Renvoi relatif à la sécession du Québec
le 16, 17, 18, 19 février 1998; le 20 août 1998
No du greffe: 25506
DANS L'AFFAIRE DE l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985),
ch. S-26;
ET DANS L'AFFAIRE D'UN renvoi par le Gouverneur en conseil au sujet de certaines
questions ayant trait à la sécession du Québec du reste du Canada formulées
dans le décret C.P. 1996-1497 en date du 30 septembre 1996
Répertorié: Renvoi relatif à la sécession du Québec
IV. Sommaire des conclusions
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Comme nous l'avons indiqué au début, nous étions appelés, dans le présent
renvoi, à examiner des questions d'une extrême importance, qui touchent au
c{oe}ur même de notre système de gouvernement constitutionnel. Nous avons
souligné que la Constitution n'est pas uniquement un texte écrit. Elle englobe
tout le système des règles et principes qui régissent l'exercice du pouvoir
constitutionnel. Une lecture superficielle de certaines dispositions
spécifiques du texte de la Constitution, sans plus, pourrait induire en erreur.
Il faut faire un examen plus approfondi des principes sous-jacents qui animent
l'ensemble de notre Constitution, dont le fédéralisme, la démocratie, le
constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect des minorités. Ces
principes doivent guider notre appréciation globale des droits et obligations
constitutionnels qui entreraient en jeu si une majorité claire de Québécois,
en réponse à une question claire, votaient pour la sécession.
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Le renvoi nous demande de déterminer si le Québec a le droit de faire
sécession unilatéralement. Ceux qui soutiennent l'existence d'un tel droit
fondent leur prétention d'abord et avant tout sur le principe de la démocratie.
La démocratie, toutefois, signifie davantage que la simple règle de la
majorité. Comme en témoigne notre jurisprudence constitutionnelle, la
démocratie existe dans le contexte plus large d'autres valeurs
constitutionnelles telles celles déjà mentionnées. Pendant les 131 années de
la Confédération, les habitants des provinces et territoires ont noué
d'étroits liens d'interdépendance (économique, sociale, politique et
culturelle) basés sur des valeurs communes qui comprennent le fédéralisme, la
démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que le
respect des minorités. Une décision démocratique des Québécois en faveur de
la sécession compromettrait ces liens. La Constitution assure l'ordre et la
stabilité et, en conséquence, la sécession d'une province ne peut être
réalisée unilatéralement «en vertu de la Constitution», c'est-à-dire sans
négociations fondées sur des principes, avec les autres participants à la
Confédération, dans le cadre constitutionnel existant.
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La Constitution n'est pas un carcan. Un rappel, même bref, de notre histoire
constitutionnelle révèle des périodes de changements marquants et
extrêmement profonds. Nos institutions démocratiques permettent
nécessairement un processus continu de discussion et d'évolution, comme en
témoigne le droit reconnu par la Constitution à chacun des participants à la
fédération de prendre l'initiative de modifications constitutionnelles. Ce
droit emporte l'obligation réciproque des autres participants d'engager des
discussions sur tout projet légitime de modification de l'ordre constitutionnel.
Même s'il est vrai que certaines tentatives de modification de la Constitution
ont échoué au cours des dernières années, un vote qui aboutirait à une
majorité claire au Québec en faveur de la sécession, en réponse à une
question claire, conférerait au projet de sécession une légitimité
démocratique que tous les autres participants à la Confédération auraient
l'obligation de reconnaître.
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Le Québec ne pourrait, malgré un résultat référendaire clair, invoquer un
droit à l'autodétermination pour dicter aux autres parties à la fédération
les conditions d'un projet de sécession. Le vote démocratique, quelle que soit
l'ampleur de la majorité, n'aurait en soi aucun effet juridique et ne pourrait
écarter les principes du fédéralisme et de la primauté du droit, les droits
de la personne et des minorités, non plus que le fonctionnement de la
démocratie dans les autres provinces ou dans l'ensemble du Canada. Les droits
démocratiques fondés sur la Constitution ne peuvent être dissociés des
obligations constitutionnelles. La proposition inverse n'est pas acceptable non
plus. L'ordre constitutionnel canadien existant ne pourrait pas demeurer
indifférent devant l'expression claire, par une majorité claire de Québécois,
de leur volonté de ne plus faire partie du Canada. Les autres provinces et le
gouvernement fédéral n'auraient aucune raison valable de nier au gouvernement
du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité
claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi
longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecterait les droits des
autres. Les négociations qui suivraient un tel vote porteraient sur l'acte
potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles si elle devait
effectivement être réalisée. Il n'y aurait aucune conclusion prédéterminée
en droit sur quelque aspect que ce soit. Les négociations devraient traiter des
intérêts des autres provinces, du gouvernement fédéral, du Québec et, en
fait, des droits de tous les Canadiens à l'intérieur et à l'extérieur du
Québec, et plus particulièrement des droits des minorités. Il va sans dire
que de telles négociations ne seraient pas aisées.
