LA CONFÉRENCE JEAN EDMONDS 1996

LES FEMMES ET LE MONDE DU TRAVAIL
LA VOIE DE L'ÉGALITÉ ENTRE LES SEXES : 
PROGRÈS RÉALISÉS ET DÉFIS À VENIR

Jocelyne Bourgon

CENTRE CANADIEN DE GESTION

Montréal (Québec) 
Le 4 mars 1996


Table des matières

LES FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ CANADIENNE

PROGRÈS ACCOMPLIS

La femme et l'emploi

La femme et l'éducation

La femme et la prise de décision

LES DÉFIS

Deux emplois

Parents âgés

Dépendance économique

LES FEMMES DANS LA FONCTION PUBLIQUE

PROGRÈS RÉALISÉS DEPUIS 1990

LES DÉFIS DE L'AVENIR

Représenter la société canadienne

Transformer le milieu de travail

Responsabilité parentale

CONCLUSION


Chers (chères) ami(e)s, chers (chères) collègues, distingué(e)s invité(e)s. Je suis heureuse d'être parmi vous à l'occasion de la Semaine internationale de la femme, pour prononcer la troisième des conférences annuelles Jean Edmonds.

Beaucoup d'entre nous connaissions Jean Edmonds. Elle nous a laissé le souvenir d'une personne remarquable. Comme fonctionnaire, elle a été pour nombre d'entre nous une pionnière et un modèle. Son apport aux travaux du Groupe de travail sur les obstacles rencontrés par les femmes dans la fonction publique est bien connu. Mon allocution d'aujourd'hui est en son honneur.

Ce soir, j'aimerais m'entretenir avec vous des défis qui nous attendent avant d'atteindre l'égalité entre hommes et femmes. Mais avant, prenons quelques minutes pour nous remémorer le chemin parcouru grâce au courage et à la détermination de personnes comme Jean Edmonds.

Je vais d'abord vous entretenir de la situation de la femme dans la société canadienne, et, ce qui n'étonnera sans doute personne, je parlerai ensuite de la situation de la femme dans la fonction publique.

LES FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ CANADIENNE

La société canadienne a fait de grands pas sur la voie de l'égalité. Nous devons ces progrès à la contribution et aux sacrifices d'hommes et de femmes qui, au cours des ans, ont lutté pour nous rapprocher de notre objectif. Ce sont les héros méconnus de la cause de l'égalité : les pères et les mères qui encouragent leurs filles à faire des études supérieures; les collègues qui croient vraiment dans l'égalité et agissent en conséquence; les conjoints et les membres de la famille qui, dans la vie de tous les jours assument une juste part des responsabilités familiales afin que chacun puisse se réaliser.

Il est important de reconnaître et de célébrer ces petites victoires parce que ce sont elles qui dureront vraiment. Elles nous donnent aussi le courage et l'énergie nécessaires pour aller encore plus loin.

PROGRÈS ACCOMPLIS

La femme et l'emploi

La participation croissante des femmes à la main-d'oeuvre rémunérée a été l'une des tendances les plus marquantes de la société canadienne ces trente dernières années. Les femmes sont, non seulement plus nombreuses sur le marché du travail, mais elles occupent aussi une plus vaste gamme d'emplois :

Ces changements ont amené une hausse de la rémunération féminine. En 1991, les femmes employées à plein temps durant toute l'année gagnaient 70 pour cent de ce que gagnaient leurs homologues masculins. Nous sommes encore loin de l'égalité, me direz-vous, mais nous avons fait beaucoup de chemin par rapport aux 59 pour cent d'il y a 15 ans.

La femme et l'éducation

Les progrès réalisés sur le marché du travail sont dans une large mesure le résultat des gains que les femmes ont accomplis dans le domaine de l'éducation. L'éducation a été et sera toujours la clé du progrès. En 1992-1993, les femmes représentaient 52 pour cent de tous les étudiants au premier cycle à plein temps au Canada, 46 pour cent des étudiants en maîtrise et 35 pour cent des étudiants au doctorat. Ces gains sont un gage de progrès pour le marché du travail au cours des prochaines années.

