Allocution du Premier ministre Paul Martin à l’occasion de la cérémonie nationale tenue en l’honneur des victimes des séismes et des tsunamis en asie

Janvier 08, 2005
Ottawa (Ontario)

Le texte prononcé fait foi

Excellence Madame la Gouverneure générale, Excellence Monsieur l’Ambassadeur Miranda, dirigeants spirituels, chers Canadiens et Canadiennes

Partout en Asie du Sud et du Sud Est, le long de la côte est de l’Afrique, des villes et des vies humaines ont été balayées. La mer s’est transformée en cimetière. Nous sommes un peuple et un monde unis dans le deuil et déterminés à prêter assistance. En cette heure sombre, c’est l’humanité qui éclaire le monde.

Nous nous retrouvons devant un tableau où figurent perte et dévastation. Nous éprouvons un besoin profond de tendre la main, de réconforter ceux qui ne peuvent être réconfortés, de combler un vide dans les familles qui ne sera jamais comblé. Nous pleurons leurs morts. Nous voulons les arracher à leur désespoir et leur donner de l’espoir. Nous voulons éliminer leurs souffrances et leur apporter la paix.

Nous rendons hommage aux travailleurs humanitaires – ceux qui sont sur le terrain et ceux qui, d’ici, conjuguent leurs efforts afin de donner aux personnes qui sont sans recours l’essentiel pour vivre. Nous rendons hommage aux militaires de nombreux pays, aux membres des Forces canadiennes qui ont été déployés sur la côte est du Sri Lanka et aux policiers canadiens envoyés en Thaïlande. Nous nous émerveillons des actes de charité, de l’extraordinaire bonne volonté dont le monde fait preuve—que le président de l’Indonésie a qualifiée de « manifestation d’unité mondiale ».

Ici au Canada, de par la nature de notre pays, l’effet des raz de marée mortels en Asie se fait sentir dans le deuil de ceux qui ont perdu un ou plusieurs membres de leur famille et dans l’angoisse des nombreuses personnes qui attendent toujours des nouvelles. Dans les villes et les collectivités d’un bout à l’autre de ce pays, la douleur que ressent l’Asie du Sud s’est fait nôtre.

Des milliers de Canadiens provenant des treize pays touchés sont bouleversés par les dévastations qui affligent les pays qu’ils ont quittés, mais dont ils ne sont jamais vraiment partis. D’autres prient pour des amis, des collègues, des êtres chers qui étaient en vacances ou qui travaillaient dans la région. Tant de personnes ont subi une perte. Cette tragédie se traduit par d’innombrables deuils.

Le tsunami a monté dans l’océan Indien au moment où beaucoup de Canadiens s’asseyaient à table pour prendre le repas de Noël. Certains décrivent la mort et les dommages qui ont suivi comme étant le premier désastre d’ordre véritablement international à se produire dans un monde que nous apprenions enfin à connaître – un monde où les images choquantes de destructions lointaines pénètrent instantanément nos foyers. Une planète qui intimidait autrefois le plus intrépide des explorateurs, un monde perçu jadis comme étant incroyablement vaste sont devenus une collectivité étroitement liée. Les océans nous séparent peut être de l’Asie du Sud, mais nous formons une famille.

Nous sommes aujourd’hui, en ce moment, liés par la compassion. Et nous devons entretenir ce lien. Nous devons dire à ceux qui sont dans la détresse, à ceux qui possèdent si peu de biens matériels et qui éprouvent une douleur insupportable, nous devons leur dire que notre résolution est inébranlable. Que nous serons du combat pour les aider à se relever. Que nous les accompagnerons – aujourd’hui, demain et après demain, nous serons là le temps qu’il faudra.

D’innombrables comptes rendus nous sont parvenus de l’Asie du Sud au cours des deux dernières semaines. Un reportage en particulier revient souvent dans mon esprit.

Le long de la côte sud du Sri Lanka, l’église Our Lady of Matara a été construite de l’autre côté d’un chemin étroit qui la sépare de l’océan. Cette église est renommée partout dans le pays pour sa petite statue de Marie et de l’Enfant Jésus. Les fidèles effectuent depuis longtemps des pèlerinages pour voir cette sculpture, qui a été tirée de la mer par des pêcheurs il y a quelque cinq siècles.

Ce matin-là du 26 décembre, on passait tout juste à la communion lorsque les raz de marée ont déferlé sur l’église. Les paroissiens étaient si près de la mer qu’ils n’ont eu aucun avertissement. Au moins dix-sept personnes ont trouvé la mort dans ce sanctuaire, où elles étaient venues prier Dieu.

