« Le Canada, comment il fonctionne, pourquoi il fonctionne
et pourquoi il va continuer d'exister
 »

Notes pour une allocution devant le
Center for Strategic and International Studies

Washington, D.C.

le 15 octobre 1996


C'est ma première sortie en dehors du Canada depuis que le Premier ministre, monsieur Jean Chrétien, m'a convaincu, le 25 janvier 1996, de quitter l'université pour venir l'aider à garder notre pays uni, à titre de ministre des Affaires intergouvernementales. Je suis très heureux que cette première occasion me soit donnée chez notre grand voisin du sud, les États-Unis, et à Washington en plus, une ville que j'adore; j'y ai passé la seule année sabbatique qu'il m'ait été donné de vivre comme universitaire, en 1990-1991. Cette année inoubliable pour moi s'est d'ailleurs déroulée tout à côté d'ici, comme plusieurs d'entre vous le savent, à la Brookings Institution où j'ai été accueilli très chaleureusement. J'y suis venu pour étudier l'administration fédérale américaine; le fruit de mon travail sera inséré dans un livre qui paraîtra prochainement à la Pittsburgh University Press, que je co-signe avec deux autres politologues canadiens, sous le titre Governments, Parties and Public Sector Employees;Canada, United States, Britain and France. Je suis sûr que vous allez vous le procurer, et vous pourrez l'offrir à vos amis à Noël.

À la Brookings, il m'est arrivé une chose étonnante : le directeur, Thomas Mann, m'invita, un midi, à une séance de travail pour parler de la situation politique dans mon pays. Je ne savais alors pas dans quoi je m'embarquais, car depuis ce temps-là, ça n'a jamais cessé : des études en administration publique, j'ai été de plus en plus amené à parler des questions de l'unité canadienne; et me voilà maintenant ministre de l'unité canadienne. Alors merci Thomas!

À la suite de cette mini-conférence, la Brookings Institution m'a invité à participer à la rédaction d'un livre intitulé The Collapse of Canada? (1992); c'est moi qui ai insisté pour qu'il y ait un point d'interrogation! Ce qui m'amène d'ailleurs à ce que je veux vous dire aujourd'hui.

Le « collapse of Canada » n'est pas impossible, bien que ce soit improbable. La conviction du Premier ministre Jean Chrétien et du gouvernement du Canada est que si tous les Canadiens qui croient dans leur pays se mobilisent pour l'unité canadienne, ils sauront la préserver. C'est avec beaucoup d'optimisme et de confiance que nous envisageons l'avenir.

Les raisons d'être optimiste

Je m'adresse à vous en tant que Québécois et Canadien très attaché à ses deux identités, qui ne veut jamais avoir à choisir entre elles. Je sais que c'est aussi le cas de la très grande majorité des Québécoises et des Québécois. Permettez-moi de mettre un moment mon chapeau de politologue et de regarder avec vous l'état de l'opinion publique au Québec. Un sondage réalisé en février dernier indiquait que 21 pour cent des Québécois sembleraient ne plus se reconnaître dans l'identité canadienne, mais que les autres, qui représentent la grande majorité, dosent comme ils l'entendent leur identité québécoise et leur identité canadienne. Je vous avoue que si c'était l'inverse, si 79 pour cent des Québécois disaient ne plus se définir comme Canadiens, je serais inquiet. Mais non, ils veulent rester Canadiens et ils ont raison de tenir au Canada, ce pays qu'ils ont si puissamment contribué à bâtir.

Pourtant, de nombreux Québécois qui tiennent au Canada ont répondu affirmativement à la question que le gouvernement du Québec leur a posée, le 30 octobre 1995, qui se lisait comme suit : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995? ». Les Québécois ont rejeté, par une majorité de 50,6 pour cent, ce projet que leur proposaient, pour la deuxième fois en 15 ans, les leaders sécessionnistes. Il s'en est fallu de peu pour que le Québec et tout le Canada soient plongés dans une crise sérieuse à l'issue très incertaine.

Si de nombreux Québécois qui tiennent au Canada ont voté lors de ce référendum dans le sens que désiraient les leaders sécessionnistes, c'est qu'ils n'avaient pas l'impression de voter pour une sécession. Ils voulaient affirmer leur identité québécoise, mais ne croyaient pas renoncer à leur identité canadienne. Cela n'a pas empêché le chef des forces sécessionnistes, premier ministre du Québec à l'époque, d'assimiler au soir de sa défaite leur vote à un appui à « l'indépendance » du Québec, terme qu'il n'avait jamais utilisé tout au long de la campagne référendaire!

