sans rupture.

Les Québécois pourront se joindre aux autres Canadiens lorsqu'il s'agira de mettre en place de nouvelles ententes commerciales avec l'étranger, outre celles que nous avons déjà établies sur ce continent.

Au lieu de déchirer les accords existants et de tout recommencer, le Québec pourra, en votant NON, bénéficier de nouvelles ententes commerciales, partout dans le Pacifique, avec le Japon, Singapour, l'Australie et la Chine, des initiatives que nous poursuivons déjà.

Il ne faut surtout pas sous-estimer l'importance de faire partie d'un pays du Pacifique à l'aube du 21e siècle.

À l'échelle du globe, le Québec pourra continuer d'exercer avec le Canada l'influence d'une grande nation qui a accès aux autres grandes nations.

Nous méritons de continuer à faire partie d'un pays qui est membre du G-7, de l'APEC, de la Quadrilatérale, où le Japon, les États-Unis et l'Europe sont les partenaires du Canada. Nous méritons d'exercer une influence auprès des puissants de ce monde, au lieu de rester en marge des décisions. C'est ça le progrès et le changement sans rupture.

Ce dont les gens veulent que leurs gouvernements leur parlent maintenant , c'est de la façon dont ils entendent s'y prendre pour aider les petites entreprises à créer des emplois d'avenir.

Ils veulent voir leurs gouvernements à Ottawa et à Québec travailler ensemble à conquérir les marchés étrangers pour ouvrir les perspectives d'emploi aux gens d'ici.

Pendant que nous perdons un temps précieux, nos concurrents s'attaquent quant à eux aux vrais préoccupations des gens.
Il faut sortir de cette crise existentielle et ensemble redonner de l'espoir aux jeunes en se concentrant sur les moyens de créer de l'emploi pour qu'ils voient concrètement où est leur avenir. Et je peux vous garantir que mon gouvernement y met toutes ses énergies.

Le Canada continuera d'évoluer selon une approche modérée pour répondre de manière plus fonctionnelle et efficace aux besoins des citoyens.

Nous avons l'habitude de faire les choses en douceur, sans cris ni grands déchirements et dans un esprit pratique et efficace.

L'état des finances publiques est tel que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont actuellement engagés dans une remise en question en profondeur de leurs rôles respectifs de manière à mieux définir leurs responsabilités à l'égard de leurs commettants.

Depuis 1993, nous avons commencé à développer des plans d'action communs avec neuf des dix provinces pour réduire les dédoublements et chevauchements inutiles.

Nous avons souvent combiné nos ressources pour offrir à meilleur coût de meilleurs services aux contribuables.

Seul le gouvernement du Québec a refusé de s'associer au gouvernement fédéral pour éliminer les chevauchements et le gaspillage et rationaliser les services.

Mais malheureusement, pour ceux qui veulent quitter le Canada, il est stratégiquement plus important de miner son fonctionnement, même si cela doit se faire aux dépens des contribuables.

Les rapports entre les gouvernements fédéral et provinciaux ont néanmoins beaucoup évolué depuis les débuts de la Confédération, en réponse aux besoins réels des Canadiens et des Canadiennes. Dans un monde qui se transforme rapidement, nos institutions doivent continuer à s'adapter. Elles le font et elles vont continuer à le faire.

Dans moins de deux semaines maintenant, ce sera l'heure des choix. Méfiez-vous des magiciens.
Rappelez-vous que ce référendum n'est pas une élection où on choisit un gouvernement et un Premier ministre qu'on peut remplacer dans quatre ans. C'est le choix définitif et sans retour d'un pays. Pensez-y bien.

MM. Bouchard et Parizeau ne veulent pas renouveler le Canada. Ce qu'ils veulent, c'est en sortir et faire du Québec un pays étranger du Canada comme le sont les États-Unis ou le Mexique. Ils offrent un aller-simple pour la séparation. Le prix du billet : votre passeport et tous les avantages qui y sont rattachés. L'enjeu est d'une exceptionnelle gravité. Pensez-y bien avant d'aller voter.

D'un côté, la séparation, qui nous projetterait collectivement dans l'inconnu avec tous les risques que cela comporte.

C'est une invitation à une aventure dont personne, y compris ceux qui y croient, ne sortiraient gagnants. De l'autre, un Québec économiquement et politiquement fort qui poursuit sa formidable évolution au sein du Canada.

Ce pays, nous l'avons construit et assis sur les valeurs de liberté et de paix, de tolérance, de générosité, d'ouverture à la différence, de partage et de compassion à l'égard des moins nantis de notre société.

Il ne faut pas sous-estimer la réputation enviable du Canada partout dans le monde.

À l'aube du troisième millénaire, essayez d'imaginer un seul instant le message qui serait envoyé au monde entier en démantelant un pays bâti sur des valeurs dont rêvent tant d'habitants de notre planète.

Je vais dire NON à la séparation. Je vais le faire avec fierté. La fierté d'un Québécois qui croit dans ce pays que nous avons bâti ensemble. La fierté d'un Québécois qui croit profondément à l'extraordinaire potentiel du Canada.

La fierté d'un Québécois qui croit à la place essentielle du Québec dans le Canada.

Une place qu'il s'est forgé par son travail acharné et que personne ne pourra lui enlever. Et la fierté que j'éprouve d'être Québécois ne contredit en rien cette autre immense fierté que j'ai : celle d'être Canadien.

Les leaders séparatistes, qui ne manquent jamais une occasion de se réclamer de la tradition de ceux qui ont fait la Révolution tranquille dans le Québec des années 60, devraient se rappeler ceci : au cours de la campagne référendaire de 1980, celui que l'on a surnommé le père de la Révolution tranquille, Jean Lesage, avait déclaré, et je le cite :

« Pour ma part, je n'ai jamais envisagé le Québec séparé du Canada...

Le Canada c'est mon pays, j'en suis fier, le Québec c'est ma patrie et j'en suis fier, mais mon pays c'est le Canada, je veux y demeurer, je ne veux pas restreindre mes horizons, revenir au temps où le Québec était replié sui lui-même...

Nous avons déclenché à partir de 1960 une explosion de liberté et de progrès au Québec afin que ce dernier ait vraiment la place qui lui revient au sein du Canada... Personne n'a prêché plus que moi la fierté du Québec, mais l'indépendance politique, ce n'est plus de la fierté, c'est de la présomption et de l'inconscience. »

Ces paroles sont toujours valables aujourd'hui.




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