Document de discussion

Sévices contre les enfants placés en établissements Document PDF


Préface

Les sévices physiques et sexuels infligés à des enfants dans des établissements financés ou dirigés par le gouvernement ont détruit la vie de nombreux Canadiens. Comment avons-nous pu laisser cela se produire? Que devons-nous faire maintenant?

En 1997, la ministre de la Justice du Canada a demandé à la COMMISSION DU DROIT DU CANADA d’étudier et d’évaluer les méthodes de réparation du préjudice qui a été causé à ces enfants. Le présent Document de discussion est une partie importante des travaux de recherche de la Commission. Il réunit les principales constatations des études qui ont été éffectuées pour la Commission du droit au cours de l’année et il donne un aperçu des principales leçons apprises à ce jour.

Le Document de discussion veut sensibiliser la population aux raisons pour lesquelles des enfants ont été placés dans ces établissements, à ce qui leur est arrivé et aux modes de réparation qui, à ce jour, leur ont été offerts. Il veut faire réfléchir, non pas prouver le bien-fondé d’une cause quelconque.

En diffusant ce Document, nous espérons inciter les Canadiens et les Canadiennes à nous faire part de leurs opinions et de leurs préoccupations. Nous voulons savoir comment les Canadiens et les Canadiennes réagissent à cette tragédie et comment, à leur avis, nous devrions, comme société, essayer de réparer le préjudice qui a été causé à ces enfants, à leurs familles et à leurs collectivités.

La Commission prévoit remettre son rapport définitif le printemps prochain. Il y sera tenu compte de la recherche en cours, des réactions au Document de discussion et de la documentation réunie par la Commission. Notre rapport définitif comportera un compte rendu détaillé des expériences canadiennes à ce jour, une analyse approfondie des questions sociales et juridiques en cause, une évaluation des méthodes de réparation qui ont été mises en oeuvre ainsi que des recommandations sur les mesures à prendre.

Le Document de discussion est une invitation à réfléchir aux questions dont traitera notre rapport définitif. Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus :

Par la poste :
COMMISSION DU DROIT DU CANADA,
473 rue Albert, pièce 1100
Ottawa (Ontario),
Canada,
K1A 0H8
Par télécopieur : (613) 946-8988
Par courriel : info@cdc.gc.ca

Table des matières

 

Sommaire

I. Pour commencer
A. Pourquoi cette question est-elle importante?
B. Le renvoi de la Ministre

II. Que s’est-il passé?
A. Les raisons pour lesquelles des enfants sont placés en établissements
B. La vie dans un « établissement totalitaire »
C. Les internats pour enfants autochtones
D. Les écoles pour enfants ayant des besoins spéciaux
E. Les établissements d’aide à l’enfance
F. Les établissements de détention pour adolescents

III. Les besoins des victimes
A. Sur le plan individuel
B. Sur le plan familial
C. Sur le plan de la collectivité
D. Sur le plan de la nation

IV. Les méthodes de réparation
A. La mise au jour des injustices
B. L’imputabilité
C. Le respect et la participation
D. La guérison des maux
1. Les processus d’enquête
2. Le processus judiciaire
3. Les programmes de réparation
4. Les initiatives communautaires
E. La prévention des sévices

V. La voie à suivre

Sommaire

Objet

Au cours des dix ou quinze dernières années, la violence envers les enfants s’est révélée être une question douloureuse dans notre société. Plus on discute publiquement de ce sujet, plus on prend conscience du fait que les enfants ont été victimes de violence non seulement dans leur propre maison et aux mains d’étrangers, mais également dans les institutions auxquelles ils avaient été confiés pour leur éducation, leur bien-être, leur réadaptation ou même leur protection. Plusieurs de ces institutions étaient dirigées ou financées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Comme un nombre croissant de survivants de la violence institutionnelle atteignent l’âge adulte et comprennent mieux les répercussions du préjudice qu’ils ont subi, les gouvernements se demandent comment remédier à ce préjudice.

En novembre 1997, la ministre fédérale la Justice a demandé à la COMMISSION DU DROIT DU CANADA d’examiner les méthodes susceptibles d’être utilisés pour remédier au préjudice causé suite à la violence physique et sexuelle subie par les enfants dans les établissements gérés, financés ou parrainés par le gouvernement. Dès le départ, la Commission a décidé qu’elle devait évaluer les différentes méthodes de réparation actuelles et possibles du point de vue de ceux et celles qui ont été eux-mêmes victimes de violences dans les établissements pendant leur enfance. Pour répondre adéquatement aux besoins exprimés par les victimes, la Commission a conclu qu’elle ne pourrait examiner uniquement les méthodes qui visent à réparer les sévices physiques et sexuels. Il lui fallait évaluer également l’efficacité de ces méthodes par rapport à tous les types de violence connexes dont les enfants ont pu être l’objet dans les établissements, y compris la violence affective, psychologique, culturelle et spirituelle.

Que s’est-il passé?

D’emblée, la Commission a posé l’hypothèse selon laquelle les enfants ne choisissent pas de vivre dans des institutions. De fait, la plupart du temps, ils n’ont pas voix au chapitre dans la décision de les placer dans ces institutions. La Commission a examiné les cas de violence dans les internats pour enfants autochtones, les écoles spécialisées pour les enfants ayant des besoins spéciaux, les établissements de protection de l’enfance et les établissements de détention pour adolescents.

En règle générale, on peut dire que les établissements dans lesquels la violence a eu lieu étaient des établissements dits totalitaires, c’est-à-dire que toutes les facettes de la vie des enfants étaient déterminées par les personnes en autorité, et les contacts avec les familles, les communautés culturelles et sociales et le monde extérieur étaient très limités. Les enfants qui ont vécu dans ces établissements ont fait face jusqu’à un certain point aux conditions suivantes : isolement, impuissance et humiliation.

Même si la portée et l’étendue des violences peuvent avoir été différentes d’un établissement à l’autre, le cycle global de l’abus de pouvoir et de l’abus de confiance y est d’une similarité attristante. En plus de la violence elle-même, on constate que les autorités ont perpétué un cycle tout aussi inquiétant en ne donnant aucune suite aux plaintes de violence, même lorsque l’identité et les actes des agresseurs étaient bien connus. La réaction officielle révélait typiquement une plus grande préoccupation à protéger l’institution que le bien-être des enfants qui y habitaient.

Les besoins des victimes

Selon la COMMISSION DU DROIT DU CANADA, en évaluant quelles sont les méthodes les plus propices à la réparation du préjudice causé par la violence institutionnelle, les besoins des survivants sont les points de référence les plus importants. Donc, parmi les documents de recherche commandés aux fins du présent projet, un document insiste spécifiquement sur les besoins des survivants des internats pour enfants autochtones et un document insiste sur les besoins des survivants des autres genres d’établissements signalés. Cette recherche a révélé que tous les survivants ont les besoins suivants :

Outre ces besoins fondamentaux, la recherche a permis de conclure que les méthodes de réparation peuvent être plus bénéfiques si elles respectent certains besoins des victimes en matière de procédure. Ceux-ci donnent le ton et fixent le contexte de la réparation en général, et ils englobent ce qui suit :

Le préjudice causé par la violence institutionnelle a des répercussions qui vont au-delà de la vie des survivants eux-mêmes. Consciente de ce fait, la Commission est d’avis que les mesures de réparation doivent également tenir compte des besoins des familles des survivants, de leurs communautés et, dans le cas des Autochtones, de leurs nations. Les parents peuvent avoir besoin d’aide pour faire face à la douleur qu’ils ressentent d’avoir envoyé leurs enfants dans un endroit où on leur a fait beaucoup de mal. Les conjoints, les partenaires et les enfants des victimes supportent sans doute une conséquence trop fréquente de la violence institutionnelle, à savoir que plusieurs victimes ont de la difficulté à être des parents attentifs, et certaines deviennent elles-mêmes des agresseurs.

Les collectivités peuvent ressentir les effets de la violence, lesquels se traduisent par un recours accru aux services sociaux, parce qu’elles font face à l’effet combiné des problèmes des victimes. La désaffection de plusieurs survivants à l’égard de leur communauté peut creuser un fossé au niveau de la langue ou de la spiritualité. Cela peut entraîner une méfiance profonde à l’égard des institutions, notamment les Églises, lesquelles ont été un point central de la vie communautaire. Les communautés peuvent également subir des répercussions économiques.

Les nations autochtones ont particulièrement souffert parce que non seulement leurs enfants ont été victimes de sévices, mais également parce que leurs cultures étaient la cible de mesures d’assimilation. Ces nations ont besoin de rétablir et de maintenir leur identité et leur force. À cette fin, elles doivent préserver leurs langues, contrôler l’éducation de leurs enfants et disposer d’archives qui font état de l’expérience vécue par les survivants et qui établissent la vérité à propos des internats.

Les méthodes de réparation

Un des principes directeurs de toute méthode de réparation doit être de ne causer aucun préjudice additionnel. Jusqu’à maintenant, les méthodes adoptées reposaient sur des mécanismes régis par l’État et sur des initiatives contrôlées par l’institution ou son bailleur de fonds. Parmis ceux-ci figurent les poursuites pénales, les enquêtes publiques et les programmes d’indemnisation conçus sans la participation des éventuels bénéficiaires. D’autres méthodes reposaient davantage sur l’initiative ou la participation des survivants. On peut signaler notamment les poursuites civiles, les cercles de guérison et les programmes d’indemnisation négociés.

Selon la Commission du droit, le principal critère pour évaluer chacune de ces méthodes consiste à déterminer dans quelle mesure elles répondent aux besoins des victimes, de leurs familles et de leurs collectivités. Permettent-elles la mise au jour des injustices? Abordent-elles la question de la responsabilité? Traitent-elles les victimes avec respect et les font-elles participer aussi complètement que possible au processus? Offrent-elles une véritable possibilité de guérison? Visent-elles à prévenir d’autres actes de violence? Le présent Document de discussion tente d’évaluer brièvement comment les différentes méthodes de réparation répondent à ces préoccupations.

La voie à suivre

En utilisant les besoins des survivants comme point de référence, la Commission signale que chacune des méthodes de réparation des sévices contre les enfants placés en établissement qui ont été essaysées jusqu’à maintenant au Canada est susceptible d’amélioration. Certaines avenues préliminaires d’amélioration se dégagent des documents de recherche commandés dans le cadre du présent projet.

Toutefois, la Commission du droit est d’avis que pour aborder intégralement et efficacement la question de savoir comment mieux réparer les sévices contre les enfants placés en établissement, il est nécessaire d’adopter de nouvelles approches plus globales. Si nous adoptons uniquement une approche adaptée à chaque cas, répressive et généralement contradictoire, ce que nous avons surtout fait jusqu’à maintenant, le chemin sera vraisemblablement long, douloureux et coûteux, tant sur le plan émotionnel que financier, avant que la question des violences institutionnelles commises dans le passé soit réglée. Nous n’en tirerions que peu de leçons sur la façon de prévenir, de reconnaître et de réparer les violences que nos enfants peuvent subir actuellement dans certains milieux comme les familles ou foyers d’accueil et les programmes de sport organisé.

En repartant à zéro, et en utilisant des approches plus globales qui soient axées sur les victimes et sensible à leurs besoins, nous montrerions que comme société, nous ne craignons pas de faire face à l’héritage que nous a laissé la violence institutionnelle à l’égard des enfants. Nous montrerions que nous sommes enfin disposés à répondre aux voix que nous avons refusé d’entendre pendant si longtemps.


