À l'université Michigan State


Le 7 mai 1999
Lansing (Michigan)

Pour chacun d'entre vous, cette soirée est une occasion de célébrer. Vous avez travaillé fort. Très fort. Avec l'appui constant de vos familles, vous vous êtes donné des objectifs ambitieux et vous les avez atteints. Vous vous êtes préparés à aller au-devant de votre avenir, et du monde entier.

En quittant Michigan State, vous ferez votre entrée dans un monde méconnaissable par rapport à celui qui existait lorsque j'ai quitté l'école, il y de cela bien, bien des années. L'étendue des changements et le rythme auquel ils se sont succédé ont été stupéfiants.

Nous avons été témoins de l'explosion de nouvelles technologies qui ont éliminé les contraintes du temps et de la distance, emportant avec elles les structures et les présupposés économiques traditionnels. Créant du même coup une nouvelle économie, où le savoir, l'innovation et la créativité sont les clés de la prospérité. Nous avons été témoins de l'effondrement d'idéologies dépassées. De la montée d'une éthique planétaire des droits de la personne et de la sécurité humaine. Du développement rapide d'une économie véritablement mondialisée et d'un village planétaire.

Il ne fait aucun doute que notre époque est passionnante. Mais les époques de grands changements peuvent aussi être des époques d'anxiété, pour les individus et pour les sociétés. Comment trouver notre place dans un monde qui change si rapidement? Comment demeurer qui je suis? Comment conserver mon sens des valeurs et des priorités? Ma qualité de vie? Mon identité en tant qu'individu?

Ce sont des questions que nous nous posons tous. Ce sont aussi des questions que chaque société doit se poser.

Au moment où les peuples et les pays se tendent la main dans le village planétaire, sans égard aux fuseaux horaires, aux frontières et aux cultures, quelle sera la place laissée à la diversité? Quelle sera la marge de manoeuvre laissée aux nations et aux gouvernements afin de protéger et d'encourager leurs valeurs et leurs priorités? Est-ce que notre village planétaire en pleine construction nous imposera à tous une culture?

D'emblée, laissez-moi vous dire que j'envisage la place de la diversité au sein de notre avenir planétaire avec optimisme. Pour m'en convaincre, je n'ai pas à regarder ailleurs que la relation entre le Canada et les États-Unis. Je ne peux commenter la vigueur de cette relation sans d'abord mentionner la contribution d'un distingué fonctionnaire qui est parmi nous aujourd'hui. Un ancien de cette université. Un excellent gouverneur. Un grand ambassadeur. Et un de mes bons amis : James Blanchard.

Mesdames et messieurs, l'amitié entre le Canada et les États-Unis remonte à l'origine de nos pays. C'est un partenariat planétaire et hémisphérique basé sur le partage des valeurs fondamentales que sont les droits de la personne et la démocratie. Un exemple de civilité et d'ouverture pour le monde entier. Et, à mon avis, un exemple de la manière dont les nations peuvent développer des amitiés profondes tout en conservant leurs identités distinctes au sein du village planétaire.

Les succès de notre partenariat d'affaires sont bien connus. Les échanges économiques entre nos deux pays sont plus nombreux que partout ailleurs dans le monde. Mais les valeurs humaines fondamentales que nous partageons sont encore plus profondément enracinées que nos liens commerciaux. Ces valeurs sont à la base de notre partenariat historique en faveur du progrès dans les Amériques et partout ailleurs.

La liberté, un droit acquis pour nous, est aussi notre cause commune. Nous savons que la liberté est la source de la dignité et du contentement pour les êtres humains. Durant deux guerres mondiales et la guerre de Corée, nos fils et nos filles ont risqué leur vie afin que d'autres puissent continuer de profiter de ses nombreux bienfaits.