La femme et la prise de décision

Mais l'égalité ne se borne pas à une meilleure représentation sur le marché du travail ou une meilleure éducation. Elle touche aussi la participation des femmes aux décisions économiques et politiques à tous les niveaux de la société canadienne. Là encore, on constate une bonne série de « premières » depuis dix ans. Prenons 1993 : le Canada a eu sa première femme Premier ministre, sa première femme Vice-premier ministre et sa première femme leader du gouvernement au Sénat. Ajoutons à cela : la première Autochtone à faire partie du Cabinet, la première Noire à être élue aux Communes et la première femme à être élue premier ministre d'une province. Chacun de ces pas compte; ils s'additionnent petit à petit et finissent par faire partie de notre culture. C'est comme cela que l'on arrive à faire de réels progrès.

LES DÉFIS

En somme, si on regarde le chemin parcouru en fait d'emploi, d'éducation ou de représentation politique, la société canadienne a considérablement changé. Il y a eu un progrès considérable au cours des quinze dernières années et nous pouvons en être fiers. Reconnaître le progrès et célébrer nos réalisations ne doit cependant pas nous faire perdre de vue les défis importants auxquels nous aurons à faire face. J'aimerais parler de trois d'entre eux.

Deux emplois

Je crois que, au cours des quinze prochaines années, le défi le plus important que nous devrons relever pour parvenir à l'égalité des sexes sera de repenser les valeurs et les responsabilités familiales. Depuis quinze ans, les gains réalisés par les femmes au chapitre de l'éducation ont permis des progrès substantiels. Les changements survenus sur le marché du travail, notamment par la voie législative, ont aussi contribué à instaurer un milieu de travail plus favorable. Toutefois, dans les quinze prochaines années, c'est l'attitude que nous adopterons à l'égard des responsabilités parentales et familiales qui déterminera si on peut encore progresser sur la voie de l'égalité des sexes. Nous avons tous un rôle à jouer là-dedans.

Chacun a sa propre définition de la famille, mais vous conviendrez avec moi que c'est une institution en évolution. De nos jours, dans la plupart des ménages, les deux parents travaillent. En 1990, 71 pour cent des couples ayant des enfants de moins de 19 ans travaillaient à l'extérieur de la maison. Il s'agit d'une augmentation considérable par rapport aux 30 pour cent dans cette situation 20 ans plus tôt.

La société continue de tenir pour acquis que les femmes sont les principales dispensatrices de soins dans la famille, même si nombre d'entre elles font aussi partie de la population active rémunérée. En réalité, bien des femmes ont, en fait, deux emplois : un à l'extérieur et un au foyer. Statistique Canada estime que les femmes accomplissent les deux tiers du travail non rémunéré au Canada.

Une étude faite à l'Université du Québec à Montréal en 1995 et intitulée Famille et travail : double statut...double enjeu pour les mères en emploi, révèle que les femmes travaillent en moyenne 70 heures par semaine dans des emplois rémunérés et non rémunérés. Elles estiment ne pas avoir suffisamment de temps pour leurs enfants, pour elles-mêmes et même pour dormir. Ne nous y trompons pas : dans ces conditions, il sera impossible pour les femmes d'avoir autant de succès que les hommes sur le marché du travail, de bénéficier des mêmes possibilités de carrière et d'obtenir les mêmes avantages économiques. La vraie égalité commence à la maison.

Parents âgés

Un deuxième facteur que je trouve inquiétant se dessine à l'horizon : il s'agit de la responsabilité envers les parents âgés ou malades.

Si l'on se fie aux chiffres de Statistique Canada, une femme sur quatre qui a un emploi et qui, dans de nombreux cas, élève des enfants, doit aussi s'occuper de parents âgés. Cette responsabilité peut être encore plus exigeante et stressante que de s'occuper de jeunes enfants.

