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 Sommet des Amériques 2001

À l'occasion d'un déjeuner offert par le Cercle canadien de Winnipeg


Le 25 mars 1999
Winnipeg (Manitoba)

Quand je projette une visite à Winnipeg, je traverse le couloir pour parler à mon ami et conseiller en éthique, Mitchell Sharp, qui a grandi dans cette belle ville et la considère comme la meilleure au monde. La semaine dernière, j'ai demandé à Mitchell des idées au sujet de Winnipeg. Il m'a répondu sans hésiter : « Winnipeg produit les plus grands ministres des Affaires étrangères du Canada. »

Je n'ai pas rappelé à Mitchell que j'ai été ministre des Affaires étrangères du Canada et que je ne viens pas de Winnipeg. Par politesse, je n'ai pas mentionné non plus le fait que Mitchell a été ministre des Affaires étrangères et qu'il est de Winnipeg. Je lui ai dit cependant : « Et Mike Pearson alors? Il a été un grand ministre des Affaires étrangères et il ne venait pas de Winnipeg. » Mitchell m'a dit ceci : « Jean, qui te donne les meilleurs conseils? » Je lui ai répondu très vite : « Aline. » «Justement, m'a dit Mitchell. Maryon Pearson est née et a grandi à Winnipeg. »

Mitchell a raison. Lloyd Axworthy est l'un de nos plus grands ministres des Affaires étrangères. Un des moments de ma carrière publique dont je me souviens avec le plus de fierté est celui où, en décembre 1997, je me suis tenu aux côtés de Lloyd et du Secrétaire général des Nations Unies à l'occasion de la signature de la Convention d'Ottawa pour l'interdiction des mines terrestres antipersonnel. Cette convention va sauver des dizaines de milliers de vies. En Bosnie, au Cambodge, au Mozambique et dans tant d'autres pays où les mines ont transformé les terrains de jeux en champs de la mort, les enfants pourront de nouveau jouer en sécurité. Or, mesdames et messieurs, cette convention n'existerait pas si ce n'était des efforts acharnés de Lloyd Axworthy.

Cette convention, de même que la Cour criminelle internationale – une autre des initiatives de Lloyd Axworthy – porte clairement la marque du Canada et représente nos valeurs. Ces deux initiatives reflètent notre préoccupation pour la sécurité humaine, selon les termes employés par Lloyd. C'est-à- dire que nous prenons comme point de référence la protection des gens et de leurs collectivités et l'amélioration des conditions de vie.

Les événements de cette semaine le démontrent clairement. En effet, c'est la raison pour laquelle nous participons, avec l'OTAN, aux mesures contre l'ancienne Yougoslavie. En tant que Canadiens, et en tant que citoyens du monde, nous ne pouvons assister aux événements sans réagir quand des populations entières sont déplacées, des maisons pillées et incendiées.

Le Canada, conformément à ses obligations en tant que membre des Nations Unies et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, doit faire preuve de solidarité avec la communauté des nations et défendre les droits et libertés qui nous tiennent à coeur.

Il est clair que le Président Milosevic a commis une erreur au Kosovo. Il a pensé que nous ne ferions rien pour empêcher l'oppression impitoyable de milliers d'innocents – hommes, femmes et enfants. Malheureusement, c'est sa population qui paie aujourd'hui le prix de sa mauvaise foi et de son imprudent calcul.

Notre participation à cette mission de l'OTAN n'est que la manifestation la plus récente d'une politique étrangère dictée non seulement par nos intérêts, mais aussi par nos valeurs. Nos valeurs en tant que Canadiens. Nos valeurs humaines fondamentales.

La Charte canadienne des droits et libertés est le document qui incarne le mieux ces valeurs. Et je suis fier d'avoir contribué à sa création à l'époque où j'étais ministre de la Justice.

Je pense que notre Charte sert à nous rappeler non seulement nos valeurs, mais aussi les réalités auxquelles nous devons faire face lorsque nous cherchons à les promouvoir ailleurs dans le monde.