I. Pour commencer

A. Pourquoi cette question est-elle importante?

On dit souvent que les enfants sont notre ressource la plus précieuse. Il est certainement vrai qu’ils sont notre avenir. La façon dont nous traitons nos enfants et dont nous permettons qu’ils soient traités en dit long sur nous et sur les valeurs qui sont nôtres comme société. Les sévices à l’endroit des enfants placés dans des établissements dirigés par l’État ou en son nom soulèvent d’importantes questions sur la santé de notre société et de ses mécanismes d’imputabilité. Ces questions se font encore plus pressantes lorsque les sévices perdurent pendant de longues périodes, sans être découverts ni dénoncés.

On ne saurait nier qu’il est impérieux de s’attaquer au problème des sévices contre les enfants placés en établissement. Au cours des dix à quinze dernières années, on a commencé à discuter beaucoup plus ouvertement des sévices contre les enfants et on a commencé à mieux comprendre leurs effets à long terme. Les personnes qui ont subi des sévices pendant leur enfance trouvent de plus en plus le courage de parler de ce qu’ils ont vécu ainsi que de l’impact que cela a eu sur leur vie. Ils commencent à réaliser l’ampleur du préjudice qui leur a été causé et à exprimer leur besoin de guérison par des voies diverses. Ces besoins ne se limitent pas aux victimes, ils s’étendent à leur famille et à leur collectivité et, dans le cas des autochtones, à leurs nations. Sont également touchées les familles et collectivités des victimes qui n’ont pas survécu.

La COMMISSION DU DROIT DU CANADA a reçu le mandat d’évaluer les diverses méthodes permettant de répondre aux besoins des victimes et de toutes les personnes que touchent les sévices contre les enfants en établissement et de se prononcer sur les méthodes les plus susceptibles de répondre à ces besoins. Toutefois, cette tâche ne se limite pas à un simple examen des façons qui permettraient d’indemniser un groupe de personnes pour les injustices du passé ni à un simple examen du droit pertinent. Il s’agit de comprendre quelle importance notre société accorde à ses enfants et les choix qu’elle fait en ce qui concerne la manière dont ils sont traités. Il s’agit de reconnaître les attitudes qui ont cours dans notre pays à l’endroit des peuples autochtones et le respect dont jouissent les valeurs autochtones. Il s’agit de faire face à certaines vérités fort déplaisantes en ce qui concerne non seulement l’abus de pouvoir et la pédophilie qui sévissent parmi nous mais aussi le fait que des personnes à qui des enfants ont été confiés peuvent ne pas savoir les protéger contre ceux qui en ont la garde et même, dans certains cas, refuser délibérément de le faire. La tâche qui nous incombe concerne notre foi en certaines institutions et le fait que cette confiance est parfois très mal placée. Elle concerne le déchirement de familles et de collectivités entières imputable à des notions spécieuses de supériorité culturelle. Et par-dessus tout, elle concerne le fait qu’aujourd’hui encore nous refusons de reconnaître pleinement le préjudice qui a été causé et de prendre des mesures convenables et globales afin de le réparer.

Finalement, et cela est peut-être plus tragique encore, il s’agit d’envisager le risque que nous n’ayons pas tiré des leçons suffisantes des erreurs du passé. Il y a aujourd’hui des enfants qui sont victimes des violences que leur infligent des adultes à qui ils ont été confiés. Ainsi, s’il est vrai que l’on n’enlève plus les enfants de force à leurs familles afin de les obliger à fréquenter l’école, il n’y a pas lieu de pavoiser. En effet, nombreux sont les enfants qui, autrefois, auraient été placés en établissement et qui, aujourd’hui, sont placés dans d’autres milieux où il peut être difficile de surveiller la manière dont ils sont traités. Il faut d’abord mettre en oeuvre des ressources susceptibles de soutenir les familles afin que les enfants puissent vivre chez eux en toute sécurité. Lorsque cela n’est pas possible, il ne faut pas hésiter à investir dans des programmes qui permettent de choisir, de former, de superviser ou de suivre de près les familles d’accueil ou les milieux non institutionnels dans lesquels des enfants vivent actuellement. D’autres enfants, notamment ceux ayant des besoins spéciaux, continuent d’avoir besoin d’établissements où ils peuvent être pris en charge et instruits, de telle sorte qu’ils sont encore susceptibles d’être victimes de sévices en établissement. Si nous choisissons encore une fois de détourner le regard, de refuser de nous acquitter de nos obligations ou de persister à nier notre responsabilité, il est fort probable que dans dix, quinze ou vingt ans, un autre groupe de survivants fera entendre ses doléances.

C’est la société elle-même et chacun d’entre nous qui subissons un préjudice lorsque nous tolérons que des enfants soient victimes de sévices dans les établissements que nos gouvernements créent ou appuient. C’est sans doute en comprenant comment ce préjudice a été causé et en empêchant qu’il se reproduise que nous pourrons emprunter une des voies qui mènent à la guérison individuelle et collective.

B. Le renvoi de la Ministre

En novembre 1997, l’honorable Anne McLellan, ministre fédérale de la Justice, a soumis une question à la COMMISSION DU DROIT DU CANADA. Dans ce renvoi, elle a demandé à la Commission d’examiner les méthodes de réparation des préjudices imputables aux sévices physiques et sexuels contre les enfants placés dans des établissements dirigés, financés ou parrainés par le gouvernement.

La recherche

Ce renvoi soulève des questions complexes. La Commission a reconnu dès le départ qu’elles allaient bien au-delà du droit. Elle a estimé qu’elle devait d’abord comprendre quels sont les besoins des victimes et de leurs collectivités par suite des sévices qu’elles ont subis afin de pouvoir évaluer les différentes solutions susceptibles de répondre à ces besoins. Dans un Rapport provisoire, la Commission a essayé d’envisager quelles questions elle devrait poser. Cela l’a amenée à commander quatre études préalables :

La Commission a également fait effectuer des recherches sur la façon dont le régime des internats a violé le droit autochtone. Ces travaux ont consisté en des études de cas portant sur trois collectivités autochtones.

Les comités d’étude et les efforts de mobilisation

Aux termes de la Loi sur la COMMISSION DU DROIT DU CANADA, la Commission est habilitée à constituer des comités d’étude composés de bénévoles afin qu’ils la conseillent sur des programmes de recherche précis. Dans le cas du renvoi, la Commission a estimé important de constituer un comité d’étude regroupant des personnes qui ont été victimes de sévices dans des établissements pendant leur enfance, des thérapeutes qui ont conseillé des victimes, des avocats qui ont intenté des poursuites en leur nom, ont poursuivi des agresseurs présumés ou ont participé à une commission d’enquête ainsi que des représentants d’un service de police et du gouvernement.

Dans le cadre de ses efforts de rapprochement auprès des parties intéressées par le renvoi, la Commission a constitué, sur une base officieuse, un réseau autochtone de partage des renseignements en collaboration avec des représentants de différentes organisations autochtones nationales. L’établissement de ce réseau avait pour but de tenir ces organisations au courant des orientations et des progrès des travaux de la Commission et d’obtenir une rétroaction de leur part. Le groupe en question a informé la Commission qu’il serait souhaitable d’établir un comité d’étude distinct, entièrement constitué d’autochtones, qui serait chargé d’examiner principalement les travaux de la Commission portant sur les internats.

Sur la recommandation du réseau autochtone de partage des renseignements, la Commission a constitué deux comités d’étude. L’un d’eux, entièrement composé d’autochtones, s’est essentiellement intéressé à ce qu’ont vécu les enfants autochtones qui ont fréquenté les internats. L’autre, qui comprend des membres du comité d’étude autochtone, s’est intéressé essentiellement à ce qu’ont vécu les enfants qui ont fréquenté d’autres établissements.

La Commission est redevable à la contribution bénévole de tous les membres de ses comités d’étude qui ont été d’une aide inestimable en partageant avec elle leurs connaissances, leur expérience et leur expertise. La Commission profite également de l’occasion pour remercier les chargés de recherche qui ont entrepris et accompli une tâche considérable, dans des délais très courts. Tous ont su relever ce défi et répondre aux attentes considérables qui avaient été mises en eux. Le présent Document de discussion s’inspire des renseignements fournis dans ces documents de soutien, des centaines de témoignages personnels ou autres qui y sont mentionnés ainsi que des commentaires formulés par les deux comités d’étude bénévoles.

II. Que s’est-il passé?

A. Les raisons pour lesquelles des enfants sont placés en établissements

Aucun enfant ne décide de vivre en établissement. Comme dans le cas de toutes les décisions importantes touchant les enfants, cette décision est prise par d’autres personnes qui ont légalement autorité sur eux et qui sont réputées agir dans leur meilleur intérêt. Cela signifie que ce sont les parents, les tuteurs légaux ou les tribunaux qui sont responsables du placement des enfants en établissements. Les raisons de ce placement sont diverses, allant de l’accès à des établissements d’éducation spécialisée (dans le cas des enfants handicapés) à une politique d’assimilation officielle (dans le cas des enfants autochtones) en passant par la détention pour des infractions, souvent mineures, ou pour des troubles de comportement, pour n’en mentionner que quelques-unes. Plus tôt au cours de ce siècle, les parents peu fortunés choisissaient parfois de placer leurs enfants dans des pensionnats dirigés par un ordre religieux afin de leur donner accès à une meilleure qualité de vie matérielle ou à une éducation supérieure.

Quelles que soient les raisons du placement en établissement, toutefois, il ne faut pas oublier que du point de vue de l’enfant, les conséquences de ce placement sont presque toujours les mêmes : on lui impose un changement important dans sa vie, habituellement sans sa participation ou son consentement. Lorsqu’on cherche à comprendre les effets des sévices infligés dans les établissements, il est tout aussi important de se demander au départ quels enfants sont les plus susceptibles de se retrouver dans un établissement et d’y être exposés à des sévices. Cela nous oblige à nous interroger sur les attitudes face à la race, à la classe sociale, aux aptitudes et à l’appartenance à un sexe dans notre société. C’est dans ce contexte que nous devons évaluer l’impact des sévices subis.

La Commission n’a pas reçu le mandat de juger les décisions des tribunaux, du législateur et des parents qui ont fait en sorte que des enfants ont été placés en établissements ni celui d’étudier les raisons du placement dans un cas ou dans l’autre. Il est impossible, toutefois, d’examiner les conséquences des sévices contre les enfants placés en établissements sans tenir compte des attitudes, croyances et valeurs générales qui ont conduit autant d’enfants dans des endroits où autant de mal leur a été fait. Il est fort possible que ces facteurs aient une incidence sur l’évaluation que fera la Commission des méthodes de réparation les plus valables.

Chacune des décisions susmentionnées doit être examinée dans ce contexte précis. Nombreux sont les Canadiens et Canadiennes qui continuent de penser que certaines de ces décisions, par exemple celle de placer un enfant ayant des besoins spéciaux dans une école qui dispose des ressources nécessaires pour répondre à ces besoins, sont un choix valable fait dans le but de fournir un service nécessaire qui peut être très profitable à l’enfant. De nombreux établissements ont dispensé et dispensent toujours des services utiles aux enfants. D’autres décisions, notamment celle d’enlever les enfants autochtones à leur famille, à leur collectivité et à leur culture, ou celle d’incarcérer des enfants pour avoir fait l’école buissonnière, sont aujourd’hui largement discréditées.

