À la plénière d'ouverture de la Conférence internationale sur le fédéralisme


Le 6 octobre 1999
Mont-Tremblant (Québec)

Merci M. Voscherau. J'aimerais aussi souhaiter chaleureusement la bienvenue aux participants du monde entier. Nous sommes ravis de vous accueillir chez nous.

Au cours des trois prochains jours, vous partagerez une expérience unique. Pour la première fois, un forum réunit un groupe de praticiens et de spécialistes du fédéralisme formé de politiciens, de fonctionnaires et d'universitaires venus des quatre coins du monde, afin d'échanger leurs expériences et de mieux comprendre le fédéralisme.

Certains d'entre nous ont parfois l'impression qu'il n'y a pas d'autre fédération au monde. Que personne d'autre ne connaît les mêmes problèmes, ni les mêmes succès. Or, c'est tout simplement faux. C'est pourquoi la conférence d'aujourd'hui est si importante.

L'Amérique du Nord est un lieu particulièrement bien choisi pour cette première conférence internationale sur le fédéralisme. Les trois pays du continent sont des fédérations. Et c'est ici même, en Amérique du Nord, il y a plus de deux cents ans, que le fédéralisme a été inventé. Les pères fondateurs des États-Unis d'Amérique ont tenté cette nouvelle expérience après l'échec d'un régime confédéral aux liens moins serrés.

La Fédération suisse a vu le jour plus tard, en Europe. Le Canada est né ensuite. En 1867, nous avons formé la troisième fédération au monde.

Le Mexique est la troisième fédération d'Amérique du Nord. Le fédéralisme mexicain est beaucoup plus jeune que celui des États-Unis et du Canada. Ces dernières années, il a été passionnant de voir le développement démocratique du Mexique s'accompagner du développement de son caractère fédéral.

Aux trois fédérations d'Amérique du Nord sont venues s'en ajouter vingt autres dans le monde entier. À l'heure actuelle, plus de deux milliards de personnes, c'est-à-dire la grande majorité des gens vivant en démocratie, vivent dans un État de type fédéral.

La raison en est claire. La plupart de nos pays sont trop complexes, trop vastes ou trop peuplés pour réussir sous forme d'État unitaire. Par ailleurs, trop de liens historiques et autres, trop d'investissements réciproques unissent nos pays pour imaginer leur éclatement.

Le fédéralisme est bien adapté à un monde qui, avec 187 pays aux Nations-Unies, compte plus de six cents langues vivantes et près de sept mille groupes ethniques. Imaginez un peu l'allure qu'aurait la planète si tous ces groupes tentaient de créer leur propre pays.

L'essence du fédéralisme est l'équilibre. L'équilibre entre les différentes identités. L'équilibre entre les intérêts locaux et les intérêts plus vastes. Le fédéralisme favorise l'épanouissement de la démocratie dans les sociétés complexes. La diversité n'y est pas seulement reconnue et acceptée, elle est célébrée et valorisée. Dans l'État fédéral, la diversité elle-même est souvent une source d'unité.

Dans l'État fédéral, les citoyens peuvent définir leur identité de plusieurs façons. Par exemple, je suis à la fois un fier Québécois et un fier Canadien – et il n'y a aucune contradiction entre les deux.

Dans une fédération véritable, les citoyens élisent directement le gouvernement central et le gouvernement de l'État ou de la province. Ainsi, les deux ordres de gouvernement répondent directement à la population. Comme il se doit en démocratie. C'est également ainsi que les gens s'identifient par leur appartenance directe à plus d'une communauté.

Le fédéralisme offre une très grande souplesse et peut être adapté à des besoins très différents. Les fédérations peuvent être plutôt centralisées ou plutôt décentralisées. Elles peuvent posséder un parlement ou un congrès. Les institutions chargées des relations intergouvernementales peuvent être plus ou moins structurées. Les citoyens peuvent parler une, deux ou plusieurs langues.

Bien que les fédérations aient toutes une constitution écrite, elles sont remarquablement dynamiques. En fait, les changements les plus importants sont généralement de caractère non constitutionnel et résultent de mesures et d'aménagements progressifs et pragmatiques.

Les avantages du fédéralisme ne sont pas seulement théoriques. Nous allons examiner, au cours des prochains jours, l'expérience du fédéralisme. Mais regardez seulement autour de vous. Les constitutions écrites les plus anciennes au monde sont celles de fédérations. Les plus grandes démocraties au monde sont des fédérations. Plusieurs des pays les plus prospères au monde aussi. Parmi les membres du G-7, on en compte trois : les États-Unis, l'Allemagne et le Canada.

J'aimerais vous dire ce que j'estime que le fédéralisme a apporté à mon pays et aux Canadiens.

Au début, il y a cent trente-deux ans, nous étions une colonie de la Grande-Bretagne – une petite population dispersée sur toute l'étendue d'un vaste continent en grande partie inhabité. Une population formée à cette époque principalement de colons français et anglais. De catholiques et de protestants. De Premières Nations autochtones. Nous étions une petite société agraire. Aujourd'hui, cent trente-deux ans plus tard, le Canada est l'un des grands pays industrialisés. Au cours des six dernières années, les Nations Unies ont proclamé que le Canada est le pays qui offre la meilleure qualité de vie.