N'oublions pas que la Charte n'a pas été créée en un jour. Il nous a fallu 115 ans – c'est presque toute la durée de l'histoire de notre pays – pour y arriver. Et le cheminement vers l'enchâssement ne s'est pas fait tout en douceur, loin de là. N'oublions pas non plus que la Charte n'est pas un document absolu. Même nos libertés fondamentales peuvent être limitées par une règle de droit. Des limites qui protègent les minorités. Des limites raisonnables qui protègent notre société, telles que la loi sur le contrôle des armes à feu ou celle contre la propagande haineuse.

C'est ce que nous avons constaté au Canada. Notre expérience nous rappelle qu'il faut du temps aux sociétés pour évoluer vers l'État de droit. Et que même dans les sociétés les plus démocratiques, des règles de droit, fondées sur des motifs valables, peuvent venir restreindre les libertés fondamentales.

Je crois que nous devons reconnaître ces réalités. Cependant, entendons-nous bien. Celles-ci ne doivent jamais, pas plus que la souveraineté nationale d'ailleurs, servir d'écran pour masquer des violations des libertés universelles.

Les Canadiens veulent que nous fassions la promotion du respect des libertés fondamentales et des droits humains essentiels, tels qu'ils sont énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et précisés dans deux pactes ultérieurs, dans tous les pays.

C'est pourquoi le dialogue est l'une des composantes les plus importantes de notre politique étrangère. Sans oublier que le dialogue implique l'écoute aussi bien que la parole.

Au cours des cinq dernières années, j'ai rencontré le Président de la Chine neuf fois et le Premier ministre cinq fois. À chacune de ces occasions, j'ai soulevé les questions des droits de la personne, je les ai encouragés à poursuivre la réforme systémique et j'ai critiqué la manière dont ils traitaient des cas particuliers de dissidence politique.

J'en ai fait autant à Cuba l'an dernier. J'ai dit au Président Castro que la détention arbitraire de personnes simplement pour avoir exprimé des opinions politiques est inacceptable. La semaine dernière, la peine imposée aux personnes en question m'a incité à demander un réexamen de nos activités à Cuba de manière à axer nos efforts sur les gens plutôt que sur les institutions.

J'écoute quand on me parle des difficultés que pose la satisfaction des droits économiques les plus essentiels, soit la nourriture, l'habillement, le logement et, au minimum, une instruction de base. Je fais toutefois remarquer que le droit de se nourrir et celui de s'exprimer ne sont pas incompatibles. Les sociétés stables et productives reposent sur les deux. Pour reprendre l'image que j'ai employée devant des étudiants d'une université chinoise il y a quelques mois, une plante en santé a besoin à la fois d'eau et de soleil.

Je crois que c'est parce que nous reconnaissons l'importance des droits économiques essentiels que les hauts dirigeants en Chine, à Cuba et ailleurs nous écoutent et s'inspirent des pratiques canadiennes lorsqu'ils essaient de modifier les leurs.

Nous ne faisons donc pas que prêcher. Au-delà du dialogue, nous employons des outils d'engagement plus actifs pour aider les gouvernements à progresser de manière positive.

Nous aidons les pays à réviser leurs lois et à y incorporer des principes qui concrétisent les droits essentiels et nous aidons à former les juges et d'autres juristes. Nous travaillons également avec d'autres agents du changement en vue de favoriser la création d'organisations non gouvernementales dynamiques qui pourront venir en aide aux plus démunis et cimenter entre elles les pierres de l'édifice social, soit le droit, l'infrastructure judiciaire et les autres institutions très importantes, et souvent très puissantes de la société.

Ce n'est pas seulement au chapitre des droits de la personne que nous appuyons l'évolution des institutions. En nous attaquant aux défis environnementaux ou sociaux, nous aidons à fournir aux gens les moyens de contribuer directement à améliorer leur sort et celui de leurs enfants.

Oui, nous avons des échanges commerciaux avec des pays dont le comportement en matière de droits de la personne est loin d'être parfait. Ceux qui affirment qu'il faut choisir entre le commerce et les droits de la personne font erreur. Nous ne mettons pas de côté nos préoccupations et nos engagements en matière de droits de la personne dans la poursuite de gains économiques pour les Canadiens.

Dans la mesure où les pratiques en matière de commerce et d'investissement sont équitables et visent au partage des avantages, ces activités font augmenter les revenus et la capacité des individus de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. C'est ce que nous avons constaté au Canada. C'est ce que des pays partout dans le monde ont constaté. Nous n'avons pas le droit de refuser les mêmes chances aux gens dans d'autres parties du globe.

