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La fonction publique du Canada : Trop de perceptions erronées

Notes pour une allocution de Kevin G. Lynch,
Greffier du Conseil privé, secrétaire du Cabinet et chef de la fonction publique

Le 18 février 2008
Vancouver (Canada)


Introduction

L’un des grands privilèges de la fonction de greffier consiste à avoir la chance de rencontrer des fonctionnaires de tous les coins de notre merveilleux pays, à prendre connaissance de vos activités et de leur importance, à constater de première main votre dévouement à votre travail, et à percevoir votre fierté à l’égard de la fonction publique. Aujourd’hui, j’apprécie la possibilité qui m’est donnée de vous rencontrer, de vous faire part de certaines réflexions sur l’état de la fonction publique du Canada et de recueillir vos opinions. C’est la première fois qu’un greffier participe à une assemblée générale des fonctionnaires dans une région, et je tiens à remercier les organisateurs d’avoir ménagé cette rencontre très spéciale à Vancouver.

Permettez-moi tout d’abord de citer Thomas Friedman (auteur des ouvrages The Lexus and the Olive Tree et The World is Flat), qui dit, en substance : « […] dans le cadre de la mondialisation, l’un des avantages les plus importants et les plus durables qu’un pays peut avoir aujourd’hui consiste à disposer d’une fonction publique de petite taille, efficace et honnête. » Friedman exprimait ce que des recherches poussées effectuées à la Banque mondiale et au FMI ont confirmé, à savoir qu’il existe une forte corrélation entre la compétitivité et la prospérité d’un pays, d’une part, et la qualité de sa fonction publique, de l’autre. Cette corrélation reste valable, que le pays soit en développement ou industrialisé; pauvre ou riche; africain, asiatique, européen ou de l’hémisphère occidental. En un mot, ce que vous faites, la prestation de services publics, importe, et la façon dont vous le faites importe encore davantage.

Je pense que le Canada est servi depuis longtemps par une fonction publique impartiale, professionnelle et compétente. Néanmoins, il semble exister aujourd’hui un scepticisme et des discours négatifs croissants à l’égard de nos institutions publiques au Canada. Et cela inclut la fonction publique.

Les critiques de la fonction publique ne sont pas nouvelles, et elles ne sont pas toujours sans fondement. Les institutions saines réagissent bien aux critiques constructives; les organisations dynamiques regardent vers l’avenir, et non pas vers le passé. Mais je crains que nous ayons laissé passer pendant trop longtemps certaines perceptions erronées de l’extérieur comme de l’intérieur de la fonction publique.

Je voudrais aujourd’hui vous exposer ma liste des « principales perceptions erronées de la fonction publique ». Il y a un grain de vérité dans chacune, mais nous sommes tous trop prompts à l’accepter comme toute la vérité. Dans chaque cas, de nombreux « spécialistes » de la fonction publique présentent énergiquement leurs opinions comme des articles de foi publique. Or, dans chaque cas, la réalité est plus nuancée et plus complexe; elle correspond à une fonction publique qui n’est ni parfaite ni brisée, une fonction publique fermement ancrée dans les valeurs du service public et qui, comme le reste du Canada, subit une pression constante pour s’adapter à un monde en perpétuelle évolution.

1. La fonction publique est brisée, elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était auparavant

La première perception erronée est que la fonction publique d’aujourd’hui est brisée, qu’elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était auparavant. Un certain nombre de points de vue différents contribuent à répandre cette idée.

Nombreux sont ceux au sein du grand public qui, devant l’avalanche des erreurs et, pire encore, des manquements décelés par la commission Gomery, par la vérificatrice générale, par des comités parlementaires et par des journalistes, ont naturellement étendu leurs préoccupations légitimes à la fonction publique dans son ensemble et sont devenus sceptiques, pour ne pas dire plus. Certains observateurs considèrent dédaigneusement la fonction publique d’aujourd’hui comme « la gardienne permanente de problèmes perpétuels », comme une version bureaucratique du film Groundhog Day, plutôt que comme une source d’idées neuves, de points de vue inédits et d’énergie nouvelle pour faire face aux défis de l’heure. Certains anciens collègues qui se rappellent avec nostalgie un royaume de mandarins arpentant majestueusement le pays voient maintenant un domaine de bureaucrates qui organisent des réunions interministérielles d’un océan à l’autre. Et certains commentateurs du secteur public se livrent à un désespoir existentiel qui n’a d’autre effet que de démoraliser les fonctionnaires et de miner la confiance de la population envers la fonction publique. 