Le pasteur a survécu. Il s’est débattu pour sauver la statue, mais un mur d’eau l’a emportée. D’après son histoire, la statue avait déjà été perdue deux fois; dans un cas, elle avait été égarée pendant de nombreuses années, dans l’autre, elle était disparue en mer à la suite d’un naufrage. Les deux fois, on l’a retrouvée. Et les événements devaient se répéter. Trois jours après le tsunami, la petite statue a été retrouvée, intacte, dans un jardin du voisinage.

Le pasteur a dit de la ressemblance avec Marie : « Elle est venue de la mer. Elle sait nager. »

En tant qu’être humain, en tant que croyant, je ne sais pas vraiment que penser de tout cela. Il est bouleversant d’imaginer l’horreur qui a dû s’abattre sur ces lieux des plus sereins. Et pourtant, chaque fois que j’y pense, j’y trouve un certain espoir, le sentiment renouvelé que la vraie foi est inébranlable, éternelle. Car il est instinctif, chez l’être humain, de chercher une lueur d’espoir même dans les circonstances les plus terribles et les plus sombres.

Nous notons cet instinct dans la réaction suscitée à l’intérieur de nos propres frontières. À Thunder Bay, deux jeunes garçons, âgés de cinq et de sept ans, ont décidé eux mêmes de remettre les cadeaux en argent qu’ils avaient reçus à Noël – un total de 50 $ – à la Croix Rouge. À Lennoxville, au Québec, un garçon âgé de dix ans a réussi, en faisant du porte à porte dans sa collectivité, à recueillir plus de 1000 $. Un enfant à Halifax a donné sa tirelire et les 8,53 $ qu’elle contenait. À Mission, en Colombie Britannique, une fillette âgée de sept ans qui épargnait son argent depuis deux ans pour s’acheter un chien a décidé plutôt de donner le montant économisé, 400 $, aux victimes des tsunamis.

Bon nombre de nos enfants prennent conscience pour la première fois du monde qui les entoure. Ils constatent que nous sommes, et serons toujours, à la merci des éléments naturels qui échappent à notre contrôle. Ils sont témoins non seulement de la destruction et de la misère laissées par les raz de marée meurtriers, mais aussi du caractère rudimentaire de la vie de beaucoup de personnes sur la Terre.

Nos enfants commencent à comprendre que notre propre fortune est née sous le signe de la prospérité. Ils s’étonnent devant les avantages et les merveilles qui caractérisent notre place dans le monde. Et certains d’entre eux réfléchissent sûrement aux responsabilités qui devraient accompagner tels bienfaits.

Ils ne sont pas seuls. Nous, les habitants des pays développés, regardons le monde et sommes confrontés, dans certains cas pour la première fois, aux vrais écarts de richesse, de possibilités et, trop souvent, de la chance et de la providence. Nous avons un aperçu de la nature précaire d’un si grand nombre de vies. Un aperçu qui peut être dérangeant.

De quelle façon les jeunes d’aujourd’hui interagiront-ils avec le monde de demain? Le tsunami aura peut être été un événement formateur, qui influencera leurs vues et guidera leurs croyances. Ils seront peut être déterminés, plus que n’importe quelle autre génération, à intervenir lorsque le besoin s’en fera sentir et à améliorer le destin des milliards de personnes laissées pour compte – à être non seulement de bons citoyens, mais de bons citoyens du monde. Par les gestes que nous posons, par l’action du gouvernement, de mères, de pères, de grands parents, nous devons nous appliquer à laisser un héritage empreint de compassion dont ils seront fiers et qu’ils voudront enrichir.

Ces pensées me sont venues à l’esprit pendant que je regardais les images d’une commémoration qui a eu lieu la semaine dernière à Phuket. Vers la fin de la cérémonie, de nombreux membres de l’assistance ont allumé des lanternes en papier et les ont lâchées. Les lanternes se sont envolées vers le ciel dans la nuit. Elles montaient lentement, doucement. Les gens étaient incapables d’y arracher leur regard – de se détourner de ces taches délicates et élégantes de lumière et d’espoir qui contrastaient avec la dure noirceur de l’angoisse.

Il peut paraître futile de chercher un espoir au sein d’un tel désespoir. Mais en songeant à la générosité que montre le monde entier, en songeant aux jeunes enfants si désireux de remédier aux souffrances de personnes qu’ils n’ont jamais rencontrées et qui vivent dans des lieux dont bon nombre n’avait jamais entendu parler, non seulement nous cherchons cet espoir, mais nous le trouvons.

Retour à la page Web:
http://www.pco-bcp.gc.ca/default.asp?Language=F&Page=archivemartin&Sub=speechesdiscours&Doc=speech_20050108_379_f.htm