Notes pour une allocution de
Mme Jocelyne Bourgon
Greffier du Conseil privé et Secrétaire du Cabinet
Ottawa (Ontario)
Le 27 mai 1997
ENTRÉE EN MATIÈRE
Je vous remercie de votre invitation. Je suis heureuse de me retrouver parmi vous.
Le thème de votre conférence de cette année, «Le secteur public contribue à l'avantage concurrentiel du Canada», est un thème important et qui tombe à point.
Je me réjouis par conséquent d'avoir l'occasion de me pencher avec vous sur :
1. ÉCONOMIE ET DÉMOCRATIE
On peut affirmer, à la fin du XXe siècle, que la démocratie alliée à une économie de marché reste le modèle incontesté d'organisation de la société.
Personne ne sait faire fonctionner l'économie avec succès en dehors du système de marché. C'est la façon la plus efficace d'utiliser des ressources limitées tout en voyant à l'intérêt particulier.
La démocratie s'est pour sa part révélée le meilleur moyen d'assurer la cohésion sociale. C'est la façon la plus efficace de voir à l'intérêt collectif.
Il existe bien sûr d'autres modèles, mais les pays qui jouissent des deux systèmes ont surpassé les autres.
Il y a des tensions inhérentes au mariage de la démocratie et de l'économie de marché. Les deux systèmes reposent en effet sur des fondements très différents.
Mais l'histoire des XIXe et XXe siècles nous enseigne qu'il existe de grandes synergies entre les deux systèmes. Ceux-ci peuvent s'appuyer et être mutuellement profitables.
Pour des pays comme le Canada, qui ont la chance de jouir des deux systèmes, il s'agit non pas du triomphe d'un secteur sur l'autre, mais d'une question d'équilibre.
Ce sont les citoyens qui, en tout temps, décident où se situe l'équilibre. Dans des sociétés comme la nôtre, cette recherche d'équilibre ne cesse jamais.
On a vu au Canada les signes de cette recherche d'équilibre.
Entre la Seconde Guerre mondiale et la fin des années 1970, les citoyens ont progressivement demandé plus à l'État et au secteur public de l'édification de la nation à l'expansion du régime de réglementation dans tous les secteurs et tous les aspects de la vie, en passant par la gestion des politiques macroéconomiques et la création du régime de sécurité sociale.
On a accompli de grandes choses, mais le rêve ne s'est pas concrétisé. Aucune réglementation, si abondante soit-elle, ne peut protéger les citoyens contre tous les drames de la vie. Aucun gouvernement n'a pu protéger les Canadiens contre les effets des récessions économiques, ni combattre simultanément l'inflation et les taux d'intérêt élevés. Le rôle de l'État a ses limites, et le coût des services dépassait les moyens collectifs des Canadiens. Il fallait trouver un nouvel équilibre.
Au cours des années 1980 et 1990, les citoyens ont peu à peu demandé davantage du secteur privé. La réduction de la taille des gouvernements, l'équilibration des budgets, la libéralisation du commerce, la modernisation des régimes fiscaux et la réduction des règlements étaient parmi les nombreuses mesures qu'il fallait prendre pour tirer profit de l'économie de marché. On a accompli de grandes choses, mais là encore, le rêve ne s'est pas concrétisé.
Il faut se rappeler qu'au cours de cette période, le Canada a affiché l'un des meilleurs bilans de croissance parmi les pays du G7. Mais même le meilleur est parfois insuffisant. Le taux de croissance économique moyen de 1,3 pourcent des années 1990 s'est en effet traduit par une baisse du niveau de vie des citoyens. Le chômage a atteint une moyenne de 10,1 pourcent au cours des années 1990, et le taux de chômage des jeunes est actuellement d'environ 17 pourcent. Le revenu disponible réel par habitant a diminué tous les ans depuis 1988.
Donc, le rêve de croissance constante, de plein emploi, de stabilité financière et d'augmentation des salaires réels s'est révélé illusoire.
Certains signes indiquent que le mouvement du pendule est sur le point de se renverser à la recherche d'un nouvel équilibre et d'un nouveau rêve à réaliser.
Les citoyens décideront où résidera le nouvel équilibre dans les années à venir.
Où qu'il se situe, il prendra la forme d'une synergie entre le meilleur de la démocratie et le meilleur de l'économie de marché, d'un juste milieu entre la poursuite de l'intérêt individuel et celle de l'intérêt collectif, d'un partenariat entre les secteurs public et privé.