La société est en voie de restructurer les soins de santé. Nous tentons de faire en sorte que les personnes âgées puissent demeurer chez elles le plus longtemps possible. Nous diminuons aussi la durée des séjours à l'hôpital afin que les patients puissent réintégrer le plus rapidement possible le confort de leur foyer. Mais la société n'a pas encore apporté de réponse aux questions que ces réformes sous-tendent. Qui fournira ces services aux personnes âgées et aux membres de nos familles qui requièrent des soins? Qui sera à la maison pour veiller sur eux lorsque les deux conjoints travaillent et que les enfants sont à l'école? Quels sont les rôles respectifs des gouvernements, de la communauté, de la famille et, en particulier, des femmes?

Si l'on s'attend à ce que les femmes assument la plus grande partie de ces responsabilités, l'égalité demeurera un impossible rêve. Par la force des choses, les femmes se retrouveront avec des responsabilités subalternes et, par conséquent, avec un salaire moins élevé. Elles n'auront accès qu'à des emplois à temps partiel, plus précaires et à court terme, au détriment de leur sécurité économique à long terme.

Au cours des années qui viennent, la volonté de la société d'assurer l'égalité entre les sexes sera mise à dure épreuve.

Dépendance économique

Selon Statistique Canada, le nombre de familles monoparentales a doublé depuis vingt ans. De ce nombre, 82 pour cent sont dirigées par une femme, laquelle, plus souvent qu'autrement, vit dans la pauvreté.

Au Canada, la pauvreté porte en grande partie le visage d'une femme. On en voit des exemples chez :

Ce sont les femmes qui occupent la majorité des emplois à temps partiel au Canada, 69 pour cent en 1994, un chiffre qui n'a que très peu changé depuis vingt ans. Plus de la moitié de ces femmes préféreraient avoir un emploi à plein temps si elles pouvaient en trouver un et si elles avaient le temps.

En résumé, la plus importante bataille des prochaines années sur la voie de l'égalité ne se déroulera pas seulement dans le milieu de travail, mais aussi dans chaque foyer. C'est la prochaine étape de cette révolution et elle nous touchera tous, hommes et femmes.

LES FEMMES DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Maintenant, parlons de la fonction publique. Si Jean Edmonds était avec nous aujourd'hui, elle pourrait nous raconter bien des anecdotes sur la vie des femmes dans le passé au sein de la fonction publique. Elle nous rappellerait qu'il n'y a pas si longtemps, dans les années 50, les femmes qui prenaient mari devaient quitter leur poste pour faire de la place aux hommes qui revenaient de la guerre.

Elle ajouterait peut-être que, même dans les années 70, on rappelait aux femmes qui joignaient la fonction publique que leurs ambitions devaient rester modestes. Bien sûr, on appréciait leur travail, mais il fallait bien comprendre qu'elles ne pouvaient aspirer aux postes supérieurs parce que les questions qui se transigeaient aux plus hauts niveaux de la fonction publique étaient de la première importance et avaient une incidence sur tous les Canadiens. Ces attitudes ont poussé les femmes comme Jean Edmonds à travailler encore plus fort pour éliminer les obstacles.

C'est également à cette époque que de plus en plus de femmes, ayant reçu une bonne instruction et une bonne formation professionnelle, ont commencé à gravir les échelons de la fonction publique. Ces femmes ont transformé le milieu de travail, en imprimant leur marque personnelle en tant que femmes et en tant que femmes gestionnaires.

PROGRÈS RÉALISÉS DEPUIS 1990

En 1990, le rapport du Groupe de travail sur les obstacles rencontrés par les femmes dans la fonction publique nous a aidées à concentrer nos actions pour aller encore plus loin. On pouvait y lire quatre recommandations :

Quels en ont été les résultats? Tout comme dans la société canadienne dans son ensemble, on a vu une amélioration progressive de la représentation féminine aux niveaux supérieurs de la fonction publique depuis la publication du rapport du Groupe de travail en 1990. Ainsi :

En outre, les femmes sont présentes dans des postes non traditionnels. Dans la fonction publique tout comme dans le système politique, nous avons aussi notre liste de « grandes premières » :

Et j'en passe.

