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Cérémonie de remise des diplômes à l'Université Mount Allison

Notes pour une allocution de Kevin G. Lynch,
Greffier du Conseil privé, secrétaire du Cabinet et chef de la fonction publique

Le 26 mai 2008
Sackville (Nouveau Brunswick)


Je vous remercie, Monsieur le Chancelier Bragg,  Monsieur le Président et Vice-chancelier Campbell, sénateurs et membres du conseil d’administration, membres du corps professoral, étudiants et étudiantes de la promotion 2008, distingués invités, Mesdames et Messieurs.

Je suis très heureux de l’invitation que m’a faite l’Université Mount Allison de prendre la parole dans le cadre de cette cérémonie de remise des diplômes. D’ailleurs, si vous me permettez cette parenthèse, je me sens un peu comme Jon Stewart lorsqu’on lui a demandé d’animer la soirée des Oscars. « C’est un honneur bien sûr, avait-il dit, mais pour avoir suivi avec fidélité les précédents galas, je dois admettre, en toute honnêteté, que je suis un peu déçu de votre choix. »

Personnellement, je dirais que je suis plus étonné que déçu - car je suis extrêmement flatté de cette reconnaissance que m’exprime l’Université Mount Allison, mon alma mater.

Cette journée vous appartient à vous tous et toutes qui recevez votre diplôme. Elle marque la fin d’un cycle. Après avoir commis l’erreur d’avoir franchi toutes les étapes de votre programme d’études et accumulé tous les crédits nécessaires, vous vous apprêtez maintenant à quitter Mount Allison et à vous mesurer aux réalités du monde extérieur. Vos professeurs resteront ici toutefois, car, pour reprendre les mots de l’humoriste Dave Barry, ils savent que l’université est un endroit douillet où le problème le plus angoissant est celui du stationnement! 

C’est une multitude de nouveaux défis à relever qui vous attend tous et toutes. Là où vous allez, il n’y a aucun programme préétabli. Tout est affaire de choix. Et dans le contexte de la mondialisation, les problèmes auxquelles vous devrez faire face diffèrent totalement de ceux qui existaient il y a quinze ou vingt ans.
 
Ce matin, j’aimerais vous dire quelques mots de ce monde qui vous attend - et de la valeur de cette formation dans les arts libéraux qui doit maintenant vous permettre de parcourir le monde et d’y laisser votre marque.

Mais laissez-moi tout d’abord m’adresser à ceux et celles qui sont assis derrière les finissants - aux parents et aux membres de la famille des étudiants et étudiantes de la promotion 2008. Vous avez partagé les hauts et les bas de la vie de vos enfants, quand tout leur semblait possible, quand ils se mettaient tout à coup à douter de tout. S’ils sont ici aujourd’hui, c’est grâce à vous, et je tiens à vous féliciter vous aussi.

Il est courant, en de telles occasions, qu’un orateur invité que vous ne connaissez pas, et qui a connu une époque dont vous n’avez aucun souvenir personnel, vous offre des conseils qui ne vous seront d’aucune utilité. Eh bien rassurez-vous, car je n’ai aucun conseil à vous donner. Je vous entretiendrai plutôt de l’extrême importance que revêt, dans le contexte de la mondialisation, la formation que vous avez reçue ici, à Mount Allison.

Je n’ai pas à vous rappeler tout ce qui fait l’originalité de cette université - la beauté de son campus, la richesse de ses programmes, l’importance de ses traditions. Mount Allison a prouvé qu’une université n’est pas obligée d’offrir un programme de doctorat pour se hisser aux premiers rangs au pays, et même, s’il faut en croire les chiffres publiés dans la revue Maclean’s, pour devenir le numéro un parmi les établissements d’enseignement de premier cycle.

Ce succès, à mon avis, se trouve ancré dans la détermination qu’affiche l’Université à offrir à ses étudiants le cadre et le contexte intellectuels sans lesquels on ne peut songer à régler les problèmes les plus urgents.

Mais quels sont donc ces problèmes? Quels sont les grands défis que pose la mondialisation? Et en quoi une formation dans les arts libéraux peut-elle être aussi utile à quiconque s’emploie à les relever? Voyons voir.

Les changements sont une constante de l’Histoire, il n’y a donc pas de quoi s’étonner de leur existence. Le plus remarquable à l’heure actuelle, ce serait plutôt la rapidité avec laquelle ces changements s’opèrent. Les nouveaux courants de pensée et les nouveaux intervenants remettent en question, et de plus en plus vite, les idées reçues. Les technologies nouvelles se succèdent à un rythme sans précédent.

Pensez-y un peu… Lorsque vous jetez l’une de ces cartes de souhaits qui jouent une mélodie quand vous les ouvrez, vous jetez en fait une capacité de stockage de données informatiques supérieure à ce que l’on connaissait dans le monde à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Et cette capacité parvient maintenant à doubler à tous les dix-huit mois, les progrès étant plus rapides encore au niveau de la bande passante.