Le succès de la société canadienne à la veille du nouveau millénaire dépendra en grande partie de ce partenariat.
2. LE RÔLE DU SECTEUR PUBLIC
Le secteur public a beaucoup à offrir au sein de ce partenariat.
Dans le contexte mondial, le secteur public sera appelé à jouer un rôle absolument fondamental. La qualité et l'efficacité du gouvernement seront capitales pour la prospérité du pays. Voici pourquoi.
Grâce à la technologie moderne, aux marchés mondiaux de capitaux et aux moyens de communication peu coûteux, de plus en plus d'industries n'ont pas de siège prédéterminé.
Dans ce contexte, la réussite d'un pays dépendra de sa capacité de créer des conditions économiques et sociales les plus attrayantes. Une société paisible, dotée d'une infrastructure moderne et disposant d'une main-d'oeuvre de calibre mondial une société prête à investir dans ses citoyens et dans la recherche et le développement possédera un important avantage comparatif.
À l'avenir, l'avantage comparatif d'une nation dépendra de son action et de ses
investissements. Cela signifie que les gouvernments et le secteur public joueront un rôle
stratégique.
Les
connaissances et les compétences ne tombent pas du ciel. Elles exigent du temps et des
investissements continus dans l'éducation et la formation. Là encore, la fonction
publique aura à jouer un rôle clé. Aucun pays n'est jamais sorti de l'analphabétisme,
même partiellement, sans un système scolaire financé par les deniers publics.
Certains prétendent qu'il suffit de s'occuper du salaire et du traitement pour attirer et retenir du personnel de talent. Je pense que c'est sous-estimer la diversité des besoins humains.
Des facteurs comme des rues et des quartiers sûrs, de l'air et de l'eau purs, de
bonnes écoles pour les enfants, des établissements d'enseignement de calibre mondial,
des soins de santé modernes et une société paisible sont tout aussi importants. Là
encore, la contribution du secteur public sera importante.
Pour résumer, donc, comme Peter Drucker l'a fait remarquer. «Nous nous rendons très vite compte que l'opinion selon laquelle un marché libre suffit pour assurer le fonctionnement d'une société, ou même d'une économie, est absolument illusoire... Le marché en soi n'engendre pas la démocratie, ni même une économie saine et florissante.»
Quoi que le nouveau siècle nous réserve, quelle que soit la décision des citoyens à propos du nouveau point d'équilibre dans les années à venir, nous pouvons être certains que les institutions de l'État et du secteur public auront un rôle essentiel à jouer, un rôle qui comprendra un partenariat solide entre le secteur public et le secteur privé.
3. NOTRE FAÇON DE SERVIR
Mes remarques ont porté jusqu'ici sur le rôle du secteur public et, par conséquent, sur les défis auxquels nous ferons face sur le plan des politiques. La façon d'accomplir notre travail sera également importante pour la compétitivité du Canada.
L'adaptation de l'économie de marché au contexte mondial a fait couler beaucoup d'encre. Mais on n'a pas aussi bien saisi les changements en cours dans le secteur public.
Le secteur public canadien a connu, ces dernières années, rien de moins qu'une révolution tranquille. Les changements ont été si étendus, si rapides et si profonds que très peu de gens, y compris nous-mêmes et y compris les spécialistes, saissent bien la situation du secteur public.
Il y a quelques années, le Canada était aux prises avec un grave problème financier tant au palier fédéral qu'au palier provincial.
La plupart des Canadiens n'ont vu de l'évolution du rôle de l'État que la réduction de la taille du gouvernement. Mais un examen plus attentif révèle que des changements plus profonds sont en cours. Ceux-ci ont trait à la façon dont nous servons les citoyens.
Aujourd'hui, le débat sur le chevauchement et le double emploi est en retard sur la réalité.
Mais aucune rationalisation ou compression d'effectifs ne remplacera jamais la nécessité, pour les gouvernements, de travailler de concert pour répondre aux besoins du Canada et de la population canadienne au XXIe siècle.
Autrement dit, le travail de clarification des rôles et de réduction du chevauchement et du double emploi fait maintenant place à une démarche beaucoup plus ardue, qui consiste à gérer l'interdépendance entre les gouvernements afin de mieux servir la population canadienne. Les gouvernements doivent apprendre à établir des priorités et à prendre des décisions ensemble.