Les motifs et les objectifs qui étaient à l’origine de ces pratiques aujourd’hui discréditées ne font pas l’unanimité. D’aucuns estiment qu’elles étaient le simple reflet des valeurs de l’époque où elles ont été adoptées. D’autres estiment que le placement en établissements et l’âpre discipline qui y régnait étaient excessifs même au regard des normes de l’époque et même dans les établissements pour jeunes contrevenants. En particulier, il y a ceux et celles qui pensent que la politique de placement en internats a constitué une tentative non pas d’instruire et d’éduquer les enfants autochtones mais de détruire à tout jamais l’identité autochtone dans ce pays. Nombreux sont ceux et celles qui considèrent cette politique d’assimilation forcée comme un génocide culturel.

Quelle que soit la manière dont on qualifie les diverses raisons qui sont à l’origine du placement des enfants en établissements, un fait essentiel demeure : de nombreux enfants ont atrocement souffert et ont été profondément blessés dans des lieux où ils étaient censés être instruits et protégés. La COMMISSION DU DROIT DU CANADA a pour préoccupation première de comprendre les facteurs qui ont rendu ces violences possibles, d’évaluer les diverses méthodes qui ont été employées pour réparer le préjudice subi et de savoir quelles méthodes sont les plus aptes à répondre aux besoins des personnes qui, pendant leur enfance, ont été victimes de sévices dans des établissements. Elle espère également apprendre des victimes quelle est la meilleure façon d’envisager d’autres méthodes de réparation. La Commission estime que la compréhension ainsi acquise pourrait contribuer à empêcher la répétition de sévices semblables à l’avenir.[CITATION 1]

B. La vie dans un « établissement totalitaire »

Pour comprendre l’impact des sévices qui ont été infligés à un aussi grand nombre de personnes placées en établissements pendant leur enfance, il faut comprendre les circonstances dans lesquelles elles ont vécu. Bien que chaque établissement ait possédé ses caractéristiques propres, on peut faire certaines observations générales sur le genre d’établissement où des sévices ont été infligés (et sont encore susceptibles de l’être). Suivent donc quelques observations à propos de genres précis d’établissements.

Certains établissements peuvent être qualifiés d’« établissements totalitaires ». Cette expression désigne des établissements où l’on cherche à resocialiser les gens, en leur inculquant de nouveaux rôles, de nouveaux automatismes ou de nouvelles valeurs. La méthode employée consiste à détruire l’individualité de ceux et celles qui se trouvent dans l’établissement en contrôlant plus ou moins tous les aspects de leur vie. Les prisons en sont un exemple évident. Les forces armées et certains pensionnats privés en sont un autre. Ces établissements se caractérisent par une séparation stricte entre les « pensionnaires » et les personnes qui les supervisent, le pouvoir étant concentré dans les mains des superviseurs. Des règles régissent le moindre aspect de la vie quotidienne et les pensionnaires n’ont pratiquement aucune influence sur la teneur de ces règles ou la manière dont elles peuvent être appliquées.

Chose plus dangereuse encore, il peut arriver que la vie dans ces établissements soit régie davantage par des commandements arbitraires et imprévisibles que par des règles. La possibilité qu’une plainte ou un appel soit entendu devient alors encore plus faible. Les pensionnaires n’ont que peu de contacts avec le monde extérieur ou n’en ont aucun. Les contacts avec les autres pensionnaires, qui sont une source possible d’appui et de force, sont eux aussi rigoureusement limités. Par conséquent, les pensionnaires n’ont pas la possibilité, ou presque, d’exprimer leurs doléances sur le traitement dont ils font l’objet. Ceux qui se plaignent s’exposent à une réelle possibilité de punition de la part des personnes visées par la plainte.

Malheureusement, à certains égards, l’analogie entre la prison et certains des établissements où les enfants sont censés être éduqués et protégés est tout à fait réelle. Or, il n’est pas nécessaire qu’un établissement pour enfants soit organisé et dirigé comme un établissement totalitaire. En règle générale, ces établissements devraient être des milieux ouverts, enrichissants, positifs et protecteurs. Il est possible que certains d’entre eux l’aient été. Malheureusement, nombreux sont ceux qui ne l’étaient pas. Ainsi, bien que les enfants aient été placés en établissements pour des raisons très différentes, les établissements ont imposé à leurs pensionnaires une partie ou l’ensemble des conditions suivantes, à des degrés divers :

Chacun de ces facteurs a contribué à favoriser à la fois la perpétration des sévices et leur perpétuation.

L’isolement

L’isolement physique et psychologique contribue considérablement à la vulnérabilité des enfants en établissements. L’isolement physique signifie que les enfants ne peuvent pas recevoir facilement la visite des membres de leur famille ou d’autres personnes soucieuses de leur bien-être. L’isolement psychologique consiste à interdire aux enfants toute communication directe avec le monde extérieur. On peut, par exemple, censurer le courrier qu’ils reçoivent et qu’ils envoient, restreindre l’accès au téléphone ou empêcher tout contact avec des adultes susceptibles de donner suite aux allégations d’un enfant. L’isolement découlant d’un milieu hostile, punitif ou abêtissant est plus grave et plus dommageable que le simple fait de ne pas voir sa famille ou recevoir du courrier. L’isolement le plus profond consiste peut-être dans l’incapacité de faire confiance à qui que ce soit. [CITATION 2]

La privation de pouvoir

Le pouvoir n’est pas un attribut que possèdent les enfants dans leurs rapports avec les adultes, du moins pas à un degré considérable. Les enfants qui vivent avec des parents aimants ou des personnes préoccupées de leur bien-être éprouvent un sentiment de sécurité et d’autonomie qui s’apparente au pouvoir. Ils se sentent en sécurité parce qu’ils savent que quelqu’un est là pour veiller à ce qu’il ne leur soit fait aucun mal et que les préjudices dont ils sont victimes seront réparés. Il est également probable qu’ils n’hésiteront pas à contester le pouvoir des adultes lorsqu’ils estiment que ce pouvoir est injustement exercé, en sachant qu’ils ne s’exposent pas à de graves conséquences s’ils le font.

Dans un établissement, tout particulièrement lorsqu’il y est placé contre son gré, l’enfant peut facilement perdre tout sentiment de sécurité. La connaissance de ce fait suffit à renforcer le pouvoir supérieur des adultes et met les enfants à leur merci. Le fait qu’un enfant soit placé dans un établissement peut, dans bien des cas, saper la crédibilité d’une plainte que cet enfant a formulée. Les enfants savent qu’on ne les croira sans doute pas et qu’ils peuvent même être punis pour avoir fait des allégations de mauvais traitements et cela contribue à réduire les victimes au silence.

Le climat d’impuissance peut se faire sentir partout dans un établissement même lorsque des violences physiques ou sexuelles ne sont pas systématiquement infligées. La privation de pouvoir peut se manifester et se traduire dans le simple fait d’accorder et de refuser arbitrairement des choses aussi fondamentales que le courrier, la présence en classe et même la nourriture.

L’humiliation et l’avilissement

Il est difficile de manipuler une personne forte, plus facile de manipuler celle qui a peur, qui pense n’être bonne à rien, qui a honte de qui elle est. Il suffit de penser aux camps militaires ou au bizutage au sein de certaines confréries universitaires pour illustrer le phénomène qui consiste à humilier ou avilir une personne afin de la contraindre à s’intégrer. Les établissements sont des endroits où il arrive, malheureusement, que l’on recoure impitoyablement à l’humiliation pour garantir la conformité et l’obéissance aveugle.

De nombreux établissements ont entretenu de tels sentiments chez les enfants confiés à leurs soins en méprisant et en critiquant leur comportement, leur identité et leur héritage, en recourant au châtiment, à l’humiliation et à des mesures disciplinaires excessives et en privant les enfants d’affection, de chaleur humaine, de soutien ou d’éducation.

C’est en raison de ces facteurs (isolement, privation de pouvoir et humiliation) et de l’impact qu’ils ont eu sur les enfants placés en établissements que la Commission a estimé qu’elle ne pouvait pas limiter son examen à la seule question des sévices physiques et sexuels. Il n’est tout simplement pas possible d’établir une nette distinction entre le préjudice imputable à sévices physiques et sexuels et le préjudice imputable à d’autres genres de sévices, qu’ils soient d’ordre affectif, psychologique, spirituel ou culturel.[CITATION 3]

C. Les internats pour enfants autochtones

C’est en 1880 que les internats pour enfants autochtones ont été établis pour la première fois au Canada, à la suite d’une enquête fédérale sur la scolarisation des enfants autochtones effectuée en 1879. Financés par le gouvernement canadien, ces établissements étaient dirigés par les Églises et les gouvernements. Leur personnel était notamment composé de missionnaires, de prêtres, de religieuses et d’enseignants laïques. À l’origine, ces écoles étaient l’expression d’une politique fédérale concernant les autochtones. En 1920, on a modifié la Loi sur les Indiens (alors intitulée la Loi sur les Sauvages) afin d’obliger tous les enfants autochtones à fréquenter un internat pendant une période d’au moins dix mois par année. Le nombre des écoles est passé de quarante-cinq, en 1896, à quatre-vingt, en 1931. Bien que la plupart des internats aient fermé leurs portes pendant les années 1970, le dernier n’a fermé qu’en 1984.

L’éducation des enfants autochtones dans les internats devait reposer uniquement sur la langue, la religion et la culture de ceux et celles qui dirigeaient les écoles, pas sur celles des élèves. Les enfants ne devaient parler que l’anglais ou le français et ont été contraints de pratiquer la religion chrétienne à l’exclusion de leurs propres croyances spirituelles et coutumes. Des enfants âgés d’à peine trois à cinq ans ont été enlevés à leurs parents et à leur collectivité, mais les frères et soeurs d’une même famille n’étaient habituellement pas autorisés à se parler.

Outre les trois facteurs qui ont contribué aux sévices susmentionnés, les enfants autochtones placés dans les internats ont donc tous, dans une mesure plus ou moins grande, subi une forme exceptionnelle de sévices qui leur a été particulièrement préjudiciable. Ces écoles ont toutes cherché à les priver des bienfaits et des avantages que leur auraient apportés leur langue, leur culture, leur famille et leur collectivité. En résumé, ces écoles avaient pour but avoué de priver ces enfants de leur essence même. Nombreux sont ceux qui ont lutté pendant de longues années pour retrouver leur sentiment d’identité. Nombreux sont ceux qui se sont suicidés ou ont adopté un mode de vie auto-destructeur pour des raisons ayant un rapport direct ou indirect avec ce qu’ils ont vécu dans les internats.

