Déjeuner offert par le National Press Club


Le 9 avril 1997
Washington (D.C.)

C'est pour moi un grand honneur et un grand privilège de prendre la parole devant le National Press Club ici à Washington. Je suis sûr que vous ne serez guère étonnés d'apprendre que je suis un mordu de la politique américaine, moi qui ai passé la plus grande partie de ma vie en politique et au gouvernement du Canada. Au fil des ans, j'ai souvent eu l'occasion de lire, d'écouter et de regarder les journalistes de Washington.

Parfois, je m'estime très chanceux que certains d'entre vous soient en poste à Washington et non à Ottawa !

Il y a deux ans, le président Clinton a fait une visite très fructueuse à Ottawa. Quand je l'ai présenté au Parlement, je lui ai rappelé que chacun de ses prédécesseurs qui avait pris la parole à la Chambre des communes avait été réélu pour un second mandat. Comme je crois d'une foi profonde et inébranlable à la réciprocité, c'est avec grand plaisir que j'ai accepté son invitation à Washington.

Mais il y a une autre raison pour laquelle je suis heureux d'être ici aujourd'hui. C'est de pouvoir célébrer une relation exceptionnelle, un partenariat qui sert de modèle au monde entier.

Le partenariat entre le Canada et les États-Unis est souvent tenu pour acquis, et c'est malheureux. Il est important pour nos deux pays. Et c'est pourquoi les visites de chefs de gouvernement sont si constructives. Elles nous rappellent l'importance des valeurs et des intérêts que nous avons en commun. Elles permettent de mettre en lumière ce que nous pouvons apprendre les uns des autres. Et, parfois, elles servent à expliquer nos différences.

Le commerce et l'économie sont au coeur de notre partenariat continental. Vous êtes notre client le plus important. Plus de 80 % des exportations canadiennes vont aux États-Unis. Mais, que vous le saviez ou non, nous sommes également votre client le plus important. Près du quart de vos exportations vont au Canada -- ce qui dépasse les exportations vers le Japon et vers l'Union européenne. Plusieurs millions d'emplois de part et d'autre de la frontière dépendent de ce commerce.

Il y a cinquante ans, le 11 juin 1947, le président Truman prenait la parole à la Chambre des communes. Il était fier de pouvoir dire que « l'an dernier, le flux des échanges commerciaux entre nos deux pays atteignait 2,25 milliards de dollars, ce qui est un record en temps de paix ». Cinquante ans plus tard, je peux dire que le flux de ces échanges dépassera 2,25 milliards de dollars en moins de temps que mes trois jours à Washington.

La relation économique entre nos deux pays est probablement la plus fructueuse et la plus complète sur terre. Gestion de l'économie, protection de l'environnement et collaboration en matière de politique étrangère définissent une relation qui est unique en importance et en qualité.

Aujourd'hui, je ne m'étendrai pas sur notre relation économique. Je souhaite m'en tenir à nos valeurs -- ce que nous avons en commun et là où nous pouvons apprendre les uns des autres.

Nous partageons un continent ensemble. Champlain a fondé une colonie à Québec quelques années avant l'arrivée des Pèlerins à Plymouth Rock. Et, pourtant, nous nous considérons comme une jeune nation. C'est près d'un siècle après que Jefferson eut rédigé la Déclaration d'indépendance que les Canadiens se sont rassemblés au sein d'un pays.

Votre pays est né d'une révolution menée sous l'étendard de la vie, de la liberté et de la recherche du bonheur. Le nôtre, de colonie qu'il était, s'est transformé tranquillement en un pays qui privilégie la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Nous partageons néanmoins les mêmes valeurs fondamentales de démocratie, de liberté, de tolérance, de respect de la primauté du droit, le respect de la diversité et de la différence d'opinions. Et c'est pourquoi des millions et des millions de personnes de par le monde sont venues s'installer dans nos deux pays en quête d'une vie meilleure.

Nos pays offrent des chances à tous. A quel autre endroit un petit garçon de Hope, en Arkansas, ou de Shawinigan, au Québec, pourrait-il accéder à la charge élective la plus élevée de son pays? Et comme nous avons des valeurs communes, nous pouvons avoir des héros communs. Mon héros politique a toujours été Harry Truman. Et, quand le président Clinton est venu à Ottawa quelques mois après les élections à mi-mandat de 1994, j'ai découvert qu'il avait aussi Harry Truman pour héros!