Aujourd'hui, à titre de partenaires au sein de l'OTAN, nos pilotes volent côte-à-côte dans des ciels dangereux afin que la population du Kosovo puisse bénéficier de la dignité élémentaire qu'apportent la paix et la sécurité.

Par la même occasion, j'aimerais d'ailleurs féliciter le Président Clinton pour la détermination dont il a fait preuve dans la poursuite de cet objectif. Tout comme lors des autres conflits où le Canada et les États-Unis ont combattu ensemble, notre engagement au Kosovo vise à lutter contre l'oppression et l'élimination systématique d'un peuple.

Cela n'est pas toujours simple ou facile, mais nous l'emporterons.

Comme le montrent les données sur nos échanges, personne ne connaît mieux la valeur de l'ouverture des marchés et de la libéralisation des investissements que le Canada et les États-Unis. Pas seulement parce qu'elles améliorent la marge de profit des entreprises. Mais parce qu'elles permettent d'améliorer les possibilités d'avenir et la qualité de vie de nos populations. Nous sommes les chefs de file de la libéralisation des échanges sur la scène internationale. Car nous croyons que des marchés libres, en dépit de leurs soubresauts, sont bénéfiques non seulement pour nos populations, mais pour tous les peuples.

Toutefois, si nos deux pays ont beaucoup de choses en commun, nous ne sommes pas identiques.

L'histoire nous enseigne que le 49e parallèle est bien plus qu'une ligne sur une carte géographique. Il marque une ligne de partage continentale. Certes, c'est une ligne de partage entre des amis. Mais elle témoigne de l'existence de différences fondamentales. Des différences que notre très grande proximité n'a pas atténuées ou diluées.

Cela ne changera pas.

Nous partageons des valeurs et des objectifs. Mais les moyens que nous utilisons pour mettre en pratique ces valeurs et poursuivre ces objectifs sont différents. Et je désire vous parler de cela.

Aux États-Unis, ces moyens relèvent de plus en plus du secteur privé. Au Canada, dans des domaines essentiels, nous préférons une approche relevant du secteur public.

Cela explique le fait que les Canadiens préfèrent largement les écoles publiques. Ainsi que la demande pour des frais de scolarité peu élevés à l'université. Cela explique aussi notre choix, en tant que société, de mettre en place un filet de sécurité sociale complet. Un réseau de programmes publics qui donnent aux Canadiens l'aide dont ils ont besoin quand ils en ont besoin. Des programmes qui assurent la sécurité du revenu et la dignité aux personnes âgées. Des programmes qui aident les chômeurs à trouver un emploi. Qui fournissent des prestations aux familles à faible revenu qui ont des enfants.

Et la réalisation dont nous sommes le plus fier et qui nous est propre : le système universel de santé financé à même les fonds publics que nous nommons l'assurance-maladie. En vertu de ce système, tous les Canadiens sont assurés de recevoir les soins de santé essentiels et aucun Canadien – aucun – n'a à se préoccuper de factures relatives à des soins médicaux.

Au Canada, nous pensons que l'assurance-maladie est le meilleur exemple du fait qu'une bonne politique sociale peut aussi être une bonne politique économique. Car non seulement l'assurance- maladie reflète le souhait des Canadiens de faire preuve de compassion envers leurs concitoyens, mais en plus elle constitue l'un de nos plus importants avantages concurrentiels. Au Canada, les employeurs n'ont pas à composer avec les coûts élevés d'une assurance privée pour leurs employés.

Nous croyons qu'il faut en arriver à un équilibre entre les droits individuels et les responsabilités civiques. C'est pourquoi nous avons décidé d'adopter des lois interdisant la propagande haineuse qui, selon nous, assujettissent le droit à la liberté d'expression à des limites raisonnables. C'est aussi pourquoi nous avons adopté une approche beaucoup plus sévère en matière de contrôle des armes à feu.

