Convient-il, en dépit de la mondialisation, dune tendance à la fragmentation et dune intégration économique de plus en plus marquée avec les États-Unis, que nous nous efforcions de conserver au sommet du continent nord-américain un espace socio-culturel distinct? Cest là une question sociale qui ne touche pas vraiment notre thème, mais à laquelle un bon régime de gouvernance permet de répondre plus facilement, la société devenant dès lors plus en mesure de bien mener sa barque.
Le Canada na rien perdu de son importance aux yeux des citoyens, mais linsatisfaction croissante que suscitent les gouvernements (ce qui amène de plus en plus une quelconque élite à se demander pourquoi se soucier de gouvernance, et entraîne certaines initiatives traduisant une volonté à peine voilée de « contourner » les gouvernements) les prive justement dune partie de leurs moyens à un moment où ils en auraient bien besoin (pour faire face à linimaginable, à des problèmes nouveaux sans solutions véritables, à un risque de perte dinfluence sur la scène internationale). Dans le temps long de lHistoire, une saine gouvernance peut aider le Canada à se définir, à se tailler une place dans le monde et à la maintenir.
Ce sont des valeurs communes ainsi que la volonté de travailler et de vivre ensemble qui peuvent assurer sa continuité au régime de gouvernance (à cette capacité qua une société de mener sa barque) à une époque où, dans un avenir prévisible, les caractéristiques prédominantes de notre environnement sont linterconnexité, la complexité et la permanence du changement. (Que lon pense, par exemple, à ladaptabilité dont doivent faire preuve une compagnie de marines ou un prêtre en Afrique. Que ferait le pape là-bas?)
Le Canada ne se définit plus en termes de territoire géographique et dappartenance ethnique, mais plutôt en termes de valeurs communes (comme en témoignent, par exemple, la Charte canadienne des droits et libertés et lEntente-cadre sur lunion sociale) ainsi que dune détermination à travailler et à vivre ensemble en dépit de différences profondes, quelles soient géographiques, culturelles, historiques ou autres. Notre compréhension et notre acceptation de ces valeurs ainsi que de la nécessité de travailler ensemble (compte tenu de nos différences, celles-ci cessant dêtre simplement tolérées) doivent se développer lentement. Cela signifie que létablissement et la poursuite dun dialogue constituent la clé du problème au Canada. (Les tensions croissantes associées aux affaires autochtones nous offrent une occasion importante dapprendre comment faire en sorte que ce dialogue soit davantage productif.)
Nos institutions et nos structures, ces anciens facteurs de continuité pour nos systèmes de gouvernance, doivent pouvoir répondre aux besoins nouveaux (c.-à-d. devenir plus flexibles , plus interreliés et, par conséquent, plus robustes). Il convient de mettre laccent sur les gens, sur les processus et sur les moyens daction (p. ex. dans le cas des organismes donateurs, acheminer largent vers les institutions de bienfaisance où leurs employés font du bénévolat plutôt que vers des organismes figurant sur une liste prédéfinie, comme autrefois).
Sattacher de plus en plus à quelque chose dextérieur à soi est un besoin fondamental de lêtre humain. Pour passer du bien public « local » au bien public « mondial », il y a un cheminement social (inclusion --> intégration --> sentiment dappartenance) et un cheminement individuel (engagement occasionnel --> sentiment dinterdépendance --> engagement total [= fierté]).
Lobjectif consiste à regrouper les mesures susceptibles de favoriser ces deux cheminements commencer sur place; semer et faire croître plutôt que de démolir pour ensuite reconstruire; accorder une plus grande attention aux jeunes, la notion de « réseau » leur posant sans doute moins de problèmes quà dautres.
Par exemple, dans le cas de la société, cela signifie :
Dans le cas des individus, cela signifie :
Il devient nécessaire, par exemple, de mettre en place des mécanismes qui soient davantage inclusifs; de prendre les mesures qui simposent pour concevoir, édifier, utiliser et adapter ces mécanismes; de savoir et de comprendre comment fonctionnent ces mécanismes de façon à pouvoir y jouer un rôle éclairé et satisfaisant. En dautres mots, il faut trouver des mécanismes et des espaces permettant un dialogue public, des moyens de communiquer nos valeurs communes.
Il ressort de ce paradigme un régime de gouvernance qui sexprime dans des institutions et des structures pertinentes et flexibles. On voit mieux limportance de certains principes comme linformation (crédibilité et accessibilité) et la mobilité entre les organisations, les réseaux, les structures. Il est plus avantageux de commencer au bas de léchelle et de répartir les fonctions dautorité au fur et à mesure que lon monte, plutôt que de simplement procéder à partir du sommet. Les élus deviennent les gardiens des façons de voir de leur collectivité, des courtiers (pris au sens de « rassembleur » plutôt que dans son sens strictement financier).
Renforcement au niveau des valeurs, du consentement et de lapprentissage; utilisation immédiate de certains leviers dintervention; critères dévaluation des progrès réalisés.
a) Renforcement au niveau des valeurs, du consentement et de lapprentissage
Les trois points suivants ont été jugés essentiels par la plupart des participants.