Nos pays sont unis non seulement par une relation économique exceptionnelle, mais par des liens personnels tout aussi exceptionnels. Bon nombre d'entre nous avons des amis et des connaissances de part et d'autre de la frontière. Et nous sommes aussi nombreux à trouver tout naturel de prendre nos vacances dans le pays voisin. Nos rapports sont non seulement politiques ou commerciaux, mais également personnels.

Et pourtant, que de différences entre le creuset américain et la mosaïque canadienne. Nos fondateurs ont exprimé une volonté claire de préserver tout ce qui caractérise nos divers groupes linguistiques, religieux et culturels; cette approche fondamentale devait orienter toute notre histoire. Les Canadiens voient dans leurs deux langues officielles et dans leur patrimoine multiculturel une source d'enrichissement personnel aussi bien qu'un exemple à suivre dans les régions déchirées par de trop nombreux conflits raciaux. Comme le président Clinton l'a lui-même souligné dans le discours qu'il prononçait il y a deux ans à la Chambre des communes, à Ottawa : «Dans un monde où s'offre le spectacle affligeant de pays détruits par des luttes interethniques, le Canada s'est imposé comme un modèle de société où règne un climat de paix, de prospérité et de respect mutuel qui favorise la coexistence.»

Après un peu plus de deux siècles d'histoire, les Américains ne font aucun secret de cet attachement indéfectible qu'ils éprouvent pour leur patrie. Plus réservés à cet égard, les Canadiens ne se laissent pas aller aux mêmes élans. Nous pourrions certainement, je crois, prendre exemple sur vous.

Par contre, il règne au Canada un esprit de communauté dont nous sommes particulièrement fiers. Nous possédons un sens aigu des valeurs sociales, de notre responsabilité collective. Chez nous, le libéralisme n'est pas un mot à proscrire, ou encore un vestige d'un lointain passé. C'est un gage d'honneur, une porte ouverte sur l'avenir.

Les Canadiens et Canadiennes sont fiers des réalisations sociales de leur pays. Nous avons mis au point un système universel de soins de santé qui fait maintenant partie intégrante de ce qui nous caractérise en tant que société. Nous ne croyons pas à un système de soins de santé à deux vitesses, l'accès aux soins nous paraissant devoir être déterminé strictement par les besoins médicaux de chacun et non pas par l'importance du compte de banque ou par la couverture prévue par la police d'assurance. Toutes les enquêtes montrent que notre régime de soins de santé bénéficie de l'appui de 90 p. 100 de la population; ce qui en fait la mesure sociale la plus populaire auprès des Canadiens. Nous avons réussi à édifier un système qui laisse au patient la possibilité de choisir son médecin, et dont le coût total, si l'on considère le part de notre PIB qu'il représente, est largement inférieur à ce que vous coûte votre propre régime. Et nous mettrons tout en oeuvre, au cours des prochaines années, pour le maintenir, le moderniser et le développer en prévision des nouveaux besoins qu'il faudra satisfaire au XXIe siècle.

C'est ce même sens des responsabilités sociales qui nous pousse à ne ménager aucun effort pour garantir à nos aînés une retraite adéquate. Tout comme vous, nous reconnaissons que le vieillissement des baby boomers mettra à rude épreuve les régimes publics de pensions et les programmes de prestations pour personnes âgées. Bon nombre de pays se sont révélés incapables de procéder aux réformes nécessaires pour maintenir ce que l'on désigne chez vous sous le nom d'Entitlement Programs. Je suis donc très fier de pouvoir affirmer qu'au Canada, nous venons de franchir le cap difficile des choix à faire pour adapter notre régime général de retraite aux exigences du prochain millénaire.

Notre esprit de communauté se traduit également par le souci d'assurer la sécurité de nos rues et de nos villes. Cela signifie, entre autres, profiter des dures expériences qu'ont connues d'autres pays. Tout récemment, nous avons adopté l'une des lois les plus strictes qui puisse se trouver dans l'hémisphère occidental pour réglementer l'utilisation des armes à feu. Et c'est avec beaucoup de satisfaction que je peux dire aujourd'hui que même le libre-échange entre nos deux pays n'a pas permis à la National Rifle Association d'exporter une partie de son expertise vers le Canada.

Grâce à notre esprit de communauté, en raison aussi d'une population relativement restreinte mais répartie sur un vaste territoire, le gouvernement a pu jouer un rôle déterminant dans le développement de notre pays. Nous croyons que le gouvernement peut exercer une influence bénéfique sur la société, et qui plus est, il en a le devoir. Mais nous savons aussi que le seul moyen dont il dispose pour se préparer à répondre aux besoins de demain est de s'attaquer résolument, et dès maintenant, aux problèmes financiers dont il a hérité.

