La fédération juste
(9 mars 2001)

          Le gouvernement de M. Chrétien offre au nouveau gouvernement de M. Landry sa pleine collaboration afin d'aider les Québécois à améliorer constamment leur qualité de vie au Canada. Le gouvernement de tous les Canadiens a pour devoir de travailler avec tous les gouvernements provinciaux, quelles que soient leurs orientations politiques.

          Mais le gouvernement fédéral a aussi le devoir de ne pas laisser sans réponse tout commentaire injuste au sujet du Canada. Notre conduite ne va pas changer : nous allons réagir à toutes les remarques injustes venant du gouvernement du premier ministre Landry, tout comme nous l'avons fait lorsque M. Bouchard occupait cette fonction. Nous allons répondre poliment, mais clairement.

          Durant les semaines qui l'ont mené à la présidence de son parti, M. Bernard Landry a répété, inlassablement, le même discours. Celui-ci se résume en deux propositions. Premièrement, M. Landry allègue que le Québec est une nation et que le Canada est une autre nation. Deuxièmement, les nations n'entretenant, selon M. Landry, que des relations d'intérêts froidement calculés, la nation québécoise, étant moins nombreuse que la nation canadienne, se fait avoir dans le Canada. Dans les termes de M. Landry : « (...) il est immanquable que la nation qui contrôle se serve d'abord. » (discours prononcé par Bernard Landry à Hull, le 26 février 2001).

1. Le Québec reçoit sa juste part

          Je commencerai par réfuter la seconde proposition de M. Landry : les Québécois ne sont pas victimes de discrimination.

          Les avantages de l'appartenance au Canada sont multiples. Je me contenterai toutefois d'examiner cette question sous l'angle proposé par M. Landry : la comparaison entre les dépenses du gouvernement fédéral au Québec et les revenus qu'il y prélève.

          Examinons les chiffres. Les données sur ce sujet tirées des comptes économiques provinciaux de Statistique Canada varient peu d'une année à l'autre. Les plus récentes données disponibles, celles de 1998, sont donc tout à fait représentatives. Les Québécois recevaient alors 24,2 % du total des dépenses fédérales. Or, la population du Québec représentait exactement 24,2 % de la population totale du Canada.

          Cependant, la part de la contribution des Québécois aux recettes fédérales n'est pas de 24,2 %. Elle est de 20,6 %. Les Québécois reçoivent donc plus qu'ils ne contribuent. Est-ce équitable? Oui, tout à fait, car il faut tenir compte du fait que l'apport du Québec au PIB canadien est de 21,8 %. Tout compte fait, le Québec contribue selon la taille de son économie et reçoit selon la taille de sa population.

          Il est vrai que ces chiffres changeraient un peu si les Québécois n'étaient pas les seuls au pays à jouir d'un abattement spécial de l'impôt fédéral sur le revenu dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Cependant, l'effet de cet abattement s'exerce tout autant sur les dépenses fédérales au Québec que sur la contribution des Québécois aux recettes fédérales. Si l'abattement spécial n'existait pas, leur part de contribution aux recettes passerait à 21,7 % et leur part des dépenses se hausserait à 25,3 %. C'est-à-dire que l'excédent de dépenses sur les recettes demeurerait le même.

          Est-ce à dire que le Québec est une province « pauvre » comme le répète régulièrement M. Landry? Pas du tout. Cela signifie simplement que le Québec est un peu moins riche que la moyenne canadienne. Les quatre provinces de l'Atlantique, le Manitoba, la Saskatchewan et les trois territoires bénéficient d'un excédent par habitant plus important que le nôtre.

          Est-ce que cela signifie que les Québécois obtiennent 24,2 % de chacun des postes du budget fédéral? Évidemment non, pas plus que les Saskatchewannais ne reçoivent l'équivalent de leur part de population au titre des dépenses fédérales destinées aux pêches et aux océans! Les Québécois obtiennent beaucoup plus que leur part de la population de certains postes du budget fédéral (la moitié des paiements de péréquation, par exemple), et moins de certains autres.

          Il n'est pas étonnant que M. Landry insiste sur les postes où les chiffres du Québec sont inférieurs à son poids démographique. Il faut dire, cependant, que ces postes ne représentent que 23,9 % de l'ensemble du budget des dépenses fédérales. Les postes dont la part québécoise est inférieure à celle de la contribution des Québécois aux recettes fédérales ne représentent que 4,1 % de l'ensemble des dépenses.

          M. Landry se plaint - tout comme M. Bouchard le faisait avant lui, et M. Parizeau avant M. Bouchard (c'est une vieille histoire) - que les Québécois n'aient pas une part des dépenses fédérales de recherche et développement équivalente à leur poids démographique. Les données les plus récentes disponibles (1997-1998) révèlent que les Québécois reçoivent 21,2 % de ces dépenses. Mais ce pourcentage tient compte des dépenses qui sont effectuées dans la région de la capitale nationale, dans les laboratoires de recherche, qui, pour des raisons d'efficacité, doivent y être rassemblés. Tous les gouvernements modernes concentrent leurs dépenses de R-D dans leur capitale, y compris le gouvernement du Québec. Si l'on considère les dépenses fédérales de R-D faites à l'extérieur de la région de la capitale nationale, la part du Québec est de 26,8 %.

