Devant l'École d'économie de Varsovie
Et avec raison. De l'École d'économie de Varsovie sont issus les principaux artisans de la renaissance économique actuelle de la Pologne. Le Canada se félicite d'avoir contribué à la mise sur pied de votre programme de maîtrise en gestion d'entreprises. J'ai d'ailleurs le grand plaisir de confirmer aujourd'hui notre collaboration à la deuxième phase de ce projet.
Lorsque j'ai été informé que l'École voulait conférer un diplôme honorifique au Premier ministre du Canada, le moins que je puisse dire, c'est que j'ai été extrêmement flatté. J'ajouterais que le fait que je reçoive un tel honneur devant une aussi prestigieuse assemblée a de quoi surprendre bon nombre des enseignants que j'ai eus dans ma jeunesse. N'importe lequel d'entre eux pourrait attester que mon intérêt pour le travail scolaire était plutôt inégal, disons.
Ma visite est la première qu'un premier ministre du Canada effectue en Pologne. Elle survient 80 ans après la reconstitution de l'État moderne de la Pologne et à la fin d'une décennie marquée par des changements extraordinaires dans toute l'Europe.
Le grand honneur que vous me faites fait ressortir l'ampleur des changements qui se sont produits en Pologne en l'espace de quelques années – des changements que le Canada est fier d'avoir favorisés.
Le Canada est profondément attaché à l'Europe – par des liens familiaux, par l'histoire et par les valeurs que nous partageons. Ces attaches font partie intégrante de notre identité et de notre passé.
Ce continent a vu naître la majorité des Canadiens ou leurs ancêtres. Ainsi, près de 800 000 Canadiens sont d'origine polonaise. Les premiers Polonais se sont établis au Canada il y a plus d'un siècle. L'ardeur au travail, les rêves et la vision des Canadiens polonais ont contribué à faire régner la diversité et la prospérité au Canada.
Au cours de ce siècle, un million de Canadiens ont risqué leur vie pour défendre la liberté en Europe pendant deux guerres meurtrières. Plus de 100 000 d'entre eux ont péri. Au cours de plusieurs campagnes pendant la Seconde Guerre mondiale, les troupes canadiennes et polonaises ont combattu côte à côte. Ces sacrifices ont tissé des liens que nous rappellerons cet après-midi lors d'une cérémonie solennelle de commémoration.
Durant les heures sombres de la guerre froide, le Canada – en tant que membre fondateur de l'OTAN – s'est employé à préserver la sécurité et la stabilité en Europe et à atténuer la tension.
Les murs idéologiques se sont écroulés de manière spectaculaire, à la suite notamment du long et courageux combat pour la liberté mené ici, en Pologne. Le monde entier vous en est reconnaissant. Cependant, la nouvelle ère n'est pas exempte de dangers. Par conséquent, le Canada considère que l'OTAN continuera d'avoir un rôle essentiel à jouer pour assurer la stabilité durable de la nouvelle Europe. Voilà pourquoi nous avons appuyé sans réserve l'adhésion de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie à l'OTAN et que nous avons été les premiers à la ratifier. Ainsi s'ouvrira officiellement bientôt un nouveau chapitre de l'histoire de l'Alliance.
Au début des années 1970, le Canada a collaboré activement au processus d'Helsinki qui a donné naissance à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Maintenant que les anciennes rivalités Est-Ouest ne l'accaparent plus, l'Organisation peut se consacrer aux défis contemporains de l'Europe. Dans son rôle de président en exercice l'an dernier, votre ministre des Affaires étrangères Geremek a dû traiter des dossiers critiques tels le terrible conflit au Kosovo, dont l'évolution demeure profondément troublante au moment où je vous parle. Je tiens à le féliciter pour son habile leadership.
Mesdames et messieurs, le cours de l'histoire est parfois mystérieux et imprévisible. Il bouleverse les idées reçues et défie l'imagination. Et nous impose souvent l'humilité. Le cas des événements de la dernière décennie en Europe est éloquent à cet égard.
Il y a dix ans, le Canada et la Pologne faisaient partie de blocs militaires opposés. Des millions de soldats étaient déployés de part et d'autre d'une ligne d'origine idéologique qui paraissait éternelle. En un clin d'oeil, cette ligne s'est effacée. Nous devons néanmoins vivre avec les vestiges de l'histoire et affronter un certain nombre de défis difficiles à surmonter.