La fonction publique ne peut pas être exempte d’erreurs, pas plus que n’importe quelle grande organisation. Nous allons faire des erreurs, en assumer la responsabilité et en tirer des leçons. Nous allons par ailleurs fournir continuellement des services publics de qualité soutenue à des millions de Canadiens, et accomplir parfois des choses étonnantes. Toutefois, nous devons mieux expliquer l’ampleur et la portée, et l’importance du travail que font les fonctionnaires.  

Le fait est que la fonction publique d’aujourd’hui est l’institution la plus grande et la plus complexe du Canada. Elle emploie plus de 250 000 personnes, elle a plus de « branches d’activité » que n’importe quelle organisation canadienne du secteur privé, plus de « points de service » à l’échelle tant nationale qu’internationale, et elle subit des pressions constantes pour améliorer ses « gammes de produits » pour répondre aux demandes d’un monde en évolution.

Par exemple, à la suite des événements du 11 septembre 2001, la fonction publique a mis l’accent sur la sécurité des frontières, la sécurité des transports, la sécurité nationale, la souveraineté dans l’Arctique et l’appui pour l’engagement actif des Forces canadiennes en Afghanistan. En réponse aux pressions de la mondialisation, la fonction publique a aidé les gouvernements à dégager des excédents budgétaires pendant 11 années consécutives, à maintenir l’inflation à un bas niveau, à entretenir un régime d’imposition des sociétés très compétitif par rapport à ceux de nos principaux partenaires commerciaux, et à moderniser les infrastructures. Les innovations en matière de financement de la recherche, le soutien financier à long terme des soins de santé et de nouvelles prestations fiscales accordées aux familles à faible revenu ont revigoré la recherche universitaire au Canada, renforcé notre système de soins de santé et contribué de façon appréciable à alléger la pauvreté des enfants. Des normes de qualité du service, assorties de critères de suivi mesurables et transparents, ont été établies dans un certain nombre de domaines, et les résultats sont encourageants. Et la liste s’allonge, tout comme celle des défis.

Malheureusement, cette réalité n’est pas bien connue. Il subsiste au Canada une idée trop répandue selon laquelle il n’y a jamais rien d’important qui change dans les politiques publiques, que la fonction publique se préoccupe davantage des processus que des résultats, et que le Canada est constamment à la traîne par rapport aux autres pays sur le plan économique. Mais ce mythe ne cadre tout simplement pas avec les transformations remarquables survenues au Canada au cours des 20 dernières années, transformations auxquelles la fonction publique a contribué de façon importante. Notre fonction publique est certainement différente aujourd’hui, et elle doit l’être, car les temps ont changé, la société canadienne a changé, la « boîte à outils » des décideurs a changé, les attentes du public à l’égard du gouvernement ont changé et les processus de responsabilisation qui sont plus nombreux aujourd’hui.

2. Il n’y a pas grand-chose qui ne va pas à la fonction publique – nous n’avons pas besoin de nous renouveler

La seconde perception erronée est presque l’image inversée, à savoir qu’il n’y a pas grand-chose qui ne va pas à la fonction publique, et qu’un effort de renouveau concerté n’est pas nécessaire. Si le statu quo a un attrait incontestable dans toute grande organisation, la réalité de la composition de la fonction publique est telle que des changements massifs sont inévitables, et nous avons le choix soit de nous tirer d’affaire tant bien que mal, avec les risques réels que cela comporte pour la qualité de la fonction publique, soit de « gérer pour le renouveau ».

Certains fonctionnaires diront que nous avons vécu avec une régularité déprimante, au cours des décennies, des opérations de renouveau qui ont produit peu de résultats. D’autres feront remarquer que la menace de départ massif des membres de la génération du baby-boom figure au premier plan dans les discours de la fonction publique depuis plus d’une décennie. D’autres encore, tout en acceptant qu’une nouvelle génération est finalement sur le point de remplacer la précédente, affirmeront avec force qu’il est plus que suffisant de nous en tenir au statu quo.

