« La Colombie-Britannique et ses deux gouvernements libéraux »

Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales
devant le Cercle canadien de Kelowna

Kelowna (Colombie-Britannique)

le 23 mai 2001

 

L'allocution prononcée fait foi


          C'est la deuxième fois de ma vie que je me trouve dans la vallée de l'Okanagan. La première remonte à plus d'une dizaine d'années. J'étais alors professeur de science politique à l'Université de Montréal. Après une séance de travail avec des collègues de l'Université de la Colombie-Britannique (UBC), je suis venu dans votre magnifique région, entre autres pour pêcher un peu. Non, je n'ai pas vu l'Ogopogo, mais j'ai attrapé mon quota de kokanees, peut-être le poisson le plus savoureux qui soit. J'avais bien hâte de revenir. C'est vous dire combien je vous remercie de m'avoir invité.

          Ce qui a ajouté à mon impatience de me retrouver parmi vous, ce sont les deux semaines que je viens de passer avec le président de votre association viticole, la Vintners Quality Alliance, M. Ben Stewart. Nous étions tous les deux membres de la délégation canadienne qui a accompagné la gouverneure générale, Son Excellence la très honorable Adrienne Clarkson, en Argentine et au Chili. C'est du grand vin que vous produisez, même quand on le compare aux nectars argentins et chiliens, et vous avez tout un ambassadeur pour le faire apprécier en la personne de votre président. Il me tardait de me retrouver ici pour trinquer à sa santé, à la vôtre, et à celle de Kelowna.

          Je lève aussi mon verre à la santé de votre nouveau premier ministre, 
M. Gordon Campbell. Lui et son gouvernement peuvent bien sûr compter sur la pleine collaboration du gouvernement du Canada pour aider votre province à faire face aux défis qui sont les siens.

          Car ces défis sont considérables. Quelles que soient les qualités de  M.Campbell et de son équipe, il leur aurait été bien difficile de gagner de façon aussi éclatante si les habitants de la Colombie-Britannique avaient été satisfaits de la situation économique de leur province.

          Comme vous, le gouvernement du Canada est conscient des difficultés auxquelles vous êtes confrontés. Après avoir résumé brièvement ces difficultés, je vous dirai pourquoi, à titre de ministre des Affaires intergouvernementales, j'envisage avec confiance une collaboration avec le gouvernement de votre province.

1. Un redressement économique s'impose

          Si la Colombie-Britannique a attiré des êtres humains de tous les continents, si tant de gens rêvent d'y vivre, c'est qu'elle s'est donné une qualité de vie admirée non seulement au Canada, mais partout à travers le monde. Quand on pense qu'en 1941, votre province était moins peuplée que la Saskatchewan! Depuis, votre poids démographique est passé de 7,1 % à 13,2 % de la population canadienne.

          Vancouver, première ville du monde, pourquoi pas? Une enquête internationale n'a-t-elle pas classé votre métropole première sur 215 villes du point de vue de la qualité de vie (enquête « World-Wide Quality of Life Survey » des services de consultation William M. Mercer pour l'année 2000). Ici, l'Okanagan, le Kelowna et le Penticton se développent à un rythme extraordinaire en combinant de façon tout à fait originale la haute technologie et l'agriculture à grande valeur ajoutée.

          Pourtant, la situation économique générale de la Colombie-Britannique n'est pas aussi florissante. Comme on vous l'a dit pendant la campagne électorale provinciale, votre province a connu une contre-performance économique entre 1992 et 2000. Pendant cette période, elle s'est classée au dernier rang des dix provinces sur le plan de la croissance tant du PIB réel par habitant, du revenu disponible par habitant, des investissements privés que de la productivité.

          Si la Colombie-Britannique est encore l'une des trois provinces, avec l'Alberta et l'Ontario, à ne pas recevoir de péréquation, c'est en raison d'une capacité fiscale au-dessus de la moyenne en ce qui a trait aux assiettes fiscales des ressources naturelles et à l'assiette de l'impôt foncier, deux des critères dont tient compte la formule de calcul. Mais la contribution de la Colombie-Britannique à la péréquation n'a cessé de diminuer puisque sa croissance économique a été, dans l'ensemble, moindre que la moyenne canadienne.

          Pendant que les autres gouvernements provinciaux équilibraient leurs budgets ou dégageaient des surplus, celui de la Colombie-Britannique continuait à accumuler des déficits. Un facteur qui ne facilite pas les choses pour le gouvernement de la Colombie-Britannique est la concurrence fiscale des gouvernements qui l'entourent qui, tous, pratiquent une politique de faible taxation : l'Alberta et les états de Washington et de l'Oregon, sans compter les pays asiatiques.

