La parole est à vous :
engager les canadiens au changement

Notes pour une allocution de 
Mme Jocelyne Bourgon
Greffier du Conseil privé et Secrétaire du Cabinet

Conférence de l’Institut sur la gouvernance
Aylmer (Québec)
Le 27 octobre 1998


INTRODUCTION

Il y a près d’un an jour pour jour, à l’occasion d’un forum de hauts fonctionnaires, je disais comment le mandat actuel du gouvernement se distinguerait du précédent. Ce jour-là, je mettais l’accent en grande partie sur le défi de la « modernisation de la relation entre gouvernements et citoyens » et je posais la question suivante : « Voulons-nous et pouvons-nous exercer le pouvoir différemment? »

Ce défi découle directement du discours du Trône de septembre 1997. Dans ce discours, le gouvernement reconnaissait que, pour bâtir le Canada de demain, «...il faudra mobiliser les Canadiens de tous les horizons [...] Il faudra de la collaboration et des partenariats. »

Quelques mois plus tard, dans mon rapport annuel au premier ministre, je soulignais l’importance de la participation des citoyens. En effet, l’un des défis qui se posent à la fonction publique est celui d’explorer de nouvelles façons de faire participer nos concitoyens à l’élaboration des politiques.

Cette conférence elle-même illustre le fait que la participation des citoyens est maintenant un sujet de discussion et d’action de premier plan pour les fonctionnaires, pour les élus et pour les spécialistes des politiques publiques et de l’administration, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du gouvernement. Je me réjouis de l’occasion que vous me donnez d’en parler plus longuement, dans la perspective de la fonction publique fédérale.

LE CONTEXTE

Voyons d’abord un peu le contexte. Depuis une dizaine d’années, il est devenu clair qu’il y a un risque grandissant de « déconnexion » entre les gouvernements et les citoyens. Les recherches concluent essentiellement que les citoyens craignent de plus en plus que leurs institutions démocratiques soient déphasées par rapport à leurs propres valeurs et intérêts. De plus, les citoyens sont fermement convaincus qu’il y a un écart grandissant entre l’influence qu’ils ont sur les décisions gouvernementales et celle qu’ils voudraient avoir. Bien qu’ils souhaitent être consultés davantage par les gouvernements, ils ne sentent pas qu’ils ont un rôle à jouer dans certains des forums actuels de consultation du public.

Il ne s’agit pas d’un phénomène propre au Canada. Il existe dans presque toutes les démocraties occidentales et a été étudié par de nombreux grands chercheurs et écrivains. D’ailleurs, deux d’entre eux vous adresseront la parole demain. L’un est M. Neil Nevitte, dont l’ouvrage intitulé Decline of Deference traite de l’évolution des valeurs et de la perception des citoyens à l’égard de leurs gouvernements. L’autre est M. Benjamin Barber, auteur d’une foule de textes sur la démocratie et la participation des citoyens, qui vient de faire paraître un nouveau livre à ce sujet.

 Plus près de chez nous, bon nombre de ces tendances ont été explorées dans le cadre d’une vaste étude nationale sur la participation des citoyens menée par les Associés de recherche EKOS. Selon EKOS, les citoyens savent très bien ce qu’ils recherchent dans une nouvelle relation avec le gouvernement. Ils veulent avoir un rôle direct, effectif et déterminant dans l’élaboration des politiques et des décisions qui les concernent. Ils veulent être entendus. Ils veulent que leurs dirigeants s’engagent à tenir compte de leurs opinions lorsqu’ils prennent des décisions.

Qu’est-ce que cela signifie du point de vue de la gestion des affaires publiques? Tout d’abord, c’est une bonne nouvelle. Cela signifie que les citoyens revendiquent la place qui leur revient dans la société civile. Ils veulent travailler avec leurs institutions démocratiques sur les questions qui les touchent de plus près.

Ensuite, les citoyens seront désormais associés au processus d’élaboration des politiques publiques à titre non pas de représentants d’un secteur ou d’un groupe organisé, mais à titre de citoyens conscients de leurs devoirs civiques. Les citoyens engagés ont comme responsabilité de se tenir au courant des questions de l’heure, de présenter leurs points de vue personnels, d’apprendre des autres et de travailler collectivement à trouver un terrain d’entente.

