Ottawa (Ontario) K1A 0A9 4 octobre 2004 L’honorable Anne McLellan Objet : Création d’un Comité parlementaire du renseignement Madame, Nous sommes heureux de vous présenter le rapport du Comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale, formé de représentants de tous les partis et des deux chambres du Parlement. En décembre 2003, le premier ministre a annoncé la mise en œuvre d’un certain nombre de réformes démocratiques visant à faire davantage participer les Canadiens au processus démocratique et à « rétablir le Parlement comme centre de décisions … ». On trouve dans ces réformes la recommandation (que vous avez par ailleurs réitérée dans votre annonce du 31 mars dernier) d’établir un mécanisme grâce auquel le Parlement pourrait assurer un examen plus actif des milieux de la sécurité et du renseignement. Le 13 mai dernier, l’honorable Jacques Saada, qui était alors leader du gouvernement à la Chambre, annonçait la création de notre comité provisoire. Les mesures prises par le gouvernement et notre rapport constituent les premières étapes d’un processus destiné à donner suite aux engagements du premier ministre. La présente lettre tient lieu de sommaire à notre rapport ci-joint, qui est accompagné d’annexes explicatives et contient en outre suffisamment d’informations détaillées et d’explications pour faciliter la rédaction des mesures législatives nécessaires à l’adoption de nos recommandations. Notre comité a rencontré des législateurs, des organismes de surveillance, des services de sécurité et de renseignement, ainsi que des universitaires, tant au Canada qu’à l’étranger. (voir l’Annexe A). Nous nous sommes rendus en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Nous avons recueilli une foule de renseignements utiles et nous saluons au passage la grande franchise de nos hôtes et des témoins que nous avons entendus. Nous avons aussi grandement profité de l’aide inestimable de fonctionnaires à Ottawa et de notre personnel diplomatique à l’étranger. Nous tirerons bien sûr avantage de l’expérience de nos alliés et d’autres pays en la matière, mais nous proposons néanmoins une approche authentiquement canadienne. Nous sommes d’avis que cette façon de faire devrait permettre un examen étendu des agences, ministères et organismes d’examen actuels et futurs œuvrant dans les milieux du renseignement. La collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement, que nous appellerons la communauté du renseignement, est constituée de ministères et organismes chargés de recueillir, de conserver et d’analyser l’information et de conseiller le gouvernement. Elle comprend également les instances chargées de surveiller ses activités. Elle emploie des milliers de personnes et dépense des centaines de millions de dollars chaque année. Pourtant, elle n’est assujettie qu’à un examen très restreint du Parlement (voir l’Annexe B). Depuis la Commission MacDonald, en 1981 (voir l’Annexe C), la capacité d’examen direct des activités du renseignement par le Parlement est soulevée chaque fois que la communauté du renseignement évolue. À l’heure actuelle, le Parlement ne reçoit que les versions expurgées des rapports présentés par les organismes d’examen. Autrement, seuls deux comités, qui n’ont habituellement pas accès à des renseignements classifiés, détiennent un pouvoir d’examen, soit le Sous-comité de la sécurité nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile de la Chambre des communes, ainsi que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd’hui, les Canadiens sont plus préoccupés que jamais par les questions de sécurité nationale. Depuis les événements de septembre 2001, le Canada a considérablement accru ses efforts en matière de lutte au terrorisme. À ce chapitre, le Service canadien de renseignement de sécurité a reçu l’aide de la Gendarmerie royale du Canada et de plusieurs ministères et organismes. Il convient particulièrement de noter la création au pays d’équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN). Comme le premier ministre, nous considérons que le statu quo en matière d’examen parlementaire ne convient plus. Pour que le Parlement puisse scruter plus efficacement les activités de la communauté du renseignement, il faut que certains parlementaires aient un accès plein et entier aux renseignements classifiés qu’ils jugeront opportun d’examiner dans le cadre de leurs études, comme peut le faire le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (voir l’Annexe E). Nous reconnaissons qu’une telle démarche s’écarte considérablement de la pratique en usage au Canada. Cependant, nous estimons