La fonction publique d’aujourd’hui aborde la troisième grande période de renouveau de son époque moderne. La fonction publique canadienne moderne a été créée et recrutée pendant la guerre et immédiatement après celle-ci. Les membres de cette admirable génération de fonctionnaires ont pris leur retraite en général dans les années 1970, et on a pu les remplacer grâce à un recrutement actif favorisé par une image de marque attirante et une publicité avantageuse au sujet de la fonction publique, et par une faible concurrence de la part du secteur privé. Plus de 30 ans après, nous envisageons maintenant le départ à la retraite imminent de cette génération de fonctionnaires. Le défi à relever aujourd’hui pour renouveler la fonction publique tient au fait que le marché du travail national est le plus solide depuis plus de 35 ans, que de nombreux employeurs du secteur privé nous font concurrence pour recruter les plus brillants diplômés de nos universités et collèges, que l’image de marque de la fonction publique s’est ternie, et que ses pratiques de recrutement sont moins qu’excellentes.

À la fin des années 1990, la fonction publique comptait, pour la première fois de son histoire, plus d’employés âgés de 45 ans et plus, que d’employés plus jeunes (le pourcentage frise maintenant 60 %). Le vieillissement est encore plus prononcé chez les cadres de direction : ceux-ci ont en moyenne près de 48 ans lorsqu’ils accèdent à ce niveau, soit tout juste deux ans de moins que l’âge moyen de l’ensemble des cadres, tandis que l’âge moyen de nos sous-ministres adjoints frôle 55 ans, âge auquel de nombreux fonctionnaires sont admissibles à une pleine pension. 

Compte tenu de ces faits, la fonction publique devra recruter un grand nombre de nouveaux travailleurs intellectuels au cours des cinq prochaines années simplement pour reconstituer son effectif. Toutefois, elle ne réussira pas à attirer les meilleurs scientifiques, avocats, économistes, administrateurs et gestionnaires du Canada si elle s’accroche à un système de recrutement centralisé et impersonnel selon lequel l’immense majorité des recrues possibles doivent être attirées par des processus d’embauchage bureaucratiques lents et par des offres d’emploi temporaire ou occasionnel, plutôt que par des perspectives de carrière à plein temps. C’est pourquoi j’ai chargé les sous-ministres de porter à 3 000 le nombre des diplômés du postsecondaire qu’ils embaucheront à des postes permanents cette année, tout en réduisant le recours excessif à des offres d’emploi occasionnel, temporaire et de durée déterminée.

Si on le gère correctement, ce renouvellement de personnel pourra constituer moins une crise qu’une possibilité. Il procure le catalyseur nécessaire pour amener les meilleurs éléments de la prochaine génération de Canadiens à la fonction publique et, ce faisant, la remodeler pour mieux refléter la diversité de la population canadienne et lui insuffler des idées et une énergie nouvelles. Mais, si l’insistance sur le recrutement est nécessaire au renouveau, elle ne suffit pas. Il faut encore améliorer nos méthodes de perfectionnement de notre personnel et de gestion de notre milieu de travail.  

3. La fonction publique ne peut plus soutenir la concurrence pour recruter des personnes de grand talent

Cela mène assez naturellement à la troisième perception erronée, soit que la fonction publique ne peut plus soutenir la concurrence pour recruter des personnes de grand talent. Par exemple, le Forum des politiques publiques affirme qu’« une fonction publique à l’image de marque floue et aux processus de gestion des ressources humaines et de recrutement lents et rigides constitue un obstacle majeur pour la gestion du changement de génération ».

Le plus puissant outil de recrutement possible pour la fonction publique est la nature unique de notre travail : des possibilités stimulantes qui touchent de près la vie des Canadiens; énorme portée du travail, dont la possibilité d’influer sur de nombreuses questions de politiques publiques différentes au cours d’une carrière; le service de l’intérêt public, avec tout ce que cela implique de valeurs et d’engagement, ainsi que la satisfaction personnelle et professionnelle tirée du sentiment de faire œuvre utile pour sa collectivité, pour son pays et pour le monde. 

Mais, pour exploiter cet avantage, nous devons repenser fondamentalement la majeure partie de nos méthodes de recrutement actuelles. Si des employés très compétents et motivés sont le plus important atout dont une organisation peut disposer dans le monde du savoir d’aujourd’hui, les ministères et leurs dirigeants doivent avoir la responsabilité première du recrutement et effectuer celui-ci, et non pas le déléguer. Lorsque des cadres supérieurs consacrent du temps au recrutement, lorsque nous personnalisons le processus de recrutement, lorsque nous réduisons les délais de dotation mortels susceptibles de décourager les recrues potentielles les plus ardentes, et lorsque nous recrutons en mettant en relief le travail que nous accomplissons et son importance, plutôt que qui nous sommes et le numéro du concours, nous pouvons attirer d’excellents Canadiens à la fonction publique – et nous le faisons.