En plus des gains au chapitre de la représentation féminine, nous avons aussi amélioré nos pratiques et nos systèmes. Par exemple :

Les ministères et organismes ont accompli des progrès énormes. Ainsi :

Nous avons donc accompli des progrès depuis 1990. Il ne faut pas oublier que ces gains ont été faits au cours d'une période d'austérité et de compressions d'effectifs au sein de la fonction publique. Nous avons bien travaillé. Mais, comme dans toute la société en général, il reste beaucoup à faire. Permettez-moi de mentionner trois défis que nous devrons relever.

LES DÉFIS DE L'AVENIR

Représenter la société canadienne

En premier lieu, la fonction publique est une institution à nulle autre pareille parce qu'elle sert tous les Canadiens et Canadiennes. Pour nous, l'action positive n'est pas simplement un programme ou une politique, c'est une nécessité. Pour bien servir les Canadiens et Canadiennes, la fonction publique doit représenter la société dans son ensemble. Elle doit être composée de femmes et d'hommes venant de toutes les régions du pays, d'origines ethniques différentes, de milieux différents et d'expérience différente.

Nous avons beaucoup fait sans devoir recourir à des mécanismes comme le contingentement des emplois, même en période de compression des effectifs. Nous avons plutôt créé un environnement qui ouvre des possibilités à tous. Nous devons continuer dans cette voie.

Au cours des prochaines années, les réductions de personnel cesseront et, étant donné que bon nombre d'employés se préparent à la retraite, nous recruterons activement en vue de reconstituer nos effectifs à tous les niveaux. Cela nous offrira une occasion sans précédent de modifier le profil démographique de la fonction publique du Canada et d'atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé, une meilleure représentation de la population canadienne. Il sera impératif de saisir cette occasion pour progresser davantage.

Transformer le milieu de travail

En second lieu, nous devons continuer de transformer notre milieu de travail pour qu'il soit plus ouvert aux femmes. Malgré les progrès que je viens de décrire, nombre de femmes considèrent qu'elles font toujours face à un environnement hostile qui n'est pas sensible à leurs besoins.

Nous avons apporté de nombreux changements aux systèmes et aux lois, la situation des femmes s'améliore, mais nous devons également changer les attitudes et les valeurs.

Responsabilité parentale

En troisième lieu, il y a la question des fonctionnaires et de leurs responsabilités parentales.

Les pressions qui s'exercent sur les familles canadiennes et que j'ai mentionnées plus tôt, sont également importantes pour nos employés. Nous devons aider nos employés à s'acquitter de leurs responsabilités parentales d'une manière plus équitable.

Dans notre milieu de travail, on s'attend à ce que les femmes utilisent leurs congés parentaux pour voir aux besoins de leur famille. Je note avec étonnement que plusieurs hommes s'inquiètent de la réaction qu'une demande semblable susciterait dans leur milieu de travail. L'égalité suppose un changement d'attitude tant vis-à-vis des hommes que des femmes, en particulier lorsqu'il s'agit d'obligations familiales.

CONCLUSION

Comme je le mentionnais au début de mon allocution, nous célébrons actuellement la Semaine internationale de la femme et, le vendredi 8 mars, ce sera la Journée internationale de la femme. C'est le moment de célébrer les réalisations des femmes et les progrès réalisés vers l'égalité. C'est également le moment de nous pencher sur les mesures à prendre à l'avenir. Il reste beaucoup à faire.

Le thème retenu cette année par le gouvernement du Canada à l'occasion de la Journée internationale de la femme est « Stratégies pour l'égalité : la gestion du changement ». Il illustre la situation dans laquelle se trouvent les Canadiens et Canadiennes en cette période de mondialisation, de restructuration et de changements technologiques.

Un des grands défis des prochaines années consistera à continuer sur notre lancée afin que l'égalité des femmes soit une réalité durant une période de profonds bouleversements sociaux. Il n'est pas question de revenir en arrière. Il faut protéger les progrès réalisés par le passé, et il ne tient qu'à nous de continuer dans cette voie.



Retour à la page Web:
http://www.pco-bcp.gc.ca/default.asp?Language=F&Page=Clerk&Sub=ClerksSpeeches&Doc=1996_gender_f.htm