Adresse en réponse au discours du Trône - 2


Le 28 février 1996
Ottawa, Ontario

A l'évidence, les Canadiens font face à quelques difficultés à la suite du résultat du référendum québécois. L'heure n'est pas aux bouleversements constitutionnels. Nous devons poursuivre la démarche d'adaptation et de modernisation de notre fédération. Je crois que nous pourrons y arriver en nous concentrant sur quelques étapes pratiques dans un esprit qui respecte les principes du fédéralisme.

Le fonctionnement de notre fédération doit répondre à nos besoins collectifs et correspondre à notre diversité. Il doit être une expression de respect réciproque et de respect envers nos institutions. Il doit comprendre un partenariat et un dialogue entre les pouvoirs publics et les citoyens. Il doit être souple. Il doit chercher à répondre à nos besoins avec la plus grande efficacité.

De fait, le Canada a surtout fonctionné de cette façon dans le passé. La fédération s'est montrée d'une souplesse et d'une adaptabilité remarquables face aux attentes des Canadiens.

Ce que je propose aujourd'hui, c'est un effort concerté entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour résoudre plusieurs pommes de discorde liées au fonctionnement de la fédération en nous attardant en particulier au renforcement de notre union économique et sociale. Nos efforts doivent surtout être concentrés sur des étapes pratiques et concrètes, et non pas sur les grandes définitions ou les symboles chargés d'émotivité qu'on associe généralement à d'importants changements constitutionnels.

L'union économique du Canada représente l'une de nos grandes réussites. Les Canadiens mésestiment le degré de notre intégration économique qui dépasse -- et de loin -- le degré d'intégration économique que nous avons atteint avec n'importe quel pays, y compris les États-Unis.

Au cours d'une génération, nous avons pu observer un aplanissement des disparités régionales. Nous avons à peu près comblé l'écart qui existait entre le niveau de vie au Canada et aux États-Unis. Mais nous n'exploitons pas encore tous les avantages que cette union économique peut nous procurer. L'optimisation de cet avantage est la clé de la compétitivité du Canada sur la scène internationale.

J'invite les provinces et tous les Canadiens à penser aux façons dont nous pouvons améliorer notre union économique. Pour accroître la mobilité de la main-d'oeuvre entre les provinces. Pour réduire les entraves au commerce intérieur. Pour améliorer nos marchés financiers domestiques. Pour accroître la diffusion de l'information technologique. Et pour améliorer notre niveau de collaboration à l'étranger.

Le Canada a développé un large consensus pour promouvoir notre union sociale. Les citoyens désirent voir leurs gouvernements travailler ensemble pour moderniser notre filet de sécurité sociale de manière à ce qu'il demeure viable à long terme et continue de refléter les valeurs que les Canadiens partagent d'un océan à l'autre. De concert avec les provinces et les citoyens, et à partir des principes que nous avons en commun, le gouvernement va explorer de nouvelles approches en matière de politique sociale.

Le développement de notre union sociale doit respecter l'esprit de la fédération aussi bien que les réalités financières qui nous assaillent. Conscient de cet état de choses, le gouvernement s'engage fermement à ce que la création de tout nouveau programme national à frais partagés dans des domaines de compétence exclusive des provinces, nécessite le consentement préalable de la majorité des provinces. Ces programmes seront conçus de telle sorte que les provinces qui choisiront de ne pas y participer seront indemnisées, à condition de mettre en place des mesures équivalentes ou compatibles avec les objectifs nationaux.

C'est la première fois qu'un gouvernement fédéral s'engage officiellement et unilatéralement à restreindre son pouvoir de dépenser ailleurs que dans le cadre de négociations constitutionnelles. Par ce geste, nous reconnaissons que l'utilisation de ce pouvoir en matière de programmes à frais partagés suscite des tensions avec les provinces. Nous croyons être en mesure de bâtir l'union sociale en faisant preuve de cette volonté, et grâce à d'autres moyens de nature non financière.

Les Canadiens et les Canadiennes souhaitent que leurs gouvernements soient flexibles et travaillent efficacement en partenaires de manière à ce que le pays fonctionne bien. Nous allons travailler avec les provinces pour nous assurer que la population est servie par le niveau de gouvernement le mieux placé pour le faire.

Le gouvernement fédéral n'a plus à être présent dans un certain nombre de domaines pour servir efficacement ses citoyens. Nous avons d'ailleurs commencé à transférer les infrastructures de transport aux autorités municipales et au secteur privé. Ensuite, dans le secteur du tourisme, nous avions un programme géré par le ministère de l'Industrie. L'an dernier, l'industrie touristique a recommandé d'en confier l'administration au secteur privé en collaboration avec le secteur public.

Nous avons accepté. En nous retirant de notre propre programme, la Commission canadienne du tourisme a pu voir le jour. Elle est dirigée par l'industrie touristique en collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux, travaillant tous ensemble. C'est un remarquable succès qui tient lieu de modèle de partenariat entre les différents niveaux de gouvernement et le secteur privé pour le XXIe siècle.

Le gouvernement fédéral est également prêt à se retirer des fonctions qu'il exerce dans des domaines tels la formation de la main-d'oeuvre, les forêts, les mines et les activités récréatives dont la responsabilité conviendra mieux à d'autres instances au XXIe siècle -- qu'il s'agisse des provinces, des municipalités ou du secteur privé.