En un mot, il nous faut un nouveau modèle de recrutement qui comprenne et motive mieux les meilleurs diplômés récents d’aujourd’hui et qui garantisse que le service public soit pour eux une carrière envisagée sciemment, et non pas rejetée inconsciemment. De fait, nos programmes de recrutement ciblés ont montré que l’attrait du travail que nous faisons à la fonction publique peut l’emporter sur des offres d’emplois plus lucratifs du secteur privé.

Et, ayant recruté des personnes de grand talent, nous devons mieux pouvoir les garder à notre service. Il faut pour cela leur offrir la diversité d’expériences de travail stimulantes dont nous disposons, un perfectionnement ciblé et des compétences en leadership, et établir un équilibre plus souple entre leur travail et leur vie personnelle de manière à répondre aux besoins opérationnels et professionnels du service public et aux besoins personnels de fonctionnaires très qualifiés. À titre de première mesure dans ce sens, j’ai donné aux sous-ministres le mandat de mettre en place des plans d’apprentissage pour au moins 90 p. 100 de leurs employés d’ici à la fin de cette année.

4. Les capacités de la fonction publique en matière de politiques ne sont plus ce qu’elles étaient

Cela nous amène à la perception erronée connexe, la quatrième, soit que les capacités de la fonction publique en matière de politiques ne sont plus ce qu’elles étaient. Ici encore, le Forum des politiques publiques s’inquiète « de la diminution de la capacité et de la souplesse des politiques lorsqu’il s’agit de relever les grands défis; du manque d’efficacité de la fonction publique pour ce qui est de mettre en œuvre les idées de politiques ». Pour d’autres personnes, le recours à des « groupes d’experts » révèle clairement que le gouvernement reconnaît la diminution des capacités de la fonction publique en matière de politiques. Dans un ordre d’idées connexe, d’autres encore voient dans l’apparition d’instituts de réflexion qui fournissent d’autres sources de conseils stratégiques la « supplantation » des capacités et de l’influence de la fonction publique en matière de politiques.

En tout premier lieu, il est utile de nous rappeler que les décisions en matière d’orientations de politiques sont prises non pas par les fonctionnaires, mais par les gouvernements élus; le travail des fonctionnaires consiste à fournir à ceux-ci des choix de politiques et des recommandations impartiaux, fondés sur des recherches approfondies et sur une analyse rigoureuse.

Une deuxième observation est que les capacités en matière de politiques n’ont jamais été réparties largement ni également entre les ministères, et elles ne doivent pas l’être; la fonction publique doit plutôt avoir la capacité inhérente et la souplesse voulue pour affecter les ressources stratégiques aux plus importants enjeux et priorités de l’heure. Pour bien déployer ces ressources, il doit y avoir à la fois une offre et une demande; cela dit, il faut déterminer si la demande n’est pas davantage devenue une contrainte pendant un certain nombre d’années.

Ensuite, à mon avis, la fonction publique ne doit pas avoir un monopole au Canada sur la recherche et les conseils en matière de politiques; plus des instituts de réflexion indépendants des gouvernements effectueront un travail analytique de haute qualité en matière de politiques au Canada, mieux le public comprendra la complexité des questions de politiques publiques auxquelles les gouvernements sont confrontés. De même, les gouvernements canadiens ont eu recours avec succès à des « groupes d’experts » touchant une gamme étendue de questions structurelles pendant de nombreuses décennies au cours desquelles diverses commissions royales, de multiples comités consultatifs et de nombreux groupes d’experts indépendants se sont succédés. Un thème commun à tous ces groupes a été non pas la faiblesse des capacités de la fonction publique en matière de politiques, mais plutôt l’importance de faire participer généralement les Canadiens à l’examen de ces importantes questions d’orientation.

