C’est un grand honneur pour moi d’être ici, à l’endroit même où le
fondateur de la Chine moderne, Sun Yat-sen, a pris la parole il y a près d’un
siècle. Le nom de ce leader traversera les âges. Avec sagesse et prévoyance,
il s’est servi de son bref instant au centre de la longue marche de l’histoire
de la Chine pour amener des changements positifs.
Personne ne peut prédire où apparaîtront des qualités de leadership comme
les siennes dans la vie d’une société. Ni la succession d’événements qui
feront coïncider l’instant et le chef. Néanmoins, vos études ici vous
placent au coeur même des transformations profondes que vit la Chine de votre
temps.
La première fois que je suis venu à Shanghai, la Perle de l’Orient n’avait
pas encore été construite. On m’avait montré la ville de Pudong. Pas telle
que nous la voyons aujourd’hui, mais la maquette d’un architecte. Aussi
difficile qu’il soit de l’imaginer maintenant, il y a seulement sept ans,
les autoroutes et les gratte-ciel étaient extrêmement rares. Les nouvelles
infrastructures extraordinaires dont la Chine s’est dotée en si peu de temps
représentent une réalisation remarquable dont le peuple chinois tout entier peut
tirer une juste fierté.
Cependant, la Chine ne se dote pas seulement d’une infrastructure
matérielle de routes et de béton. Elle a également entrepris de se doter d’une
infrastructure intangible dont l’un des piliers est un cadre juridique
moderne, fondé sur la primauté du droit.
On ne saurait sous-estimer l’importance de la primauté du droit dans une
société moderne. La notion est profondément inclusive en ce sens que l’ensemble
des comportements sociaux, économiques, politiques et individuels sont
subordonnés à une série de codes et de règlements établis. Pour avoir du
poids, ces codes et règlements ne doivent pas être la chasse gardée de rares
privilégiés. Ils doivent plutôt appartenir à tous les citoyens. Ils doivent
être connus de tous. Enseignés à tous. Et s’appliquer à tous de façon
uniforme.
Personne ne peut être au-dessus de la loi. Personne ne peut être oublié
par la loi, ou privé de sa protection.
De plus, pour que l’application de la loi soit impartiale, il doit y avoir
une nette séparation entre le procureur et la personne qui prononce le
jugement.
Il va de soi que la primauté du droit englobe autre chose qu’un ensemble
de règles arides. Les règles elles-mêmes traduisent des valeurs fondamentales
à l’égard des comportements admissibles.
D’après l’expérience canadienne, et celle de pays partout dans le
monde, ces valeurs et les droits qui les concrétisent sont universels. Ils sont
conférés également à tout être humain, partout. Non pas en vertu de quelque
pouvoir ou privilège particulier. Mais purement et simplement parce qu’il est
doué de vie.
C’est pourquoi nous parlons de droits humains. Et non seulement
protègent-ils les personnes contre les atteintes à leurs droits individuels,
mais ils leur confèrent le pouvoir de contribuer pleinement et avec toute leur
créativité à bâtir une société plus forte.
Le Canada croit que de franches discussions entre les pays au sujet des
droits humains peuvent favoriser un plus grand respect – et une plus grande
reconnaissance – de ces droits. Nous croyons que même si les circonstances et
les expériences peuvent varier d’un pays à l’autre, nous partageons tous
le même sens de ce qui est juste et acceptable.
Les vrais amis n’hésitent jamais à se dire ce qu’ils pensent des sujets
qui leur tiennent à coeur. Aussi, en tant qu’ami, je dois vous dire que les
Canadiens sont inquiets quand ils entendent parler d’entraves à la liberté d’expression
en Chine. Ou qu’ils entendent dire que des gens sont emprisonnés et mal
traités pour avoir observé leurs croyances religieuses.
Ces échos heurtent nos convictions les plus profondes.
Ces convictions sont nées de notre propre expérience. Parce que nous avons
vu ce qui se produit quand la loi n’est pas appliquée de façon uniforme.
Quand les citoyens ne bénéficient pas d’une protection égale. Nous avons
appris ces leçons et nous avons pris la résolution d’édifier une société
plus inclusive.
C’est pourquoi nous avons inscrit une charte des droits et libertés dans
la Constitution canadienne. J’étais ministre de la Justice à l’époque, et
c’est une des plus grandes fiertés de ma carrière publique. Mais la tâche
de bâtir une société juste est une oeuvre sans fin. Le travail n’est jamais
terminé.
L’appareil juridique de la Chine a pris des mesures importantes à cet
égard : la modification de la loi sur les procédures criminelles, la mise en
place d’un régime d’aide juridique et la délimitation nette des rôles des
juges et des procureurs.
La Chine se tourne vers l’extérieur pour élaborer son cadre juridique.
Ainsi, le Canada aura le plaisir de financer une conférence sur les droits
humains à l’Académie chinoise des sciences sociales ce printemps. On y
examinera les liens entre les politiques en matière de droits humains en Chine
et ailleurs. Nous pourrons tous en retirer des leçons qui, je l’espère, nous
aideront à collaborer plus efficacement.