À mon avis, les Canadiens peuvent être fiers de la volonté de la plupart des entreprises canadiennes de se comporter en bons employeurs partout où elles investissent. Par exemple, nos entreprises agro- alimentaires enseignent les technologies de pointe dans les domaines de la génétique et du conditionnement. Il en résulte une main-d'oeuvre plus spécialisée et une meilleure nutrition.

Dans leurs voyages plus fréquents à l'étranger, les représentants des PME canadiennes apportent avec eux des valeurs comme le civisme, la tolérance et l'intégrité. Ces qualités ont une influence sur les nombreuses personnes qui entrent en contact avec eux et contribuent immanquablement au changement.

Plus nos rapports avec un pays étranger sont complexes, plus nous avons de chance de contribuer au changement social, économique et juridique. Et nous sommes là pour rester. En dépit des obstacles rencontrés. Car les défis auxquels notre village planétaire doit faire face sont tellement importants que nous devons les confronter directement.

Ces défis sont nombreux : le changement climatique, la propagation des maladies et, de manière plus immédiate, la pauvreté dans le monde.

C'est un fait que le lot quotidien de beaucoup trop de gens dans le monde est de lutter pour leur simple survie. Le fossé entre riches et pauvres de la planète ne cesse de se creuser : les citoyens des pays les mieux nantis, soit 20 % de la population mondiale, consomment 86 % des biens. Les 20 % les plus pauvres en consomment 1,3 %.

Comment comparer ce que nous consommons? Les Américains dépensent 8 milliards de dollars par année sur des produits cosmétiques. Les Européens achètent pour 11 milliards de dollars de crème glacée. Ce n'est pas un reproche. Mais songez que le coût d'installations sanitaires pour les deux milliards d'habitants de la Terre qui en sont privés est estimé à seulement 9 milliards de dollars. Ou que cela ne coûterait que 6 milliards de dollars pour offrir une scolarité de base à un milliard ou plus de personnes.

La population mondiale devrait passer de 5,5 milliards à 9 milliards d'ici l'an 2050. C'est dans les villes du tiers monde que seront concentrées les plus fortes hausses. Il est facile de prévoir les bouleversements, les mouvements de réfugiés et la déstabilisation générale qui pourraient accompagner cette croissance, à moins que nous ne nous attaquions dès maintenant aux problèmes liés à la pauvreté, à la dégradation de l'environnement et à la croissance démographique.

Il est possible de réfuter le caractère inévitable de conflits entre les races, les religions et les cultures au cours du prochain siècle. Mais l'affrontement qui semble presque certain est celui entre les riches et les pauvres qui, eux, sont beaucoup plus nombreux.

Maintenant que nous avons mis de l'ordre chez nous, il y va de notre propre intérêt de comprendre que le temps est venu de tourner notre attention vers nos voisins moins favorisés du village planétaire.

De toute évidence, nous pouvons apporter une contribution importante en augmentant l'aide à l'étranger. Et je me réjouis de ce que dans nos deux derniers budgets, après des années de compressions dans presque tous les secteurs de dépense, nous ayons pu commencer à consacrer plus d'argent à l'aide à l'étranger. Je crois qu'il faut continuer dans cette voie à mesure que les circonstances le permettront, au cours des années à venir.

Toutefois, j'aimerais mentionner un autre aspect de la pauvreté mondiale. Même les pays nantis savent à quel point les déficits et la dette peuvent paralyser l'action des gouvernements. Regardez l'histoire récente ici même au Canada. Maintenant, essayez d'imaginer la situation dans les pays extrêmement pauvres, où le fardeau écrasant de la dette rend les gouvernements impuissants à soulager la faim et les maux de leurs propres citoyens.

Je suis fier de pouvoir dire qu'au cours des vingt dernières années, les gouvernements du Canada qui se sont succédé ont pu annuler le remboursement de 1,3 milliard de dollars de la dette extérieure de pays en développement envers nous. En fait, nous comptons parmi les pays les plus généreux du G-7 dans l'annulation de la dette de pays en développement. Et nous avons toujours recommandé d'assouplir les modalités de remboursement. J'estime que cela nous confère une certaine autorité et une certaine crédibilité pour prendre l'initiative dans ce dossier, qui sera l'un des principaux points à l'ordre du jour de la prochaine réunion du G-7 à Cologne.