Notre gouvernement en est à la quatrième année de son mandat. A notre arrivée au pouvoir, nous nous sommes retrouvés avec d'énormes problèmes financiers. Un déficit approchant les 6 p. 100 de notre produit intérieur brut et des paiements d'intérêt sur la dette nationale qui ne faisaient que s'accroître nous laissaient une faible marge de manoeuvre quant aux décisions que nous pouvions prendre concernant notre avenir collectif. Une fois effectués les paiements exigés par les banques, il nous restait à peine de quoi répondre aux besoins que les Canadiens jugent prioritaires. Plus nous nous enfoncions dans notre dette, plus les taux d'intérêt grimpaient et plus les possibilités d'investissement du secteur privé devenaient limitées; il devait d'ailleurs en résulter un taux de chômage qui atteignait plus de 11 pour-cent au moment de notre élection.

Des mesures draconiennes s'imposaient. Et ces mesures, nous les avons prises avec l'appui de tous les Canadiens, car sans leur appui, il nous aurait été impossible d'agir. Nous avons donc réduit les dépenses gouvernementales, éliminé les programmes devenus désuets, supprimé les subventions aux entreprises. Nous avons remis en état notre appareil gouvernemental, nous avons mis de l'ordre dans nos affaires; comme vous diriez, nous avons réinventé le gouvernement.

Après avoir connu la pire situation financière de tous les pays du G7 après l'Italie, nous nous trouvons maintenant en tête de peloton. D'ici la fin de l'exercice financier en cours, notre déficit ne représentera plus que 2 pour-cent du produit intérieur brut. Et d'ici 1998-1999, si nous tenons nos livres de la même façon que vous le faites, et que le font les autres nations occidentales, nous serons le seul parmi les pays du G7 à faire montre d'un équilibre budgétaire. De surcroît, les taux d'intérêt canadiens sont les plus bas des 35 dernières années.

L'assainissement de ses finances ne dispense pas un gouvernement de ses responsabilités. Au contraire, ça lui permet de les remplir. Je crois que les gouvernements des pays les plus avancés seront jugés non seulement sur leur capacité de remettre de l'ordre dans leur finances, mais également sur les priorités qu'ils se fixent une fois leur santé financière retrouvée. Les priorités que se donne un gouvernement reflète les valeurs auxquelles il tient. En effet, les choix prioritaires d'un gouvernement sont une bonne indication des valeurs qu'il défend. Dans notre dernier budget, il y a seulement quelques semaines, nous avons commencé à prendre des mesures dans trois secteurs prioritaires pour préparer notre pays pour le prochain siècle. D'abord, nous avons commencé à dégager des ressources pour réduire la pauvreté des enfants, un phénomène qui est clairement inacceptable dans des sociétés aussi prospères que la nôtre. Ensuite, nous avons engagé des ressources substantielles dans la recherche et le développement de l'infrastructure de notre pays, dans les établissements post-secondaires, dans les centres hospitaliers d'enseignement, dans le secteur environnemental -- des secteurs dans lesquels se trouvent les emplois du prochain siècle. Troisièmement, nous avons affecté des ressources pour moderniser notre système public de soins de santé auquel nous tenons tant. Ces secteurs vont continuer d'être nos principales priorités au fur et à mesure que nous allons regagner notre marge de manoeuvre financière.

Pour assainir nos finances, il a fallu créer un climat propice à une forte croissance économique. En 1997, la croissance que connaîtra notre PIB sera la plus marquée du G7. Aujourd'hui, nous assistons à une forte croissance de l'emploi et tous les indicateurs donnent à penser que nous continuerons à créer beaucoup d'emplois. Cependant, il est évident que nous n'avons pas réussi autant que vous à résorber le chômage. Nous devons tirer des leçons de votre succès, car vous avez réussi à créer une économie qui peut soutenir la concurrence de n'importe qui dans le monde en termes de nouveaux produits et services et de nouvelles technologies. En tant que Premier ministre du Canada, je ne serai satisfait que le jour où l'économie canadienne offrira de meilleures perspectives d'emploi à tous ceux qui espèrent en trouver.