          Il est impératif que la Colombie-Britannique fasse de nouveau jouer à plein son immense potentiel. Cela est très important non seulement pour vous, mais pour l'ensemble du Canada. Comme l'a bien exprimé la ministre des Finances de l'Alberta, Mme Pat Nelson, le 16 mai dernier, une Colombie-Britannique forte est un atout pour tout le Canada, y compris pour l'Alberta : « Ils ont besoin d'un coup de pouce. Une telle aide a des retombées sur tout le pays, alors c'est positif pour chaque province. Si une des provinces « nanties » devient une province « non nantie », tout le pays s'en ressent sérieusement. Alors, vous voulez naturellement que cette province soit prospère. » (Calgary Herald, le 17 mai 2001)

          Pour y parvenir, il faudra travailler en équipe : les entreprises, les syndicats, les collectivités locales, tout le monde. Les gouvernements se doivent de donner l'exemple.

2. Une collaboration intergouvernementale qui promet

          Je vous ai dit que j'envisage avec confiance les relations entre le Premier ministre Chrétien, le premier ministre Campbell et leurs gouvernements respectifs. Bien sûr, il s'agit d'un optimisme pondéré. Il est inévitable que des tensions intergouvernementales surviennent dans une fédération pour toutes sortes de raisons. Le gouvernement provincial demande au gouvernement fédéral toujours plus d'argent que ce que celui-ci est en mesure de donner. Il est rare que les vues s'accordent parfaitement sur le partage des rôles et des responsabilités. On peut s'attendre à ce que des différences idéologiques inspirent différentes façons d'aborder les problèmes.

          Par exemple, les deux gouvernements ont beau être tous deux libéraux, on sait bien qu'ils ne voient pas précisément d'un même oeil l'opportunité de tenir un référendum sur les principes des traités avec les Autochtones.

          Ces bémols étant mis, je vois au moins quatre raisons pour lesquelles on peut envisager une collaboration positive et fructueuse entre les deux gouvernements.

          Premièrement, le ton positif adopté par M. Campbell durant la campagne et depuis son élection est d'excellent augure. Gordon Campbell dit qu'il souhaite que la Colombie-Britannique redevienne un chef de file au Canada. Un chef de file dans l'économie. Un chef de file dans la prestation des soins de santé de qualité. Un chef de file qui gouverne avec transparence et imputabilité. Il veut que la Colombie-Britannique ouvre la marche par l'exemple. Il dit qu'il donnera à la Colombie-Britannique une voix forte sur la scène nationale. Il veut établir des relations professionnelles et non partisanes avec le gouvernement fédéral. Voilà autant de bonnes nouvelles pour tous les Canadiens, d'autant plus que M. Campbell assumera la présidence des premiers ministres provinciaux pendant douze mois et ce, à compter de leur Réunion annuelle en août 2001.

          Deuxièmement, j'ai l'impression que M. Campbell est tout aussi conscient que M. Chrétien du désir de concorde qui habite les résidants de la Colombie-Britannique. On entend parfois dire que le dénigrement du gouvernement fédéral est un sport prisé en
Colombie-Britannique, que votre gouvernement provincial se doit, pour être populaire, de blâmer le gouvernement fédéral pour tout ce qui va mal. Cela n'est pas vrai. L'agressivité systématique du gouvernement Clark ne lui a valu aucune popularité. En fait, elle n'a rien apporté de bon, ni à lui, ni à vous, ni à l'ensemble des Canadiens.

          Un sondage de mars dernier du Centre de recherche et d'information sur le Canada le confirmait : pour améliorer le fonctionnement du pays, les citoyens de la Colombie-Britannique visent d'abord et avant tout une meilleure collaboration fédérale-provinciale. Ils sont 75 % à faire de cet objectif une forte priorité, alors que seulement 36 % en font autant du transfert de pouvoirs du fédéral au provincial.

          Le troisième facteur qui motive mon optimisme est la qualité des députés libéraux qui vous représentent à Ottawa. Ils ne sont pas très nombreux, pas assez à mon goût, passablement moins que ce que nous obtiendrions, à en croire les sondages, si des élections avaient lieu ce soir, mais en termes qualitatifs, vous pouvez être fiers de vos cinq représentants libéraux : MM. David Anderson et
Herb Dhaliwal, Mmes Hedy Fry et Sophia Leung et
M. Stephen Owen.