Nous avons fait les choses d'une manière bien canadienne, suivant un modèle bien canadien. Une société multiculturelle qui a accueilli des gens de presque tous les pays du monde. C'est-à-dire la reconnaissance des cultures et de la diversité. Une démocratie pluraliste avancée. Un partenariat entre les citoyens et l'État. Un équilibre où liberté individuelle et prospérité économique vont de pair avec le partage des risques et des bénéfices.

Avec le fédéralisme, les Canadiens se sont clairement dotés d'un système de gouvernement efficace. Le régime fédéral du Canada a été conçu longtemps avant que le gouvernement moderne ne soit inventé. Mais après cent trente-deux ans, le système a fait ses preuves : il est foncièrement flexible et adaptable et demeure en très bonne santé.

Il a beaucoup évolué avec le temps. Le balancier a oscillé entre le gouvernement fédéral et les provinces. Parfois vers une plus grande centralisation, parfois vers une plus grande décentralisation. En fait, aujourd'hui, notre fédération est l'une des plus décentralisées qui soit. Cependant, en dépit du caractère décentralisé du pays, nous réussissons à offrir un niveau de service élevé aux Canadiens dans toutes les provinces.

Le fédéralisme canadien repose sur le partage et la solidarité. Nos gouvernements ont travaillé ensemble à mettre en place à l'échelle nationale des régimes publics de soins de santé et de pensions. Nous avons constitutionnalisé le principe de paiements de péréquation, qui permettent aux Canadiens habitant les provinces les moins riches de bénéficier d'un niveau de service comparable à celui de leurs concitoyens des provinces mieux nanties. De plus, le gouvernement fédéral verse d'importants transferts aux provinces pour la santé, l'assistance sociale et l'enseignement postsecondaire.

La notion de partenariat est au coeur de notre approche. Les problèmes d'un gouvernement moderne n'entrent pas nécessairement dans les limites toutes tracées des pouvoirs constitutionnels. S'il faut respecter les sphères de compétence et les pouvoirs de chacun, il faut aussi travailler ensemble. Or, au Canada, nous travaillons très bien ensemble, malgré ce que vous pouvez lire, ou même entendre, à l'occasion.

Avec le temps, notre expérience fédérale a contribué à façonner la personnalité canadienne. Elle nous a inculqué des valeurs importantes – notre tolérance instinctive, notre recherche de l'entente et des compromis, notre appréciation de la diversité, notre esprit de solidarité, notre souci du dialogue.

Les droits des minorités sont un élément essentiel du fédéralisme canadien. Au moment de la fondation du Canada, des dispositions ont été prévues afin de protéger les droits linguistiques dans les institutions fédérales et québécoises ainsi que certains droits des écoles confessionnelles dans quelques provinces. Ces dispositions originales étaient trop faibles pour protéger pleinement nos minorités. Une grande partie de notre histoire a été consacrée au renforcement de ces dispositions. Les principaux jalons ont été la Loi fédérale sur les langues officielles en 1968 et l'adoption de la Charte constitutionnelle des droits et libertés en 1982.

À l'heure actuelle, le Canada compte une population florissante de langue française – plus de six millions dans la province de Québec et un million dans les autres provinces. La société québécoise est unique en ce sens qu'elle est la seule en Amérique du Nord à majorité francophone. Le régime fédéral du Canada constitue le cadre dans lequel les Québécois ont pu préserver et développer leur caractère unique tout en tirant force et solidarité de leurs liens avec les autres Canadiens. Le Québec d'aujourd'hui est une société caractérisée par la vitalité, la modernité et une population en grande majorité francophone. En même temps, les Québécois participent pleinement à la vie politique nationale, que ce soit dans des fonctions électives, dans la fonction publique ou dans les tribunaux.

Notre régime fédéral a également contribué à protéger les importantes minorités de langue française à l'extérieur du Québec. Le récent Sommet de la Francophonie tenu à Moncton, au Nouveau- Brunswick, a attiré l'attention sur ces importantes communautés francophones du Canada.

En fait, lors de ce sommet, j'ai entendu avec grand plaisir le Président français Jacques Chirac décrire le Canada en ces termes : « Ce Canada, qui recherche et invente les règles d'un savoir-vivre ensemble pacifique et tolérant! Ce Canada, terre des premières nations, des francophones, des anglophones, qui offre l'exemple de la diversité culturelle et linguistique assumée et valorisée. »

J'ai maintenant le plaisir de vous présenter un de mes grands amis, un grand ami du Canada et un grand leader de son pays, M. Ernesto Zedillo, Président de la République fédérale du Mexique.

Le Président Zedillo illustre la modernisation et la démocratisation du Mexique moderne. Il a su diriger son pays avec sagesse et clairvoyance durant des années souvent difficiles et aura réalisé de très grandes choses. Il est venu nous parler ce matin de la façon dont il envisage le développement de la démocratie et du fédéralisme au Mexique.

Je cède la parole au Président Zedillo.

- 30 -



Retour à la page Web:
http://www.pco-bcp.gc.ca/default.asp?Language=F&Page=archivechretien&Sub=Speeches&Doc=speeches199910061064_f.htm