          Dans le cas des biens et services, les fournisseurs québécois obtiennent 21,5 % des dépenses fédérales, ce qui correspond à peu près à la taille de l'économie du Québec au Canada. La raison d'être de ce poste de dépenses étant le fonctionnement du gouvernement et non la redistribution de la richesse, il est normal que la distribution régionale de ces dépenses ressemble à la distribution régionale de l'activité économique.

          Voyons maintenant les subventions aux entreprises. Les entreprises québécoises reçoivent 16,5 % du total de ces dépenses. C'est à tort que M. Landry y voit matière à scandale. Il faut dire que les subventions aux entreprises ne représentent pas une large part du budget fédéral - seulement 2,6 %. Une partie de ces dépenses sert à aider les agriculteurs qui ne disposent pas d'offices de commercialisation, soit surtout les agriculteurs de l'Ouest. En fait, la plupart des agriculteurs québécois sont aidés par les consommateurs de l'ensemble du Canada par le biais des quotas de commercialisation, et ce genre d'aide ne figure pas dans le budget fédéral.

          Prenons maintenant la défense nationale. La part du Québec est de 17,3 %. Mais ces données comprennent les dépenses faites à l'étranger, qui importent à tous les Canadiens. Pour ce qui est des dépenses faites au Canada même, le Québec obtient 21,5 %. La plupart des provinces reçoivent, comme le Québec, une part de ces dépenses qui est inférieure à leur poids démographique. Il n'y a certainement rien de scandaleux au fait qu'une proportion importante des dépenses de défense est concentrée en Nouvelle-Écosse. N'avons-nous pas participé à deux guerres mondiales sur le front atlantique?

          M. Landry prétend que le nombre de fonctionnaires fédéraux au Québec est insuffisant. En fait, 23,1 % de l'ensemble des fonctionnaires fédéraux au Canada travaillent au Québec et leur proportion serait encore plus élevée si notre gouvernement provincial n'assumait pas certaines responsabilités (par exemple les services de police) que d'autres provinces préfèrent laisser au gouvernement fédéral.

          Et je pourrais continuer longtemps comme cela. Par exemple, M. Landry affirme que la rive québécoise de la région de la capitale nationale ne recueille que 1 % des achats fédéraux dans la région. Ce propos ne correspond aucunement à la réalité. Les quartiers généraux de plusieurs des plus grands ministères fédéraux sont situés sur la rive québécoise et 27,6 % des fonctionnaires fédéraux dans la région de la capitale nationale travaillent au Québec. Les salaires des fonctionnaires sont une des plus importantes composantes des achats fédéraux de biens et services.

2. Les Québécois sont aussi des Canadiens

          En somme, le Québec n'est ni l'enfant gâté ni la victime de la fédération. Il reçoit sa juste part des dépenses fédérales en tant que province un peu moins prospère que la moyenne canadienne.

          D'ailleurs, pourquoi en serait-il autrement? Quelle force maléfique pourrait rendre le Québec victime de discrimination systématique au Canada? On connaît la réponse de M. Landry et de son parti : « il est immanquable que la nation qui contrôle se serve d'abord. »

          Dans leur univers, on ne peut appartenir à plus d'une nation. Puisque nous, les Québécois, appartenons à notre propre nation, nous ne pouvons faire partie de la nation canadienne. Ils ajoutent que deux nations différentes, réunies dans le même État, entretiennent entre elles des relations de pur intérêt et non pas de solidarité.

          L'univers de M. Landry est triste. Si nous l'acceptions, pourquoi les Québécois anglophones, ou les Autochtones qui vivent au Québec, accepteraient-ils d'avoir un lien de solidarité empreint de confiance avec les Québécois francophones? Ne serait-il pas « immanquable » qu'au Québec aussi, « la nation qui contrôle se serve d'abord »?

          Heureusement, M. Landry est dans l'erreur. Nous pouvons avoir plus d'une identité. Être en même temps Québécois et Canadien n'est pas du tout une contradiction; c'est plutôt une merveilleuse complémentarité. Dans ce monde global, qui nous fait de plus en plus entrer en contact avec des gens de cultures et de milieux tellement variés, c'est une force d'avoir plus d'une identité, jamais une faiblesse. Les identités sont une chose que l'on devrait additionner, jamais soustraire.

          Manifestement, le Québec est une nation au sens français du terme, c'est-à-dire une collectivité qui possède son propre sentiment de l'histoire et ses propres repères culturels. Mais cette culture englobe notre dimension canadienne, notre identité canadienne. Elle englobe tous les aspects du pays que nous avons bâti avec les autres Canadiens, toute la solidarité qui nous lie à eux.

          Renoncer à notre identité canadienne serait abandonner une partie importante de ce qui fait de nous des Québécois. Nous nous en rendons compte de plus en plus et cette prise de conscience renforce d'autant notre attachement à la solidarité et à l'entraide qui sont à la base de l'idéal canadien.

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