Enfin, les défis stratégiques d’aujourd’hui ne sont pas moins importants ni moins complexes que par les années passées; ils sont simplement différents. À mesure que la nature de ces défis change, de même, l’expertise en matière de politiques au sein du gouvernement doit évoluer, et cela fait partie du renouvellement de la fonction publique. Les « grands » défis d’aujourd’hui et de demain en matière de politiques publiques ne sont pas les mêmes que par les décennies passées. Les capacités en matière de politiques au Canada, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Administration, doivent être de calibre mondial dans des domaines comme la mondialisation, la sécurité, la productivité, le vieillissement, la compétitivité, et les changements climatiques.

Et cela s’inscrit dans le projet de renouvellement de la fonction publique. Il faut tirer profit de nos programmes de recrutement des dirigeants talentueux de demain. Au sein de la fonction publique, nous devons améliorer le perfectionnement de nos capacités en matière de politiques, particulièrement notre aptitude à effectuer de la recherche horizontale, à encourager la réflexion novatrice, et à établir des réseaux mondiaux afin de nous tenir au courant des politiques à l’avant-garde du monde. Par ailleurs, nous devons toujours résister à la tentation du « court- termisme » et encourager la réflexion stratégique à moyen et à long terme.

5. Les fonctionnaires craignent de prendre des risques

La perception erronée suivante est que les fonctionnaires craignent de prendre des risques. Cette opinion semble laisser entendre que l’aversion au risque est une caractéristique du comportement des bureaucrates, plutôt qu’une conséquence de « l’écheveau de règles » qui s’est développé ces dernières années et a étouffé l’inclination à prendre des risques.   

La réalité tient non pas à de mauvaises attitudes, mais à de mauvaises incitations. Nous avons embourbé les fonctionnaires dans un écheveau de règles complexes et souvent contradictoires qui encouragent l’inaction plutôt que la prise de risques responsables et découragent l’innovation au profit du statu quo. Cela est amplifié par une mentalité de « chasse aux sorcières » dans la presse et parfois au Parlement, où le gouvernement exempt d’erreurs, et non pas la gestion du risque par celui-ci, est devenu le critère de succès ou d’échec.

Il n’est pas possible d’innover en matière de réflexion sur les politiques publiques et de prestation des services publics sans prendre des risques, ce qui suppose que le succès n’est pas toujours garanti, ni l’échec exclu. Il faut remplacer nos écheveaux de règles démesurément normatives qui, dans leur complexité et leur application font penser au personnage de Dilbert dans les bandes dessinées, par des systèmes de gestion des risques rigoureux, qui permettent de prendre des décisions discrétionnaires fondées sur des objectifs et des critères clairs.

Le gouvernement s’est engagé à élaborer, sous la direction du Conseil du Trésor, une stratégie destinée à s’attaquer à cet écheveau de règles. Le Groupe d’experts indépendant sur les programmes de subventions et de contributions a formulé de nombreuses recommandations utiles à cet égard, et le gouvernement a indiqué qu’il y répondrait positivement et complètement. Tout cela est bien, mais insuffisant. Une partie de la solution doit venir des ministères qui créent parfois leurs propres désincitatifs à l’innovation et leur propre culture d’évitement des risques. Un autre élément de la solution réside dans les attitudes du public, de la presse, du Parlement et du gouvernement à l’égard de la prise de risques dans la fonction publique : pour prendre des risques, les employés doivent savoir qu’ils sont habilités à gérer le risque, et non pas à l’éviter; innover signifie faire parfois des erreurs mais aussi obtenir des succès.

6. La fonction publique est mal gérée

La sixième perception erronée, soit que la fonction publique est mal gérée, n’est que partiellement fausse. Pendant trop longtemps, on n’a pas accordé à la gestion efficace du personnel et des ressources la priorité et l’attention qu’elle mérite dans la fonction publique. Comme l’a fait remarquer Peter Drucker avec une ironie désabusée, « une grande partie de ce que nous appelons la gestion consiste à créer des obstacles aux gens dans leur travail ». Cela doit changer, et c’est en train de changer.

Nous avons commencé au sommet, avec un nouveau système de gestion et d’évaluation du rendement robuste pour les sous-ministres et les sous-ministres délégués, qui s’assortit d’une rétroaction régulière et franche. Ce système met un accent particulier sur la bonne gestion des personnes, et il sera bientôt complété par une insistance plus grande sur la gestion des personnes dans le système de gestion du rendement de tous les cadres de direction. De plus, le nouveau Cadre de responsabilisation de gestion, ou CRG, constitue maintenant un élément clé de notre trousse d’outils de gestion. Il fournit une évaluation quantitative rigoureuse de la façon dont les ministères et organismes sont gérés, qui fait partie intégrante de l’évaluation du rendement des sous-ministres.