Partout au pays, loin des projecteurs et de l'attention des médias, les gouvernements
joignent leurs efforts pour fournir des services intégrés aux citoyens. L'idée de
guichet unique est en train de se concrétiser au Canada. On en trouve des exemples un peu
partout au pays.
Cette tendance vers l'intégration des services est désormais bien implantée.
C'est pourquoi les gouvernements concluent des ententes de partenariat qui permettent aux participants d'atteindre des résultats qui seraient impossibles à atteindre s'ils agissaient seuls.
Cela suscite un foisonnement de modèles institutionnels inconnus il y a à peine
quelques années. Si vous croyez que l'organisation actuelle du gouvernement en est encore
au modèle ministériel, vous avez probablement été à l'extérieur du pays ou en congé
sabbatique ces dernières années. Regardez-y de plus près:
Cette transformation n'est pas dénuée de problèmes, mais il s'agit d'une tendance
bien établie. La souplesse, l'adaptabilité et l'efficacité ne sont pas étrangères aux
services du secteur public.
Il est probable que, dans les années à venir, ce changement aura un effet des plus profonds sur le rôle des gouvernements.
Les technologies de l'information permettent à l'État d'être présent et bien
renseigné et d'adapter ses services aux besoins locaux partout au Canada.
La technologie modifie la nature des services fournis et donne la maîtrise aux
citoyens.
La technologie permet à l'État de fournir des services qu'autrement il ne pourrait
pas offrir et elle relie les Canadiens et les communautés canadiennes.
Nous avons déjà fait beaucoup, et nous ferons plus encore pour que le secteur public joue son rôle au maximum et qu'il contribue à la compétitivité du Canada à la veille du prochain millénaire.
Si nous continuons sur cette lancée, cela contribuera grandement à susciter fierté et respect à l'égard du rôle de l'État. Cela favorisera davantage l'unité nationale que toutes les conférences constitutionnelles tenues jusqu'ici.
CONCLUSION
Permettez-moi maintenant de me résumer et de tirer quelques conclusions.
Premièrement, les pays qui ont l'avantage de posséder un système démocratique et une économie de marché ont surpassé tous les autres. Dans le contexte mondial, les institutions du gouvernement et du secteur public seront de plus en plus importantes pour la prospérité du pays et pour le bien-être des Canadiens.
Deuxièmement, nous arrivons à la fin d'une période qui a vu d'importants changements se produire dans le secteur public canadien.
En effet, les gouvernements ont alors repensé leur rôle, équilibré leurs budgets et recouvré la capacité de faire des choix. Ce travail a abouti à la réduction de la taille du gouvernement et à sa modernisation, et l'a placé en meilleure position pour répondre aux besoins de l'avenir.
Ma troisième conclusion est que la prochaine étape doit porter sur nous, nous qui servons l'intérêt public, et sur la fierté légitime que nous pouvons en tirer.
J'ai appelé cette étape La Relève. Voici certaines des tâches qu'elle comportera :
Il s'agira de faire tout cela et d'autres choses encore. Je ne m'inquiète pas des résultats, car j'ai vu les plans d'action que vous avez établis. Lorsque nous ferons le point, dans trois ans, nous serons étonnés de constater l'ampleur de nos réalisations.
Une autre tâche importante de La Relève consiste à rétablir la fierté.
Le thème de la Semaine nationale de la fonction publique de cette année, «Fiers de servir les Canadiennes et les Canadiens», tombe à point.
Ce n'est pas par hasard que le Canada est devenu le pays offrant les meilleures conditions de vie du monde. Les institutions du secteur public peuvent affirmer avec fierté qu'elles y ont contribué.
En tant que dirigeants du secteur public, nous devons chercher à mieux faire comprendre son apport à la société canadienne.
Il faut nous-même en prendre conscience. Nous devons ensuite le faire connaître non pas avec arrogance mais pour expliquer au public et lui faire mieux comprendre le rôle de l'État dans une société moderne.
Une carrière dans le secteur public est une carrière sans pareille, car il n'y a pas de plus grande récompense que d'avoir l'occasion d'apporter une contribution utile à la vie de son pays.
Nous tous qui sommes dans cette salle avons donc été privilégiés.
J'ai hâte de vous revoir l'an prochain. J'aurai peut-être l'occasion de vous en dire plus long au sujet de vos réalisations.