Premier
ministre Jean Chrétien
devant la International Monetary Conference
Le 3 juin 2002
Ottawa (Ontario)
Je voudrais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue au Canada.
S’il y en a qui croyaient que la politique au Canada manque de piquant, à
leur retour, ceux d’entre vous qui sont arrivés hier pourront raconter ce qui
en est vraiment.
Avant d’aller plus loin, j’aimerais rendre hommage au ministre des
Finances sortant, monsieur Paul Martin. Il a été un excellent ministre des
Finances pour le Canada. Et il a représenté le Canada avec beaucoup de
distinction à l’étranger. Nous regrettons tous de le voir partir.
Ce midi, vous avez rencontré notre nouveau ministre des Finances, John
Manley. Il a été un ministre exceptionnel depuis 1993, et il fera un ministre
des Finances de premier ordre.
Je tiens à rassurer tout le monde que les politiques économiques de notre
gouvernement ne changeront pas. Notre engagement envers l’équilibre
budgétaire ainsi que la réduction de la dette et des impôts demeure
absolument ferme. Quel que soit le ministre des Finances.
Mesdames et Messieurs, si l’actualité internationale nous a appris une
chose, c’est bien l’importance de la coopération internationale en faveur
de la stabilité financière et économique dans le monde. Vous avez un rôle
crucial à jouer à cet égard.
La mondialisation et un système financier international de plus en plus
interdépendant et connecté accentuent la nécessité d’encourager et de
maintenir la communication entre les gouvernements, les banques centrales, les
institutions financières et les organisations financières internationales.
Or, c’est l’essence même de la mission de l’IMC. Celle-ci constitue
désormais un forum essentiel pour discuter des préoccupations économiques et
monétaires urgentes que nous avons tous.
Vous vous êtes déjà penchés aujourd’hui sur les tendances
démographiques et sur l’avenir des bourses des valeurs mobilières. Demain,
vous examinerez la question de la responsabilité sociale dans un monde
caractérisé par une interdépendance grandissante.
Les questions abordées aux réunions annuelles de l’IMC sont centrées sur
notre objectif à tous, soit la promotion de la prospérité mondiale. C’est
le défi que nous devons tous nous attacher à relever.
Nos politiques nationales doivent tendre vers cet objectif, de même que nos
rapports avec les autres pays.
Avant d’aller plus loin, je dois préciser que les Canadiens n’aiment pas
se vanter. Mais, si vous le voulez bien, j’aimerais rompre avec cette
tradition pendant quelques instants pour vous parler de ce que nous avons
accompli au Canada ces dernières années.
En effet, le Canada a fait d’immenses progrès pour ce qui est de favoriser
la prospérité au pays. Comme vous l’avez entendu ici aujourd’hui, le FMI
et l’OCDE prévoient tous les deux que le Canada enregistrera la plus forte
croissance du G7 cette année et de nouveau l’an prochain.
Ce succès témoigne de ce qu’une politique financière et monétaire
responsable permet d’accomplir.
Quand notre gouvernement a été porté au pouvoir en 1993, la situation
financière du Canada était sombre. Le déficit budgétaire se chiffrait à 42
milliards de dollars, et le ratio de la dette au PIB était supérieur à
70 % En plus, la dette extérieure nette atteignait environ 40 % et
continuait d’augmenter.
Quand nous avons formé le gouvernement, le Canada sortait d’une récession
qui avait été plus sévère qu’aux États-Unis, et notre reprise était plus
lente.
Aujourd’hui, je suis fier de pouvoir vous dire tout le chemin que nous
avons parcouru depuis 1993.
Notre budget est excédentaire pour la cinquième année de suite, et nous
nous attendons à afficher des excédents au cours des deux prochaines années
aussi. Le ratio de la dette au PIB est tombé sous la barre des 50 % pour
la première fois depuis 1985-1986. La dette extérieure nette a fondu au point
où elle devrait être inférieure à celle des États-Unis pour la première
fois dans l’histoire.
Après avoir assaini nos finances publiques, nous avons pu alléger les
impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés. En fait, nous avons
accordé les baisses d’impôt les plus considérables dans toute l’histoire
du Canada.