Il y a plusieurs domaines où les deux ordres de gouvernement ont un rôle véritable à jouer. Dans ces secteurs, nous devons optimiser l'efficacité de nos interventions pour que les contribuables en aient pour leur argent. Le gouvernement invitera les provinces à accentuer leurs efforts pour éliminer les chevauchements et les doubles emplois qui existent et pour identifier d'autres zones grises qui prêteraient à discussion.

Dans les mois à venir, nous examinerons au cours d'une conférence des Premiers ministres comment mieux travailler ensemble à la création d'emplois au Canada; comment préserver le filet de sécurité sociale et enfin, comment mettre en place un programme commun de changement pour renouveler le Canada.

Préserver et améliorer l'unité canadienne exige plus qu'un rééquilibrage des rôles et des responsabilités des gouvernements. Cela exige que nous nous rappelions ce que nous avons en commun, en faisant la promotion de la culture, des arts et de notre patrimoine. Nous le ferons.

Préserver l'unité canadienne exige que nous offrions aux Québécois qui sont tentés par une autre option un rêve plus noble, soit celui d'un Canada où les Québécois -- comme tous les Canadiens -- se sentent chez eux partout au pays; un Canada qui se veut le meilleur garant du fait français en Amérique du Nord.

Les démocraties qui ont la richesse de compter plus d'une langue officielle et jouissent donc par là même d'une ouverture plus large sur l'univers des cultures, prévoient des aménagements particuliers afin d'aider leurs groupes linguistiques à cohabiter dans l'harmonie. Notre loi sur les langues officielles, ainsi que la reconnaissance des droits linguistiques dans la Constitution, forment un modèle du genre. Il nous suffit de pousser plus loin, et de reconnaître comme une force, une chance pour le Canada, que dans cette Amérique anglophone, il existe une société qui fonctionne en français et qui prend les moyens pour continuer de le faire.

Sur un continent où un individu seulement sur quarante est francophone, nous devons collectivement comprendre les inquiétudes de beaucoup de nos concitoyens francophones. Ils se préoccupent non seulement de la survie de leur langue et de leur culture, mais également de son épanouissement.

Le Québec veut être reconnu comme une société distincte par sa langue, sa culture et ses institutions. La Chambre des communes a adopté une résolution en ce sens, et un droit de veto régional garantissant qu'aucun changement constitutionnel ne se fera sans l'accord d'une région du pays, a également été adopté.

Nous souhaitons l'enchâssement de ces changements dans la Constitution et nous savons que ce ne sera pas facile. Il faudra convaincre et expliquer que la reconnaissance du caractère distinct de la société québécoise n'enlève rien à personne et reflète simplement la réalité. Une réalité qui constitue un atout pour notre pays.

Nous avons tous appris la semaine dernière ce que l'ancien Premier ministre du Québec aurait dit si le 30 octobre, le résultat lui avait été favorable. Le résultat était irréversible; la démocratie avait parlé; la page devait être tournée; tous devaient se rallier au choix. Pourquoi ne pas accepter que les Québécois ont choisi le Canada pour la deuxième fois en 15 ans? Pourquoi ne pas consacrer maintenant toutes nos énergies et nos ressources à bâtir ensemble l'avenir de notre pays ? 

Le Canada a besoin de stabilité politique pour assurer sa stabilité économique de façon à ce que Montréal retrouve la voie de la prospérité, Toronto progresse de nouveau et Vancouver maintienne sa croissance. En fait, toutes les villes et toutes les régions du pays en ont besoin. La stabilité politique profite à tous les Canadiens.

Travailler ensemble pour préserver ce que nous avons bâti ensemble. C'est un défi auquel je convie tous les Canadiens et les Canadiennes. Certains diront que ce n'est pas facile. Je leur répondrai que le pays dans lequel ils ont la chance extraordinaire de vivre aujourd'hui ne s'est pas construit dans la facilité. Le Canada est fait de courage et de détermination. Il est fait de la volonté de vivre ensemble avec nos différences qui sont aussi nos forces. C'est notre héritage. A nous de le préserver et de le faire fructifier.

Monsieur le Président, la grandeur se mesure de plusieurs façons. Pour certains, la mesure d'un pays n'est qu'une question de richesse et de puissance. Pour ma part, je pense que le Canada a trouvé une façon bien à lui de définir ce concept : le meilleur équilibre possible entre la réussite économique et la justice sociale.

J'ai eu le privilège de voyager à l'étranger, de représenter le Canada et la population canadienne sur la scène internationale. Et j'ai aussi eu l'occasion d'observer comment le Canada est perçu dans le monde. On voit ici un pays véritable, il n'y a pas à revenir là-dessus. Mais il y a plus encore. On voit une société grande et diversifiée qui a su transformer cette diversité en prospérité. On voit une terre d'espoir et d'intégrité, un pays bâti par des gens venus du monde entier. On voit un endroit où chaque citoyen a l'occasion d'exploiter son potentiel, un endroit où règne également un sens du partage et de l'entraide, un véritable sens communautaire.

Monsieur le Président, nous voyons que lorsque le monde se mire dans le Canada il aperçoit l'avenir, ou plutôt le meilleur avenir possible, l'espoir le plus solide. Ensemble, bâtissons ce modèle d'espoir et de confiance. Un modèle pour toute l'humanité.

- 30 -



Retour à la page Web:
http://www.pco-bcp.gc.ca/default.asp?Language=F&Page=archivechretien&Sub=Speeches&Doc=speeches19960228544_f.htm