Une de ces leçons, c’est que dans toute réforme juridique, il est
essentiel d’allier la théorie et la pratique. C’est justement ce que
le Canada aide la Chine à faire. Par exemple, nos programmes conjoints
réunissent des juges de haut rang à des fins de formation. Et nous travaillons
avec vous à établir un réseau national de centres d’aide juridique.
Vous êtes tous étudiants en droit. Vous savez qu’un système juridique
solide est le fondement d’un système économique solide. Vous savez que les
citoyens ordinaires ont autant droit à un procès équitable qu’un riche
homme d’affaires ou un fonctionnaire haut placé. Vous savez qu’une réforme
économique sans réforme juridique ne saurait aller très loin.
La Chine est sur le point d’accéder à l’Organisation mondiale du
commerce. C’est un pas historique qui aura une incidence directe sur bon
nombre d’entre vous.
Shanghai est le centre commercial de la Chine. La « Tête du
dragon ».
Cette ville est un pôle d’attraction pour les capitaux étrangers. Mais
les investisseurs tiennent à la sécurité avant tout. Ils doivent avoir l’assurance
que leurs investissements sont en sécurité et qu’ils sont protégés par des
règles équitables et transparentes. Que tout litige entre un partenaire
international et un partenaire local sera réglé de manière impartiale.
Au cours de ce voyage, je vais assister à la signature de plus de 200
ententes commerciales entre des partenaires chinois et canadiens. Les 600 gens d’affaires
qui font partie d’Équipe Canada 2001 seront rassurés d’apprendre qu’on
vous enseigne à baser vos jugements sur des faits et sur des règles claires et
uniformes. Que tout litige qui pourrait survenir sera réglé selon un processus
transparent et équitable. Et que la décision sera fondée en droit.
Vous aurez une responsabilité énorme. Mais grâce à elle, les
investissements étrangers continueront d’alimenter la croissance et la
prospérité de la Chine.
Si l’appartenance à l’OMC implique des réformes juridiques, la
signature par la Chine des deux principaux pactes des Nations Unies en matière
de droits humains aura aussi des implications d’une grande portée. Je
souhaite que la Chine ratifie bientôt ces instruments internationaux très
importants.
En signant ces pactes, la Chine a reconnu la pertinence et l’applicabilité
de ces droits. Il est maintenant temps de prendre les mesures nécessaires pour
en assurer la reconnaissance concrète, et non seulement sur papier.
Mes amis, de bonnes lois et même les plus sages des leaders, ne sont pas
suffisants pour bâtir une société moderne et dynamique. Cette tâche exige la
participation active de tous les citoyens. Personne n’a le monopole des idées
de génie. Ni même des bonnes idées. Nous devons veiller à ce que toutes les
idées soient entendues. Nous devons instaurer un climat d’ouverture où tous
peuvent donner leur pleine mesure.
Un des moyens d’y arriver consiste à encourager les organisations
communautaires. Ou ce que l’on appelle souvent la société civile. Au fond,
ce sont des gens qui se mettent ensemble pour améliorer leur sort et celui des
gens qui les entourent. Au Canada, des organisations communautaires se sont
formées pour protéger l’environnement, pour venir en aide aux familles
pauvres et pour défendre les droits des femmes, des minorités et des personnes
handicapées.
Je suis fier de l’aide apportée par le Canada à la Chine dans ses efforts
pour établir sa propre tradition d’action sociale par la société civile.
Ici à Shanghai, le Canada a appuyé la création d’un réseau d’entraide
pour les personnes ayant survécu au cancer. J’ai le plaisir de vous informer
aujourd’hui que nous allons aussi aider un groupe de professeurs et d’étudiants
de votre université à mettre sur pied un centre d’aide juridique pour les
travailleurs migrants, afin de mieux protéger leurs droits et d’améliorer
leurs rapports avec les citoyens de Shanghai.
Ce sont peut-être des projets de petite envergure maintenant. Mais une
personne, une idée en apparence modeste, peuvent avoir des effets
considérables. Il suffit d’avoir un idéal, un engagement et, surtout, le
désir de changer les choses pour le mieux.
La East China University of Politics and Law a formé certains des plus
habiles dirigeants de la Chine d’hier et d’aujourd’hui. Ce fut un
agréable privilège pour moi de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui –
vous qui représentez la prochaine génération de dirigeants chinois.
En 1913, en ces lieux, Sun Yat-sen a appelé une génération précédente d’étudiants
à aider à construire la Chine moderne. Voici ce qu’il leur a dit :
Quand vous avez la lumière, montrez le chemin aux autres. Quand vous
possédez le savoir, transmettez-le à d’autres. La base d’un pays
démocratique est l’éducation. Il y a toujours des gens prêts à
apprendre; votre devoir est de leur enseigner. Donnez à d’autres ce que
vous-mêmes avez reçu. Laissez rayonner votre lumière.
L’aube d’un nouveau siècle, d’un nouveau millénaire, est le moment de
penser à la société que nous voulons pour le tournant du prochain siècle. C’est
à vous qu’il appartiendra, à vous la jeunesse et la future classe dirigeante
de la Chine, d’aider à la conduire là où vous voulez qu’elle soit.
Votre instant au centre de l’histoire de la Chine approche. Ne craignez pas
de laisser rayonner votre lumière. Ni de vous servir de votre sagesse et de
votre prévoyance pour montrer la voie à d’autres.
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