Enfin, cela signifie que les décideurs du gouvernement – autant les élus que les fonctionnaires – ont l’obligation de mobiliser efficacement les citoyens, de les écouter et de faire preuve de responsabilité en leur expliquant comment leurs points vue ont été intégrés dans le processus décisionnel. Essentiellement, la participation des citoyens constitue un apprentissage réciproque entre les citoyens, les institutions démocratiques et publiques dans la recherche d’un terrain d’entente.

Cet aspect de la participation des citoyens m’amène à faire trois observations : 1) Les Canadiens souhaitent une participation effective; 2) la participation des citoyens constitue le prolongement des pratiques actuelles en matière de consultation; 3) la participation des citoyens ne remplace en rien nos processus et nos institutions démocratiques.

1. Une participation effective : essence de la mobilisation des citoyens

La participation est effective dans la mesure où les citoyens sont engagés dans un processus de délibération formel et sérieux qui leur permet d’étudier à fond tous les aspects des questions débattues. Il ne s’agit pas de produire un instantané de l’opinion publique. C’est le but des sondages. Il ne s’agit pas non plus de fournir une tribune pour que les gens expriment des opinions arrêtées.

Non, la participation des citoyens implique une discussion approfondie des choix et des alternatives dans la recherche d’un terrain d’entente. Ainsi, elle peut servir à élaborer des projets de politique, mais aussi à mieux comprendre les principes sur lesquels ils s’appuient.

Pour que sa participation soit effective, le citoyen doit avoir son mot à dire à toutes les étapes, soit dans la définition du problème, dans la formulation et l’examen des options et dans le choix d’une ligne de conduite. Il doit recevoir en temps utile des renseignements factuels, équilibrés et rédigés dans un style clair, selon les principes de la transparence.

Qui dit participation effective, dit investissement de temps et de ressources. Par conséquent, il faut être sélectif et réserver ses énergies aux cas où les enjeux sont considérables ou lorsqu’il y a des choix difficiles qui touchent des valeurs fondamentales.

Le plus important, c’est que les Canadiens nous ont signalé qu’ils veulent l’assurance d’être écoutés. Les Canadiens prendront volontiers le temps de participer à des délibérations sérieuses, mais auparavant, ils veulent être certains que leurs points de vue seront entendus et qu’on en tiendra compte lors de la prise des décisions.

Il n’existe pas de modèle unique de la participation des citoyens, et c’est mieux ainsi. Néanmoins, le gouvernement du Canada explore actuellement différentes formules. Lors du Forum national sur le changement climatique, au printemps 1998, on a utilisé un modèle de participation basé sur un jury de citoyens. Vingt-cinq personnes ont été réunies pour se familiariser avec les diverses facettes du changement climatique. Le groupe a ensuite produit une déclaration devant orienter l’action du gouvernement et des citoyens dans ce domaine. Dans le processus du Dialogue rural, c’est la formule du petit groupe de discussion qui a été choisie. Des citoyens des régions rurales du Canada ont été invités à aider à façonner les politiques et les programmes qui les concernent. Ce processus vient de se terminer par une conférence nationale qui a attiré des centaines de citoyens concernés venant de partout au Canada.

2.  La participation des citoyens : prolongement de nos pratiques en matière de consultation

Au fil des ans, le gouvernement du Canada a employé diverses formules pour mobiliser les citoyens. La relation entre le gouvernement et les citoyens peut être considérée comme un continuum, qui va de la transparence et l’échange d’information à l’obligation de rendre compte des résultats, en passant par les modes de consultation actuels. Les formules de participation des citoyens axées sur la délibération et la réflexion sérieuse peuvent être perçues comme un prolongement de ce continuum. Les Canadiens ne considèrent pas qu’elles remplacent les modes de consultation traditionnels employés jusqu’ici. En fait, les progrès importants que nous avons accomplis en rendant les consultations plus efficaces doivent se poursuivre.

Les Canadiens ne demandent pas non plus que soient exclus les intervenants traditionnels tels les institutions, les corps professionnels, les associations industrielles et commerciales, le secteur bénévole ou les groupes d’intérêts. Ce qu’ils demandent, c’est que les citoyens bien informés et conscients de leurs devoirs civiques aient aussi un rôle à jouer, et que leur rôle soit reconnu et fasse partie intégrante du processus d’élaboration des politiques. Dans cette optique, les processus de participation des citoyens doivent compléter et prolonger nos expériences actuelles en matière de consultation.

Le Forum national sur la santé constitue un excellent exemple d’une consultation traditionnelle auprès des groupes d’intervenants menée parallèlement à un processus de participation des citoyens. Celui-ci a pris la forme de petits groupes de discussion dans différentes régions du pays. Ensuite, les citoyens et les groupes d’intervenants ont été rassemblés pour parvenir à une entente. L’apprentissage et l’échange de vues de part et d’autre ont enrichi la consultation et donné lieu à de meilleures recommandations.

