Conférence de signature de la Convention sur l'interdiction universelle des mines antipersonnel


Le 3 décembre 1997
Ottawa (Ontario)

Distingués invités, Mesdames, Messieurs,

Nous sommes réunis aujourd'hui pour mettre fin à l'épidémie des mines terrestres - ces engins mortels qui subsistent longtemps après la fin des combats.

On parle et on discute toujours beaucoup aux conférences internationales. Mais les voix les plus puissantes qui se feront entendre ici, à Ottawa, ne seront pas celles des participants à cette conférence. Ce seront les cris des victimes des mines terrestres - des rizières du Cambodge aux banlieues de Kaboul, des flancs des montagnes de Sarajevo aux plaines du Mozambique. Un choeur de millions de voix, implorant le monde, demandant qu'on élimine les mines terrestres antipersonnel.

Je vous souhaite la bienvenue à cet événement historique. Pour la première fois, la majorité des pays du monde conviendront d'interdire une arme d'utilisation militaire dans la plupart des pays du globe. Pour la première fois, des gouvernements, des institutions internationales et des groupes non gouvernementaux du monde entier ont fait cause commune et oeuvré de concert, avec une célérité et un esprit remarquables, pour rédiger le traité que nous allons signer aujourd'hui. Pour la première fois, les gens qui craignent de marcher dans leurs champs, ceux qui ne peuvent labourer leurs terres, ceux qui ne peuvent retourner dans leurs propres maisons - à cause des mines terrestres - peuvent commencer à espérer de nouveau.

Pour eux tous, pour nous tous, il s'agira d'un événement inoubliable.

C'est le travail de nombreux pays, de nombreux groupes et de nombreuses personnes qui nous a réunis ici aujourd'hui. Le Comité international de la Croix-Rouge, dont les chirurgiens ont vu trop de corps mutilés par les mines terrestres, a pris la tête du mouvement. La Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres a suscité énormément d'appui à cette cause par son enthousiasme et son dévouement. La regrettée Princesse de Galles a su capter l'attention du monde entier lorsqu'elle a exposé le tribut en vies humaines des mines terrestres. Et le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a courageusement reconnu que le Processus d'Ottawa incarnait l'engagement pris en 1996 par 156 pays membres de l'ONU à « s'appliquer énergiquement à conclure une entente internationale efficace et exécutoire visant à interdire l'utilisation, le stockage, la production et le transfert des mines terrestres antipersonnel. »

Lors de ma première participation au Sommet des pays du G7, à Naples en 1994, j'avais soulevé la préoccupation du Canada face à la prolifération des mines terrestres. En 1995, notre ministre des Affaires étrangères de l'époque, André Ouellet, a pris, au nom du Canada, l'engagement nous ralliant à cette cause vouée à l'interdiction des mines terrestres. En 1996, Lloyd Axworthy a réitéré cet engagement avec une énergie nouvelle et donné une urgence nouvelle à l'action mondiale. Il a convoqué une conférence à Ottawa parce que nous n'étions pas satisfaits de ce qui avait été fait jusque-là pour mettre fin à la lente extermination causée par les mines terrestres.

Nous savions qu'il ne suffirait pas d'adopter un calendrier vague et lointain pour mettre un terme à l'épidémie des mines terrestres. Pas avec la centaine de millions de mines enfouies partout dans le monde. Pas quand des milliers de civils innocents -- des hommes, des femmes et des enfants -- mouraient chaque année. Nous savions qu'il fallait agir sur-le-champ. Et c'est ce que nous avons fait.

Au nom du Canada, à la fin de la conférence d'octobre 1996, Lloyd Axworthy a invité le monde à revenir ici quatorze mois plus tard pour signer un traité interdisant l'utilisation, le transfert, la production et le stockage des mines terrestres antipersonnel. En rétrospective, il apparaît évident que le fait d'avoir relevé ce défi constitue une percée. Une percée décisive pour la réalisation de cet événement historique. A ce moment-là, nous pensions que si seulement une poignée de pays répondaient à l'invitation, ce serait une réalisation. Or, aujourd'hui et demain, plus de 100 pays signeront ce traité. Je tiens à dire à Lloyd : votre gouvernement et votre pays sont fiers de vous.

Comme vous tous qui êtes ici aujourd'hui, je garde plusieurs souvenirs de la campagne contre les mines terrestres. Le mois dernier, comme à tous les ans, nous avons honoré la mémoire de nos soldats morts au combat, au cénotaphe qui est érigé à quelques centaines de mètres d'ici. Alors que je m'y rendais, j'ai ressenti une vive émotion à l'idée que nous allions, dans quelques semaines à peine, interdire une arme qui a tué et mutilé des soldats canadiens depuis la Première Guerre mondiale.