Un sondage réalisé à la toute fin de la campagne référendaire a révélé que près de 80 pour cent des Québécois qui se proposaient de voter « OUI » pensaient que, si le « OUI » l'emportait, le Québec continuerait d'utiliser automatiquement le dollar canadien; 90 pour cent croyaient que les liens économiques avec le Canada demeureraient inchangés, et 50 pour cent croyaient qu'ils continueraient à utiliser le passeport canadien. Plus de 25 pour cent croyaient que le Québec continuerait d'élire des députés au Parlement fédéral. Un autre sondage a même indiqué que près d'un électeur du « OUI » sur cinq pensait qu'un Québec souverain pourrait rester une province du Canada.

Les leaders sécessionnistes accusent ceux qui leur rappellent ces chiffres de manquer de respect envers l'intelligence des électeurs québécois. C'est là bien sûr un argument fallacieux. Ce n'est évidemment pas la faute des électeurs si la stratégie des sécessionnistes a propagé la confusion.

Une sécession est une décision trop grave pour être prise dans la confusion. On comprendra alors que le Premier ministre du Canada se soit engagé solennellement, dans le discours du Trône du 27 février dernier, à ce que l'enjeu de la sécession soit posé dans toute sa clarté.

Ceux qui, au Québec, appuient la sécession doivent comprendre que ce projet leur ferait perdre leur identité canadienne. Ils doivent trouver de bonnes raisons pour y renoncer. Ils doivent trouver encore de meilleures raisons pour arracher l'identité canadienne du coeur des nombreux Québécois qui y tiennent. Ils doivent songer au tort qu'ils feraient à leurs concitoyens des autres provinces canadiennes. Il leur faut aussi réaliser que la sécession une fois réalisée serait probablement irréversible et engagerait donc non seulement leurs contemporains, mais aussi les générations futures.

Or, les raisons d'un choix aussi grave n'existent tout simplement pas. Voilà pourquoi nous sommes très confiants dans l'avenir d'un Canada uni. Le gouvernement du Canada, avec l'aide de tous les citoyens qui croient dans leur pays, et en particulier des forces fédéralistes du Québec, s'applique avec plus de résolution que jamais à montrer à quel point les identités québécoise et canadienne se complètent, et pourquoi il faut les accueillir toutes les deux au lieu de se sentir obligé de choisir entre elles. Alors le péril de la sécession sera écarté et les Québécois et les autres Canadiens auront retrouvé la voie de la réconciliation et de l'unité.

Aucune des justifications avancées pour la sécession ne résiste à l'examen, qu'elles empruntent le registre linguistique et culturel, celui de la structure politique ou celui de l'économie.

Une fédération bilingue unie autour des mêmes valeurs universelles

La tentation sécessionniste n'a de prise que parmi les électeurs francophones du Québec. Les quelque 15 pour cent d'électeurs québécois non francophones appuient massivement l'unité canadienne et ne voient aucune raison de choisir entre le Québec et le Canada. Il faut montrer aux francophones que le Canada ne menace en rien leur langue et leur culture, au contraire. Le fait est que jamais, depuis les débuts de la confédération en 1867, le Québec n'a été aussi francophone qu'aujourd'hui. La proportion des Québécois en mesure de s'exprimer en français est de 94 pour cent et n'a jamais été aussi élevée. Dans ma circonscription de l'Île de Montréal, je dois souvent m'exprimer en anglais pour me faire comprendre des personnes âgées d'origine grecque, italienne ou juive, mais leurs petits-enfants, eux, m'adressent spontanément la parole en français.

La progression du français au Québec est due en partie aux lois linguistiques canadiennes et québécoises mises en place dans les années soixante et soixante-dix. Ces lois sont maintenant largement acceptées, et si certaines mesures prévues dans la loi québécoise ont été invalidées par les tribunaux, aucune d'entre elles ne revêtait un caractère important. On pense notamment à la question de l'affichage commercial. La loi québécoise de 1977 imposait l'unilinguisme dans l'affichage commercial. La Cour suprême du Canada a jugé en 1988 qu'une politique de prédominance du français était tout à fait justifiée en ce domaine, mais qu'il ne fallait pas bannir les autres langues. Cette politique est aujourd'hui celle qui prévaut au Québec et qui fait consensus avec l'appui de plus de 85 pour cent des Québécois selon l'opinion publique.