Si la majeure partie de l'Europe vit en paix, des conflits troublants subsistent dans certaines régions. Plusieurs d'entre eux résultent de tensions ethniques. La Bosnie, le Kosovo et l'Albanie sont les exemples qui nous viennent aussitôt à l'esprit.
En plus, le passage à la démocratie reste inachevé dans certains pays. Comme vous le savez, la démocratie exige davantage que la seule tenue d'élections. Elle exige également la création d'un État de droit, ainsi que le respect des droits de la personne, notamment les droits des minorités.
L'Europe s'est dotée de divers mécanismes pour remédier à des problèmes profondément enracinés, notamment le Conseil de l'Europe et l'OSCE. Il est cependant clair que des mesures plus efficaces s'imposent si nous voulons faire bénéficier l'ensemble du continent des bienfaits d'une véritable démocratie, de la stabilité sociale et de la sécurité personnelle. Au Canada, nous comprenons cela. C'est pourquoi les troupes de maintien de la paix du Canada servent en Bosnie depuis 1993. Et que des Canadiens participent à la mission de l'OSCE au Kosovo.
J'aimerais aujourd'hui rendre un hommage particulier à la Pologne pour sa contribution à l'édification de la maison européenne.
Dix années c'est bien peu pour mettre sur pied un régime démocratique solide et efficace. Pour consolider un appareil judiciaire indépendant. Pour élaborer une politique efficace de collaboration avec ses voisins. Pour participer activement au maintien de la paix. Pour établir le siège, ici même à Varsovie, du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'OSCE. Vous avez brillamment démontré par votre exemple que c'était possible. Et à ma grande joie, la Pologne a signé la Convention d'Ottawa interdisant les mines antipersonnel.
La Pologne donne aussi l'exemple au chapitre de la transition à l'économie de marché parmi les pays émergents de l'Europe centrale et orientale. Le Canada a observé avec admiration la persévérance avec laquelle les gouvernements polonais qui se sont succédés ont poursuivi la réforme économique entamée, même au prix de sacrifices très douloureux. Le fait que le Canada et la Pologne soient maintenant partenaires au sein de l'OMC et de l'OCDE témoigne du succès de vos efforts.
Il reste encore beaucoup de travail à faire, nous en sommes conscients. Par exemple, l'accession de la Pologne à l'Union européenne nécessitera d'autres décisions difficiles et des adaptations pénibles. Mais, comme je l'ai mentionné hier au Premier ministre Buzek, le Canada estime que l'avenir de la Pologne se trouve au sein de l'Union européenne. Et nous appuyons sans réserve l'élargissement de l'Union.
Le Canada considère également que les succès politiques et économiques obtenus par la Pologne lui confèrent une responsabilité importante en Europe centrale. Nous comptons sur vous pour aider les pays baltes, la Russie, le Bélarus, l'Ukraine et l'Europe du Sud-Est à surmonter les défis particuliers qui se posent à eux.
À ce sujet, je crois que dans l'intérêt de nos enfants et du jugement que l'histoire portera sur nous, nous devons collaborer de notre mieux avec la Fédération de Russie dans la crise économique qu'elle traverse actuellement.
La Russie possède des ressources humaines et naturelles extraordinaires et un immense potentiel économique et industriel. Le succès avec lequel elle instaurera une démocratie et une économie de marché viables déterminera si l'Europe de demain sera la zone de paix et de prospérité que nous souhaitons tous.
L'économie dirigée a été un échec. Nous avons tous l'obligation d'aider la Russie à résister à la tentation de retourner en arrière, en la convainquant de l'importance de garder le cap. De substituer à la méfiance traditionnelle un nouveau climat durable de confiance et de coopération.
Mesdames et messieurs, l'exemple le plus frappant d'une réforme réussie auquel je puisse penser est celui de la Pologne.
Je suis profondément touché de recevoir, en tant que représentant du peuple canadien, une telle distinction de la part de cette grande institution. Je l'accepte en toute modestie en sachant que si ce parchemin porte mon nom, il représente avant tout une réaffirmation de l'amitié entre nos peuples.
S'il est vrai que l'histoire peut souvent nous surprendre, c'est parce que le véritable moteur de l'histoire n'est ni l'idéologie ni la philosophie. Ce sont les peuples. Leur force de caractère. Leur courage. Et leur soif de liberté.
Voilà qui résume bien, selon moi, l'histoire de l'humanité. C'est l'histoire du monde au cours d'un siècle marqué par les remous et le changement. C'est aussi l'histoire des nations et, en premier lieu, celle de la République de Pologne.