On ne saurait trop insister sur le fait que malgré les similitudes qu’il peut y avoir entre ces sévices et les sévices infligés dans d’autres genres d’établissements, les enfants autochtones ont éprouvé dans les internats des souffrances exceptionnelles qui leur ont été gravement préjudiciables. À cela s’ajoute le sentiment que malgré la gravité des bouleversements et des préjudices qu’ont subis les peuples autochtones dans les internats et ce, pendant plusieurs générations, les gouvernements et les Églises n’ont encore établi aucun ensemble de programmes visant à réparer le mal qui a été fait. Certaines solutions partielles sont en voie d’être apportées. Trente ans après la fermeture de la plupart des internats, le ministre fédéral des Affaires indiennes a fait une Déclaration de réconciliation, Déclaration que de nombreux autochtones estiment toutefois ne pas équivaloir à de véritables excuses.[CITATION 4]

D. Les écoles pour enfants ayant des besoins spéciaux

Les enfants ayant des besoins spéciaux, que ce soit sur le plan physique ou sur celui de leur développement, sont encore plus vulnérables aux sévices que les autres enfants. L’isolement et l’impuissance dont nous avons fait état précédemment sont encore plus marqués dans leur cas étant donné que le handicap lui-même peut être à l’origine de ces sentiments ou y contribuer. Donc, la caractéristique qui fait en sorte que le placement en établissement est davantage nécessaire dans le cas des enfants handicapés fait également en sorte qu’une fois en établissement, ils deviennent des cibles encore plus faciles pour d’éventuels agresseurs.

Les enfants sourds en sont un bon exemple. La séparation d’avec leur famille a été aggravée par la barrière de la langue. Bien que les enfants sourds aient appris le langage ASL (American Sign Language) ou la langue des signes québécois (LSQ) dans les établissements que les chargés de recherche de la Commission ont étudiés, la plupart des employés n’étaient pas sourds et étaient incapables de communiquer au moyen du langage gestuel. Souvent, même les parents de ces enfants connaissaient mal le langage gestuel. L’anglais et le français sont des langues secondes pour ces enfants; leur capacité de lecture et d’écriture en anglais ou en français a donc tendance à être plus faible que celle d’autres enfants du même âge. Cette barrière linguistique a donc considérablement limité le nombre des personnes en situation d’autorité auxquelles les enfants pouvaient révéler les sévices qu’ils avaient subis où dont ils avaient été témoins.

Puisque pendant les deux mois de l’année qu’ils passaient auprès de leurs parents, de nombreux élèves étaient dans l’incapacité de communiquer convenablement avec eux et de leur faire part des sévices qu’ils avaient subis, ils en sont venus à perdre même la notion d’un refuge sûr où ils seraient protégés. Dans bien des cas, cela a entraîné une détérioration grave et peut-être irrémédiable de leurs rapports avec leurs parents. Les parents, quant à eux, se sont sentis profondément coupables de ne pas s’être rendu compte des violences que leurs enfants subissaient et vers lesquelles ils les renvoyaient année après année.

Le facteur d’isolement et l’absence d’une surveillance adéquate de la part du personnel semblent avoir été à l’origine de ce que l’auteur d’une enquête sur l’école Jericho Hill, en Colombie-Britannique, a appelé la « culture des sévices sexuels », des activités sexuelles ayant eu lieu presque toutes les nuits pendant trente ans. Les sévices étaient tellement répandus que ceux-ci n’étaient pas uniquement le fait des employés masculins et féminins mais aussi des élèves. Cela rend la divulgation difficile dans le cas des survivants qui craignent d’être punis pour les sévices qu’ils ont eux-mêmes infligés et fait en sorte que leurs victimes hésitent à accuser leurs pairs.[CITATION 5]

E. Les établissements d’aide à l’enfance

Les enfants sont placés dans des établissements d’aide à l’enfance parce qu’ils ont « besoin de protection », selon la définition qui est donnée à cette expression dans les lois provinciales sur la protection de l’enfance. Il s’agit d’un cas où l’État (par l’intermédiaire de ses organismes d’aide à l’enfance) se sert des pouvoirs que lui confère la loi pour assumer le rôle des parents de l’enfant. Cela peut arriver parce que, notamment, les parents sont décédés, malades ou emprisonnés ou encore parce que l’enfant est victime de sévices ou de négligence grave ou a été abandonné. Il va sans dire qu’alors, l’enfant est la victime innocente de circonstances malheureuses. L’État intervient dans le but de soustraire l’enfant à un préjudice.

Paradoxalement, ce sont précisément les raisons pour lesquelles ces enfants ont été placés dans ces établissements qui les ont davantage exposés à y subir des sévices. Lorsqu’un agresseur choisit une victime parmi des enfants, quel que soit le lieu, il choisit celle qui est la moins protégée par des adultes bienveillants. Par définition, ces enfants n’avaient pas de famille sur laquelle ils pouvaient compter pour veiller à leurs intérêts ou même pour s’informer de leur bien-être. Ces enfants étaient donc des cibles faciles pour des employés qui se livraient à des actes de violence physique ou de prédation sexuelle.

Qui plus est, dans bien des cas, des enfants que l’État avait pris en charge pour assurer leur bien-être ont été placés dans des établissements surveillés qui servaient également d’établissements carcéraux. Aucune raison ne semble pouvoir justifier le rapprochement de ces deux populations juvéniles si ce n’est la commodité administrative et la réduction des coûts. Or, ces raisons sont inconciliables avec l’obligation qu’a l’État d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant.[CITATION 6]

F. Les établissements de détention pour adolescents

Tous les facteurs généraux examinés précédemment ont joué dans ces établissements. De plus, les enfants placés dans des centres de détention étaient marqués du stigmate d’une condamnation criminelle. La société ayant déjà décidé qu’ils méritaient d’être punis, ils étaient facilement en butte à l’humiliation et à un traitement brutal, lesquels ont, dans certains cas, dégénéré en des violences physiques, affectives et sexuelles. Leurs problèmes étaient aggravés par le fait que leur crédibilité à titre de plaignants pouvait se trouver entachée en raison même de leur association avec ces établissements.

Ce qui est particulièrement troublant à propos des établissements de détention pour adolescents, c’est que de nombreux enfants qui y ont été incarcérés n’auraient jamais dû l’être. Des infractions aussi insignifiantes que l’école buissonnière ou l’absentéisme étaient suffisantes pour qu’un enfant se retrouve dans un de ces établissements. Les filles y étaient souvent placées pour avoir eu un comportement que l’on considérait difficile ou socialement inacceptable. Autrement dit, on a donné à ces enfants le sentiment qu’ils étaient des criminels et on les a traités comme des criminels pour un comportement qui n’aurait pas dû être jugé aussi sévèrement. Il faut se demander s’il est jamais arrivé que des enfants de familles aisées aient été envoyés à l’« école de réforme » ou à des centres de détention pour adolescents pour avoir séché les cours ou avoir adopté un comportement qui est typique des adolescents.


Les trois facteurs mentionnés au début du présent chapitre, qu’ils soient pris isolément ou ensemble (et cette liste ne se veut nullement exhaustive), contribuent à créer un climat dans lequel l’enfant doit quotidiennement faire face au risque ou à la crainte de subir des sévices ou des mauvais traitements, dans un milieu où il lui est impossible de trouver un refuge ou d’échapper à cette crainte. Bien entendu, les enfants qui ont vécu dans des établissements n’ont pas tous souffert et ceux qui ont souffert, l’ont fait à des degrés différents. Toutefois, la Commission n’a pas pour tâche de déterminer combien d’enfants ont subi un préjudice, mais de faire des observations sur la meilleure façon de répondre aux besoins de ceux et celles à qui on a réellement fait du mal. Pour s’acquitter de cette tâche, la Commission doit se montrer particulièrement sensible aux préjudices subis, compte tenu de la description qu’en font les victimes elles-mêmes.

Des enquêtes policières et autres ont révélé que dans chacun des genres d’établissements mentionnés ci-dessus, le cycle des sévices était d’une similarité déprimante, que ce cycle ait été le fait d’une ou de deux personnes ou d’un plus grand nombre. Parmi les personnes qui avaient le pouvoir de dénoncer ces sévices, d’enquêter sur ces sévices ou d’y mettre un terme, certaines étaient au courant des violences et dans certains cas, tout le monde était au courant. Très souvent, nous constatons qu’il y a eu, chez ces responsables, un refus systématique d’ajouter foi ou de donner suite aux plaintes qui ont été portées par les enfants, des membres du personnel ou d’autres personnes. Nous constatons que les responsables ont serré les rangs afin de protéger les personnes qui dirigeaient les établissements et celles qui avaient autorité sur les enfants. Nous constatons que ces personnes ont cherché à se soustraire à toute responsabilité publique et étaient particulièrement déterminées à échapper une éventuelle responsabilité légale, et nous constatons que ces préoccupations l’emportaient largement sur un quelconque sens du devoir ou un quelconque souci de protéger les enfants qui étaient exposés à subir d’autres sévices.

Parfois, ce cycle s’est répété pendant des années et parfois, pendant des générations. Le serrement des rangs n’était pas particulier à un groupe ou à une organisation. Les Églises, d’autres institutions ainsi que les ministères fédéral et provinciaux dont relevaient les établissements en question se sont tous, dans une mesure plus ou moins grande, montrés hésitants à reconnaître l’existence de ces préjudices. Plusieurs d’entre eux ont maintenant fait certains efforts afin d’admettre leur part de responsabilité, que ce soit sur le plan moral ou juridique. En général, toutefois, ils l’ont fait à contrecoeur et tardivement.[CITATION 7]

III. Les besoins des victimes

La compréhension des besoins des victimes est l’élément le plus crucial du travail de la Commission et ce, parce que c’est en s’appuyant sur la compréhension de ces besoins que la Commission entend évaluer l’efficacité des diverses méthodes de réparation. Dans sa lettre, la Ministre a laissé à la Commission le soin de décider comment elle évaluerait les méthodes de réparation du préjudice. La Commission pourrait certes s’appuyer sur d’autres critères pour faire cette évaluation. Combien cela coûte-il? Combien de temps cela prendra-t-il? Comment doit-on déterminer qui a droit à une indemnisation? Qui en fixera le montant?

Ce sont là des questions susceptibles d’être posées à propos de n’importe quel processus d’indemnisation, mais elles ne sont pas l’objet central des travaux de la Commission. En présentant des observations sur les méthodes possibles de réparation des sévices dont ont été victimes les enfants placés en établissements, la Commission se concentrera avant tout sur les victimes des violences. Leurs besoins ont trop souvent cédé le pas à d’autres préoccupations, par exemple le châtiment des agresseurs. En identifiant les besoins des victimes en fonction de la définition qu’elles en donnent elles-mêmes, la Commission établit de nouveaux paramètres. Elle établit un point de référence humain à l’aide duquel elle mesurera la légitimité des différentes méthodes de réparation possibles. C’est là le critère le plus important.

Cela ne veut pas dire que seuls les besoins individuels des victimes doivent être examinés. Ces besoins sont certes importants mais on pourrait perdre de vue la situation dans son ensemble en ne s’attachant qu’aux besoins individuels. Les enfants ont souffert sur le plan individuel, mais nombreux sont ceux qui ont été placés en établissements ou été victimes de sévices pour des raisons plus larges, notamment leur race, leur classe sociale ou leur sexe. On ne saurait répondre aux besoins des victimes sans tenir compte des motifs qui ont été à l’origine du placement en établissements et de la perpétration des sévices, parce qu’en examinant ces motifs, on se trouve dans bien des cas à placer les sévices dans un contexte différent. On se trouve également à élargir le champ de la responsabilité, celle-ci passant du niveau de l’agresseur à un niveau social plus large. Cela nous force à nous demander si on apporterait une réponse suffisante en n’indemnisant que les individus. Cela nous amène à reconnaître que la guérison est un objectif primordial. Cela nous oblige à réaliser que la guérison n’est pas une tâche qui est exclusivement réservée aux personnes qui ont été victimes de sévices. C’est à la société qui a permis que l’on fasse des victimes de ces enfants qu’il incombe d’aider les survivants, leurs familles et leurs collectivités à guérir. Chacun d’entre nous faisons partie de cette société.