Les lois linguistiques québécoises sont plus libérales que celles que l'on retrouve dans des démocraties plurilingues aussi irréprochables que la Suisse ou la Belgique. De temps en temps, des esprits radicaux cherchent à ranimer les tensions linguistiques au Québec, mais ils échouent toujours. La solidarité des Québécois francophones et non francophones est admirable. En fait, un seul enjeu peut les diviser sur des bases linguistiques et ethniques : celui de la sécession.

La solidarité des autres Canadiens des provinces et territoires envers le bilinguisme et la spécificité linguistique et culturelle des Québécois est elle aussi solide. Les Québécois et les autres Canadiens appuient majoritairement le bilinguisme. L'échec des réformes constitutionnelles des dernières années, qui visaient entre autres à faire reconnaître le Québec comme société distincte dans la fédération, a malheureusement créé un sentiment de rejet mutuel tout à fait déplorable entre trop de Québécois et d'autres Canadiens.

La vérité est que la grande majorité des Canadiens veulent reconnaître et célébrer cette caractéristique fondamentale de leur pays qui fait que l'une des dix provinces canadiennes, la deuxième en importance, soit majoritairement francophone en cette Amérique du Nord massivement anglophone.

Ainsi, selon le sondage mené en mars 1996, 85 pour cent des Québécois et 68 pour cent des autres Canadiens étaient d'avis que « la Constitution du Canada devrait reconnaître que le Québec, tout en étant égal aux autres provinces, est différent, notamment par sa langue et sa culture. » De même, 82 pour cent des Québécois et 84 pour cent des autres Canadiens estimeraient que « le Québec est une composante essentielle de l'identité canadienne ». La grande majorité de mes concitoyens des autres provinces veulent reconnaître le Québec dans sa différence et veulent simplement qu'on les aide à trouver les mots pour exprimer tout l'appui qu'ils accordent à leurs concitoyens du Québec.

En décembre 1995, le gouvernement du Canada a fait adopter à la Chambre des communes une résolution reconnaissant le caractère distinct de la société québécoise et une loi garantissant au Québec, ainsi qu'aux quatre autres grandes régions du Canada, qu'aucun changement constitutionnel les concernant ne se ferait sans leur accord. Le Premier ministre et le gouvernement du Canada poursuivent leurs efforts afin que ces mesures soient inscrites dans notre Constitution.

Ce malentendu terrible autour de la reconnaissance de la spécificité québécoise a convaincu trop de Québécois et d'autres Canadiens que leurs valeurs étaient incompatibles. C'est là une fausse croyance. En fait c'est tout le contraire qui est vrai. La principale raison pour laquelle je suis si attaché à ma société québécoise est qu'elle est tout à fait imprégnée des mêmes grandes valeurs universelles qui me font aimer le Canada. Comme chercheur en science politique, j'ai été frappé de constater à quel point les Québécois et les autres Canadiens appuient avec la même force les grandes valeurs universelles de tolérance, de solidarité et de justice. Quand, exemple parmi tant d'autres, un sondage d'avril dernier a montré que 74 pour cent des Canadiens hors-Québec étaient d'avis que « la diversité culturelle rend le Canada plus fort », il s'est trouvé 71 pour cent de Québécois pour partager le même avis .

Quand une enquête internationale a comparé 118 villes de ce monde sur la base de 42 indices économiques, sociaux et environnementaux, on a vu apparaître Montréal dans le peloton de tête (7e rang) en compagnie de Vancouver (2e), Toronto (4e) et Calgary (12e). Nos métropoles canadiennes ont leurs difficultés, leurs problèmes de chômage et de pauvreté, et de grands défis les attendent. Mais elles ont su devenir des modèles de coexistence culturelle et elles offrent à leurs habitants une sécurité et une qualité de vie difficiles à retrouver ailleurs. Voilà une raison de plus pourquoi Montréal et Vancouver méritent de demeurer ensemble, dans un Canada uni, si proches par l'esprit malgré la distance géographique qui les sépare.