À la fin de l’année en cours, l’impôt des sociétés sera moins
élevé au Canada qu’aux États-Unis, tandis que notre impôt sur les gains en
capital est déjà moins élevé chez nous que chez nos voisins américains.
Mais ce n’est pas tout. Grâce à notre discipline financière, le Canada a
pu éviter la récession depuis un an pendant le ralentissement économique
mondial. Notre excédent budgétaire nous a permis de stimuler l’économie au
bon moment au moyen de baisses d’impôt et d’investissements stratégiques
dans des secteurs clés.
La crédibilité de nos politiques financières et monétaires a permis à la
Banque du Canada de stimuler l’économie de son côté avec les taux d’intérêt
les plus faibles en 40 ans.
En même temps, notre économie est plus diversifiée et plus stable. Les
produits de base ne représentent plus qu’environ le tiers des exportations
canadiennes – comparativement à 60 % il y a 20 ans.
Et l’économie du Canada va continuer de croître et de se diversifier à
mesure que les investisseurs vont constater les progrès que nous avons
accomplis, et combien il est avantageux de faire des affaires et d’investir
chez nous.
Nous avons clairement réussi à faire du Canada un chef de file sur les
plans économique et financier.
Cependant, il ne faut pas nous contenter de favoriser la prospérité à l’intérieur
de nos frontières. Nous devons aussi reconnaître les obligations que nous
avons ailleurs dans le monde.
Dans quelques semaines, je présiderai le Sommet du G8 à Kananaskis. Le
monde a beaucoup changé depuis la dernière fois que j’ai eu l’honneur d’être
l’hôte du Sommet du G8 au Canada.
À Halifax il y a sept ans, la Russie a été invitée à participer aux
discussions pour la première fois. La participation de la Russie a transformé
le G7 en G8. Ceux qui doutaient de la sagesse d’une telle mesure étaient
nombreux à l’époque. Aujourd’hui, plus personne ne doute que nous ayons eu
entièrement raison.
Le G8 a aidé à coordonner des politiques en vue de favoriser la stabilité
de l’économie mondiale, de secourir les plus pauvres d’entre les pauvres,
de protéger notre environnement, de désamorcer les tensions à travers le
monde et de lutter contre le terrorisme. Et la Russie a joué un rôle intégral
et essentiel dans ces efforts.
Puis la semaine dernière se déroulait à Rome la signature d’un accord
marquant. La Russie y est devenue un partenaire à part entière de l’OTAN à
l’issue d’une coopération entre pays sans précédent. Une telle chose
aurait été impossible il y a seulement 15 ans.
C’est pour dire combien de changements profonds se sont produits sur la
scène internationale ces dernières années.
Cependant, de tels changements positifs ne profitent pas à tout le monde.
Sur tous les continents, sauf un, la pauvreté régresse, la qualité des
services de santé et d’éducation s’améliore et la mondialisation et l’expansion
du commerce engendrent une prospérité accrue.
Mais en Afrique, la pauvreté augmente. Dans l’Afrique subsaharienne, plus
de 300 millions de personnes vivent sous le seuil international de la pauvreté
de un dollar US par jour.
L’espérance de vie en Afrique est déjà la plus faible au monde, et elle
continue de diminuer du fait que le VIH/sida atteint 25,3 millions de
personnes. Dans environ cinq ans, le nombre d’orphelins du sida représentera
à peu près la moitié de la population du Canada,
À l’échelle du continent, 40 % des enfants du niveau primaire ne
fréquentent pas l’école. Et l’Afrique est la seule région où le nombre d’enfants
qui ne reçoivent aucune instruction primaire est en hausse.
En outre, la part du commerce mondial qui revient à l’Afrique a chuté et
compte désormais pour moins de 2 %.
Il devrait être clair pour quiconque que la marginalisation continue de
l'Afrique du processus de mondialisation et l'exclusion sociale de la vaste
majorité de ses peuples constituent une grave entrave à la prospérité
mondiale et à la stabilité économique.
L’été dernier à Gênes, les leaders du G8 ont décidé de donner suite
au Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique – un plan d’action
remarquable proposé par des dirigeants africains progressistes.
