Discours du Premier ministre Jean Chrétien à l’Université Sainte-Anne
Le 4 mai 2002
Pointe-de-l'Église (Nouvelle-Écosse)
Je tiens à remercier l’Université Sainte-Anne pour ce grand honneur. J’ai déjà eu le privilège de recevoir de telles distinctions honorifiques dans le passé, mais celle-ci me touche particulièrement. C’est parce que l’Université Sainte-Anne et la communauté acadienne incarnent des idées et des convictions qui me tiennent beaucoup à coeur.
Pour vous tous, c’est aujourd’hui un jour de fête. Le couronnement de vos efforts. Avec le soutien indéfectible de vos familles, vous vous êtes fixé des objectifs ambitieux, et vous les avez atteints. L’Université Sainte-Anne vous a préparés à affronter le monde.
Au moment où vous prenez votre envol, j’aimerais, en guise de conseil, vous expliquer pourquoi je ressens un si grand attachement envers cet établissement et envers la communauté pour laquelle il est un puissant symbole.
Je viens d’une petite ville ouvrière du Québec rural. Pour mes camarades et moi, le monde à l’extérieur du Québec était encore terre inconnue. Il était tentant pour bon nombre d’entre nous de nous définir simplement comme des Québécois ruraux. Mais mes parents nous disaient que le Canada tout entier nous appartenait. Ils nous incitaient à regarder plus loin que l’horizon. À voir grand. À insister pour revendiquer nos droits à titre de citoyens à part entière. Ils m’ont fait comprendre que je devais être fier d’être à la fois Mauricien, Québécois et Canadien et me sentir chez moi partout dans ce grand pays.
C’est le sentiment qui m’animait quand je suis arrivé à Ottawa comme député en 1963, connaissant très peu l’anglais alors que presque personne autour de moi ne savait parler français. C’est le sentiment qui m’a guidé en tant que membre du gouvernement qui a adopté la Loi sur les langues officielles. Et c’est le sentiment qui m’habitait encore quand, à titre de ministre de la Justice, j’ai travaillé aux côtés de Pierre Elliott Trudeau à faire inscrire les droits des minorités linguistiques dans la Charte canadienne des droits et libertés. Et à appliquer le principe de l’égalité et de la pleine citoyenneté aux diverses cultures qui composent la société cosmopolite du Canada d’aujourd’hui.
Le succès de l’Université Sainte-Anne prouve la justesse de toutes les convictions qui m’ont été inculquées par mes parents. Le coeur acadien bat très fort ici dans le Canada atlantique. Dans des endroits comme Clare, Saulnierville et Meteghan. Et dans des endroits comme Beauséjour au Nouveau-Brunswick, que j’ai eu le privilège de représenter à la Chambre des communes. Dans tous les villages et toutes les villes comme ceux-là, un peuple fier a su préserver sa précieuse identité et ses traditions.
Cette université est le foyer de cette vitalité. Les étudiants y reçoivent une instruction de la plus haute qualité en français. L’Institut des études acadiennes fait découvrir leur patrimoine aux nouvelles générations. De plus, et je m’en réjouis, de nombreux étudiants anglophones viennent y exprimer leur attachement à la dualité linguistique du Canada.
Si l’Université Sainte-Anne est un haut-lieu de la culture, elle est avant tout un haut-lieu du savoir.
Mes propres années d’études ont été remplies d’aventures. Peut-être un peu trop. Si le recteur Roberge m’avait eu pour élève, il se serait sans doute joint à la succession de professeurs qui ont supplié mes parents de me ramener à la maison. Mais malgré tous mes mauvais coups, mes parents refusaient d’abandonner. Ils insistaient pour que je reçoive une bonne instruction. Ils savaient bien qu’elle seule ouvre la porte à une vie meilleure et à un vaste monde de possibilités.
Quand je pense à tous les tracas que je leur ai causés, cela me rappelle une vieille plaisanterie : « Quand j’avais 14 ans, mes parents étaient tellement ignorants que ça m’exaspérait. Mais quand j’ai eu 21 ans, j’ai été étonné de voir tout ce qu’ils avaient appris en l’espace de sept ans. »
Mes parents ont eu une influence profonde sur nous. Notre génération a été la première de la famille Chrétien à faire des études supérieures. Non seulement cela, mais ils ont fait de l’idée d’un Chrétien bien instruit une attente normale, au lieu d’une exception dans notre famille.