On planifie la relève des cadres supérieurs dans le cadre du renouvellement de la gestion. Une nouvelle méthode de gestion des talents des sous-ministres adjoints est maintenant en vigueur, et elle sera étendue progressivement aux autres niveaux de direction. Nous avons instauré un nouveau Programme avancé en leadership (PAL) afin d’aider à perfectionner les dirigeants supérieurs de la fonction publique de l’avenir. De façon plus générale et bien tardivement, nous intégrons la planification des ressources humaines et des activités dans tous les ministères. Nous devrons ensuite nous attaquer aux systèmes de soutien administratif du gouvernement, c’est-à-dire améliorer nos processus de ressources humaines lents et inefficaces, donner aux gestionnaires l’information relative aux finances et aux ressources humaines en temps réel pour leur permettre d’exercer une gestion efficace, et mieux employer la technologie pour améliorer notre productivité interne.

Bref, nous croyons fermement que la saine gestion du secteur public est importante. Et nos employés le pensent également. Nous croyons en outre que la poursuite acharnée de l’excellence est un élément clé de la saine gestion du secteur public. Les Canadiens ne veulent pas de fonctionnaires moyens, et les excellents employés n’aspirent pas à travailler dans une fonction publique moyenne.

7. Les opérations de renouvellement de la fonction publique n’accomplissent jamais rien

La septième perception erronée est que les opérations de renouvellement de la fonction publique n’accomplissent jamais rien. L’idée sous-jacente à cela est que nous lançons un nouveau programme de renouvellement à grand renfort de publicité tous les cinq ou dix ans, que rien ne change et que, par conséquent, on ne voit pas pourquoi les fonctionnaires devraient participer au renouvellement de la fonction publique aujourd’hui, ou en attendre grand-chose.

Il est certes incontestable que la fonction publique a fait l’objet d’un certain nombre d’examens au cours des 50 dernières années, mais cela n’est pas étonnant si l’on considère à quel point la portée et l’importance du gouvernement ont changé au Canada au cours de cette période, et combien le monde s’est transformé encore davantage. Le « renouvellement » de la fonction publique a commencé essentiellement avec la commission Glassco, en 1962; il s’est poursuivi à la suite des commissions Lambert et d’Avignon de 1979, puis dans le cadre de Fonction publique 2000 en 1989, de La Relève en 1997, et du Groupe de travail sur la modernisation de la gestion des ressources humaines en 2001, pour en arriver à aujourd’hui. Si les attentes et les discours relatifs à certaines de ces opérations ont probablement dépassé leurs résultats, les changements importants qui en ont découlé sont indubitables.

La fonction publique de 2008 diffère de celle où je suis entré en 1976. Considérez, par exemple, les progrès accomplis dans le sens d’un meilleur équilibre entre les hommes et les femmes dans les rangs de la haute direction, d’une plus grande diversité de l’effectif, d’une plus forte insistance sur les normes de service, de la gestion et de l’évaluation plus rigoureuses du rendement, et d’un net accroissement de la transparence et de la responsabilisation, entre autres.

Mais le renouvellement, dans le secteur public ou dans le secteur privé, consiste non pas à régler quelque chose pour toujours, mais à actualiser les pratiques. Le renouvellement de la fonction publique consiste à entretenir le dynamisme, la fraîcheur et l’actualité de la fonction publique en tant qu’institution. Le renouvellement consiste non pas à régler quelque chose pour toujours, mais à faire en sorte que notre travail et la façon dont nous l’accomplissons soient efficaces et pertinents dans un contexte externe en mutation constante. C’est à cela que l’on peut juger si les opérations de renouveau produisent des effets.