Ces valeurs universelles de tolérance et de solidarité dans la diversité se sont enracinées au Canada en bonne partie parce que les Français et les Anglais ont dû apprendre à cohabiter ensemble, ce qui les a préparés à accueillir de nouveaux concitoyens venus de tous les coins du monde. Notre histoire n'a pas toujours été facile et, comme les autres pays, comporte ses pages sombres. Mais le résultat est le Canada d'aujourd'hui, cette création humaine admirable. Les Québécois et les autres Canadiens l'ont bâti ensemble, et c'est pourquoi ils n'y renonceront pas.

Une fédération décentralisée en évolution

L'esprit de tolérance des Canadiens les amène à comprendre, peut-être mieux que tout autre peuple, que l'égalité n'est pas synonyme d'uniformité. C'est cette compréhension des choses qui les a guidés dans l'établissement d'une fédération décentralisée toujours à la recherche d'un meilleur équilibre entre la solidarité de tous et le respect des différences de chacun. Le Canada n'aurait jamais pu survivre s'il n'avait pas été une fédération qui fait en sorte que les Terre-neuviens peuvent être Canadiens à la façon de Terre-Neuve, que les gens du Manitoba peuvent être Canadiens à leur façon, que les gens du Québec peuvent être Canadiens à la façon québécoise.

Les leaders sécessionnistes prétendent que le Canada est une fédération centralisée qui laisse au Québec trop peu d'autonomie. Ils affirment que notre fédération est figée et incapable d'évolution et présentent le gouvernement fédéral comme une sorte de puissance étrangère aux Québécois.

La vérité est que l'une de nos grandes forces vient précisément de ce que notre fédération s'appuie sur la décentralisation. Les experts en fédéralisme comparé la classent parmi les plus décentralisées, aux côtés de la Suisse. À titre de province du Canada, le Québec jouit d'une autonomie que peuvent lui envier toutes les autres entités fédérées. La souplesse du fédéralisme canadien a aussi fait en sorte que des dispositions particulières distinguent le Québec des autres provinces dans des domaines aussi variés que le droit civil, la fiscalité, les relations internationales, le régime des rentes, les politiques sociales, l'éducation post-secondaire et l'immigration.

Loin d'être figée et immobile, notre fédération est en constante évolution; elle n'a pas mené à un gonflement du gouvernement fédéral, bien au contraire. Au cours des quatre dernières décennies, on a assisté à une redistribution progressive et spectaculaire du pouvoir de taxer et de dépenser du gouvernement fédéral vers les gouvernements provinciaux. Ainsi, par exemple, en 1950, pour chaque dollar de revenu perçu par les provinces, le gouvernement fédéral en percevait 2,46 $; en 1994, il n'en percevait plus que 0,96 $.

Aujourd'hui, face au danger qui menace notre unité, il est plus que jamais nécessaire de montrer aux Québécois, ainsi qu'à tous les Canadiens, à quel point leur fédération peut bien les servir. Il nous faut un gouvernement fédéral plus efficace dans ses champs de compétence, des gouvernements provinciaux et territoriaux plus efficaces dans les leurs, des administrations autochtones mieux outillées pour servir leurs populations et un solide partenariat unissant toutes ces institutions. C'est là un objectif largement partagé au Canada, et c'est pourquoi le gouvernement fédéral a lancé dans son discours du Trône de février dernier un vigoureux plan de réforme de la fédération.

Cette réforme vise à clarifier les rôles dans des domaines aussi variés que les mines, les forêts, les loisirs, l'environnement, le logement social, l'union économique. Je m'en tiendrai ici à décrire brièvement trois réformes clés : le pouvoir fédéral de dépenser, la formation professionnelle et l'union sociale, des enjeux qui se posent aussi à vous, les Américains.

Au chapitre du pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral s'est engagé, dans le dernier discours du Trône, à ne plus utiliser son pouvoir de dépenser pour créer des nouveaux programmes co-financés dans des domaines de compétence provinciale exclusive sans le consentement d'une majorité de provinces. Nous avons ainsi posé un geste important en vue de rendre plus harmonieuses et consensuelles les relations fédérales-provinciales. Cet engagement à limiter le pouvoir fédéral de dépenser n'a pas son équivalent dans les autres fédérations; il répond à une doléance historique de nos provinces voulant que le gouvernement fédéral a utilisé ses revenus pour s'ingérer trop directement dans leurs affaires, les obligeant ainsi à modifier leurs priorités pour satisfaire le gouvernement fédéral.