A. Sur le plan individuel

Les besoins individuels des victimes sont tout aussi particuliers et différents que les victimes elles-mêmes. Ils sont fonctions de nombreux facteurs, à savoir les circonstances dans lesquelles les enfants ont été placés dans un établissement, le genre d’établissement, la nature et la durée des sévices, l’âge des enfants au moment où les sévices ont commencé, leur âge au moment où ils ont divulgué ces sévices (à supposer qu’ils les aient divulgués), les circonstances de la divulgation, l’étape de la guérison à laquelle ils sont rendus et les appuis dont ils disposent, pour n’en nommer que quelques-uns.

Toutefois, les différences qui distinguent les besoins particuliers de chaque victime ne doivent pas nous empêcher de voir la grande similitude qui existe entre les genres de besoins qu’ils expriment. La liste suivante fait état de six genres de besoins que de nombreuses victimes semblent avoir en commun. À cette étape-ci, nous ne ferons aucun commentaire sur les moyens à prendre pour satisfaire ces besoins. Les solutions possibles seront examinées au chapitre suivant. Les catégories de besoins qui ont été relevées sont les suivantes :

ÉLÉMENTS DE DISCUSSION :
Les personnes qui ont subi des sévices pendant leur enfance ont-elles d’autres besoins fondamentaux? Comment peut-on répondre à ces besoins?

Outre ces besoins essentiels, il existe des besoins qui ressortissent davantage à la procédure et dont on devrait tenir compte lorsqu’il s’agira d’examiner les méthodes qui garantiront une réparation valable. L’un de ces besoins consiste à s’assurer que les victimes connaissent toutes les possibilités de redressement qui s’offrent à elles et qu’elles sont informées de ce que chacune suppose sur le plan des risques et avantages possibles. Il faut également s’assurer que lorsqu’un programme est expressément conçu pour venir en aide à un groupe de victimes, ces victimes participent pleinement (ou ont du moins la possibilité de participer pleinement) à l’élaboration de ce programme. Le but ainsi visé est double. Cela redonne aux victimes un certain contrôle sur leur vie et fait contrepoids à la privation de pouvoir qui a initialement contribué à la perpétration des sévices. Cela réduit également la mesure dans laquelle les méthodes de réparation elles-mêmes causeront des préjudices additionnels (phénomène que l’on appelle souvent la revictimisation). Il est possible d’accroître cette protection en apportant un soutien aux victimes à mesure qu’elles franchiront les étapes de la réparation (par exemple, désignation d’un coordonnateur des victimes et des témoins, de conseillers, etc.). Ces catégories de besoins plus formels peuvent se résumer ainsi :

Finalement, de nombreuses victimes ont exprimé le vif besoin de prévenir toute nouvelle violence contre les enfants. Ce désir, qui ne leur apporte aucun avantage tangible, peut néanmoins présenter un avantage psychologique important pour les victimes. Elles assument ainsi un rôle protecteur—rôle qui est puissant et bénéfique. Cela leur permet également d’utiliser d’une manière positive les connaissances qu’elles ont acquises par suite des sévices qu’elles ont subis tout en leur permettant de donner un sens à leurs souffrances.[CITATION 9]

La reconnaissance du préjudice et les excuses

Le besoin primordial qu’ont exprimé la plupart des victimes, malgré la grande diversité des sévices subis et des établissements en cause, est que l’on reconnaisse que ce qu’on leur a fait était mal. Certaines veulent des excuses publiques (et collectives) alors que d’autres préféraient qu’elles soient privées et personnelles. Quelle que soit la forme privilégiée, la nécessité de cette reconnaissance et de ces excuses semble recueillir un large consensus.

Pourquoi précisons-nous qu’il doit y avoir à la fois une reconnaissance et des excuses? Lorsqu’elles expriment ce besoin, les victimes disent habituellement qu’elles veulent des excuses. Toutefois des réactions récentes à certaines excuses montrent qu’il ne suffit sans doute pas de dire « je suis désolé ». Pour être sincères, les excuses devraient être absolues, sans réserve et présentées volontairement. La façon dont les excuses sont accueillies dépend d’un certain nombre de facteurs, mais le facteur clef est ce dont les personnes ou organismes en question s’excusent et la manière dont les excuses sont formulées. Ont-ils admis avoir fait quelque chose de mal, que leurs actes (ou omissions) ont causé un préjudice? Ou se sont-ils contentés de dire qu’ils sont désolés du préjudice qui a été causé, sans explicitement admettre la faute qui est à l’origine de ce préjudice, le rôle qu’ils ont joué dans la perpétration de la faute ou le fait qu’ils ont laissé d’autres personnes la commettre.

Tout comme il serait insuffisant de reconnaître l’existence d’un préjudice sans s’en excuser, il est également insuffisant de s’excuser auprès de certaines personnes pour la souffrance qu’elles éprouvent sans reconnaître explicitement la faute qui a causé cette souffrance. Plus précisément, une déclaration selon laquelle le traitement qui leur a été infligé a constitué des sévices et selon laquelle les victimes elles-mêmes ne sont nullement responsables des actes commis peut être un événement important pour les victimes. Il peut s’agir d’un premier pas vers la guérison; il peut s’agir de l’élément nécessaire à une certaine rémission.

Si la reconnaissance d’une faute est susceptible d’avoir un effet positif sur les victimes, le refus de reconnaître l’existence des sévices est tout aussi susceptible de prolonger la souffrance et de retarder la guérison. L’ironie veut que lorsqu’un désastre naturel se produit, par exemple une inondation, les collectivités et les gouvernements se précipitent au secours des personnes touchées. Toutefois, lorsqu’il s’agit du préjudice intentionnel et beaucoup plus dommageable dans son ensemble qui a résulté des sévices contre les enfants en établissements, la réaction des gouvernements et des organisations qui dirigeaient ces établissements consiste souvent à refuser de reconnaître, ou à hésiter à reconnaître, les actes préjudiciables qui ont été commis. Cette hésitation ou ce refus font, en retour, obstacle à l’établissement d’un réseau comparable de soutien et d’aide communautaire, à la fois sur le plan matériel et affectif. Ce refus et cette hésitation maintiennent les victimes en marge de la société et perpétuent l’inégalité des pouvoirs qui, d’une certaine façon, a contribué à l’existence des conditions qui ont rendu les sévices possibles.

Lorsqu’on fait la distinction entre ces deux réactions de société, il ne suffit pas de faire observer qu’il s’agit dans un cas d’un désastre naturel, donc inévitable, alors que dans le second cas, il y a faute et par conséquent, responsabilité légale. Il est également possible, au moyen d’une planification et d’une préparation convenables, de limiter dans une certaine mesure les dommages matériels et personnels qui résultent d’un désastre naturel imprédictible mais prévisible. Pourtant, face à un désastre naturel, notre instinct nous commande d’aider d’abord les victimes quitte à faire des reproches plus tard. La mise au jour des sévices contre les enfants placés en établissements a souvent lieu après des années de démenti et parfois, seulement après que des enquêtes indépendantes ou des poursuites en justice ont étalé les faits aux yeux de tous. La différence entre les deux types de réaction sociale a peut-être moins à voir avec une éventuelle responsabilité civile qu’avec la honte collective que nous éprouvons à admettre que nous avons pu jouer un rôle dans la perpétration de ces sévices parce que nous les avons laissés se produire.

La crainte de la responsabilité civile est une raison fréquemment invoquée pour justifier le refus des gouvernements ou des organisations telles que les Églises de reconnaître que des sévices ont été infligés dans les établissements. Cette raison est-elle valable? Le refus d’assumer la responsabilité n’empêchera pas les enquêtes policières ni les accusations au criminel. Il n’empêchera pas les victimes d’intenter, individuellement ou en groupe, des poursuites civiles contre les responsables des établissements où des sévices ont été infligés. Ce refus aura pour effet de faire comprendre aux victimes qu’on ne les croit toujours pas, qu’on ne reconnaît ni publiquement ni officiellement que les épreuves qu’elles ont endurées sont réelles. Ce refus les oblige à prouver individuellement qu’on leur a causé un préjudice et fait en sorte que les questions qui ont à leurs yeux une importance fondamentale resteront sans réponse pendant des années.

Outre la teneur de cette reconnaissance et de ces excuses, se pose également la question du choix du moment où elles ont lieu. Des excuses présentées spontanément dès la mise au jour du cycle de la violence ont beaucoup plus de poids que celles qui sont présentées après que des poursuites privées et des déclarations de culpabilité au criminel ont rendu presque superflue la question des excuses.[CITATION 10]

ÉLÉMENTS DE DISCUSSION :
Qu’est-ce qui fait que des excuses sont réellement valables et satisfaisantes aux yeux des victimes? Peut-il y avoir un pardon et une réconciliation véritables sans de vraies excuses?

La constitution du dossier

Plusieurs des personnes qui ont subi des violences ont un vif souvenir de ces violences et de l’endroit où elles ont été infligées. Aussi pénible que puisse être la vue d’un tel établissement, la destruction des bâtiments au bulldozer (comme ce fut le cas à Mount Cashel) peut être pire. De nombreuses victimes ont exprimé le besoin de conserver un rappel physique permanent afin de commémorer les sévices qu’elles ont subis et d’établir un centre d’archives faisant état de leur vécu.

Les victimes ont besoin d’un endroit où elles peuvent montrer à d’autres le mal qui leur a été fait, réunir et conserver les noms de ceux et celles qui ont subi des sévices et se rappeler ceux et celles qui n’ont pas survécu. Elles éprouvent également le besoin de s’assurer que l’histoire ne sera pas écrite ou réécrite comme un constant démenti. Le fait de répondre à ces besoins contribuerait à rétablir les faits et cela serait aussi profitable à la société qu’aux victimes.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Quelles formes pourraient prendre la commémoration ou les archives?

L’indemnisation financière

Souvent, les descriptions qui sont faites des besoins des victimes minimisent l’importance de l’indemnisation financière et insistent davantage sur la nécessité des excuses et des services de counseling. C’est comme s’il y avait quelque chose de vaguement répugnant dans le fait que des victimes sollicitent de l’argent pour le préjudice qu’elles ont subi.

Nous ne voyons pas pourquoi on devrait passer sous silence la volonté et le besoin des victimes d’obtenir une indemnisation financière. À cet égard, elles ne sont pas différentes des autres victimes d’actes criminels ni de quiconque à été victime d’un préjudice civil. Les actes fautifs et intentionnels qu’ont commis certaines personnes à leur endroit ainsi que l’omission des personnes en situation d’autorité de s’acquitter de leur obligation de les protéger leur a causé du tort, sur les plans affectif et physique. Dans bien des cas, le préjudice subi a limité la capacité des victimes de gagner leur vie. Dans notre société, il n’est pas rare que l’on recoure à l’indemnisation financière pour réparer un préjudice. Il s’agit notamment d’évaluer en dollars les souffrances et la douleur. C’est à l’indemnisation financière que le droit recourt généralement pour déterminer la valeur. L’indemnisation financière est également une forme de châtiment pour ceux et celles qui sont directement ou indirectement responsables du préjudice.