Nous avons l'une des lois sur le contrôle des armes à feu les plus sévères au monde. Et les Canadiens veulent qu'elle demeure ainsi. Je suis certainement un adepte du libre-échange mais, croyez-moi, la National Rifle Association est une exportation dont les Canadiens ne voudront jamais. Charlton Heston doit savoir que le Canada n'est pas la terre promise pour son évangile sur les armes à feu.

Le Canada travaille également à la promotion de la diversité culturelle. Nous connaissons – et nous respectons – le modèle américain du melting pot. Mais notre fédération s'est construite sur la base d'un pacte fondateur entre les cultures française et anglaise. Et nous nous sommes donné des moyens et des programmes afin d'encourager l'épanouissement de toutes les autres cultures qui ont enrichi la vie de notre pays au fil des ans.

Pour toutes ces raisons, les Canadiens veulent que leur gouvernement national sache trouver un juste équilibre. Un équilibre entre la promotion de la liberté individuelle et de la prospérité économique, d'une part, et la répartition des risques et des bénéfices, d'autre part. C'est à cet équilibre que nous devons la qualité de vie incomparable qui règne au Canada.

Voilà notre histoire. Voilà notre réalité d'aujourd'hui.

Voilà aussi pourquoi, à l'aube du nouveau millénaire, le Canada est un pays singulièrement prêt à relever les défis de la mondialisation et du changement. Parce qu'au cours du nouveau millénaire, le fondement d'une société productive et prospère sera une population en santé, bien instruite et capable d'innover. Voilà où tous les gouvernements doivent concentrer leurs efforts.

Cette approche équilibrée reconnaît implicitement qu'il n'est pas suffisant de créer des possibilités d'avenir et la prospérité. Car pour qu'elles se maintiennent à long terme, elles doivent être partagées. C'est pourquoi nous devons nous attaquer à l'écart grandissant entre les riches et les pauvres au sein de nos sociétés.

Certains disent que nous ne pouvons supporter les coûts d'un filet de sécurité sociale. En fait, ce sont les coûts de l'exclusion sociale et du désespoir que nous ne pouvons supporter. Par exemple, il en coûte davantage pour incarcérer quelqu'un que pour l'instruire. Donnez à une personne de l'espoir, donnez-lui la chance de contribuer, et elle le fera sans doute. Et l'ensemble de la société s'en portera mieux.

Ce qui s'applique à nos sociétés s'applique également au village planétaire. L'écart croissant entre les sociétés riches et pauvres de ce monde ne peut durer. Cet écart est mauvais pour la stabilité internationale. Il est mauvais pour l'écosystème que nous partageons tous. Et dans le contexte d'un nouveau millénaire caractérisé par la mondialisation, cet écart est moralement inacceptable.

Mesdames et messieurs, je crois que ce sont là les principaux défis auxquels nous sommes confrontés en cette nouvelle ère. Vous – les jeunes gens réunis dans cette salle, ainsi que vos pairs partout dans le monde – serez confrontés plus que quiconque à ces défis.

Vous pouvez contribuer à bâtir le monde de plusieurs manières. Et j'aimerais vous recommander le chemin de la politique active. Cela fait 36 ans que je participe à la vie politique canadienne. De tout coeur, je peux vous dire que les récompenses que ces années de service m'ont apportées valent plus que les gains matériels que j'aurais pu faire dans le secteur privé. Voilà ce que je vous demande de garder à l'esprit au moment où vous vous préparez à vous lancer à la conquête du monde.

Peu importe le chemin que vous choisirez, je suis convaincu qu'en découvrant tout ce que le monde peut offrir, vous découvrirez aussi que les forces qui rapprochent les gens et les nations et qui font en sorte que nous nous ressemblons tous de plus en plus, sont assez flexibles pour permettre aux nations d'être différentes.

D'être fières de leur spécificité. De leur diversité.

Ainsi, votre génération et celles qui suivront pourront bénéficier de la riche diversité des nations et des cultures qui composent maintenant notre village planétaire.

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