Valeurs Les objectifs à cet égard sont nombreux : adopter une vision normative et non plus déterministe de lavenir (façonner lavenir); faire primer, en partie, la raison dhumanité sur la raison dÉtat, car tous les humains sont liés entre eux par des valeurs communes ainsi que par une même volonté de vivre et de travailler ensemble; restaurer le sens moral au coeur des affaires politiques et gouvernementales. Pour y arriver, nous devons adopter une philosophie politique de type pluraliste fondée sur les valeurs; faire des choix qui, fondés sur les valeurs, sont plus explicites et témoignent davantage de préoccupations globales; établir un dialogue continu sur la définition et le maintien de valeurs communes; contribuer à une gestion constructive des différences au niveau des valeurs (au gré, p. ex., des régions, de la culture, de lhistoire)
Consentement Il convient, à cet égard, de renforcer le consentement à tous les niveaux afin daméliorer les rapports entre les citoyens et leurs dirigeants. Les moyens pour y arriver sont : une participation active et éclairée des citoyens (plutôt quun apport fondé strictement sur lignorance ou labsence de sens moral); une transparence accrue (responsabilisation, évaluation de la performance, rapports au public en temps opportun); consultation des bonnes personnes. Il faut permettre aux gens daffirmer et de faire valoir leurs positions dans des cadres dont ils reconnaissent la validité; écouter attentivement ce quils ont à dire. Il faut aussi nous assurer quun nombre adéquat de Canadiens se sentent suffisamment à laise (du point de vue économique et social aussi bien que culturel) pour prendre part à un processus de consultation quel quil soit.
Apprentissage Lobjectif consiste à renforcer lapprentissage à tous les niveaux dans un climat où lon finit toujours par être blâmé pour quelque chose. Il faut pour cela bien comprendre ce que suppose lacte dapprendre (capacité de dire la vérité, notamment); passer à laction (c.-à-d. veiller à la mise en place de mécanismes de rétroaction aux bons niveaux [y compris les valeurs] et déchange dinformation); joindre le geste à la parole, et faire en sorte que les institutions et les mécanismes servent à faire la lumière et non pas simplement à trouver quelquun à blâmer.
b) Utilisation immédiate de certains leviers daction
Le modèle de réforme réinventée propose trois leviers daction qui peuvent être utilisés immédiatement. Tous contribuent à un renforcement au niveau des valeurs, du consentement et de lapprentissage. Quoique très différents, ils sont autant détapes stratégiques importantes sur la voie dune saine gouvernance.
Les politiciens peuvent favoriser une meilleure compréhension en posant les bonnes questions et en formulant les enjeux de la bonne façon. Trois enjeux viennent spontanément à lesprit : les implications pour les élus et pour leurs conseillers (politiques ou autres); les avantages ou les inconvénients des méthodes et des règles propres à nos institutions et à nos processus politiques; les correctifs à apporter.
Linnovation institutionnelle doit être fondée sur lutilisation de réseaux visant à renforcer la collaboration. Dimportantes questions se posent à cet égard : quelles lacunes importantes pourrions-nous combler de la sorte à lheure actuelle? Quelles sont les implications dune pareille démarche sur les rôles et responsabilités de nos élus et de leurs conseillers (politiques ou autres)? Quel type de mécanisme de rétroaction suppose-t-elle (y compris la présentation de rapports au moment opportun)?
Il convient de balayer lhorizon à la recherche des nouveaux enjeux, les résultats de cette recherche devant être pertinents pour les décideurs aussi bien que pour le grand public. Plusieurs questions méritent dêtre approfondies à cet égard : quels rôles les universitaires, les groupes de réflexion et les conseillers stratégiques sont-ils appelés à jouer? Comment pouvons-nous arriver à préserver des principes comme la viabilité (financière, notamment), la crédibilité (le degré defficience, par exemple) et lopportunité? Quelles sont les conditions permettant dassurer, dexiger et de maintenir des liens efficaces et efficients avec la population (y compris les décideurs)?
c) Critères de réussite
Une saine gouvernance comporte divers éléments : démocratie intégrée garantie; appui sur les valeurs; préoccupations globales; participation éclairée; consentement nécessaire; intégration des considérations humaines; possibilités dapprentissage accrues dans un climat favorisant le blâme. La réussite se vérifie à laune du travail accompli (par ailleurs déjà commencé) pour chacun de ces éléments.
Pour une efficacité vraiment optimale, le modèle proposé de réforme réinventée devrait être appliqué aux unités (territoriales) où les changements apportés seront le plus évidents. Le prochain exercice de remue-méninges devrait être consacré aux caractéristiques de ces unités.
La recherche des moyens darriver à une saine gouvernance ne concerne pas que les milieux universitaires et le secteur public (quoique les gouvernements peuvent jouer un rôle de catalyseur et de chef de file). Cest laffaire de tout le monde, car tout le monde sen ressent. Une participation active du secteur privé simpose. La voie menant à une meilleure gouvernance offre plus davantages aux entreprises que le maintien dun statu quo même en constante évolution. Premièrement, une confiance accrue et un appui plus marqué de la part du public, de même que, pour la société tout entière, une meilleure capacité de mener sa barque, peuvent se traduire par une plus grande prévisibilité des marchés canadiens, par linstauration accélérée dun climat commercial de type post-moderne au Canada, par une influence plus profonde au niveau de la gouvernance supra-nationale, par une confiance réciproque (secteurs; élites; leaders). Deuxièmement, des choix crédibles pour répondre aux attentes et aux besoins du Canada offrent la possibilité de conduire des affaires au Canada dune façon plus claire et plus prévisible, et favorisent une meilleure intégration des réalités mondiales aux choix de société.
Par contre, le maintien du statu quo ne peut que ralentir la mise en oeuvre, dans nos régimes de gouvernance, des changements dont ont besoin nos entreprises. Les gouvernements continuent dinfluencer le climat commercial au Canada ainsi que dexercer un pouvoir de coercition sur les entreprises et les gens daffaires. Les « vieilles tactiques » ne fonctionnent toutefois plus aussi bien. Lécart entre « riches » et « pauvres » (régions, groupes, individus), de plus en plus marqué, se traduira tôt ou tard par des ruptures bien réelles. Les gouvernements tenteront tant bien que mal de réagir, renforçant alors le cercle vicieux méfiance --> exclusion --> pressions --> intervention inadéquate --> méfiance accrue.