Le droit des victimes à l’indemnisation est évident—aucune défense ou justification supplémentaire n’est nécessaire. Pour certaines d’entre elles, tout particulièrement les plus âgées, l’argent peut en fait être la seule forme de réparation qui soit tangible et utile. Certaines d’entre elles ont le sentiment que dans leur cas, l’éducation et la formation viendront trop tard et qu’il est peut-être même trop tard pour entreprendre le difficile processus de la thérapie ou du counseling. Le retard à satisfaire leur volonté de réparation, aussi justifié que puisse être ce retard, ne fait qu’ajouter foi à l’opinion de ceux et celles qui pensent cyniquement que les responsables des établissements où les sévices ont été perpétrés attendent tout simplement qu’ils meurent et que leurs revendications s’éteignent avec eux.[CITATION 11]

La chose la plus difficile à faire est de déterminer quel montant est susceptible de compenser un préjudice qui, en réalité, est irréparable. Les tribunaux effectuent ce genre de calculs tous les jours dans le cadre de poursuites civiles en dommages-intérêts. Au cours des dernières années, les tribunaux ont commencé à souscrire à la prétention voulant que les établissements, tout autant que les agresseurs eux-mêmes, soient passibles de dommages-intérêts pour les sévices infligés aux enfants placés en établissements. Lorsqu’ils fixent le montant des dommages-intérêts, les tribunaux ont l’avantage d’entendre les observations des parties quant au montant qu’elles estiment convenable. Ils disposent également des lignes directrices qui sont énoncées dans les précédents ou d’autres instances semblables. Mais il n’en demeure pas moins que l’évaluation des dommages-intérêts est un processus subjectif et approximatif.

Les programmes d’indemnisation des victimes, qui sont financés par les gouvernements ou par des bailleurs de fonds privés, sont également une façon d’accorder une compensation financière. Bien que les sommes accordées soient habituellement inférieures à celles qui le sont au titre des dommages civils, la victime n’est pas tenue de faire les frais d’un procès pour en profiter. Il se peut également qu’ils ne comportent pas l’élément de culpabilité morale dont s’accompagnent nécessairement la déclaration judiciaire de responsabilité et l’attribution de dommages-intérêts.

Comme c’est le cas des dommages-intérêts accordés dans une action civile, le calcul du montant de l’indemnisation financière comprise dans un programme d’indemnisation suppose que l’on assimile le préjudice subi à une somme d’argent, tâche qui est fort délicate et à certains égards impossible. C’est pourquoi il est si important d’écouter les victimes et la façon dont elles définissent leurs besoins pour déterminer les modalités et le montant de l’indemnisation. Si les gouvernements ou les institutions déterminaient le montant de l’indemnité financière sans la participation et l’approbation des victimes, on se trouverait une fois encore à les priver de tout pouvoir et à rendre un jugement unilatéral sur la valeur de leurs souffrances.[CITATION 12]

ÉLÉMENTS DE DISCUSSION :
Comment peut-on attribuer une valeur pécuniaire à un préjudice tout en respectant la dignité de ceux et celles qui ont subi ce préjudice? Le montant de l’indemnisation financière devrait-il être évalué en fonction de la nature du préjudice subi ou des effets du préjudice sur la personne en question?

Bien que plusieurs victimes aient réussi à surmonter les épreuves du passé, elles ont toutes besoin d’aide lorsqu’il leur faut revivre ces expériences. On ne saurait trop insister sur le fait que quelle que soit la méthode de réparation choisie, la victime devra revenir en arrière et se replonger dans un passé très douloureux. Dans bien des cas, les victimes ont fait une réussite de leur vie, mais cette réussite repose sur la répression des souvenirs de cette époque.

L’accès à des professionnels compétents ou à d’autres guérisseurs choisis par les victimes doit nécessairement faire partie d’un quelconque processus de réparation. Pour être significatif, cet accès doit leur être offert pendant une période suffisante sur le plan thérapeutique. Les blessures qu’ont laissées les sévices subis pendant l’enfance ne sont pas comprises en quelques semaines ni en quelques mois et peuvent fort bien ne pas guérir avant des années, voire même jamais.

Le counseling est nécessaire non seulement pour atténuer les effets des sévices sur les victimes personnellement, mais aussi pour en atténuer les effets sur leur conjoint, leurs enfants et leur famille étendue. (Ces besoins seront examinés au chapitre suivant.) Il est particulièrement important que les victimes qui ont été élevées à l’extérieur de leur propre famille obtienne l’appui dont elles ont besoin pour pouvoir de nouveau faire partie d’une famille. Cela évitera que soient transmis à une autre génération les effets négatifs d’une enfance passée dans un établissement où des violences étaient infligées.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Quels sont les facteurs les plus importants si l’on veut s’assurer que ceux et celles qui le désirent disposent de services de counseling efficaces?

L’accès à l’éducation et à la formation

L’un des effets moins évidents mais néanmoins néfastes des sévices contre les enfants placés en établissements tient au fait que ceux-ci ont été perpétrés dans un endroit où l’enfant était censé acquérir une éducation. Cela est certainement vrai dans le cas des internats et des écoles pour enfants ayant des besoins spéciaux. Les établissements pour mineurs, même les centres de détention, comportent tous un élément d’éducation. Dans la mesure où les sévices ou la crainte de sévices ont cours dans un établissement, le climat d’apprentissage est compromis.

La qualité de l’éducation de l’enfant a donc elle aussi beaucoup souffert des violences en établissement. À cet égard, il y a lieu de signaler tout particulièrement les internats pour enfants autochtones, puisque l’éducation a été la principale raison invoquée pour enlever ces enfants à leurs familles. En fait, dans bien des cas, l’instruction autre que l’instruction religieuse était rudimentaire et les enfants ont été traités comme de la main d’oeuvre plutôt que comme des élèves. Ainsi, après les longues années passées dans un établissement, de nombreuses victimes n’avaient qu’une très faible capacité de lecture et d’écriture. Par conséquent, nombreuses sont celles qui mentionnent les possibilités d’éducation comme étant leur priorité en matière de réparation. Elles veulent terminer leur secondaire, obtenir un diplôme, suivre des cours précis ou recevoir une formation professionnelle.

Dans le cas des victimes autochtones, la réparation au moyen de l’éducation peut notamment consister dans le fait de leur donner la possibilité d’apprendre la langue de leurs parents et de leur nation. Cela peut consister à leur permettre de connaître leurs propres pratiques spirituelles, leur histoire et leur culture.

En donnant des possibilités d’éducation à ceux et celles qui ont subi des sévices, on ne fait pas que combler le vide laissé par le mauvais climat et les mauvaises conditions d’apprentissage dans lesquels a vécu un enfant qui faisait constamment face à des violences ou à la crainte de subir des violences. On contribue également à redonner à la victime un certain pouvoir. Nous revenons sans cesse sur le thème de la privation de pouvoir qui est une des clefs de la perpétration des sévices et de l’impunité dont ont joui (parfois très longtemps) les agresseurs. Même à l’âge adulte, il arrive que les victimes ressentent toujours le déséquilibre qu’il y avait entre elles et les personnes qui ont soit commis les sévices, soit omis d’y mettre un terme.

Pour toute personne, l’éducation est un moyen d’acquérir un pouvoir sur sa propre vie—le pouvoir de faire des choix, d’accéder à un certain savoir et de prendre le contrôle de son présent et de son avenir. Il est essentiel à la guérison de nombreuses victimes qu’elles aient la possibilité d’atteindre ces objectifs au moyen de l’éducation et de la formation. L’éducation et la formation sont également des voies qui mènent à la sécurité et à l’autonomie financières, chose que beaucoup d’entre elles ont de la difficulté à obtenir.[CITATION 13]

Le châtiment des agresseurs

Parmi les personnes qui ont commis des sévices physiques et sexuels contre des enfants placés en établissement, beaucoup sont aujourd’hui décédées. D’autres sont très âgées. Toutefois, leur âge n’excuse pas leurs actes. Certaines victimes pensent que le châtiment explicite des agresseurs est une partie nécessaire du processus qui leur permettra de surmonter les conséquences des violences qu’elles ont subies.

Dans ce cas, le châtiment n’est pas sollicité comme une expression de la répugnance qu’éprouve la société à l’endroit des sévices. Le but recherché est plutôt d’assouvir le besoin qu’ont les victimes d’être vengées du mal qu’on leur a fait. Les besoins de ceux et celles qui ont été victimes de sévices doit être la principale considération lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de mettre en oeuvre un processus qui entraîne le châtiment des agresseurs. De plus, ceux et celles qui ont été victimes de l’infraction devraient participer étroitement au processus de détermination de la peine à la suite d’une déclaration de culpabilité. Les mandataires de l’État qui sont chargés de l’application de la loi ne devraient pas décider seuls s’il est nécessaire de demander le châtiment. Il ne devrait pas non plus appartenir à l’État seul, une fois la culpabilité établie, de déterminer quelle peine conviendrait.

ÉLÉMENTS DE DISCUSSION :
Comment les victimes peuvent-elles exprimer leur point de vue quant à savoir si l’État devrait demander le châtiment et quel poids leurs opinions devraient-elles avoir ? Accorde-t-on suffisamment (ou trop) d’importance à la déclaration de la victime dans le cadre du processus sentenciel?

B. Sur le plan familial

Les sévices contre les enfants placés en établissements ont des répercussions qui s’étendent bien au-delà des personnes qui en ont directement été victimes. Les parents qui ont choisi d’envoyer leurs enfants dans un établissement, ou qui ont été forcés de le faire, doivent supporter non seulement la douleur de cette séparation mais aussi la douleur que leur a causée leur impuissance à les protéger contre les sévices. Parfois, leur douleur est encore plus profonde parce qu’ils ont perdu la capacité de communiquer avec eux (comme dans le cas, par exemple, des enfants autochtones à qui l’on interdisait de parler leur propre langue et qui ont finalement perdu la capacité de le faire). La douleur de cette perte a été partagée par les grands-parents, les tantes et les oncles—la famille élargie dans son ensemble. Les familles autochtones ont également eu à faire face à l’aliénation des enfants qui revenaient dans des collectivités où ils ne se sentaient pas chez eux.

Les conjoints des victimes vivent avec des personnes pour qui les relations intimes sont souvent difficiles. La consommation abusive d’alcool ou de drogue ainsi que la violence physique à l’endroit des membres de la famille figurent au nombre des symptômes qu’éprouvent les adultes à la suite des sévices subis pendant leur enfance. Il n’est pas rare que les conjoints des victimes supportent ces symptômes sans en connaître ou en comprendre pleinement les causes.

Les enfants des victimes subissent sans doute également les conséquences de la violence contre les enfants placés en établissements lorsqu’un parent en a été victime. Au pire, ces conséquences sont l’alcoolisme, les violences physiques ou sexuelles (à l’égard de membres de la famille ou d’autres personnes) et un manque de compétences parentales. Dans le cas des enfants autochtones, ce cycle a pu se répéter pendant deux ou trois générations, puisque les enfants des victimes ont eux-mêmes été placés dans des internats.[CITATION 14]

Les membres de la famille ressentent les effets néfastes des sévices infligés aux enfants dans les établissements. Il arrive également qu’ils souffrent dans l’ignorance puisque de nombreuses victimes refusent de parler de ce qui leur est arrivé, même à leurs proches. À l’instar des familles de quiconque a vécu une expérience préjudiciable ou traumatisante, ces familles ont besoin d’aide et d’appui. Elles ont besoin d’aide pour comprendre les causes qui sont à l’origine du comportement de la victime et elles ont besoin d’appui pour pouvoir faire face à ce comportement. Une thérapie peut être aussi importante pour elles qu’elle l’est pour les victimes.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Quelles sont les meilleures façons de soutenir les familles qui ont été profondément touchées par les sévices contre les enfants placés en établissements?

