Lettre que le Premier ministre Jean Chrétien a fait parvenir aujourd’hui au chef du Parti progressiste-conservateur Joe Clark au sujet du rôle du Premier ministre dans la promotion de la création d'emplois dans sa circonscription

 

Le 26 mars 2001
Ottawa (Ontario)

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Service de presse du CPM : (613) 957-5555

 

Monsieur,

En réponse à la lettre que vous m’avez envoyée le 23 mars, je tiens à affirmer d’emblée que je rejette catégoriquement chacune des allégations sans fondement que vous persistez à faire inlassablement, en dépit du fait qu’elles ont été réfutées à maintes reprises par les autorités compétentes.

Les principaux faits sont les suivants :

1) J’ai vendu mes parts dans la société 161341 Canada inc. (la compagnie propriétaire du club de golf de Grand-Mère) le 1er novembre 1993. À partir de cette date, je n’ai jamais plus été propriétaire de parts dans cette compagnie. Mon seul intérêt se limitait à la créance résultant de la vente des parts.

2) Il n’existe aucune relation financière ou juridique entre le club de golf et l’Auberge Grand-Mère voisine. De toute manière, toute fluctuation dans la valeur du club de golf ne m’importait nullement, étant donné que j’avais vendu mes parts le 1er novembre 1993.

3) À titre de député de Saint-Maurice, j’ai fait des démarches auprès de la Banque de développement du Canada en faveur de l’Auberge Grand-Mère parce que je trouvais son projet valable. En tant que député, je n’ai jamais hésité à appuyer ce genre d’initiatives touristiques dans ma région quand je pensais qu’elles permettraient de créer des emplois et d’améliorer l’économie locale dans une région où le taux de chômage est l’un des plus élevés au Canada.

4) Mon avocate et fiduciaire, Mme Deborah Weinstein, en consultation avec le conseiller en éthique, a travaillé pour recouvrer la créance résultant de la vente en 1993 de mes intérêts dans la compagnie propriétaire du club de golf. À titre de représentante autorisée de J. & A.C. Consultants inc., elle avait le pouvoir d’agir ainsi sans demander mon avis ni mon autorisation.

En ce qui concerne les parts que je détenais dans 161341 Canada inc. (la compagnie propriétaire du club de golf de Grand-Mère), ma compagnie familiale a vendu ces parts à une compagnie appartenant à M. Jonas Prince, de Toronto, le 1er novembre 1993. En même temps, j’ai démissionné du conseil d’administration de la compagnie, mettant fin à toute participation de ma part à l’entreprise. La vente était quitte de toutes dettes et charges, et les parts ne sont jamais redevenues ma propriété ni revenues sous mon contrôle. Je dois insister sur le fait que M. Prince n’a pas acquis une option d’achat pour une date ultérieure, il a carrément acheté les parts. Je n’ai conservé aucun droit sur les parts ni intérêt dans celles-ci, même advenant le non-respect par M. Prince de ses obligations. Ces faits ont été confirmés à plusieurs reprises par le conseiller en éthique, M. Howard Wilson, qui a eu accès à l’acte de vente original et à d’autres documents à l’appui transférant le titre de propriété des parts à M. Prince. Encore le 16 mars, M. Wilson a déclaré à CBC Newsworld :

« J’ai accès à tous les documents. J’ai vu tous les documents. J’ai pu les examiner. Ce sont des renseignements personnels des parties, y compris de citoyens autres que M. Chrétien, mais j’ai pu confirmer à mon entière satisfaction que ces parts ont été vendues en 1993 et qu’elles ne sont jamais revenues en sa possession. »

Un reportage paru dans l’édition du 23 mars 2001 du National Post laisse entendre que certains des registres tenus par 161341 Canada inc. ne sont peut-être pas à jour et que, par conséquent, ils ne reflètent peut-être pas avec exactitude cette vente de novembre 1993 et le transfert du titre de propriété des parts.

Or, comme l’a confirmé le conseiller en éthique, j’ai vendu ces parts à une compagnie contrôlée par M. Jonas Prince en novembre 1993. Ce fait a été confirmé de nouveau dans une lettre adressée à Industrie Canada par Me Pierre Paquet, du cabinet d’avocats Pouliot Mercure, qui représente 161341 Canada inc. Manifestement, j’ignore si les registres de la compagnie ont été tenus à jour à la suite de ce dessaisissement et je n’en suis pas responsable. Bien franchement, cela est sans rapport avec la question de la vente de mes parts. Si des preuves supplémentaires vous sont nécessaires pour vous convaincre que M. Prince était propriétaire des parts, vous les trouverez dans le fait qu’il les a vendues à M. Michaud à l’automne de 1999. En effet, il n’aurait pas pu vendre des parts dont il n’était pas le propriétaire.

