Débat spécial à la Chambre des communes (Iraq)


Le 9 février 1998
Ottawa (Ontario)

M. le Président,

Nous sommes réunis ce soir pour débattre d'une question d'importance vitale tant sur la scène nationale qu'internationale.

En de telles occasions, les représentants élus de la population doivent être entendus. La population a le droit de connaître notre position. Je me réjouis d'entendre le point de vue de mes collègues parlementaires. Ils nous aideront à prendre une décision bien informée.

Ce soir, je crois que le Canada a une responsabilité solennelle et grave, soit de montrer la détermination de la communauté internationale et de faire face à la provocation.

Le gouvernement ajoute la voix du Canada au concert des nations demandant à Saddam Hussein de respecter dans sa totalité la résolution 687 du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que toutes les autres recommandations des Nations unies sur l'Iraq adoptées depuis 1991. De les respecter ou de faire face à de très graves conséquences.

Ce soir, je veux énoncer clairement -- à la population canadienne -- pourquoi nous croyons que son gouvernement doit appuyer une intervention militaire si Saddam Hussein refuse de respecter les résolutions.

Je n'éprouve aucun plaisir à le faire, M. le Président.

Le Canada n'est pas un pays qui choisit avec précipitation le recours à la force. Ce n'est pas à la légère que nous appuyons une action militaire. De fait, c'est une solution de dernier recours. Notre histoire en est une de prévention des conflits et de promotion d'une résolution pacifique lorsque les affrontements armés ont lieu.

Nous préférons, et de loin, une solution diplomatique à cette crise.

Par contre, le Canada n'est jamais resté impassible devant la situation mondiale. Nous jouons un rôle actif sur la scène internationale. En tant que citoyens du monde, nous en portons également la responsabilité.En matière de paix et de sécurité, nous n'avons jamais hésité à prendre position. Les milliers de Canadiens qui ont laissé leur vie au cours de ce siècle en donnent la preuve.

C'est la raison pour laquelle nous avons joint les rangs de l'OTAN. C'est la raison pour laquelle nous avons contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme et que nous l'avons signée, il y a cinquante ans. C'est la raison pour laquelle nous avons contribué à la signature d'un traité universel d'interdiction des mines antipersonnel, il y a deux mois à peine.

M. le Président, s'il y a une chose que les Canadiens et Canadiennes ne peuvent pas sanctionner, c'est qu'on se moque de la volonté clairement exprimée du Conseil de sécurité des Nations unies.

Et s'il y a une question sur laquelle le Conseil de sécurité s'est clairement prononcée, c'est sur la menace que Saddam Hussein représente pour ses voisins -- et pour le monde entier -- avec des armes de destruction massive-- nucléaires, chimiques et biologiques.

A la lumière du bilan de Saddam Hussein, cela ne surprend personne. Quel type de dirigeant peut s'engager volontairement dans une guerre de terreur contre sa propre population? Quelle mission civilisée peut-on accomplir en massacrant des dizaines de milliers de Kurdes et en détruisant complètement des villages entiers.

Quelle était la logique d'envahir le Koweit si cela a eu pour conséquence de faire fondre sur son pays la plus puissante alliance militaire mise sur pied depuis la Deuxième Guerre mondiale? Et qu'est ce que cela nous amène à penser des valeurs humaines de cet homme qui est à nouveau prêt à faire courir ce risque à son peuple dans le seul but de protéger l'ouvrage terrible qu'il poursuit par la mise au point d'armes chimiques et biologiques? Bien entendu, rien ne nous garantit qu'une intervention forte et décisive mettra un terme à la menace qu'il représente pour la sécurité internationale.

Mais ses actions passées montrent que si nous n'intervenons pas... si nous ne lui tenons tête... cela aura pour effet de l'inciter à commettre d'autres atrocités, à prolonger un règne de terreur sur sa population, ses voisins et le monde entier. Sur cela, il n'y a aucun doute.

La détermination de Saddam à mettre au point et à utiliser des armes de destruction massive, notamment les armes chimiques, est bien documentée. Quiconque doute du sérieux de la menace qu'il représente n'a qu'à se rappeler qu'il a utilisé ces armes contre sa propre population.

Tout aussi bien documentés sont ses efforts soutenus pour contrer les initiatives de la Commission spéciale des Nations unies, la CSNU, qui a été mise sur pied par les Nations unies pour assurer le respect de la résolution 687 du Conseil de sécurité.

L'objectif de cette résolution est sans équivoque : Saddam doit accepter, sans condition, sous la supervision d'observateurs internationaux, la destruction, le retrait ou la neutralisation de ses armes de destruction massive. Et que des sanctions économiques seront maintenues contre l'Iraq tant et aussi longtemps que la CSNU ne pourra affirmer qu'il s'y est soumis.

C'était la condition ayant conduit au cessez-le-feu mettant un terme à la guerre du Golfe persique. Saddam avait alors accepté, par écrit, de donner liberté d'entrée et d'accès lors des inspections de la CSNU.

