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Archives - Salle de presse

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«L'avantage canadien face à la mondialisation»

Notes pour une allocution de
l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires intergouvernementales

lors de la Conférence Globalization 2000

Calgary (Alberta)

le 25 septembre 1999

Mondialisation 2000 : convergence ou divergence? Telle est la question que nous posent les organisateurs du colloque qui nous réunit aujourd'hui.

La mondialisation est une tendance à l'intégration économique, sociale et politique entre les diverses populations du monde. Sur le plan économique, elle englobe toutes les forces qui tendent à ramener le monde à un seul espace de marché. L'un de ses effets les plus mesurables est l'importance croissante du commerce extérieur dans l'économie des pays.

La mondialisation pose plusieurs défis aux gouvernements nationaux quant à leur capacité de répondre aux besoins économiques et sociaux des populations. Mais soulève-t-elle la question de leur existence même? Va-t-elle les fondre dans de grands ensembles? Ou, au contraire, les disloquer en plus petites unités? Étant donné mes responsabilités pour l'unité canadienne, on comprendra que j'aborde la question sous l'angle de l'existence des pays. Votre question devient alors la suivante : la mondialisation des marchés va-t-elle faire augmenter ou diminuer le nombre de pays sur la planète?

Certains disent que la mondialisation des marchés va amener les pays à s'amalgamer, par un effet de convergence; d'autres prédisent, au contraire, que ce même phénomène va faire éclater plusieurs pays, par un effet de divergence.

Les premiers affirment que la mondialisation des marchés entraîne une concentration de l'économie qui rend elle-même nécessaire une concentration politique, et que l'avenir appartient à des organismes supra-nationaux tels l'Union européenne, l'Aléna, l'Organisation mondiale du commerce, bien davantage qu'aux États traditionnels, lesquels, devenus obsolètes, devraient s'effacer peu à peu. Les frontières nationales n'auront plus d'importance, prédisent-ils.

Les seconds annoncent la montée des petites régions, entités plus homogènes qui pourront s'adapter avec souplesse et trouver leur niche spécialisée dans le gigantisme du marché mondial.

Ce débat touche de près le Canada. Les uns voient la mondialisation éradiquer la souveraineté canadienne et nous pousser dans les bras du géant américain (effet de convergence). Les autres prédisent que nos provinces vont de plus en plus jouer en solo, jusqu'à éventuellement faire éclater la fédération, le Québec partant le bal (effet de divergence).

Autrement dit, dans dix, vingt, trente ans d'ici, la mondialisation aura-t-elle fait augmenter ou diminuer le nombre de pays? Et nous aura-t-elle coûté notre identité canadienne?

Mon sentiment là-dessus est que la mondialisation des marchés n'aura probablement pas d'effets perceptibles sur le nombre de pays que compte notre planète. Dans dix, vingt, trente ans d'ici, le rôle de l'Aléna, de l'Union européenne ou de l'OMC aura certainement évolué, d'une façon difficile à prévoir aujourd'hui, mais la France, l'Allemagne, les États-Unis, le Mexique seront toujours des pays distincts, ayant leur propre siège à l'ONU.

Quant à nous, la mondialisation des marchés ne menace pas notre unité. Au contraire, elle joue en faveur de l'unité canadienne. Ma présentation se fera en trois points. Premièrement, je vais vous démontrer que la mondialisation des marchés n'a pas créé un seul nouveau pays à ce jour. Deuxièmement, je vais mesurer plus précisément la portée réelle de ce phénomène qu'on appelle la mondialisation : il ne faut pas, par une espèce d'emballement pour le concept, en exagérer l'importance ou les effets. Troisièmement, je vais faire valoir pourquoi, tout bien pesé, les enjeux liés à la mondialisation des marchés plaident en faveur de l'unité canadienne.