Vous avez fait grand cas d’un lien prétendu entre le club de golf appartenant à 161341 Canada inc. et l’Auberge avoisinante, en dépit du fait qu’aucun lien financier ou juridique d’aucune sorte n’existe entre les deux entreprises. Le conseiller en éthique et d’autres l’ont fait remarquer plusieurs fois. Voici, par exemple, ce qu’il a déclaré devant le Comité de l’industrie le 20 mars :

« Il n’y avait aucun lien financier entre les deux [le terrain de golf et l’Auberge]. Le terrain de golf avait cessé d’avoir un intérêt financier dans l’Auberge au milieu de 1993. Et le premier ministre avait cessé d’avoir un intérêt financier dans le terrain de golf en novembre 1993. »

Faute de pouvoir démontrer un véritable lien, vous en êtes venu à inventer des relations entre les deux. Ainsi, vous auriez décrit l’Auberge comme le « 19e trou » pour les golfeurs qui pourraient y prendre une consommation après leur partie de golf. Si vous aviez visité le club de golf, vous auriez peut-être constaté qu’il possède son propre bar et restaurant pour les golfeurs assoiffés ou affamés. Plutôt que d’offrir un service au club de golf, le bar de l’Auberge constitue un concurrent pour lui. Alors, même les liens que vous inventez sont dénués de sens commun.

D’autre part, vous laissez entendre que des faits nouveaux ont été obtenus – des faits que, selon vous, j’aurais dissimulés, concernant le rôle de mon avocate et fiduciaire dans l’obtention du remboursement de la dette qu’avait M. Prince envers moi pour la vente des parts du club de golf.

Je devrais d’abord clarifier une certaine confusion entourant la façon dont les ministres doivent traiter leurs avoirs et créances et ce qui doit être placé en fiducie sans droit de regard aux termes du Code régissant les conflits d’intérêts applicable aux ministres.

De toute évidence, il n’était aucunement possible que les parts elles-mêmes soient placées dans une telle fiducie puisqu’elles n’étaient plus ma propriété avant que je devienne Premier ministre. Quant à la créance elle-même, M. Wilson a dit clairement à différentes occasions que le Code régissant les conflits d’intérêts n’exigeait pas que je place cette créance monétaire particulière dans une fiducie sans droit de regard.

Mon seul souci, comme je l’ai expliqué à la Chambre des communes un certain nombre de fois, était que Mme Deborah Weinstein, mon avocate et fiduciaire, obtienne le remboursement de la dette de M. Prince envers moi. Mme Weinstein a toujours conservé le droit de poursuivre M. Prince pour le plein montant de la somme qu’il me devait. Ainsi que M. Wilson l’a expliqué dans une déclaration faite le 1er mars :

« [...] la dette légale envers le Premier ministre n’était pas influencée par la valeur du club de golf. Si la valeur augmentait, le Premier ministre ne pouvait pas prétendre à un paiement plus élevé. Si la valeur diminuait, la dette envers le Premier ministre restait la même.

Le Premier ministre a toujours conservé le droit d’intenter des poursuites devant les tribunaux pour se faire rembourser au cours de la période allant de 1996 à l’automne de 1999 quand un règlement a été négocié. »

Je tiens à réitérer que lorsqu’on m’a signalé en 1996 que la créance était toujours impayée, j’en ai informé le conseiller en éthique. Même si la créance n’avait pas à être placée dans une fiducie sans droit de regard, Deborah Weinstein a choisi de tenir le conseiller en éthique au courant de ses démarches à toutes les étapes pour s’assurer que toutes les options envisagées en vue de récupérer les fonds étaient entièrement conformes au code de conduite à l’intention des ministres. Ces options comprenaient la solution qui a finalement permis de régler la question : mon avocate et fiduciaire agissant à titre de représentante de ma compagnie familiale, a aidé M. Prince à vendre ses parts à un tiers parti.

Je dois souligner que Mme Weinstein, à titre de secrétaire générale de de J. & A.C. Consultants, a entrepris ces discussions et a réglé la question de la dette de manière indépendante. Je n’ai jamais participé à quelque négociation que ce soit et n’étais au courant que de manière générale de ses activités. Je ne connaissais pas les détails de ses actions à cet égard jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à un accord.

Aucun de ces faits n’a jamais été caché, et je suis franchement perplexe devant toute votre comédie à cet égard. Ma fiduciaire a expliqué la situation au National Post le 23 janvier 1999. De plus, le vice-premier ministre a également expliqué la question clairement à la Chambre des communes le 7 juin 1999 :

« Les actions appartiennent à M. Prince. Le fiduciaire du premier ministre aide M. Prince à trouver un acheteur. »

Il n’y a rien de nouveau dans tout cela. Cette affaire a été examinée à la loupe par le conseiller en éthique qui n’a constaté aucun méfait. Au lieu d’accepter cette conclusion, vous avez entrepris d’attaquer la crédibilité de M. Wilson. Je me permets de vous rappeler que le conseiller en éthique est un fonctionnaire émérite.