Quant à la formation professionnelle, le gouvernement du Canada lance une réforme qui accorde aux provinces une autonomie beaucoup plus grande dans le domaine de la formation professionnelle et du développement de la main-d'oeuvre, une politique publique très importante dans la nouvelle économie mondiale, en leur offrant de gérer elles-mêmes les quelque deux milliards de dollars par année que le gouvernement fédéral dépense actuellement pour les mesures actives d'aide à l'emploi. Les premières ententes devraient se conclure sous peu.

Enfin, l'union sociale canadienne est aussi en mutation. Les transferts financiers que le gouvernement fédéral effectue vers les provinces en matière de santé et de programmes sociaux accordent maintenant aux provinces plus de flexibilité dans la détermination des priorités et dans la conception des programmes pour répondre aux besoins locaux, tout en respectant les principes sur lesquels se fonde la grande solidarité canadienne. Le Premier ministre et les premiers ministres provinciaux ont formé un nouveau conseil fédéral-provincial sur le renouvellement de la politique sociale pour étudier la mise en place de mécanismes plus consensuels et plus efficaces et examiner de plus près les problèmes de pauvreté chez les enfants.

Il est à noter que ces réformes importantes sont lancées avec une forte présence québécoise à Ottawa. Le Premier ministre est un Québécois, comme ce fut le cas lors de 26 des 28 dernières années. Le ministre des Finances est aussi actuellement un Québécois, ainsi que le Président du Conseil du Trésor, le ministre des Ressources humaines et le ministre des Affaires intergouvernementales. Le juge en Chef de la Cour suprême se trouve à être aussi un Québécois, ainsi que la plus haute fonctionnaire du pays. L'Ambassadeur du Canada aux États-Unis, ici présent, est un Québécois.

On appartient à une fédération non seulement pour en profiter, mais aussi pour y apporter sa culture et ses talents. Les Québécoises et les Québécois contribuent au succès et à l'évolution de la fédération canadienne et il ne faudrait pas se priver de la synergie qu'ils créent au contact de leurs concitoyens des autres provinces.

Le succès économique du Canada

Les leaders sécessionnistes voient dans chaque difficulté conjoncturelle de l'économie canadienne une justification de leur projet. Le Canada est un pays en faillite, disaient-ils il y a quelques années devant le lourd endettement public de notre fédération. Mais les institutions canadiennes ont prouvé qu'elles étaient capables de faire face aux difficultés. En effet, le Canada a redressé ses finances au point que son déficit de l'an prochain sera l'un des moins importants de l'OCDE. De même, sept des dix provinces ont rétabli l'équilibre budgétaire ou font des surplus alors qu'elles étaient toutes dans le rouge il y a quelques années. Les taux d'intérêt à court terme au Canada ont baissé de plus de quatre points et demi depuis le début de l'an dernier. L'année précédant l'entrée en fonction de notre gouvernement, le Canada affichait, en ce qui a trait aux besoins d'emprunts, les pires résultats de tous les pays du G-7, à l'exception de l'Italie. En 1997, toujours d'après le même critère, le Canada obtiendra le meilleur résultat au sein du G-7. Dans ses Perspectives de l'économie mondiale publiées récemment, le FMI prévoit que le Canada affichera, en 1997, la plus grande croissance des pays du G-7.

Alors, les leaders sécessionnistes ont changé de cible. Lors du référendum d'octobre 1995, ils ont prétendu que le Canada anglais avait épousé une culture conservatrice incompatible avec les valeurs québécoises de justice sociale et de compassion. Ils ont promis qu'un « OUI » au référendum servirait de rempart contre le vent froid des compressions budgétaires venu du Canada anglais et de levier pour un nouvel élan de social-démocratie québécoise.