          Permettez que je dise quelques mots sur mes deux collègues ministres. Herb Dhaliwal, avec son baggage d'homme d'affaires, ajoute beaucoup au Cabinet. Il gagne constamment en influence auprès de ses collègues. J'ai énormément de respect pour Herb. De même, je ne saurais vous décrire toute mon admiration pour
David Anderson. Je me demande toujours si les gens de la Colombie-Britannique se rendent compte de tout ce qu'il fait pour eux. J'ai rarement vu quelqu'un d'aussi motivé, d'aussi dévoué pour sa province. Ayant travaillé à ses côtés, en particulier aux pires moments du gouvernement Clark, je sais qu'il n'y a rien que David souhaite davantage que de pouvoir enfin trouver, à Victoria, un gouvernement à la fois fort et bien disposé, certes résolu à se faire respecter, mais en même temps déterminé à respecter le gouvernement fédéral et à créer une synergie positive avec lui.

          Il y a une quatrième raison pour laquelle je crois que les gouvernements Chrétien et Campbell vont réussir ensemble : malgré certaines divergences de vues, nous regardons dans la même direction. Il y a passablement d'affinités entre les programmes sur lesquels les deux gouvernements se sont fait élire. Permettez que je décrive quelques-uns de ces points de convergence.

3. Les terrains d'entente pour une action commune

          Les deux premiers ministres me semblent aussi conscients l'un que l'autre qu'une bonne partie de la relance de l'économie de votre province passe par le renforcement de sa capacité d'innover. M. Campbell veut que l'industrie de la technologie de la Colombie-Britannique connaisse la croissance la plus rapide au Canada. Il veut créer son propre conseil du premier ministre sur la technologie afin d'aider à combler « le fossé numérique »; il veut accroître les investissements dans les secteurs de la recherche technologique et de la formation professionnelle au niveau post-secondaire. Un gouvernement qui se donne de tels objectifs me paraît fait pour s'entendre avec Jean Chrétien qui veut s'assurer qu'en matière de R et D, le Canada se classe parmi les cinq premiers pays du monde pour sa contribution par habitant.

          Prenons une autre question cruciale pour votre avenir comme pour celui de l'ensemble du Canada : celle du développement urbain. En tant qu'ancien maire de Vancouver, M. Campbell fera probablement de cette question une priorité. M. Chrétien aussi est tout à fait conscient de l'importance de l'enjeu et c'est pourquoi il a créé un groupe de travail sur les questions urbaines, formé de députés libéraux. On retrouve au sein de ce comité un tout nouveau parlementaire, qui n'a pas tardé à nous montrer sa grande valeur,
M. Stephen Owen, député de Vancouver Quadra, qui aura à coeur d'examiner les questions urbaines avec ses collègues provinciaux. Dès maintenant, les deux gouvernements ont l'occasion de collaborer à la mise en oeuvre du Programme des infrastructures matérielles qui lui-même comprend l'infrastructure stratégique des autoroutes.

          En matière de commerce, les deux gouvernements auront peu d'attrait pour le protectionnisme, tant interprovincial qu'international. En phase avec la philosophie du gouvernement fédéral,
M. Campbell compte faire pression pour éliminer les obstacles au commerce interprovincial. J'ose espérer qu'il sera d'accord avec les dispositions relatives aux marchés publics de l'Accord sur le commerce intérieur applicables au secteur MESSS (municipalités, organismes municipaux, conseils et commissions scolaires, entités d'enseignement supérieur, services de santé ou services sociaux financés par l'État), votre province étant une des deux à ne pas les avoir encore approuvées. Les deux gouvernements collaboreront de façon étroite sur la question pressante du bois d'oeuvre pour contrecarrer le protectionnisme américain. Face à l'essor que connaît l'industrie pétrolière de la Colombie-Britannique et aux importantes exportations d'électricité de la province, les deux gouvernements voudront maintenir des rapports étroits tout au long de la tenue des discussions sur l'énergie avec le gouvernement américain.

          Sur le plan de la politique environnementale, il y a plusieurs domaines dans lesquels nous poursuivons des intérêts communs.
M. Campbell s'est engagé à maintenir l'interdiction visant les prélèvements massifs d'eau. Il favorisera l'exploitation d'énergie de remplacement propre et renouvelable. Il a également mentionné que son gouvernement protégera et préservera Burns Bog.