Les deux chefs des partis d’opposition de l’époque ont été consultés avant sa nomination. Le chef de l’Opposition officielle, qui était à l’époque M. Lucien Bouchard, a fait la déclaration suivante à la Chambre des communes le 16 juin 1994 :

« Je dois tout de suite ajouter que nous souscrivons d'emblée à la nomination du conseiller en éthique, M. Howard Wilson. Nous savons qu'il s'agit de quelqu'un qui a fait une carrière éminemment respectable au sein de la fonction publique fédérale, et que nous pouvons avoir toute confiance en lui pour piloter ce dossier à un moment crucial. »

Vous êtes même allé jusqu’à vous adresser à la GRC, qui, comme M. Wilson, n’a trouvé absolument aucun indice de méfait. Plutôt que de vous rendre à leur jugement, votre réponse, comme d’habitude, a été de contester l’intégrité des responsables de l’examen. Sans fournir le moindre élément de preuve, vous avez même demandé si mon directeur de cabinet n’était pas intervenu dans l’examen de la GRC.

Il ne faudrait peut-être pas oublier que la question au coeur de cette affaire est un simple projet d’expansion d’un hôtel dans ma circonscription. Oui, il a bénéficié d’un prêt de la Banque de développement du Canada à un taux commercial, garanti par une hypothèque. Le prêt de la BDC s’ajoutait cependant à des prêts de la Caisse populaire locale et du Fonds de solidarité des travailleurs du Québec, ce qui indique que la BDC n’était pas la seule à évaluer favorablement la demande de prêt. Le projet en question a créé une vingtaine d’emplois. L’hôtel est en activité, et je crois savoir que le prêt en cause est toujours actif.

À titre de député de Saint-Maurice, ma priorité a été la création d’emplois dans une région au taux de chômage élevé. Les trois niveaux de gouvernement ont déterminé, en travaillant de concert, que le tourisme est un élément clé de l’avenir économique de notre région. J’ai commencé à promouvoir l’industrie touristique de la région il y a environ trente ans, avec la création du Parc national de la Mauricie. Plus récemment, à titre de député fédéral, j’ai travaillé avec les autorités provinciales et locales pour appuyer un grand nombre de projets touristiques, dont la Cité de l’Énergie de Shawinigan, l’Auberge des gouverneurs de Shawinigan et le centre des congrès qui lui est adjacent, l’Auberge du lac Sacacomie dans la région de Saint-Alexis-des-Monts, l’Hôtel Le Boisé inc. à Shawinigan-Sud, l’Auberge du Lac à l’eau claire à Saint-Alexis-des-Monts, et Le Baluchon, un hôtel et une attraction touristique situés à St-Paulin qui ont pour thème la Nouvelle-France.

Des projets comme ceux-ci ont permis de créer et de maintenir des centaines d’emplois liés à l’industrie touristique dans ma région. Suggérer que j’aie été motivé par autre chose lorsque j’ai appuyé l’expansion de l’Auberge Grand-Mère constitue une accusation sans fondement et la pire forme de médisance et de diffamation.

À titre de Premier ministre, j’ai toujours fait preuve de la plus grande intégrité dans le cadre de mon travail en faveur de mes commettants. Mes actions ont toujours été entièrement conformes au Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d’intérêts. Toute affirmation contraire est simplement erronée.

Jusqu’à maintenant, j’ai été peu disposé à rendre publics les documents concernant la vente de mes parts dans 161341 Canada inc. D’abord, je crois que tous les titulaires de charge publique possèdent, jusqu’à un certain point, un droit à la vie privée quant à leur situation financière personnelle – surtout lorsque la question a été examinée à fond par le conseiller en éthique. Vous comprendrez que je ne veux pas créer un précédent qui viendrait miner le droit à la vie privée des futurs titulaires de ma fonction. Deuxièmement, la vente de mes parts dans le club de golf met en cause des citoyens qui, eux aussi, ont droit à la vie privée. Cela étant dit, puisque les attaques sans fondement et injustes de l’opposition ont créé un intérêt extraordinaire au sein de la population, je suis prêt à renoncer à mon droit à la vie privée dans cette affaire. J’ai demandé au conseiller en éthique de consulter les personnes intéressées en vue d’obtenir leur consentement à rendre public l’acte de vente signé par M. Prince et moi, de même que tous les documents relatifs à la propriété des parts.

La publication de ces documents n’apportera rien de nouveau dans cette histoire et ne fera que confirmer les faits que je répète publiquement depuis deux ans.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

 

 

[ORIGINAL SIGNÉ PAR

LE TRÈS HONORABLE JEAN CHRÉTIEN]



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