C'est la raison pour laquelle j'annonce aujourd'hui la proposition canadienne que nous soumettrons à nos partenaires du G-7. Nous inciterons le G-7 à adopter cette politique au nom de tous ses membres. Pour notre part, nous l'appliquerons au reste de la dette que les pays en développement ont envers nous :

Nous proposons premièrement que les autres pays industrialisés effacent la totalité de la dette des pays pauvres très endettés les moins développés. C'est ainsi que les spécialistes nomment ces pays qui sont en fait – soyons francs – les plus pauvres d'entre les pauvres.

Deuxièmement, nous proposons de réexaminer les cas de ces pays très pauvres, qui ont été jugés inadmissibles auparavant, mais qui ont été secoués par la suite par des catastrophes naturelles ou par la crise économique mondiale. Un de ces pays est le Honduras, où je me rendrai bientôt, et qui a été tellement dévasté par l'ouragan Mitch.

Troisièmement, nous proposons de vendre au plus 10 millions d'onces d'or des réserves du FMI afin que celui-ci puisse participer à un programme élargi d'aide aux pays pauvres très endettés.

Enfin, nous proposons que toute nouvelle aide aux autres nations débitrices, sous forme d'annulation de dette ou d'octroi de prêts de la part des organismes du monde développé, soit liée aux dépenses en faveur du développement humain et décourage les dépenses militaires nuisibles ou excessives. En termes très simples, nous devrions effacer la dette et accorder de nouveaux prêts aux pays qui augmentent les dépenses dans l'enseignement et la santé pour leurs citoyens, et qui réduisent les dépenses pour les armes et l'appareil militaire.

Les gouvernements qui font de véritables efforts pour améliorer la condition de leur population par l'instruction et les soins de santé méritent qu'on les appuie davantage. Et ils méritent qu'on leur donne une chance pour ce qui est de la dette. Mais les gouvernements qui préfèrent acheter des AK- 47 pour opprimer leur propre population et déstabiliser leurs voisins ne méritent pas une telle chance, et ils seraient exclus du régime d'annulation de la dette que nous proposons.

Ces mesures sont motivées par la justice et l'équité. D'autres propositions ont été faites par d'autres pays du G-7. Certaines ont des points communs avec le programme que j'ai résumé aujourd'hui. La discussion est lancée. Mais, n'en restons pas là. Les pauvres de ce monde méritent plus que des paroles. Ils méritent des actes.

Mesdames et messieurs, le Canada est un pays privilégié. Ainsi que les Nations Unies l'ont confirmé cinq années d'affilée, nous bénéficions d'une meilleure qualité de vie que tout autre pays au monde.

Or, ces bienfaits s'accompagnent de responsabilités. Les responsabilités qui incombent à un citoyen du monde. Des responsabilités plus importantes que jamais dans un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant.

Que ce soit en faisant notre part pour atténuer la pauvreté dans le monde ou pour promouvoir la stabilité et prévenir les conflits en participant aux missions de paix de l'ONU ou en travaillant au sein de l'OTAN, les Canadiens sont bien décidés à assumer leurs responsabilités de citoyen du monde.

Il y a un peu plus d'un siècle, mesdames et messieurs, un grand Canadien, Wilfrid Laurier, devenait premier ministre du Canada. Le Canada a été l'inspiration de sa vie, comme de la mienne et de celle de bon nombre d'entre vous. Ce siècle nous a appartenu, non pas parce que nous avons bâti de grandes armées, mais parce que nous avons bâti un pays plus généreux et plus juste – un pays envié dans le monde entier.

Mais cela ne nous intéresse pas d'inspirer l'envie. Le mécontentement n'a jamais germé chez nous; aujourd'hui, ce sont la tolérance et la justice qui fleurissent ici. Maintenant, nous devons répandre leurs fruits ailleurs, au Honduras, au Mozambique, en Chine et dans des pays du monde entier, tout comme, au cours de notre siècle, le Canada a tant donné à Laurier et nous a tant donné à vous et moi.


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