que cela est nécessaire pour que le Parlement puisse procéder à des examens exhaustifs et indépendants de cet important domaine. Bien que cette recommandation aille, il va sans dire, plus loin que les lois adoptées par certains de nos alliés, elle est néanmoins conforme à ce qui se fait de plus en plus à l’étranger. Certains des gouvernements que nous avons rencontrés ont commencé par se doter de lois beaucoup moins ambitieuses que celles que nous envisageons de proposer pour le Canada. Cependant, en raison de la confiance qui s’est établie depuis l’adoption de telles mesures législatives, l’accès à l’information consenti à leurs comités de surveillance dépasse le niveau envisagé au départ. Leurs systèmes ont évolué avec le temps et sont devenus plus efficaces. Nous sommes fermement convaincus qu’une structure qui repose sur l’évolution et l’augmentation graduelle de l’accès, des pouvoirs et du renvoi ne conviendrait pas au contexte canadien. Nous sommes néanmoins conscients du fait que le Parlement ne peut mener à bien son examen des activités de renseignement que s’il s’établit un climat de confiance entre la communauté du renseignement et le comité. Nous reconnaissons également qu’un tel accès, en l’absence de sauvegardes appropriées, pourrait avoir un impact négatif sur la sécurité du Canada et nos rapports avec nos alliés. Ces sauvegardes devraient inclure l’embauche d’employés permanents ayant une autorisation de sécurité, l’utilisation de locaux protégés et la sélection des membres du comité nommés en fonction de leurs aptitudes à remplir le poste et tenus à la discrétion sous la foi du serment. L’expérience nous apprend que le serment prêté au Conseil privé serait une solution suffisante. Notre comité reconnaît que l’accès à des renseignements classifiés limitera la capacité des membres du comité de communiquer de l’information au public. Cependant, nous sommes d’avis que les parlementaires sauront trouver le juste équilibre entre les droits et responsabilités liés à leur poste et la nécessité de protéger la sécurité nationale comme le font, semble-t-il, leurs homologues à l’étranger. Nous pensons qu’en procédant à un examen plus approfondi, le Parlement pourra mieux garantir aux Canadiens qu’il est maintenu un équilibre convenable entre le respect de leurs droits et libertés et la protection de la sécurité nationale. Cette capacité accrue contribuera par ailleurs à rendre la communauté du renseignement plus responsable à l’égard du Parlement et, ce faisant, de la population canadienne. Cet examen parlementaire plus approfondi garantira en plus l’efficacité et l’efficience de la communauté du renseignement, car ses rôles et ses responsabilités seront scrutés à la loupe. Nous envisageons de donner au Parlement le pouvoir d’effectuer des examens approfondis et exhaustifs. Cela aura pour conséquence d’alourdir la charge de travail de la communauté du renseignement. À cause de cela, nous estimons qu’il faudra définir un rapport précis avec les organismes d’examen actuels et futurs. Cela inclura un processus par lequel ils feront rapport au Parlement en respectant la structure que nous proposons. Nous maintenons catégoriquement que ce processus ou quelque autre facette de l’examen parlementaire du renseignement ne doit ni primer sur le privilège du Parlement de demander des documents, de convoquer des gens et d’obtenir des dossiers, ni restreindre le rôle et les pouvoirs de tout autre comité parlementaire. Afin d’établir et de maintenir la confiance des deux chambres du Parlement et celle des Canadiens, il importe que le rôle du Parlement dans ce domaine soit indépendant du pouvoir exécutif (Cabinet) et perçu comme tel. Plusieurs points de vue ont été exprimés quant à savoir quelle structure de comité serait la plus efficace pour permettre l’examen parlementaire des activités de renseignement. Trois options ont reçu un soutien important de la part des membres du comité provisoire : Structure no 1 : création de deux comités permanents du Parlement; Structure no 2 : création d’un comité mixte traditionnel du Parlement, et Structure no 3 : création d’une forme novatrice de comité mixte dont la composition, les règles et les procédures seraient modifiées. À l’issue d’un vote préférentiel tenu lors de notre dernière séance, les huit membres présents ont dit préférer la Structure no 3. Par conséquent, nous recommandons la création d’un comité mixte novateur du Parlement appelé Comité parlementaire du renseignement. Cela étant dit, il serait négligent de notre part de ne pas souligner le fait que chaque structure comporte des avantages.
