Allocution du Premier ministre Jean Chrétien : inauguration du jardin canadien du souvenir


Le 11 mai 1995
Caen (Normandie)

Je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour inaugurer ce magnifique jardin ­ un vibrant témoignage qui perpétue le souvenir des Canadiens ayant pris part à la campagne de Normandie, il y a plus de 50 ans.

Depuis une semaine, nous marquons le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre en Europe. Nous célébrons un demi-siècle de paix et de stabilité. Nous rendons hommage à ceux qui sont tombés au combat ­ qui ont fait le sacrifice ultime pour que nous connaissions la liberté. Nous exprimons notre plus profonde gratitude envers les anciens combattants qui manifestent une nouvelle forme de courage en revenant à ces champs de bataille de leur jeunesse.

Il est de mise que les cérémonies entourant ce cinquantième anniversaire prennent fin ici même en Normandie.

C'est ici qu'a commencé la libération de l'Europe. C'est ici que le vent a tourné dans la lutte contre la tyrannie du régime nazi.

Pour les Canadiens, la Normandie a acquis un sens bien particulier. C'est le début de la fin de la guerre certes ­ mais c'est également le commencement d'un Canada nouveau. Le Canada est, en effet, débarqué sur les plages normandes à titre de partenaire à part entière avec les États-Unis et le Royaume-Uni, et non plus sous un commandement étranger. À la fin de la première journée d'affrontements, le 6 juin 1944, les troupes canadiennes avaient avancé en sol français davantage que les troupes de toutes les autres nations alliées.

Dans le feu du combat, le Canada a grandi. Et cela s'est produit de façon typiquement canadienne. Tranquillement, sans fanfare. Il y avait un travail à faire et nous l'avons effectué. C'est aussi simple que cela.

Mais notre passage à la maturité s'est accompagné d'un très lourd tribut à payer : 45 000 jeunes Canadiens fauchés, la souffrance infligée à leurs familles et à leurs camarades, et la perte de l'innocence devant les atrocités de la guerre.

Mais en libérant les autres, nous nous sommes affranchis nous-mêmes. De notre dépendance envers ceux ­ dont nous étions séparés par un océan ­ au profit de notre propre identité. Nous avons cessé de nous percevoir comme partie d'un empire et commencé à agir comme un pays.

Cela a débuté sur les côtes normandes et dans la campagne avoisinante. Pour la première fois de l'histoire, un pays du Nouveau-Monde se portait à la défense d'une des mères patries. Les résidents de cette région s'étonnaient d'entendre leurs libérateurs s'exprimer en français. De fait, nombre des libérateurs canadiens qui ont débarqué sur ces plages pourraient retrouver des ancêtres normands.

L'histoire a bouclé la boucle lorsque les descendants de la Nouvelle France ont débarqué sur ces côtes pour aider le pays à repousser un envahisseur brutal.

Mais ils ne sont pas arrivés seuls. Ils étaient accompagnés de gens provenant de tous les coins du Canada. Des gens qui s'exprimaient dans des langues différentes, pratiquaient des religions différentes et possédaient des origines très diverses. Nous avons, pour la première fois, compris que nous représentions plus que la somme de nos parties. Nous avons, pour la première fois, commencé à agir en véritable nation.

Mais le travail de la génération de la Seconde guerre mondiale ne s'est pas terminé dans les champs de bataille de l'Europe. Après avoir remporté la guerre, ils sont rentrés au pays pour y instaurer la paix ­ pour tous les Canadiens et Canadiennes. Cette réalisation a été tout aussi impressionnante.

Armés de la confiance et de la maturité issues du combat, cette génération de Canadiens a su bâtir les institutions durables et modernes du Canada d'aujourd'hui. Ils ont construit des universités et mis en place des mesures sociales. Ils sont à l'origine d'une prospérité et d'opportunités sans précédent. Avec la sagesse acquise durant la guerre, ils ont fait en sorte que le Canada devienne un acteur international positif, une force du bien dans le monde, pour empêcher qu'une telle catastrophe ne s'abatte à nouveau sur l'humanité.

Ils ont été d'excellents bâtisseurs. Sans doute meilleurs qu'ils ne l'espéraient. Et nous n'oublierons jamais ce qu'ils ont accompli ­ en temps de guerre comme en temps de paix.

Ce monument symbolise bien le sacrifice consenti par les Canadiens pendant la libération de la Normandie. Comme le souvenir de ces valeureux Canadiens, il est vibrant et vivant. C'est un symbole de l'espoir et de l'humanité qui arrivent à s'épanouir et à croître même durant l'horreur d'une guerre. C'est également un symbole de la paix et de la société qui se sont épanouies au Canada grâce au sacrifice de ces jeunes Canadiens.

Il est tout aussi symbolique d'avoir confié la conception de ce monument à de jeunes Canadiens ­ qui ont le même âge que ceux qui ont perdu la vie, il y a plus de cinquante ans. Je les salue pour la beauté de leur plan d'aménagement ­ ainsi que pour leur appréciation du prix très élevé qu'une génération précédente a dû payer.

Je salue également la Fondation canadienne de la bataille de Normandie qui a conçu ce monument vivant et qui, grâce à sa détermination et son travail acharné, en a permis la réalisation. Je salue la ville et la population de Caen qui ont su reconnaître de façon soutenue le sacrifice fait par ces jeunes Canadiens.

Pardessus tout, je salue les anciens combattants qui sont parmi nous aujourd'hui. Nous vous devons tellement. Nous avons envers vous une dette que nous ne parviendrons jamais à combler. Mais sachez que nous n'oublierons jamais ce que vous avez accompli.

Nous vous promettons, qu'à chaque jour, nous essaierons d'être à la hauteur des idéaux pour lesquels vous et vos camarades vous êtes battus.


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