Le ménage des finances publiques a été opéré par le gouvernement fédéral et par la majorité des provinces, de quelque couleur politique qu'ait été leur gouvernement. Le même ménage s'impose aussi au Québec, l'une des provinces les plus endettées du Canada. Comme elle est aussi moins riche que la moyenne canadienne, elle reçoit l'aide de provinces plus fortunées. La solidarité canadienne s'exprime admirablement dans ce principe d'entraide entre les provinces riches et les provinces moins nanties par l'entremise des transferts du gouvernement fédéral; ce principe, plus poussé sans doute que dans les autres fédérations du monde, fait en sorte qu'actuellement, sept provinces reçoivent l'aide de trois provinces qui sont pour le moment plus fortunées : l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique.

Mais cette même Alberta, dans les années 1930, a été aidée par les autres provinces, y compris la mienne. C'est ça la grande solidarité canadienne. Les Québécois bénéficient actuellement de l'aide que leur apportent leurs concitoyens des provinces plus riches; un jour, ils seront en mesure à leur tour d'apporter une aide particulière à leurs concitoyens de provinces moins fortunées.

Depuis quelques mois, le gouvernement du Québec, à l'instar des autres provinces, a entrepris un plan courageux de redressement de ses finances publiques. On peut envisager l'avenir avec optimisme grâce aux ressources de l'économie québécoise, à la culture propre aux Québécois, à la collaboration des gouvernements et à la solidarité de tous les Canadiens. Le gouvernement du Québec réussira, malgré les coûts de l'incertitude politique liée à son projet insensé de sécession.

Si je suis contre la sécession, ce n'est pas parce que je crois les Québécois incapables de gérer leur propre État indépendant. Je nous crois, les Québécois, appelés à un idéal plus grand : celui de continuer à améliorer cette superbe réussite économique et sociale qu'est le Canada; celui de lutter, aux côtés de tous nos concitoyens des autres provinces, contre les fléaux du chômage et de la pauvreté; celui de continuer à faire en sorte que les comparaisons faites par les organismes internationaux, notamment l'ONU et la Banque mondiale, continuent à placer les Québécois sur le podium dans tant de domaines de l'activité humaine.

La solidarité qui unit les Québécois est exemplaire; c'est une force qui les grandit et qui nourrit la confiance en leur avenir économique et social. Mais leur solidarité est complétée non moins admirablement par celle qui les rattache à leurs concitoyens des provinces de l'Atlantique, de l'Ontario, de l'Ouest et du Grand Nord canadien. Les solidarités québécoise et canadienne se complètent merveilleusement, et ce serait non seulement une absurdité économique, mais surtout une faute morale, que de ne pas les conserver toutes les deux, pour nous-mêmes et nos enfants. C'est ensemble qu'il nous faut affronter les formidables défis du XXIe siècle.

Conclusion

Notre pays mérite de survivre, et ses chances de réussite sont excellentes. Nous, Québécois et les autres Canadiens, resterons ensemble parce que nous avons réussi quelque chose d'irremplaçable sur cette planète. Nous pouvons être fiers de notre concorde linguistique et culturelle, de notre essor économique et de l'originalité de nos institutions. Nous devons améliorer la fédération, et notre gouvernement a lancé en ce sens des initiatives importantes. Nous pouvons reconnaître en toute confiance la spécificité québécoise comme une caractéristique fondamentale de notre pays.

Voilà ce que j'estime vous avoir démontré aujourd'hui. Je l'ai fait en soulignant les avantages du Canada plutôt que les risques de la sécession. Je n'ai rien dit ou presque du cortège d'incertitudes, du choc des légitimités, des perturbations économiques et sociales et de la somme des négociations pénibles auxquels nous serions confrontés si nous entreprenions de nous choisir entre concitoyens plutôt que de rester tous ensemble, au sein du Canada. Je n'ai pas mentionné encore le désaccord important qui nous oppose à propos du caractère légal ou non d'une déclaration unilatérale d'indépendance et de la demande de clarification qui a été adressée, à cet effet, à la Cour suprême.

De la sécession, je dirai simplement qu'il ne faut pas la voir comme une opposition entre le Québec et le Canada, qui formerait deux blocs monolithiques. Si je m'oppose à la sécession, si je veux lutter contre elle avec toutes les forces que me donne la démocratie, c'est qu'elle déchirerait d'abord ma société, qu'elle opposerait les Québécois aux Québécois. La sécession, avec les incertitudes qu'elle engendre, est le type d'enjeu susceptible de plonger les populations les plus tolérantes dans l'intolérance.

