À  l'occasion d'un discours devant les deux chambres du Parlement par Monsieur Nelson Mandela, Président de la République sud-africaine


Le 24 septembre 1998
Ottawa (Ontario)

Monsieur le Président, collègues, mesdames et messieurs, j'ai l'honneur de souhaiter la bienvenue au Canada et au Parlement à Monsieur Nelson Mandela, président de la République sud-africaine, et à Madame Graça Machel.

Monsieur le Président, il y a huit ans, lorsque vous vous êtes adressé la première fois à ce Parlement, vous veniez d'être libéré après 27 ans d'emprisonnement. L'apartheid sévissait encore en Afrique du Sud et votre pays était au ban de la communauté des nations. Fraîchement sorti de prison, vous étiez au coeur de la lutte héroïque dont l'issue était encore incertaine, mais qui allait démanteler le régime de l'apartheid et mettre un terme à l'héritage honteux de l'exclusion raciale, de la domination par la minorité et de l'injustice institutionnalisée.

Aujourd'hui, cette page est tournée. Votre pays s'est doté d'une nouvelle constitution non raciale assortie d'une charte des droits. La gestion des affaires publiques fait l'objet de débats vigoureux en onze langues officielles, pas seulement au parlement national de Cape Town, mais dans les neuf capitales provinciales aussi. Une Afrique du Sud unie et démocratique est rentrée dans le giron des nations. Sous votre conduite, elle joue un rôle vital et digne de respect sur la scène internationale.

Les Canadiens sont fiers d'avoir été associés à la lutte contre l'apartheid et d'avoir appuyé votre transition vers la démocratie. La cause anti-apartheid transcendait les clivages politiques, et tous mes prédécesseurs y ont adhéré. À commencer par le Premier ministre John Diefenbaker, qui a exprimé sa position à la Conférence du Commonwealth de 1961 à la suite de laquelle l'Afrique du Sud s'est retirée de cet organisme. En passant par les gouvernements des premiers ministres Pearson, Trudeau et Mulroney.

Cette position de nos gouvernements reflétait l'opinion de la population canadienne. C'est-à-dire des Canadiens de tous les milieux qui appuyaient le mouvement contre l'apartheid individuellement et par l'entremise de leurs églises, de leurs syndicats, de leurs associations professionnelles et des organisations non gouvernementales.

Votre retour au Canada après huit années mouvementées est l'occasion pour les Canadiens, qui partageaient votre vision d'une société libre, non raciale et démocratique, de célébrer l'évolution profonde et irréversible qui s'est produite dans votre pays. En plus, et c'est tout aussi important pour nous, c'est une occasion de rendre hommage au rôle déterminant que vous avez vous-même joué dans la réalisation paisible et harmonieuse de cette transformation remarquable.

Au nom de tous les Canadiens et Canadiennes, je tiens à vous exprimer notre admiration pour la manière pacifique dont vous avez transformé votre pays en profondeur et pour l'esprit de tolérance et de réconciliation qui a guidé cette transformation.

En libérant l'Afrique du Sud de ses liens, vous avez aussi libéré son immense potentiel au service de la paix et de la stabilité sur la scène mondiale. En l'espace de quelques années, depuis que vous êtes devenu président, l'Afrique du Sud a repris la place qui lui revient au sein de l'ONU, de l'OUA et de l'Organisation mondiale du commerce. Elle est devenue un partenaire vital dans la promotion de la sécurité dans le monde. Et il est tout à fait approprié que le Commonwealth – qui avait fermé ses portes à l'ancienne Afrique du Sud – tienne la prochaine réunion des chefs dans la nouvelle Afrique du Sud – sous votre présidence.

Dans le même esprit qui a inspiré notre appui à votre lutte historique, aujourd'hui nos deux pays travaillent ensemble à faire régner la paix et la justice dans le monde. À instituer une Cour criminelle internationale. À mettre fin à l'exploitation du travail des enfants. À étendre le Traité de non-prolifération. Et, bien sûr, à titre de partenaires de la toute première heure au Processus d'Ottawa et à l'interdiction internationale des mines terrestres.

Tout comme les Canadiens ont aidé à mettre fin au régime de l'apartheid, nous aidons maintenant à bâtir la nouvelle Afrique du Sud. Ainsi, nous travaillons à améliorer l'accessibilité et la qualité de l'éducation et à rétablir le système d'administration de la justice. Nous tirons le meilleur parti des technologies de l'information pour relier les jeunes Sud-Africains à notre « Rescol ». Et nous multiplions les liens commerciaux entre nos pays. Or, ces liens sont un élément vital du développement économique de l'Afrique du Sud. Le fait que vous soyez accompagné d'une délégation commerciale impressionnante et les importantes réunions d'affaires que vous tiendrez au Canada en témoignent.

Monsieur le Président, si les Canadiens s'intéressent autant à l'Afrique du Sud, ce n'est pas seulement en raison des luttes du passé... mais aussi des espoirs qu'offre son avenir... l'avenir de l'humanité.

Après un siècle de conflits et de génocides, nous croyons que le seul espoir qui nous est permis est d'apprendre à vivre ensemble dans l'harmonie et la tolérance. En Afrique du Sud, vous travaillez à édifier une société sur ces principes. Vous rejetez la ségrégation fondée sur la race, la langue ou la religion. Vous avez commencé à abattre les murs de la haine, et à bâtir des ponts de compréhension. Une nouvelle société pour un nouveau millénaire. Une société plurilingue et multi-ethnique. Une société qui puise sa force dans la diversité, et dont l'âme et l'inspiration prennent racine dans le sentiment de notre humanité commune.

Au Canada, à notre façon bien modeste, nous avons tenté d'en faire autant. Mais sans ce lourd poids de l'histoire qui a pesé sur votre pays pendant une bonne partie de notre siècle. Nous partageons les mêmes buts et les mêmes valeurs, sinon les mêmes expériences.

Si, après des décennies de haine et d'oppression, vous parvenez à bâtir une société nouvelle, alors nous pouvons espérer des lendemains un peu meilleurs pour ce monde affligé à la veille d'un nouveau millénaire.

Voilà assurément, Monsieur le Président, l'inspiration que l'Afrique du Sud offre aujourd'hui au monde. Et celle que vous nous offrez vous-même.

On dit souvent que le monde d'aujourd'hui compte trop peu de héros. C'est peut-être vrai. Mais aujourd'hui, nous sommes en présence d'un véritable héros de notre temps. Rares sont les personnes à notre époque, voire au cours des siècles, qui ont incarné comme vous l'esprit de liberté qui habite en chacun de nous.

Votre lutte a été une inspiration pour les hommes et les femmes partout qui ont à coeur la liberté. Mais, en un sens, le courage, l'optimisme et la générosité d'esprit que vous avez démontrés une fois votre lutte terminée ont été encore plus inspirants. Vous nous avez enseigné que la souffrance ne conduit pas seulement à l'amertume et à la désillusion, mais aussi à la sagesse et à la compassion. Et à un monde meilleur.

Mesdames et messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter le dirigeant de son pays, l'homme d'État de son continent et un héros pour le monde entier. Le président Nelson Mandela.

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