Bientôt, les puces d’ordinateurs seront munies de transistors plus minuscules que le virus de la grippe. Et dans peu de temps aussi, des puces munies d’un milliard de transistors augmenteront à un degré presque inimaginable la capacité de stockage et la rapidité de transmission des données.

Il y a cinquante ans à peine, Crick et Watson découvraient l’ADN. De nos jours, des élèves du secondaire le fractionnent dans le cadre de leurs cours de biologie.

Il y a huit ans, des scientifiques mettaient en séquence les trois milliards de paires de bases du génome humain, chacune de ces « lettres » formant littéralement le « code de vie » de l’espèce humaine. Leur découverte nous permettait dès lors, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, de contrôler l’évolution de la vie sur notre planète.

Au milieu de tous ces changements, la concurrence intense que se livrent les nations à l’échelle planétaire contribue à transformer les règles de cette concurrence et celles qui régissent les échanges commerciaux. L’économie mondiale est déjà, à plus des deux tiers, une économie du savoir, l’invention et l’imagination générant de toute nouvelles industries à partir d’une idée de base.

Ce déluge de changements impose la recherche de nouvelles compétences, et dans un contexte pareil, votre plus grand atout sera votre capacité de réfléchir, et d’apprendre.

Nous vivons à une époque où l’information nous arrive de partout à la fois. La télévision, la radio, l’Internet, le téléphone cellulaire et le courriel mettent à portée de main des données, des faits et chiffres, des opinions. Mais avoir accès à l’information n’équivaut pas nécessairement à savoir, ou même à comprendre.

Et c’est là que prend toute son importance l’acquisition d’une formation dans les arts libéraux. Celle-ci vous enseigne à penser, à raisonner de façon rigoureuse et logique. Les années passées ici même, à Mount Allison, vous auront appris à donner un sens à l’information reçue, à en tirer parti, voire à l’enrichir. Vous aurez ainsi « appris à apprendre ».

Ces années ont fait de vous des penseurs autonomes, capables de vous faire votre propre opinion, de réagir à votre façon à une situation, d’adhérer aux valeurs que vous aurez vous-mêmes choisies, à la lumière non pas de ce que vous ont dicté vos parents, vos pairs ou vos professeurs, mais bien de votre propre appréciation des arguments entendus et des preuves avancées.

De tout ce que vous aura procuré votre passage ici, cette capacité de réfléchir de façon autonome et d’avoir un esprit critique constitue certainement l’acquis le plus précieux, surtout à ce moment précis de notre histoire. C’est, sans aucun doute, une compétence qui est valorisée et fortement recherchée dans l’environnement professionnel auquel j’appartiens. La fonction publique fait actuellement l’objet d’un exercice de renouvellement à tous les niveaux, étant donné la proportion de l’effectif que représentent les membres de la génération du baby boom - à laquelle j’appartiens, vous l’aurez sans doute deviné. Ce dont nous avons besoin, ce sont des jeunes gens qui réfléchissent aux problèmes du monde, qui sont capables d’analyses critiques, qui expriment leur pensée de façon intelligible, qui cherchent continuellement à enrichir leurs connaissances, et qui ont envie de faire bouger les choses dans leur pays.

Chose intéressante, les mêmes connaissances sont également recherchées dans le secteur privé. Il y a quelques années, des chefs d’entreprises canadiennes de premier plan en technologies de pointe posaient un geste sans précédent : en effet, dans une déclaration conjointe, ils affirmaient, et je cite, qu’« une formation en arts libéraux favorise le développement de compétences et de talents qui sont de plus en plus appréciés par les entreprises d’aujourd’hui ».

Mais il existe une autre raison pour laquelle une pareille formation revêt maintenant une importance particulière, je veux parler de la mondialisation.

Dans notre esprit, la mondialisation se limite souvent à l’intégration des marchés, ou aux rapprochements dans le temps et l’espace par des moyens technologiques, ou encore à l’émergence d’institutions nouvelles comme l’Organisation mondiale du commerce et le Forum sur la stabilité financière. Mais la mondialisation va beaucoup plus loin que la simple circulation des biens et services, des capitaux et des idées.

La mondialisation, c’est aussi un ensemble complexe d’interactions entre des personnes, des groupes et des nations. C’est aussi la compréhension des mécanismes de cette interdépendance. Il est plus utile de prendre conscience de ce que nous avons en commun en tant qu’êtres humains que de tout ce qui peut nous différencier.

Mais il ne faut guère attendre du changement qu’il ralentisse sa course pour nous laisser un temps de réflexion. Au contraire, la mondialisation déferle sur nous comme un vent déchaîné, créant des tensions entre l’ancien et le nouveau, le traditionnel et le moderne.