1. La mondialisation des marchés n'a pas créé un seul nouveau pays à ce jour

Régulièrement, les leaders indépendantistes au Québec insistent sur le nombre croissant de pays dans le monde et relient ce phénomène à la mondialisation. Par exemple, M. Jacques Parizeau a déclaré le 29 avril 1999 : «Il ne faut pas s'étonner à cet égard de la multiplication des pays, du nombre de pays. (...) Dans ce sens-là, le débat sur la mondialisation (...) débouche directement sur la notion de souveraineté.»

Le monde comptait 69 États en 1945. Il en comprend aujourd'hui 191, soit 122 de plus. Aucun de ces 122 nouveaux États n'est né de la mondialisation des marchés.

Pas moins de 93 d'entre eux sont d'anciennes colonies. La décolonisation relève beaucoup plus d'une poussée des valeurs d'égalité et de dignité humaine que de la mondialisation des marchés. D'autres cas de décolonisation pourraient survenir dans l'avenir selon la même démarche d'émancipation politique. On pense par exemple au Timor oriental, ancienne colonie portugaise dont l'annexion forcée à l'Indonésie pourrait bientôt prendre fin.

Hors du processus de décolonisation, six États seulement ont été créés entre 1945 et 1989 : Israël, les deux Corées, le Sénégal (après la désintégration de la fédération du Mali), Singapour (expulsée de la fédération de Malaisie), et le Bangladesh (qui a fait sécession du Pakistan). Bien malin celui qui pourra rattacher ces différents cas à la mondialisation des marchés.

Depuis 1990, 23 nouveaux États sont apparus, tous, sans exception, nés des processus en chaîne qui ont accompagné et suivi la dislocation des empires communistes : les trois Républiques baltes, la Russie, onze autres anciennes Républiques soviétiques, les cinq États issus des républiques de l'ancienne Yougoslavie, la République tchèque, la Slovaquie et l'Érythrée (qui s'est séparée de l'Éthiopie après une guerre civile). On a dit du communisme qu'il a été un grand congélateur de l'histoire. En ce sens, l'accession de ces pays à l'indépendance vient de la mort d'une idéologie du 19e siècle. Leur naissance ne peut pas, elle non plus, être rattachée à un phénomène de modernisation récent comme la mondialisation des marchés.

On m'objectera que l'avancée portant dans le monde des valeurs et des systèmes démocratiques et libéraux est l'une des dimensions de ce concept attrape-tout qu'on appelle la mondialisation. On dira aussi que depuis la fin de la guerre froide, la communauté internationale est mieux en mesure d'intervenir pour des raisons humanitaires afin de pacifier les conflits ethniques au sein des pays. Mais alors, convenons que cette dimension de la mondialisation, qui a fait tomber des empires coloniaux et totalitaires, ne menace aucunement l'unité de pays qui, tel le Canada, sont déjà démocratiques et libéraux.

On ne peut donc s'appuyer sur l'histoire pour affirmer que la mondialisation des marchés a un effet sur le nombre des pays. Considérons maintenant les tendances actuelles.

2. Il ne faut pas exagérer le phénomène de la mondialisation

Il faut se méfier des modes intellectuelles, des emballements passagers pour un nouveau concept. La mondialisation est un phénomène réel, certes, mais elle n'est pas la super-explication monocausale des grandes tendances d'aujourd'hui et de demain.

D'ailleurs, le caractère inédit du phénomène ne doit pas être exagéré. Il comporte des dimensions nouvelles, telles les grandes technologies de communication. Mais selon plusieurs économistes, la mobilité de la main-d'oeuvre, des biens et du capital est moindre aujourd'hui qu'il y a un siècle. Les grandes migrations vers l'Amérique et l'Australie, la quasi-absence des passeports et des barrières tarifaires, le partage du monde en grands empires coloniaux, tout ce contexte propre au 19e siècle entraînait une forme poussée de mondialisation.