Nous sommes d’avis qu’en raison du caractère unique de la communauté du renseignement et de la nature particulière des menaces qui pèsent aujourd’hui sur le Canada, il faudrait que le comité puisse se réunir au besoin. Par ailleurs, il devrait être créé en vertu d’une loi afin de jouir d’une souplesse opérationnelle, de bénéficier d’un financement adéquat pour se doter de locaux et de personnel sûrs, de continuer d’exister pendant les périodes de prorogation et de dissolution du Parlement, ainsi que d’assurer et de protéger l’accès aux renseignements classifiés. Nous croyons que le comité proposé devrait être un comité du Parlement et non pas un comité de parlementaires. Les membres du comité continueront de jouir des mêmes privilèges parlementaires que leurs collègues. Nous reconnaissons que certaines questions parlementaires importantes liées aux procédures et aux privilèges doivent être analysées par des experts en procédure et des rédacteurs législatifs; cependant, nous estimons également qu’aucune de ces questions n’est péremptoire, compte tenu des enjeux en cause. Nous recommandons que les membres du comité soient nommés par le premier ministre, pour un mandat qui se poursuive jusqu’à la constitution d’un nouveau comité au début de la législature suivante. Nous estimons que, lorsqu’il nommera un membre d’un parti d’opposition, le premier ministre devrait obtenir l’aval du chef de ce parti. Il est crucial, selon nous, de nommer les bons parlementaires au sein de ce comité, pour en assurer la réussite. Nous recommandons que le premier ministre, au moment d’en choisir les membres, tienne compte de leurs qualités personnelles, de leurs connaissances sur la sécurité et le renseignement et de leur capacité de travailler en faisant abstraction de tout esprit partisan. Pour en assurer l’indépendance, les membres du Cabinet, les secrétaires parlementaires, les whips de partis et les hauts fonctionnaires de la Chambre et du Sénat ne devraient pas y être nommés. Compte tenu de ce qui se fait ailleurs, nous croyons que la charge de travail des membres du comité, et celle des présidents en particulier, sera lourde. Néanmoins, nous recommandons que les membres du comité puissent être nommés à d’autres comités. Du fait des récents changements survenus à la Chambre des communes, nous recommandons que les postes de direction du comité soient dotés par vote secret des membres afin d’accroître l’indépendance réelle et perçue du comité. Le travail du Parlement sera efficace dans la mesure où des ressources suffisantes (de l’ordre de 3 millions de dollars par année selon nous) seront disponibles et permettront d’accomplir un examen adéquat des milieux du renseignement (voir l’Annexe D). Ce chiffre s’apparente aux budgets d’autres organes de surveillance au Canada et aux États-Unis. Ici, par exemple, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications disposent respectivement de 2 470 000 $ et de 902 000 $. Leur mandat se limite à la supervision d’un seul organisme alors que celui du Comité parlementaire du renseignement serait plus vaste et exigerait, par conséquent, des ressources additionnelles. Nous croyons que pour bien s’acquitter de son rôle dans ce domaine important, le comité encourra des frais de démarrage et de fonctionnement qui dépasseront les dépenses financières d’autres comités établis par le Parlement. En supposant que le comité dispose de locaux sûrs, il subira chaque année des frais additionnels attribuables à la nature de son mandat, au nombre d’employés permanents nécessaires et à la nécessité d’assurer la sécurité de l’information. La prestation d’un niveau de soutien moindre minerait l’efficacité des travaux du comité. Sans cet engagement, nous doutons que le Parlement puisse se pencher efficacement sur les activités de la communauté du renseignement. Nous estimons qu’il serait utile de déposer ce rapport à la Chambre et au Sénat, à titre de document public, pour fins de consultation ultérieure à un moment opportun après la rentrée parlementaire du 4 octobre 2004. Nous serions heureux de pouvoir discuter de notre rapport avec vous. Sachez que les membres de notre comité se feront un plaisir de répondre aux interrogations que vous pourrez avoir, lorsque vous aurez pu tirer des conclusions préliminaires sur la question. Veuillez agréer nos respectueuses salutations,
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