8. La fonction publique a perdu le contact avec les Canadiens – ils viennent de Vénus, et nous, de Mars

La dernière perception erronée dont je veux traiter, soit que la fonction publique a essentiellement perdu le contact avec les Canadiens, me trouble énormément. Le Forum des politiques publiques a exprimé cet avis de la façon probablement la plus frappante dans les termes suivants : « Ottawa est de plus en plus isolé, alors que le pays – et le reste du monde – est de plus en plus connecté et interdépendant. [...] deux milles carrés entourés par la réalité. »

En un sens, cette critique souligne précisément l’importance d’une fonction publique impartiale et professionnelle qui reflète et comprend la diversité géographique, linguistique et ethnique du Canada ainsi que le monde en évolution rapide dans lequel nous vivons. Manifestement, une partie du renouvellement de la fonction publique consiste à mieux refléter et comprendre la diversité du Canada. Mais la diversité des points de vue signifie que l’on ne convient pas toujours unanimement de la voie à suivre, et parfois, lorsque les gens déclarent qu’Ottawa est « déconnectée », ils veulent dire qu’ils ne sont pas d’accord avec la décision du gouvernement sur une question particulière.

De même, si le gouvernement fédéral a une présence visible dans presque toutes les collectivités du pays, parfois, lorsque des gens déclarent qu’Ottawa est « déconnectée », ils veulent dire que l’administration centrale et les cadres supérieurs des ministères en question ne se trouvent pas dans leur collectivité, ou dans leur province ou dans leur région. Les fonctionnaires d’une région partagent peut-être même cette opinion par moments, mais elle n’est certainement pas unique au Canada; elle existe en fait dans tous les grands pays où règne la diversité, en particulier ceux qui sont dotés d’un régime fédéral. Toutefois, elle souligne la valeur des activités de rapprochement partout au pays de la part des dirigeants supérieurs de la fonction publique et, également, la valeur de la thèse selon laquelle il faut consulter et mobiliser les divers secteurs dans notre société.

La valeur du rapprochement est une chose à laquelle je crois, une chose que j’ai pratiquée activement comme sous-ministre et que je continue de pratiquer comme greffier. C’est désormais aussi une exigence que nous avons insérée dans les lettres de mandat de tous les sous-ministres. 

De façon plus générale, ce sentiment de solitude croissante entre le secteur public et le secteur privé, ce syndrome selon lequel « ils viennent de Vénus, et nous de Mars », est à la fois réel et erroné. Il est réel en ce sens qu’il existe, et erroné parce qu’il se fonde sur l’hypothèse fausse selon laquelle les deux secteurs ont peu de choses en commun et peu de domaines de collaboration sérieuse. Dans le présent univers de mondialisation généralisée et de concurrence internationale intense, le secteur public et le secteur privé doivent accroître leur coopération, et non pas la réduire, afin d’établir les stratégies commerciales et les politiques publiques voulues pour tirer parti des forces relatives du Canada et ce, au profit de tous les Canadiens.

Conclusion

Pour conclure, permettez-moi de revenir à mes propos du début et de réitérer l’importance pour les Canadiens d’une fonction publique qui soit à la fois impartiale et excellente. 

Comme il était dit dans le rapport de 2007 du Comité consultatif sur la fonction publique nommé par le Premier ministre, « […] une fonction publique efficace et fondée sur des valeurs est essentielle à la prospérité de tous les pays dans le monde complexe et interconnecté d’aujourd’hui. En tant qu’institution nationale, une fonction publique de haute qualité, fondée sur le mérite, fait partie de l’avantage comparatif du Canada et est un facteur de compétitivité déterminant dans l’économie mondiale. Elle aide en outre à jeter le fondement d’un gouvernement démocratique fort ».

Mais, pour réaliser ses possibilités à cet égard, la fonction publique doit embrasser le changement, et non pas le statu quo. Or, il n’est pas facile de réussir à implanter le changement dans les grandes organisations, comme le souligne brillamment John Kotter dans son nouveau livre original sur le changement, « Our Iceberg is Melting ». Il faut, pour y parvenir, créer un sentiment d’urgence, mettre sur pied une solide équipe de direction du changement, développer la vision de ce changement fondée sur l’analyse, communiquer, communiquer et communiquer, élargir l’« équipe du changement », produire tôt quelques réussites visibles, puis ne pas lâcher.

Bref, l’impulsion du renouvellement doit venir du dedans, et nous mobiliser tous. Le point de départ de ce changement est l’urgence de renouveler la fonction publique pour qu’elle reste excellente, pertinente et respectée. Une partie du succès du renouvellement consiste à mieux faire comprendre aux Canadiens le rôle important que joue la fonction publique dans la réussite soutenue que représente le Canada. Dissiper les perceptions erronées au sujet de la fonction publique contribue en partie à assurer cette compréhension.

Merci.