À l'inverse, la première moitié du 20e siècle a été une période de fractionnement de l'économie, marquée par les deux guerres mondiales et la grande crise de 1929. Aujourd'hui, après cinq décennies de libéralisation des marchés, nous retrouvons à peine le degré de mondialisation de l'économie qui existait il y a cent ans. Il convient donc de relativiser l'importance de ce que nous vivons actuellement.

Bien sûr, notre phénomène de mondialisation est bien réel. Il se caractérise, entre autres, comme je l'ai dit, par la part croissante du commerce extérieur dans l'économie des pays, par le rôle accru des organisations internationales et par l'étendue des accords internationaux. Mais il serait tout à fait exagéré de penser que cette montée de l'économie internationale est telle qu'elle efface les frontières nationales et les rend caduques.

Prenons notre exemple, le Canada. Il est vrai que nos échanges avec les États-Unis croissent plus rapidement que nos échanges entre provinces canadiennes. Mais cela tient au fait que notre économie domestique est déjà très intégrée. Nous avons bien plus qu'un libre-échange au sein de l'espace économique canadien.

Vous connaissez sans doute les travaux de John F. Helliwell (How Much Do National Borders Matter ?, Brookings Institution, Washington, 1998). Il a calculé que les flux de biens entre les provinces sont douze fois plus importants qu'entre le Canada et les États-Unis, une fois pris en compte les facteurs de la taille et de la distance. Ces flux sont quarante fois plus importants lorsqu'il s'agit du commerce de services.

Cette forte intégration de l'économie canadienne n'est pas le fruit du hasard. Elle vient de ce que nous partageons des institutions politiques et juridiques, une monnaie commune, des politiques économiques et sociales harmonisées, que nous sommes liés par une solidarité nationale, autant d'éléments absents de notre relation avec les États-Unis.

Oui, les frontières ont encore de l'importance. On peut même dire que, d'une certaine façon, les enjeux liés à la mondialisation des marchés rendent plus nécessaires que jamais le maintien d'une forte cohésion nationale au sein de chaque pays. L'entraide entre concitoyens, la solidarité nationale, ne sont pas des atouts obsolètes, bien au contraire. Permettez que j'illustre cet argument en prenant une autre fois comme exemple notre pays, le Canada.

3. Les avantages de l'unité canadienne face à la mondialisation

En fait, dans notre cas, la mondialisation des marchés se traduit essentiellement par une ouverture plus grande au marché américain. Les États-Unis sont plus que jamais notre principal partenaire commercial. En 1988, 74 % du commerce extérieur du Canada en biens se faisait avec les États-Unis. En 1998, il est passé à 85 %.

Aujourd'hui comme hier, et peut-être plus encore qu'hier, la fédération canadienne constitue un formidable atout pour ouvrir davantage ce marché américain et pour résister au protectionnisme des États-Unis. En 1998, nos exportations aux États-Unis en biens et services étaient évaluées à environ 297 milliards de dollars.

Je pourrais mentionner les énormes moyens que le Canada déploie pour faire entendre sa voix aux États-Unis : notre ambassade (qui est la troisième plus importante ambassade étrangère à Washington) et nos 14 consulats et bureaux commerciaux. Nous avons bien besoin du professionnalisme de ces diplomates, agents commerciaux, commissaires à l'investissement, avocats spécialistes en droit commercial, conseillers en science et technologie, car ce sont eux, en grande partie, qui font connaître nos intérêts auprès de la multitude de centres d'influence aux États-Unis : les milieux d'affaires, la Maison-Blanche, la Chambre des représentants, le Sénat, sans oublier les États.

Mais le plus important est que ces ressources impressionnantes sont mises en branle par un pays que les États-Unis connaissent et respectent. Si le marché américain est vital pour nous, le marché canadien est aussi très important pour les États-Unis. Le Canada est leur premier partenaire commercial, loin devant le Japon et presque à égalité avec l'ensemble des pays de l'Union européenne. Nous ne sommes pourtant que 30 millions de Canadiens, mais 30 millions qui, en 1998, échangions chaque jour avec 272 millions d'Américains pour près de 1,25 milliard de dollars en biens et services. Il s'agit là d'une relation commerciale unique au monde et qui nous permet d'exercer une forte influence auprès de notre grand voisin du Sud lorsque le besoin se fait sentir.