Ce plan reconnaît le rôle clé que doit jouer l’Afrique elle-même dans l’éradication
de la pauvreté, dans la promotion d’une croissance et d’un développement
soutenus et dans la bonne marche de l’économie mondiale et de la société.
Il décrit en termes clairs comment l’Afrique, travaillant en partenariat
avec les autres pays du monde, peut enfin commencer à s’attaquer aux immenses
défis qui se posent à elle. Au début de l’année, j’ai visité six pays d’Afrique
en prévision du Sommet de Kananaskis.
J’ai entendu l’enthousiasme et la nette détermination avec lesquels les
dirigeants africains comptent concrétiser ce partenariat.
Ils m’ont aussi indiqué clairement qu’ils voient une corrélation
directe entre le règlement des problèmes intérieurs et le succès de leurs
efforts pour attirer les investissements internationaux. Et le plan qu’ils
proposent tient compte de cette réalité.
Le pays qui prend des mesures sérieuses pour instaurer la paix et la
stabilité, qui encourage l’établissement d’un régime démocratique et le
respect des droits de la personne, qui travaille à assurer une saine
gouvernance et à extirper la corruption et qui se plie à ces principes aura sa
récompense sous la forme d’une aide et d’un investissement accrus.
Par ailleurs, la mesure dans laquelle les pays africains se conformeront à
ces principes sera évaluée en fonction de critères transparents par leurs
propres pairs.
Cette formule contribue à inspirer la confiance dans le plan proposé, car
le simple bon sens nous dit que nous pouvons pas continuer indéfiniment à
fournir une aide au développement à des pays qui ne souscrivent pas à ces
principes et dont la conduite manque de transparence.
Il va de soi que nous allons continuer de venir en aide aux démunis partout
en Afrique. Cependant, notre relation avec l’Afrique ne peut pas reposer
seulement sur l’aide au développement. L’aide seule ne suffira pas à
guérir les maux de l’Afrique. L’aide seule ne stimulera pas un progrès et
un développement réels et durables.
L’investissement privé doit être le moteur de la croissance africaine, et
celle-ci doit être alimentée par la libéralisation du commerce.
Le monde industrialisé doit prendre conscience du fait que ses propres
politiques contribuent à priver Afrique des retombées d’une économie de
marché. Il est temps que les États-Unis et l’Europe réduisent les
subventions à l’agriculture. De même, le Canada supprimera les tarifs
douaniers sur les importations en provenance des pays les moins avancés.
À l’heure actuelle, ces subventions sont plus élevées que la totalité
de ce que reçoivent les pays d’Afrique en aide au développement.
L’aide publique au développement annuelle versée par les pays
industrialisés totalise environ 50 milliards de dollars, tandis que les
subventions de ces pays à leur secteur agricole dépassent les 350 milliards de
dollars par année. Ces subsides font baisser les prix et ferment effectivement
la porte aux producteurs des pays en voie de développement.
Les marchés mondiaux seront plus sains, plus efficaces et surtout plus
équitables si nous réduisons collectivement nos subventions.
Parallèlement à leurs efforts pour rendre les marchés équitables et
ouverts, les gouvernements doivent encourager les entreprises privées à
regarder les possibilités qu’offre l’Afrique et à inclure les pays
africains dans le réseau mondial du commerce.
L’ouverture des marchés mondiaux aux pays africains et la fourniture d’un
soutien et d’une assistance technique permettront l’intégration de ce
continent dans le grand courant de la société mondialisée.
Il faut que l’Afrique puisse avoir part aux fruits de la mondialisation si
nous voulons atteindre notre objectif commun qui consiste à accroître la
prospérité mondiale.
J’envisage un avenir où les pays, les organisations et les citoyens
travailleront ensemble à bâtir un monde plus prospère. Où nous verrons
progresser non seulement nos économies, mais aussi les droits de nos citoyens.
Leurs droits à la liberté et à la démocratie. Leur droit de poursuivre leurs
propres aspirations, de contribuer à leurs sociétés, à leur monde et à la
prospérité des générations qui suivront.
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