Toutefois, dès le début, M. le Président, il n'a pas respecté l'entente conclue. Le refus de donner accès à des sites d'accès prétendument présidentiels n'est que le plus récent exemple.

J'aimerais, à ce moment-ci, rendre hommage au travail formidable effectué par la CSNU devant cette provocation soutenue.En ces braves hommes et femmes, spécialistes dans leurs domaines, Saddam s'est vu confronté à des adversaires déterminés. Après avoir essuyé le mensonge et la menace de blessures corporelles, ils ont mené à bien, et de brillante façon, leur travail de détective. Ils ont découvert la vérité.

Soit, que ses programmes de développement d'armement nucléaire, chimique et biologique étaient beaucoup plus avancés que nous ne l'aurions cru, ou que Saddam ne voulait l'admettre.

Grâce à la CSNU et à l'Agence internationale de l'énergie atomique, le programme de développement d'armement nucléaire, avancé et lourdement financé, de Saddam a été pratiquement éliminé.

Grâce à la CSNU, tout l'arsenal connu d'armes chimiques et d'installations ont été détruits. Et grâce à la CSNU, l'ensemble des installations et des équipements connus en vue de la fabrication d'armes biologiques ont été détruits.

La CSNU a supervisé la destruction de 38 000 armes chimiques et de 480 000 litres de composés chimiques actifs.

Quiconque entretient encore des doutes quant au sérieux de cette menace devrait se rappeler que la CSNU a découvert que l'Iraq avait produit 8 400 litres d'anthrax.

M. le Président, 100 kilogrammes d'anthrax libérés au sommet d'un édifice dans une zone où la densité de population est élevée pourrait tuer des millions de personnes.

Les mensonges, tromperies et, en particulier l'obstruction auxquels Saddam s'est livré empêchent la Commission spéciale de confirmer si l'Iraq a bel et bien détruit toutes ses armes de destruction massive.

La communauté internationale doit être rassurée sur ce point par la Commission spéciale. Mais la Commission n'accorde aucune confiance aux promesses de Saddam.

Pendant sept ans, il a menti, résisté et tenté de dissimuler la vérité. Toutes les occasions lui ont été offertes de respecter les accords internationaux et ses obligations. Mais rien n'a réussi à l'inciter à se conformer volontairement, pas même la possibilité de voir levées les sanctions économiques qui font mal à la population Iraquienne.

M. le Président, ce jeu de cache-cache meurtrier a assez duré.

Permettez-moi de réitérer que le gouvernement privilégie toujours une solution diplomatique. Et, à cette fin, nous demeurons en communication avec nos alliés. Une intervention militaire n'est pas imminente. Mais ne vous y trompez pas, le bilan de Saddam montre qu'il ne respectera pas les solutions diplomatiques tant et aussi longtemps qu'elles ne seront pas assorties d'une menace d'intervention ou d'une intervention. Le moindre signe de faiblesse ou d'hésitation de notre part sera interprété comme une incitation.

C'est la raison pour laquelle, M. le Président, si nous devons en arriver là, nous croyons qu'une attaque militaire contre l'Iraq serait justifiée en vue d'assurer le respect de la résolution 687 des Nations unies -- ainsi que le respect de toutes les autres résolutions des Nations unies relatives à l'Iraq.

Et nous pensons que le Canada ne peut pas demeurer impassible dans un moment pareil. Nos alliés, devancés en cela par les États-Unis, nous ont demandé d'appuyer une telle mission. Ils ont demandé notre soutien militaire -- pas en terme de personnel. Mais cela signifierait une présence canadienne au cours de l'intervention contre Saddam Hussein. Cela signifierait que nos forces armées apporteraient un soutien matériel aux actions de cette initiative internationale. Cela signifierait également un appui canadien, en cas d'échec de tous les autres moyens, s'il fallait avoir recours à la force pour assurer l'application des résolutions du Conseil de sécurité. Nous ne serions pas en marge ou isolés.

C'est la décision que nous devons prendre. Je pense que le choix est sans équivoque. Je crois que cette décision doit être dictée par nos responsabilités en tant que membre de la communauté internationale. Pour répondre aux impératifs de la sécurité internationale. Et s'appuyer sur notre compréhension de l'histoire mondiale au cours de ce siècle.

Ce soir, Nous entendrons des députés de tous les partis. Votre point de vue est important et contribuera à guider le Cabinet qui prendra sa décision demain.

Ces moments ne sont jamais faciles.

Ils nécessitent un engagement profond, ainsi qu'une évaluation honnête et un respect de tous les points de vue -- y compris ceux que nous ne partageons pas.

Règle générale, les décisions importantes ne sont jamais faciles à prendre. Tout ce que nous pouvons espérer c'est d'y faire face avec toute l'intelligence et la compréhension qu'elles méritent. Et avec l'engagement de les faire respecter.

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