          Quant aux soins de santé, les deux premiers ministres partagent l'objectif de faire en sorte que tous les citoyens, quel que soit leur revenu ou leur lieu de résidence, puissent avoir accès en temps opportun à des soins de santé de qualité. Ils ont l'occasion de mettre en oeuvre l'entente sur la santé conclue à la Réunion des premiers ministres de septembre 2000. M. Campbell veut faire en sorte que les soins de santé en Colombie-Britannique respectent les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé.

          Encore dans l'esprit de la démarche adoptée par le gouvernement fédéral, M.Campbell s'est engagé à mettre davantage l'accent sur les programmes d'intervention auprès de la petite enfance. C'est une autre occasion pour nous de collaborer à la mise en oeuvre de l'entente sur le développement de la petite enfance conclue à la Réunion des premiers ministres en septembre 2000. Cette entente ainsi que la Prestation nationale pour enfants constituent des étapes importantes dans la bonne direction.

          Même sur la question délicate de la négociation des traités avec les Autochtones, les deux gouvernements ne sont pas aussi aux antipodes qu'on pourrait le croire. Tous deux cherchent à conclure avec les Premières nations des traités pratiques et abordables, imprégnés de certitude, de finalité et d'équité.

          Enfin, comme ministre responsable des langues officielles, je note avec plaisir que plusieurs députés de M. Campbell ont ou ont eu, en tant que parents, l'expérience des écoles d'immersion en français. Si je ne me trompe, l'épouse même de M.Campbell enseigne dans l'une de ces écoles. J'envisage avec confiance une collaboration fructueuse qui donnera à toujours plus de gens de la Colombie-Britannique un meilleur accès à toute la richesse de l'autre langue officielle de leur pays.

Conclusion

          Il y a une dernière raison qui motive mon optimisme. Le fait est que nous, les Canadiens, et en particulier vous, de la Colombie-Britannique, avons relevé dans notre histoire un défi bien plus difficile que ceux auxquels nous faisons face aujourd'hui. Nous avons appris, après bien des embûches, à faire de notre diversité une force. Si nous avons réussi à faire cela, il n'y a pas de défi trop grand pour nous.

          Je vous l'ai dit, je viens d'accompagner pendant deux semaines la gouverneure générale du Canada, Son Excellence la très honorable Adrienne Clarkson, en tournée dans deux pays qui connaissent des difficultés autrement plus graves que les nôtres : l'Argentine et le Chili. J'ai entendu cette dame, petite de taille mais au grand coeur, prononcer pas moins de cinq discours par jour, tous sur le même sujet : l'esprit de tolérance et d'ouverture qui règne au Canada et duquel notre pays tire sa vraie grandeur.

          En l'écoutant, je me prenais à penser que les Canadiens d'origine chinoise n'avaient même pas le droit de vote en Colombie-Britannique quand elle est née. Ils ne l'ont obtenu que 8 années plus tard en 1947.

          En tant que libéral, je me souviendrai toujours que c'est un gouvernement libéral, celui de Mackenzie King, qui, poussé par une opinion publique alors viscéralement anti-orientale, a commis toute une chaîne d'exactions contre des Canadiens japonais, allant jusqu'à retirer à plusieurs d'entre eux leur citoyenneté canadienne et à les transformer en apatrides. Les décrets fédéraux qui interdisaient aux Canadiens d'origine japonaise de retourner sur la côte ouest ne seront finalement annulés qu'en 1949, quatre longues années après la guerre!

          Je crois que l'un des plus grands discours de l'histoire de notre pays a été prononcé à la Chambre des communes le 25 février 1941 par un député de votre province, Angus MacInnis, de la Fédération du commonwealth coopératif (FCC). Seul parlementaire à défendre les Canadiens d'origine japonaise, il a plaidé de façon vibrante pour la justice, la bienveillance et l'égalité des races.

          C'est grâce à des actes de courage comme celui
d'Angus MacInnis si la Colombie-Britannique et le Canada tout entier sont devenus cette terre de tolérance et d'ouverture que des Canadiens d'origine asiatique comme Mme Clarkson ou Mme Sophia Leung, votre députée dans Vancouver Kingsway, célèbrent aujourd'hui avec tant de chaleur.

          Ce sont des actes de courage comme ceux-là qui doivent nous inspirer devant les défis qui sont les nôtres aujourd'hui, de façon à ce que nous nous donnions la main afin que la Colombie-Britannique, riche de toute sa diversité, de tout son potentiel humain, puisse de nouveau livrer sa pleine mesure, pour elle-même et pour le Canada tout entier.



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