La technologie met face à face des peuples et des cultures qui adhèrent à des principes diamétralement opposés, en ce qui concerne, par exemple, l’intégrité de la personne, la souveraineté, l’application régulière de la loi, le rôle des femmes, les droits fondamentaux, la propriété privée et les rapports avec la nature.

Juan Enriquez y consacre quelques phrases lapidaires dans son livre intitulé As the Future Catches You : la technologie n’a rien de gentil, elle n’attend pas, elle ne demande aucune permission, et elle s’abat sur les systèmes existants, quitte à les détruire.

Et qu’arrive-t-il aux gens lorsque s’effondre du même coup tout ce qui définit ce qu’ils sont et la place qu’ils occupent dans l’univers? Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’expérience peut se révéler extrêmement déstabilisante. De plus en plus marginalisés, nombreux sont ceux et celles qui finissent par se sentir en pleine dérive, anxieux et vulnérables.

Tel est le grand paradoxe de notre époque : le savoir humain n’a pas progressé au même rythme que la mondialisation. Ou, comme l’a si bien dit Thomas Homer-Dixon, le déficit de l’imagination nous empêche de plus en plus de réagir dès qu’un problème surgit.

Comme il l’explique dans son livre, ces problèmes sont de nature politique, économique, technologiques et écologiques. Ils convergent et s’entrelacent, et souvent ils semblent carrément nous échapper. La question qui se pose maintenant est la suivante : pouvons-nous trouver suffisamment vite une solution aux problèmes que nous avons créés?

Voilà qui mérite réflexion : pouvons-nous trouver suffisamment vite une solution aux problèmes que nous avons créés?

Le défi que vous serez appelés à relever consistera à abattre les barrières entre les sociétés et les cultures, de la même façon que la génération à laquelle j’appartiens a réussi à briser la barrière de la distance. Nous avons peut-être relié les continents, mais votre mission à vous sera de mettre en communication les cultures. C’est une tâche énorme qui vous attend.

À mon avis, les réponses - l’ingéniosité - qui permettront de solutionner tous ces problèmes que je viens d’évoquer viendront des arts libéraux; elles ne pourront que venir de là, en fait. Les grands titres de l’actualité se lisent d’ailleurs déjà comme un programme d’études en lettres et en sciences humaines : travail, éthique, culture, conflit, histoire, santé. Autant de thèmes que les arts libéraux cherchent à approfondir et à éclairer.

S’il s’avère que les grands problèmes du XXIe siècle seront de nature socioculturelle, il nous faudra compter sur une circulation sans entrave d’un côté à l’autre des frontières; nous devrons mettre en place des disciplines nous permettant d’intégrer les connaissances puisées à diverses sources et distiller toute la sagesse contenue dans les traditions les plus diverses.

C’est précisément ce que procure une formation dans les arts libéraux. Elle vous permet d’entrevoir le monde dans sa globalité, de bien saisir le jeu réciproque des intérêts nationaux et des facteurs culturels, historiques, économiques et technologiques propres à chaque communauté humaine, ainsi que nos rapports avec la nature.

John Henry Newman, penseur et théologien du XIXe siècle, a écrit un livre qui devait devenir célèbre et qui s’intitule The Idea of a University. Il y explique que l’esprit véritablement brillant est celui qui entrevoit et comprend les liens de réciprocité qui existent entre l’ancien et le nouveau, le passé et le présent, le proche et le lointain.

Ce livre date du XIXe siècle, mais il pourrait fort bien s’appliquer aux avantages d’une formation en arts libéraux dans un univers mondialisé. Newman aurait dit la même chose en parlant de la formation que vous avez reçue à Mount Allison.

Cette formation vous permet maintenant de relier plusieurs idées, d’entrevoir les tendances générales et d’avoir une vision à long terme - autant de compétences essentielles pour faire face aux défis à venir.

Mais il nous faudra encore beaucoup de diplômés comme ceux et celles dont nous célébrons la réussite ce matin. Et beaucoup d’autres universités comme celle-ci.

En ce jour où vous quittez Mount Allison, vous avez tous les droits de vous sentir fiers, et parfaitement préparés à faire profiter notre monde d’une sagesse dont il a grand besoin, à mettre à sa disposition les ressources que vous a données la formation que vous avez reçue ici.

Devant vous se dressent à l’horizon des perspectives sans précédent, des possibilités jusqu’à maintenant inconnues. Mais quoi que vous fassiez, où que vous soyez, un lien vous unira toujours, et ce lien, c’est ce que vous avez vécu ici. Cette université fait maintenant partie intégrante de ce que vous êtes, comme elle fait partie de ce que je suis.

Ce fut un honneur pour moi que de vivre à vos côtés cette journée importante. Et je vous souhaite à tous et à toutes tout le succès que vous méritez.