Là où je veux en venir, c’est que la participation des citoyens ne remplace pas la consultation. Il nous faut cependant tirer parti de l’expérience acquise pour mettre au point de nouvelles façons d’intégrer les citoyens dans la gestion des affaires publiques et dans la prise des décisions.

3.   La participation des citoyens ne remplace en rien nos processus et nos institutions démocratiques

Même si les citoyens veulent qu’on les entende et qu’on tienne compte de leurs points de vue, ils sont conscients que leur apport n’est qu’un élément du processus décisionnel. Ils ne s’attendent pas à ce qu’on accepte automatiquement toutes leurs idées et à ce qu’on y donne suite. Ils ne croient pas que la participation des citoyens doive se substituer aux institutions politiques ou parlementaires. Au contraire! Les Canadiens savent que l’action politique et le suffrage des électeurs sont encore les meilleurs moyens d’influencer le processus politique. Plus tôt aujourd’hui, le solliciteur général, M. Andy Scott, vous en a donné des exemples concrets.

Je voudrais à mon tour évoquer quelques cas récents qui montrent que les élus jouent déjà un rôle central dans la consultation des Canadiens : à titre de membres d’un comité permanent comme le processus annuel de consultation pré-budgétaire du Comité des finances de la Chambre des communes; à titre de participants à un groupe intergouvernemental comme l’examen du Régime de pensions du Canada; en conviant leurs commettants à des assemblées locales, notamment dans le cadre de la réforme de la sécurité sociale; ou en recueillant les commentaires de leurs concitoyens au moyen de sites Web ou de bulletins.

La participation des citoyens peut et doit compléter le travail de nos élus. Tous les mémoires au Cabinet doivent désormais faire état des consultations qui ont eu lieu. La décision a été prise plus tôt cette année et c’était une première. Cette intégration de la consultation au processus décisionnel du Cabinet montre l’importance que l’on accorde à l’écoute attentive.

Permettez-moi de résumer mon propos. Premièrement, les Canadiens veulent être parties prenantes à la gestion des affaires publiques en tant que citoyens éclairés. Deuxièmement, les Canadiens veulent participer à fond à un processus où les intervenants sont informés, apprennent les uns des autres et réussissent à s’entendre. Troisièmement, la participation des citoyens n’est pas incompatible avec les autres formes de consultation; elle ne remplace pas non plus nos institutions démocratiques. En fait, elle complète et améliore les processus politiques actuels.

CONCLUSION : LE RÔLE DE LA FONCTION PUBLIQUE

En terminant, j’aimerais vous parler du rôle de la fonction publique fédérale relativement à cette nouvelle relation entre les citoyens et le gouvernement. Mon message aux fonctionnaires est très clair. La participation des citoyens est une importante priorité du gouvernement, et elle concerne tout le monde à la fonction publique.

Dans le domaine de l’élaboration des politiques, nous devons veiller à ce que les citoyens aient un rôle clairement défini à jouer aux premières étapes du processus, qu’on fasse état de leur point de vue et qu’on en tienne compte au moment des décisions.

Dans le domaine de la communication, nous devrons redoubler d’efforts pour encourager les Canadiens à s’investir dans les enjeux qui les concernent. Nous devons veiller à ce que l’information dont nous disposons soit accessible à tous. Nous devons montrer aux Canadiens — qu’ils participent directement ou non à diverses consultations — que les citoyens ont un rôle central à jouer dans l’élaboration des politiques publiques.

Pour ce qui est de la prestation des services et de l’exécution des programmes, nous devons faire participer les citoyens à leur mise en place, nous assurant ainsi qu’ils répondent aux besoins de tous les Canadiens et qu’ils leur soient accessibles.

Dans la gestion des ressources humaines, il faudra cultiver une ouverture à cette mobilisation et veiller à ce que la fonction publique possède les compétences requises.

En guise de conclusion, permettez-moi de remercier les organisateurs de cette conférence de nous avoir réunis pour partager nos idées et nos expériences. Enfin, je veux offrir mon appui et mes encouragements à quiconque, ici présent ou ailleurs, s’emploie par ses efforts quotidiens à améliorer l’accès des citoyens au processus politique.

Votre travail est important et mes meilleurs voeux de succès vous accompagnent.



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