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Le processus de négociation exigerait la conciliation de divers droits et
obligations par voie de négociation entre deux majorités légitimes, soit la
majorité de la population du Québec et celle de l'ensemble du Canada. Une
majorité politique, à l'un ou l'autre niveau, qui n'agirait pas en accord avec
les principes sous-jacents de la Constitution que nous avons mentionnés
mettrait en péril la légitimité de l'exercice de ses droits et ultimement
l'acceptation du résultat par la communauté internationale.
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La tâche de la Cour était de clarifier le cadre juridique dans lequel des
décisions politiques doivent être prises «en vertu de la Constitution», et
non d'usurper les prérogatives des forces politiques qui agissent à
l'intérieur de ce cadre. Les obligations que nous avons dégagées sont des
obligations impératives en vertu de la Constitution du Canada. Toutefois, il
reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité
claire en réponse à une question claire», suivant les circonstances dans
lesquelles un futur référendum pourrait être tenu. De même, si un appui
majoritaire était exprimé en faveur de la sécession du Québec, il
incomberait aux acteurs politiques de déterminer le contenu des négociations
et le processus à suivre. La conciliation des divers intérêts
constitutionnels légitimes relève nécessairement du domaine politique plutôt
que du domaine judiciaire, précisément parce que cette conciliation ne peut
être réalisée que par le jeu des concessions réciproques qui caractérise
les négociations politiques. Dans la mesure où les questions abordées au
cours des négociations seraient politiques, les tribunaux, conscients du rôle
qui leur revient dans le régime constitutionnel, n'auraient aucun rôle de
surveillance à jouer.
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Nous nous sommes également demandés s'il existe, en vertu du droit
international, un droit de sécession dans les circonstances envisagées par la
question 1, c'est-à-dire une expression démocratique claire en faveur de la
sécession du Québec, en réponse à une question claire. Certains de ceux qui
apportent une réponse affirmative se fondent sur le droit reconnu à
l'autodétermination qui appartient à tous les «peuples». Même s'il est
certain que la majeure partie de la population du Québec partage bon nombre des
traits qui caractérisent un peuple, il n'est pas nécessaire de trancher la
question de l'existence d'un «peuple», quelle que soit la réponse exacte à
cette question dans le contexte du Québec, puisqu'un droit de sécession ne
prend naissance en vertu du principe de l'autodétermination des peuples en
droit international que dans le cas d'«un peuple» gouverné en tant que partie
d'un empire colonial, dans le cas d'«un peuple» soumis à la subjugation, à
la domination ou à l'exploitation étrangères, et aussi, peut-être, dans le
cas d'«un peuple» empêché d'exercer utilement son droit à
l'autodétermination à l'intérieur de l'État dont il fait partie. Dans les
autres circonstances, les peuples sont censés réaliser leur autodétermination
dans le cadre de l'État existant auquel ils appartiennent. Un État dont le
gouvernement représente l'ensemble du peuple ou des peuples résidant sur son
territoire, dans l'égalité et sans discrimination, et qui respecte les
principes de l'autodétermination dans ses arrangements internes, a droit au
maintien de son intégrité territoriale en vertu du droit international et à
la reconnaissance de cette intégrité territoriale par les autres États. Le
Québec ne constitue pas un peuple colonisé ou opprimé, et on ne peut pas
prétendre non plus que les Québécois se voient refuser un accès réel au
gouvernement pour assurer leur développement politique, économique, culturel
et social. Dans ces circonstances, l'Assemblée nationale, la législature ou le
gouvernement du Québec ne possèdent pas, en vertu du droit international, le
droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada.
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Même s'il n'existe pas de droit de sécession unilatérale en vertu de la
Constitution ou du droit international, c'est-à-dire un droit de faire
sécession sans négociation sur les fondements qui viennent d'être examinés,
cela n'écarte pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de
sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d'une telle
sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale
qui, pour décider d'accorder ou non cette reconnaissance, prendrait
vraisemblablement en considération la légalité et la légitimité de la
sécession eu égard, notamment, à la conduite du Québec et du Canada. Même
si elle était accordée, une telle reconnaissance ne fournirait toutefois
aucune justification rétroactive à l'acte de sécession, en vertu de la
Constitution ou du droit international.
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La version officielle de ces décisions se trouve dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada (R.C.S.).