J'ai parlé précédemment de nos valeurs communes, mais je tiens à préciser qu'elles ne se limitent pas aux questions intérieures. Il arrive souvent que nos intérêts coïncident et que nos rôles se complètent dans les affaires internationales. Nous avons été des alliés en temps de guerre et nous sommes souvent des partenaires en temps de paix, cherchant à implanter la démocratie, à promouvoir la paix et à faire triompher les droits de l'homme partout dans le monde. Nous avons travaillé ensemble en Bosnie et en Haïti. Tous deux, nous nous sommes faits les champions d'échanges commerciaux libéralisés à l'échelle de la planète, car nous voyons là un moyen d'améliorer les conditions de vie et de contribuer en bout de ligne à la sécurité et à stabilité de notre monde.

Nous avons bien sûr nos différends. Je sais que la question de Cuba crée un contentieux; nous ne cachons pas notre profond désaccord au sujet de la loi Helms-Burton et nous avons des divergences de vues sur la nécessité de protéger les industries culturelles canadiennes et sur les moyens à prendre à cette fin. L'amitié implique aussi qu'il faut avoir assez d'honnêteté et de respect mutuel pour ne pas être d'accord à l'occasion et pour faire face à de tels désaccords sans essayer de se dérober. Et dans une relation commerciale comme la nôtre, nous devons quelquefois séparer affaires et amitié et agir chacun dans l'intérêt de notre pays. Mais si nous examinons notre relation en général, il est difficile de ne pas constater à quel point nos différends sont peu nombreux comparativement à tout ce que nous avons en commun.

Le Canada comprend la position spéciale dans laquelle se trouvent les États-Unis en tant que seule superpuissance de notre monde moderne. Nous sommes conscients des attentes qu'une telle position crée à l'étranger et des problèmes que cela engendre au niveau national.

En tant qu'amis, nous vous exhortons à résister à la tentation de l'isolationnisme et parfois même à celle de l'unilatéralisme. Le Canada a toujours cru aux Nations Unies et aux solutions multilatérales aux problèmes internationaux, qu'il s'agisse de politique ou de commerce. Cette approche multilatérale est particulièrement importante maintenant que la guerre froide est terminée.

Nous devons travailler ensemble pour que se poursuive la libéralisation des échanges commerciaux et pour que règne une sécurité accrue, en particulier chez les plus démunis du monde.

En terminant, je voudrais parler brièvement du pont qui nous fera entrer de plain-pied dans le XXIe siècle et dont vous avez souvent entendu parler pendant votre dernière campagne électorale. Je crois sincèrement que c'est un pont qui enjambera l'océan Pacifique. Le Canada et les États-Unis se sont édifiés au XIXe et au XXe siècle grâce à un pont sur l'Atlantique. Et nos deux pays ont travaillé très fort après la Deuxième Guerre mondiale pour se rapprocher de l'Europe. Or, nous avons également la chance d'être des pays du Pacifique. En fait, mon gouvernement a décrété que 1997 serait l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique. La région Asie-Pacifique revêt une grande importance pour le Canada. Après les États-Unis, cinq de nos dix plus grands partenaires commerciaux sont en Asie. Plus de deux millions de Canadiens sont d'origine asiatique. Nous avons des liens très étroits avec Hong Kong.

Mais l'Asie-Pacifique est également d'une extraordinaire importance pour les États-Unis.

Édifier l'APEC, abattre les barrières qui nuisent au commerce et à l'investissement et créer une conjoncture plus propice aux affaires : voilà des objectifs que partagent nos deux pays.

Je suis impatient d'accueillir les dirigeants de l'APEC à Vancouver en novembre de cette année. Les Canadiens veulent que nos deux pays renouvellent leur engagement de réduire les obstacles économiques et commerciaux à l'échelle de la planète. La prospérité engendrée par le libre-échange est réelle et visible partout. Ce serait vraiment dommage si notre belle vision d'avenir était anéantie par le jeu des intérêts spéciaux. Votre pays est vraiment indispensable à cet égard; son leadership et sa participation sont absolument essentiels.

Dans l'allocution qu'il prononçait à Ottawa il y a cinquante ans, le président Truman déclarait ceci : « L'harmonie qui existe entre nos deux pays ne s'est pas développée du seul fait d'une géographie favorable. Il y a dans cette harmonie une partie de proximité contre neuf parties de bon sens et de bonne volonté. »

Aujourd'hui, nous pouvons affirmer que notre relation bilatérale est un modèle pour le monde.

Ensemble nous tendons la main au reste du monde en proposant une vision commune de sociétés démocratiques, de justice sociale et de préoccupations humanitaires.

Et ensemble, nous avons quelque chose d'unique à offrir à la communauté internationale.

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