Bien sûr, le contexte a énormément changé depuis mon jeune temps. Les études supérieures ne sont plus vraiment une question de choix. Dans une économie mondialisée et de plus en plus axée sur le savoir et les compétences, elles deviennent indispensables pour réussir sa vie.
C’est pour cette raison que notre gouvernement tient tellement à assurer à tous les Canadiens l’accès à l’éducation, au perfectionnement et à de bonnes perspectives d’avenir. Une fois le déficit éliminé, chaque année, nous avons continué d’innover en effectuant des investissements stratégiques axés sur le long terme : des bourses d’études du millénaire à la Subvention canadienne pour l’épargne-études qui aide les parents à économiser pour les études postsecondaires de leurs enfants; des investissements destinés à la construction d’une infrastructure de recherche avancée dans les universités et collèges de la Nouvelle-Écosse et de toutes les régions du Canada au Partenariat pour l’investissement au Canada atlantique que nous avons créé afin d’aider les chercheurs et les entrepreneurs canadiens de la région de l’Atlantique à transformer leurs nouvelles idées et leurs nouveaux procédés en entreprises prospères.
Et ce n’est qu’un début. Nous avons récemment annoncé une stratégie d’innovation passionnante. Elle invite tous les Canadiens à passer à l’étape suivante avec nous pour faire en sorte que le Canada continue de montrer la voie en matière d’innovation et d’inclusion.
Avant de conclure, j’aimerais aborder un autre élément déterminant de mon credo personnel et politique.
Dans ma famille, nous avons appris dès l’enfance à penser à autrui. À réfléchir non pas seulement au profit personnel, mais à l’intérêt supérieur de la société qui nous entoure et au mieux-être de nos concitoyens. Nous avons eu la chance de vivre dans un pays où la notion du partage est innée. L’adversité et les privations extrêmes ont fait en sorte que partager est une seconde nature chez les Acadiens. Au niveau national, nous nous sommes dotés d’instruments pour assurer le partage de notre prospérité tels que l’assurance-maladie universelle, la péréquation et des programmes visant à donner à tous nos enfants le meilleur départ possible dans la vie.
Sur la scène internationale, cette valeur canadienne fondamentale s’est traduite par un engagement durable envers un partage plus équitable de la richesse mondiale. Pour que les bienfaits de la mondialisation soient véritablement mondiaux.
En raison de notre tradition de leadership innovateur en matière d’aide au développement, mes collègues du G8 ont confié au Canada la responsabilité de nos efforts en vue de réduire la marginalisation de l’Afrique dans l’économie mondialisée. Une marginalisation que révèlent des chiffres très décourageants : conflits et guerres à répétition; pauvreté grandissante; dette publique écrasante; éducation inadéquate; et crise sanitaire dont l’épidémie du VIH/sida ne constitue qu’un aspect.
Bientôt, j’aurai l’honneur d’accueillir le Sommet du G8 en Alberta. L’adoption d’un Plan d’action concret pour l’Afrique sera au centre de notre ordre du jour. Nous souhaitons mettre en place un nouveau partenariat où les gouvernements africains progressistes qui s’engagent envers la démocratie, les droits de la personne, la saine gouvernance et l’ouverture des marchés seront récompensés par une aide accrue de la part des pays industrialisés et par un accès élargi à leurs marchés.
Aider l’Afrique à se relever c’est réaffirmer la foi du Canada dans la dignité humaine. Il y va de la création d’un monde plus prospère et de nouveaux marchés. Surtout, il y va de la sécurité dans le monde.
Ici même en Nouvelle-Écosse – d’où venaient deux des quatre courageux jeunes hommes dont le Canada vient d’honorer la mémoire –, nous avons vu les conséquences tragiques qui peuvent résulter de la dérive d’États lointains.
Mes amis, au risque d’abuser de votre patience, j’aimerais terminer en vous offrant quelques conseils pour le voyage que vous entreprenez.
Songez sérieusement à vous engager dans le sentier du service à la collectivité. J’ai entrepris ma carrière publique il y a 39 ans. Et je peux vous dire sincèrement qu’elle m’a valu des récompenses bien supérieures à ce que tout gain matériel aurait pu m’apporter.
Et quand vous rêvez, n’oubliez pas de voir grand. Comme vos ancêtres acadiens avant vous. Comme les fondateurs de cette université. Comme Wellie et Marie Boisvert-Chrétien. Les grands rêves vous garderont jeunes. J’en suis la preuve vivante.
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