Je n'oublierai jamais mes discussions avec les premiers ministres et les présidents lorsqu'ils se débattaient avec les conséquences éventuelles de la signature de ce traité, et ma joie lorsqu'ils ont déclaré que leurs gouvernements seraient représentés à Ottawa en décembre. Bien sûr, ils n'y seront pas tous, mais nombre des absents ont pris un engagement nouveau à interdire les exportations de mines terrestres et à cesser d'en produire. Cet engagement n'aurait pas vu le jour si cette conférence n'avait pas lieu.

Nous devrons toujours reconnaître que ce traité est ouvert à tous, mais ne saurait être le jouet de personne. Je vous promets que le Canada continuera à travailler pour persuader ceux qui ne sont pas ici de signer le traité.

Mon pays, le Canada, n'a jamais eu de champs de mines meurtriers. Mais, au cours du siècle qui s'achève, des soldats et casques bleus canadiens ont traversé de tels champs et y ont perdu la vie. Comme le sait si bien le Secrétaire général Annan, plus de 200 casques bleus des Nations unies sont morts victimes des mines terrestres.

En juin 1994, le caporal-chef Mark Ifield, casque bleu canadien en Croatie, a été tué par une mine terrestre. Nous rendons hommage aujourd'hui à ces casques bleus et nous nous souvenons de toutes les victimes de cette arme terrible.

Nous écoutons aussi ceux qui ont encore peur, comme Admir Mujkic, élève de douzième année, à Tuzla-Est en Bosnie. Dans une composition, il nous a raconté son rêve et sa crainte :

Je veux courir dans les champs avec ma petite amie. Je veux cueillir pour elle la première violette et grimper aux arbres dans la forêt... Toute ma vie sera-t-elle marquée en permanence par le mot mine?

Non, Admir, elle ne le devrait pas. Disons à tous les enfants du monde qu'ils marcheront encore dans les champs et grimperont aux arbres dans la forêt, dans un monde où il n'y aura plus de mines.

Et promettons aux centaines de milliers de victimes des mines terrestres que nous ne reviendrons pas en arrière. Aux enfants dont l'avenir a été fauché. Aux familles détruites. A ceux et celles qui ont été mutilés, qui ont perdu la vie... Le carnage doit prendre fin et il prendra fin. Ottawa marque le début de la fin.

Vous quitterez Ottawa fiers de ce que nous aurons accompli ensemble, mais aussi très conscients de ce qui reste à accomplir. Beaucoup d'autres pays doivent encore se joindre à nous. Il faut encore apporter de l'aide à des centaines de milliers de victimes. Il y a encore des dizaines de millions de mines à enlever.

L'engagement du gouvernement du Canada ne prend évidemment pas fin avec cette conférence. J'éprouve une grande fierté à déclarer aujourd'hui que, par consentement unanime des deux Chambres du Parlement, ce traité a été ratifié et promulgué à titre de loi, faisant ainsi du Canada le premier pays à poser ce geste historique.

Au nom de notre gouvernement, je suis également fier d'annoncer aujourd'hui la création d'un fonds de 100 millions de dollars pour la mise en oeuvre de ce traité. Cela lui donnera son sens et son universalité, soit le déminage et l'aide aux victimes. Aussi bien pour les soins immédiats que pour aider ces personnes à refaire leur vie.

Je suis conscient que d'autres pays font des contributions semblables. Et je demanderais à tous les pays d'allouer les ressources nécessaires pour débarrasser le monde, une fois pour toutes, de ces engins de destruction enfouis dans le sol.

Jody Williams se rendra bientôt à Oslo pour recevoir le prix Nobel de la paix. Il y a 40 ans, un Canadien entreprenait le même voyage. En remettant le prix à Lester Pearson, l'Académie Nobel déclarait : « Aussi sombre que puisse sembler l'avenir du monde, Lester Pearson n'est pas pessimiste. Ses efforts n'auraient pas été possibles s'il n'avait pas été fermement convaincu de la victoire finale des forces du bien dans la vie. »

Distingués invités, mesdames et messieurs, nous avons encore beaucoup du travail à faire, mais je ne suis pas pessimiste. Vous non plus, de toute évidence. Aujourd'hui, Jody Williams triomphe. Lloyd Axworthy aussi; le Secrétaire général Annan et les nombreux autres qui méritent notre reconnaissance. Mais pour reprendre ces paroles prononcées à Oslo il y a quarante ans, ce qui triomphe aujourd'hui, c'est quelque chose d'encore plus grand: ce sont les forces du bien qui triomphent. Célébrons dignement ce triomphe et engageons-nous à en remporter d'autres encore plus grands à l'avenir.

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