La sécession se définit par une rupture de solidarité entre concitoyens. C'est pourquoi, dans sa sagesse, le droit international n'étend aux peuples le droit à l'autodétermination dans sa forme extrême, c'est-à-dire le droit à la sécession, que dans les cas où la rupture de solidarité est manifeste : soit dans les cas d'occupation militaire ou d'exploitation coloniale. Les sécessions qui se sont produites à ce jour sont toujours nées de la décolonisation ou de la période trouble qui suit la dislocation d'empires autoritaires. Ce n'est pas un hasard si jamais une démocratie bien établie, ayant expérimenté dix années consécutives de suffrage universel, n'a connu de sécession. Une telle rupture de solidarité apparaît bien difficile à justifier en démocratie.

Le Canada, exemple universel d'ouverture, de tolérance et de générosité, est le dernier pays au monde où il faudrait voir triompher la fragmentation identitaire. Vous les Américains le comprenez d'instinct. Voilà pourquoi vous préférez que le Canada reste uni, tout en vous gardant bien d'intervenir dans les affaires des Canadiens. Ce n'est pas seulement votre intérêt économique bien compris qui explique votre préférence pour l'unité canadienne. Vous, sur qui pèsent les responsabilités internationales les plus lourdes, appréhendez dans la brisure possible de cette grande fédération bilingue et multiculturelle le mauvais exemple qui serait donné au reste du monde, alors que les tensions identitaires font rage dans tant de points du globe.

Selon le professeur Elazar, de l'Université Temple de Philadelphie, il y a dans le monde environ 3 000 groupes humains qui se reconnaissent une identité collective. Or, on compte aujourd'hui 185 États reconnus à l'ONU, 86 pour cent d'entre eux étant multi-ethniques dans leur composition. La croyance voulant que toute population ayant ses caractéristiques propres doit avoir son État est terriblement fausse. Je ne veux pas la voir triompher dans mon pays. Elle est non seulement impraticable, mais elle constitue aussi une faute morale, car c'est en apprenant à faire cohabiter les cultures qui les composent que les États donnent à leurs populations la possibilité de grandir. La cohabitation des cultures au sein d'un même État aide les être humains à devenir de meilleurs citoyens en leur permettant de vivre l'expérience de la tolérance.

Il serait vain et même destructeur d'essayer de faire en sorte que tout le monde soit majoritaire chez soi. Ce que l'on doit rechercher, c'est le moyen de faire cohabiter des cultures et des minorités confiantes et épanouies au sein d'une même structure politique. La présence et le rayonnement de la minorité québécoise au sein du Canada renforcent non seulement les Canadiens des autres provinces, mais aussi les Québécois eux-mêmes, grâce à la complémentarité de leur appartenance au Québec et au Canada.

Les Québécois et les autres Canadiens n'ont pas le droit d'échouer. Ils doivent bouger les uns vers les autres et se réconcilier. Ils doivent réussir non seulement pour eux-mêmes et leurs enfants, mais aussi, pourquoi pas, pour les autres habitants de cette pauvre planète, qui voient dans le Canada une source d'espoir et un pays béni des dieux. Le Président Truman ne disait rien d'autre quand il citait l'expérience canadienne en exemple pour tous les peuples de la terre : « La place éminente du Canada aujourd'hui est un hommage à la patience, à la tolérance et à la force de caractère de son peuple. Les réalisations notables du Canada en termes d'unité nationale et de progrès par des accommodements, par la modération et par la patience, méritent d'être étudiées avec profit par les nations soeurs. » (Traduction libre)

Et, sans vouloir en aucune façon me mêler de votre campagne présidentielle, laissez-moi terminer par cette citation du Président Clinton qui renferme, je pense, l'essentiel de ce que j'ai voulu vous dire aujourd'hui : « Dans un monde assombri par les conflits ethniques, qui déchirent littéralement des pays, le Canada constitue pour nous tous un pays modèle, où des gens de cultures diverses vivent et travaillent ensemble dans la paix, la prospérité et la compréhension. Le Canada a montré au monde comment trouver un juste équilibre entre la liberté et la compassion. »


L'allocution prononcée fait foi.



Retour à la page Web:
http://www.pco-bcp.gc.ca/aia/default.asp?Language=F&Page=pressroom&Sub=Speeches&Doc=19961015_f.htm