C. Sur le plan de la collectivité

Jusqu’ici, le présent Document de discussion a porté sur les besoins des victimes et ceux de leurs familles. Toutefois, les sévices contre les enfants placés en établissements, tout particulièrement lorsque ces sévices ont été infligés pendant des années, n’ont pas causé un préjudice seulement à ceux qui les ont subis et à leurs familles. Les conséquences de ces violences s’étendent également aux collectivités, aux nations autochtones et, moins directement mais aussi sûrement, à certains aspects de la société canadienne dans son ensemble.

Quelles en sont les conséquences sur le plan de la collectivité? Premièrement, qu’entendons-nous par « collectivité »? Ce mot désigne, bien entendu, un groupe de personnes qui habite un endroit précis et pourrait notamment désigner un quartier, une réserve autochtone ou un établissement métis. Aux fins du présent document, il désigne également un groupe de personnes qui s’identifient l’une à l’autre en raison d’intérêts communs ou de caractéristiques communes que partagent les membres de ce groupe. Au sens large, donc, le mot « collectivité » désignerait également, par exemple, les sourds, les catholiques ou la collectivité appelée les orphelins de Duplessis.

Une collectivité peut être touchée par la violence à l’égard des enfants en établissements et ce, d’une façon profonde et subtile, directement ou indirectement. Les répercussions des sévices sur une collectivité peuvent être fonction d’un certain nombre de facteurs : l’ampleur des violences, leur durée, la position qu’occupaient les agresseurs au sein de la collectivité, le statut de l’établissement où les violences ont été commises et la mesure dans laquelle la collectivité souffre par suite du préjudice qui a été causé aux victimes personnellement.

Les sévices prolongés contre les enfants placés en établissements peuvent avoir des effets généralisés et divers sur une collectivité. Ils peuvent compromettre la communication entre les générations, comme ce fut le cas lorsque les enfants autochtones ont été forcés à ne parler que l’anglais ou le français et ont ainsi perdu la capacité de communiquer avec leurs parents. De même, l’obligation de pratiquer le christianisme à l’exclusion de la spiritualité traditionnelle autochtone peut causer de profondes divisions au sein d’une collectivité. Les mêmes divisions peuvent surgir au sein des collectivités autochtones qui ont adopté le christianisme. Dans le cas des élèves placés en établissements qui ont embrassé la religion des prêtres et des religieuses qui leur ont enseigné, les sévices que leur ont infligés ces représentants de l’Église ont fait naître chez eux un profond sentiment de trahison. Souvent, il s’en est suivi un rejet de l’Église, chose que leurs familles et leurs collectivités ont pu avoir de la difficulté à comprendre ou à accepter.

Lorsque des générations successives d’enfants sont élevées dans des établissements où les violences physiques et sexuelles sont courantes, les collectivités se retrouvent avec des générations d’adultes qui ne savent pas comment être de bons parents. Il est essentiel à la santé de ces collectivités que l’on mette un terme à ce cycle des sévices.

Les sévices contre les enfants placés en établissements ont également des répercussions économiques sur la collectivité. Lorsque les enfants ne reçoivent pas une instruction décente, comme ce fut particulièrement le cas dans les internats pour enfants autochtones, les perspectives d’emploi sont extrêmement limitées. L’extrême dépendance envers le bien-être social devient un autre problème collectif.

Les difficultés qu’ont éprouvées la collectivité des personnes sourdes sont également sérieuses. Elles sont aggravées par leur isolement relatif par rapport aux ressources qui existent (par exemple les ressources permettant une guérison) parmi les entendants. Dans le cas d’une collectivité très unie dont les membres ont presque tous fréquenté le même établissement et subi des violences dont le degré était toujours très élevé (tout particulièrement des violences sexuelles), y compris des sévices infligés par d’autres élèves, il est difficile de savoir où peut commencer le processus de guérison.

Ces collectivités, dont presque tous les membres ont été, directement ou indirectement, victimes de sévices dans un établissement pendant leur enfance, ont un énorme défi à relever. Elles doivent rétablir un sentiment de confiance envers la collectivité afin que celle-ci soit considérée comme un endroit sûr sur le plan de la divulgation et de la guérison. Elles doivent effacer les profondes divisions qu’ont entraîné les différentes récriminations de leurs membres. Elles doivent remplacer (dans le cas des collectivités autochtones) ou réformer (dans le cas des sourds) les établissements où les sévices ont été perpétrés et ce, parce que la fonction éducative que remplissent ces établissements demeure nécessaire et importante.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Quelles sont les meilleures façons de soutenir les collectivités profondément touchées par les sévices contre les enfants placés en établissements?

D. Sur le plan de la nation

Les autochtones ont souffert en tant que collectivités et en tant que nations. Les enfants autochtones ont été choisis et délibérément placés en institution uniquement en raison de leur race. La politique d’assimilation forcée qui est à l’origine des internats pour enfants autochtones est tout à fait claire, quelle que soit la définition qu’on en donne.

Les nations autochtones sont aujourd’hui aux prises avec les conséquences de l’application de cette politique, sur plusieurs décennies et plusieurs générations, à leurs enfants. En ce qui concerne les efforts que font les chefs autochtones afin de recouvrer la dignité, l’autonomie et l’intégrité culturelle de leurs nations, la réparation du préjudice collectif imputable aux internats est un objectif important mais ce n’est certainement pas le seul objectif.

Les besoins des nations autochtones se situent au niveau du développement de la nation. Ces besoins sont notamment les suivants : aide à la protection des langues autochtones, gestion autochtone de l’éducation et de la protection de l’enfance, reconnaissance de la spiritualité autochtone et éducation du public en ce qui concerne l’historique des internats et le traitement dont les peuples autochtones ont généralement fait l’objet. La nécessité d’un fonds d’archives central où serait consignée l’expérience des victimes au profit des générations futures est pressante. La commémoration physique des événements ainsi que des archives faisant état des injustices passées remplissent une fonction essentielle aux yeux des nations, des races ou des peuples. Parce qu’elles rappellent en permanence les fautes qui ont été commises, elles constituent une mise en garde contre leur répétition.

IV. Les méthodes de réparation

Dans son renvoi, la Ministre a demandé à la Commission d’examiner les méthodes de réparation des sévices contre les enfants placés en établissements afin de déterminer « les meilleures méthodes permettant de redresser les injustices, tout en offrant des réparations adéquates et en favorisant la réconciliation, la justice et la guérison... ». Lorsque l’on examine les méthodes susceptibles de réparer les sévices infligés aux enfants placés en établissements, un des principes fondamentaux doit être le suivant : il faut empêcher tout nouveau préjudice. La Commission a donc choisi d’évaluer les méthodes de réparation en fonction de leur aptitude à répondre aux besoins des victimes, de leurs familles, de leurs collectivités et des nations autochtones — soit tous ceux et celles que touchent les sévices contre les enfants placés en établissement. La Commission estime que c’est là le critère le plus valable sur lequel s’appuyer pour évaluer le bien-fondé des différentes méthodes.

Étant donné la manière dont elle comprend les besoins des victimes et de leurs collectivités, la Commission est d’avis que pour évaluer chaque méthode, il faut tenir compte des questions suivantes :

A. La mise au jour des injustices

Pour réparer les préjudices découlant des sévices contre les enfants placés en établissements, la première étape consiste à établir ce qui s’est passé. Cela peut se faire de plusieurs façons. Au niveau individuel, la victime doit d’abord avoir la capacité et la volonté de révéler ce qu’on lui a fait. Ce ne sont pas toutes les victimes qui veulent parler ou qui pensent pouvoir le faire en toute sécurité ou qui ont accès à une personne à qui elles veulent parler. La question de savoir si une méthode de réparation précise offre aux victimes un exutoire adéquat, avec la délicatesse et la souplesse voulues, est donc un facteur important dans l’évaluation du bien-fondé de cette méthode.

Il est également possible que des personnes choisissent d’intenter des actions civiles en dommages-intérêts à ceux et celles qui sont, directement ou indirectement, responsables des sévices qu’elles ont subis. Ces actions en justice ont notamment pour but d’obtenir des dommages-intérêts, si les demandeurs réussissent à établir qu’il y a eu faute de la part des défendeurs. Pour rendre cette décision, toutefois, le tribunal doit connaître les faits. Indirectement donc, l’action civile donne aux victimes la possibilité d’exposer dans un cadre impartial et officiel, les injustices commises à leur endroit. Cette mise au jour des injustices pourrait également avoir lieu lorsqu’une victime présente une demande d’admissibilité à un programme d’indemnisation.

Au niveau de l’État, la mise au jour des fautes peut se faire d’un certain nombre de façons. Étant donné que les violences physiques et sexuelles à l’égard des enfants sont un crime, la réponse de l’État pourrait consister en une enquête policière. Si des preuves suffisantes sont recueillies, l’enquête donnerait normalement lieu au dépôt d’accusations criminelles, à moins que le présumé agresseur ne soit décédé.

Les enquêtes policières permettent certainement la divulgation, mais elles le font d’une façon qui ne tient peut-être pas compte de la question de savoir si la victime est prête ou disposée à divulguer. Elles peuvent porter atteinte à la vie privée de la victime et étaler publiquement un problème que la victime n’a pas abordé et n’est pas disposée à aborder avec sa famille. Elles peuvent également mettre à nu des blessures cachées sans que la victime ait la possibilité de communiquer avec d’autres victimes, ce qui la prive d’une source importante de réconfort et d’appui. Il en est ainsi parce qu’il est interdit aux personnes susceptibles de témoigner dans une affaire criminelle de communiquer l’une avec l’autre afin que leur témoignage ne soit pas vicié. C’est là une des façons (mais pas la seule) dont les exigences du système de justice criminelle pourraient l’emporter sur les besoins des victimes alors même qu’il essaye de punir ceux et celles qui leur ont fait du mal.

L’État peut choisir de lancer une enquête publique ou d’établir une commission de la vérité et de la réconciliation. Un ombudsman, un protecteur du citoyen ou un organisme de protection de l’enfance peuvent également décider d’entreprendre une enquête. Une commission d’enquête a un mandat plus large qu’une enquête policière. Elle n’a pas pour seul objectif de recueillir des preuves afin d’étayer des accusations criminelles. Chaque commission a un mandat différent, mais toutes ont habituellement en commun certains objectifs généraux, notamment : établir les faits, évaluer le préjudice, attribuer la responsabilité à certaines personnes ou institutions, recommander une indemnisation et empêcher la récidive. Il est également loisible aux collectivités et aux médias de mener leurs propres enquêtes ou de recueillir des renseignements.

Une autre des solutions susceptibles de contribuer à la mise au jour des injustices consiste à établir des archives centrales ou un service central d’enregistrement où les expériences pourraient être racontées et enregistrées. Cela pourrait se faire sur l’initiative d’un groupe de personnes, d’une collectivité, d’un gouvernement ou même d’un établissement. Toutefois puisqu’il doit s’agir de leurs archives, les victimes devraient participer activement à cet effort documentaire.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Y a-t-il d’autres façons de mettre au jour les violences à l’égard des enfants placés en établissement et de les documenter convenablement?