Mais il y a plus. Le Canada est un allié avec lequel les Américains doivent compter tant pour leur politique commerciale que pour leur politique étrangère en général. Les autorités américaines le savent : peu de pays exercent de l'influence dans autant de forums internationaux que le Canada.

Nous avons nos difficultés avec certaines formes de protectionnisme américain et nous en aurons encore. Mais notre principal atout pour percer le marché américain, c'est notre unité. Frapper à sa porte dans le désordre, dans la division, c'est s'affaiblir dangereusement.

Conclusion

Aujourd'hui, j'espère avoir démontré trois choses. Premièrement, la mondialisation des marchés n'a pas créé de nouveaux pays à ce jour. Deuxièmement, ce phénomène n'est pas d'une importance telle qu'il pourrait rendre les frontières nationales inutiles dans l'avenir. Troisièmement, les défis liés à la mondialisation des marchés ont plutôt pour effet d'inciter les pays à renforcer leur cohésion interne.

J'ai particulièrement insisté sur le lien entre le Canada et les États-Unis en cette ère de mondialisation. Mais quand je projette mon regard au-delà des États-Unis, sur nos relations avec les autres parties du monde, je demeure tout aussi optimiste quant à l'avenir de notre pays.

Je dis qu'il y a peu de pays mieux placés que le nôtre pour réussir dans ce monde global. Le Canada est un pays respecté, jouissant d'une excellente réputation, un pays qui a su allier cohésion d'ensemble et grande diversité : des provinces et territoires dont les forces se complètent, deux langues officielles qui sont des langues internationales, deux systèmes juridiques, le droit civil et la common law, qui nous permettent de parler le langage juridique de la grande majorité des pays, une situation géographique qui nous ouvre aux Amériques, à l'Europe et à l'Asie, une population multiculturelle qui donne prise sur tous les continents du globe. Indéniablement, nous avons su faire de notre diversité une force dont nous aurons besoin plus que jamais.

Fédération décentralisée, le Canada offre à chacune de ses provinces le maximum de souplesse pour faire jouer ses atouts, mais il nous procure en même temps une cohésion d'ensemble, une exceptionnelle capacité de poursuivre, chez nous comme à l'étranger, des objectifs communs, forts de la diversité de nos expériences.

Parlant d'expérience, notre pays en a à revendre en ce qui a trait à la mondialisation. Il n'a pas attendu qu'elle soit à la mode pour s'y intéresser. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il a joué un rôle international de premier plan dans la création des institutions qui, en fait, encadrent la mondialisation. Je pense au Fonds monétaire international et au GATT, devenu en 1995 l'Organisation mondiale du commerce. On pourrait en nommer d'autres comme l'Organisation mondiale de la santé, dont le premier directeur général fut un Canadien. Quand on parle de mondialisation, nous, les Canadiens, sommes comme des poissons dans l'eau.

Face à la puissance américaine, de plus en plus notre principale partenaire commerciale, il faut nous appuyer sur un Canada uni. Alors que les accords internationaux touchent nos vies toujours davantage, il faut pouvoir compter sur le prestige et l'influence de notre pays. Face aux enjeux de la nouvelle économie, l'entraide de tous les Canadiens est plus nécessaire que jamais.

C'est ça le Canada : une synergie de cultures qui donne d'excellents résultats. Et c'est pour ça que ça marche le Canada. Voilà, à vous qui vous penchez sur les phénomènes de mondialisation, l'optimisme et l'enthousiasme que j'ai voulu vous communiquer au sujet de l'avenir de notre pays. Je vous remercie de m'en avoir donné l'occasion.

L'allocution prononcée fait foi  


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Mise à jour : 1999-09-25 Avis importants