B. L’imputabilité

Les auteurs des sévices physiques et sexuels ont commis des infractions criminelles. Une des façons d’engager leur responsabilité consiste à faire en sorte qu’ils soient poursuivis et déclarés coupables dans le cadre d’un procès criminel. Les autres solutions pourraient consister en des actions civiles, dans le cadre desquelles la responsabilité peut s’accompagner d’un blâme moral, ou en une dénonciation publique dans les médias.

La responsabilité des personnes autres que les agresseurs est une question plus complexe. La responsabilité au titre des sévices infligés ne commence pas et ne s’arrête pas avec les agresseurs eux-mêmes. Les personnes responsables des établissements où les sévices ont été commis ont l’obligation de rendre compte de ce qui s’est passé dans ces établissements. Or, il se peut qu’elles craignent les conséquences financières qu’elles devront inévitablement subir, pensent-elles, si elles admettent leur responsabilité.

C’est un curieux paradoxe. Le refus de reconnaître leur responsabilité et de négocier un redressement avec les victimes ne met pas ces personnes à l’abri de la responsabilité légale. Cela ne fait que déplacer l’enceinte où la responsabilité sera déterminée, les victimes étant forcées de s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation. Les dommages-intérêts accordés dans le cadre d’actions civiles sont habituellement beaucoup plus élevés que les indemnités négociées. Il semble donc n’y avoir aucun avantage à en retirer.

Il demeure possible que les victimes n’intentent pas de poursuites, rebutées par le coût affectif et financier d’un litige, l’incertitude du résultat et les années qu’il leur faudrait pour obtenir satisfaction, même si elles avaient finalement gain de cause. Il est également certain que si l’on retarde la réparation volontaire assez longtemps, plusieurs des victimes mourront, et leurs revendications avec elles.

C’est là le calcul auquel on pourrait se livrer si on ne se préoccupait que du coût financier des mesures à prendre au profit des victimes. Certes, c’est une entreprise risquée. Un ou deux jugements favorables accompagnés de dommages-intérêts considérables pourraient faire boule de neige et entraîner une multitude de demandes qui auraient de très bonnes chances d’être accueillies. De telles poursuites pourraient se révéler beaucoup plus coûteuses que des règlements raisonnables négociés avec les victimes.

En faisant des conjectures pour déterminer quelle méthode est la plus coûteuse d’un point de vue strictement financier, toutefois, on perd de vue un point plus essentiel. La responsabilité ne se mesure pas seulement en dollars. Il y a un autre prix à payer pour avoir omis ou refusé d’assumer la responsabilité.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Y a-t-il une façon d’ajuster le fonctionnement des instances civiles pour surmonter ces difficultés?

Le danger tient au fait que l’on considère la responsabilité uniquement sous l’angle juridique. Lorsque des enfants quittent leur foyer, que ce soit volontairement ou sur ordre du législateur, les personnes responsables des établissements où ils sont placés assument nécessairement le rôle des parents, avec toutes les obligations que cela suppose.

Lorsque l’organisme qui assume ce rôle est un organisme religieux ou caritatif, il doit s’en acquitter d’une façon qui respecte et traduit les canons spirituels et moraux de cette religion. Lorsque l’organisme qui assume ce rôle est une instance gouvernementale, il doit s’en acquitter d’une façon qui traduit et respecte les principes et valeurs qui régissent cet État.

En considérant que l’imputabilité se résume uniquement à une question de responsabilité légale, l’Église et l’État se trouvent peut-être à mépriser ou à atténuer l’importance de la responsabilité morale et politique. Une préoccupation à l’égard des calculs financiers pourrait facilement amener bien des gens à penser que l’Église et l’État montrent qu’ils sont indignes de la confiance et du respect du public. Une Église qui refuse d’admettre qu’elle est responsable des violences commises par les membres de son clergé ou ses employés peut sauvegarder sa solvabilité financière alors même qu’on la juge dépourvue de toute moralité. Un gouvernement qui préfère attendre le verdict des tribunaux avant de faire ce qui est juste pourrait bien découvrir qu’il a sous-estimé le verdict populaire.

La responsabilité a donc un volet moral et politique tout autant qu’un volet juridique. Les parties qui abordent la question de la réparation sans tenir compte de cette responsabilité plus large pourraient être davantage susceptibles d’être attaquées dans l’arène juridique et moins en mesure de se défendre.

Si l’Église et l’État hésitent à assumer leur responsabilité, à reconnaître les fautes qui sont à l’origine des sévices contre les enfants placés en établissements et à s’en excuser, c’est en grande partie parce qu’ils pensent que cette reconnaissance et ces excuses auraient pour effet d’accroître le nombre des poursuites et que les tribunaux tiendraient pour acquis que ces excuses constituent des aveux de responsabilité. Certains ouvrages juridiques indiquent que cette opinion est sans fondement. De plus, il se peut que ce soit précisément le contraire qui soit vrai. Les victimes qui, au début, auraient pu se satisfaire d’une reconnaissance de responsabilité et d’excuses, accompagnées d’une indemnité modeste, pourraient devenir plus en colère et se montrer plus exigeantes après des années de démenti officiel et d’atermoiements de la part de l’Église et de l’État. Ce comportement laisse également aux tribunaux la discrétion d’accorder des dommages-intérêts alourdis lorsque la dénégation de responsabilité est déraisonnable.

On ne peut que s’interroger, par exemple, sur les causes de l’augmentation du nombre des poursuites civiles intentées par des autochtones qui ont été victimes de sévices dans des établissements à la suite de la Déclaration de réconciliation qui a été faite en janvier 1998. Cette hausse est peut-être imputable à l’opinion selon laquelle cette Déclaration pourrait être utilisée comme un véritable document juridique afin d’établir la responsabilité devant les tribunaux. Il est tout aussi possible qu’elle soit imputable au fait que les autochtones qui n’avaient pas encore intenté de poursuites ont eu le sentiment qu’elle était tellement décevante qu’il était désormais inutile de patienter plus longtemps.

Comment faut-il évaluer des méthodes de réparation à la lumière du critère de l’imputabilité ? Certaines méthodes permettent d’attribuer la responsabilité d’une manière explicite et officielle alors que d’autres ne le permettent pas nécessairement. Les actions devant les tribunaux, que ce soit au civil ou au criminel, donnent lieu à des verdicts de responsabilité. Bien entendu, les poursuites pénales peuvent uniquement donner lieu à des déclarations de culpabilité pour des actes criminels. Elles restent muettes sur toutes les autres formes de fautes ou d’injustices. Les actions civiles visent un plus vaste éventail d’actes fautifs (notamment le manquement à une obligation fiduciaire et la négligence) mais elles sont néanmoins limitées aux fautes civiles.

Seules les méthodes ou initiatives extrajudiciaires ne fixent aucune limite à l’étendue de la responsabilité d’une partie. Les gouvernements, Églises et autres parties qui ont joué un rôle dans les établissements pour enfants sont libres de reconnaître les actes ou omissions qui ont pu contribuer à la perpétration des sévices contre les enfants et à faire en sorte qu’ils n’y ont pas mis un terme en temps opportun. Ces actes ou omissions peuvent notamment consister en des politiques, des lois, des pratiques en matières d’emploi ou des attitudes bureaucratiques pour n’en nommer que quelques-uns. Cette reconnaissance ne doit pas nécessairement se limiter aux sévices physiques et sexuels mais pourrait également s’étendre aux violences psychologiques, affectives, spirituelles et culturelles.

Les tribunaux ne se penchent habituellement pas sur ces préjudices moins tangibles. Les commissions d’enquête publiques peuvent le faire, selon la portée de leur mandat. En l’absence d’une attribution de responsabilité qui soit officielle et indépendante, c’est aux gouvernements et aux Églises mêmes qu’il incombe d’examiner leurs propres actes et attitudes. Ce sont eux qui doivent avoir le courage et l’honnêteté de dire qu’ils ont manqué à leurs devoirs envers ces enfants. Cela est important non seulement pour les victimes mais aussi pour la guérison de ces institutions et le rétablissement de la confiance que le public avait en elles.

C. Le respect et la participation

Comme nous l’avons dit, les méthodes de réparation quelles qu’elles soient devraient être profitables aux victimes et devraient, à tout le moins, ne pas causer de préjudice additionnel. Une méthode qui ne tiendrait pas compte de cette condition absolue ne pourrait être considérée comme une réussite complète, même si elle entraînait la condamnation des agresseurs ou si elle faisait en sorte que les victimes obtiennent de l’argent.

La privation de pouvoir et l’impuissance sont un des principaux préjudices découlant des sévices en établissement. Il est donc manifeste qu’une méthode de réparation qui ne fait que peu de place aux victimes ou qui est conçue sans qu’elles soient consultées s’inscrit dans le même cycle de sévices. Elle fait comprendre aux victimes qu’elles ne sont pas importantes, même au sein d’un processus qui est censé s’intéresser à elles ou leur être destiné.

Par conséquent, pour que les victimes en tirent le plus d’avantages possible, les méthodes de réparation devraient essayer d’atteindre les objectifs suivants :

Certaines des méthodes auxquelles les victimes de sévices en établissements peuvent recourir n’ont pas, à l’origine, été conçues à leur intention. Par conséquent, ce sont ces méthodes qui présentent les plus grandes difficultés en ce qui concerne le premier et le troisième objectifs susmentionnés. Le système de justice pénale en est le meilleur exemple. Les principaux acteurs en sont l’État (au nom de la société), en qualité d’enquêteur de police et de poursuivant, les tribunaux, en qualité de décideurs indépendants, et le présumé agresseur, en qualité de défendeur. Les victimes n’y jouent qu’un second rôle—essentiel, certes, mais auquel on n’accorde habituellement que peu d’importance ou de considération.

L’enquête policière et le procès criminel lui-même sont une épreuve pénible pour les victimes et ce, pour différentes raisons. Il arrive que la participation à une enquête policière soit involontaire. Même lorsque c’est la victime qui se met en rapport avec les autorités, l’enquête policière peut perturber la vie familiale et professionnelle, peut donner lieu à de multiples entrevues et, afin de préserver la validité des témoignages, peut apporter des restrictions aux communications entre les victimes, les coupant d’une source possible d’appui. Le fait d’assister à un procès peut causer des difficultés financières considérables aux victimes. Plusieurs d’entre elles ont quitté la région où elles ont grandi en raison des douloureuses associations qu’elle représentait. Lorsqu’elles témoignent, on ne leur apporte pour ainsi dire aucune aide financière pour compenser le fait qu’elles doivent s’absenter de leur travail ou engager des frais de déplacement. En témoignant au procès, elles peuvent se trouver nez à nez avec leur agresseur. Elles doivent raconter en détail et en audience publique les sévices qu’elles ont subis, puisqu’il n’existe aucun mécanisme de protection pour les témoins adultes (comme par exemple les écrans ou le témoignage sur bande magnétoscopique). Elles doivent ensuite subir un contre-interrogatoire—qui attaque leur crédibilité et qui leur rappelle le manque de crédibilité dont elles ont souffert pendant leur enfance lorsqu’elles étaient les victimes d’adultes tout-puissants. Les procès civils et les enquêtes publiques peuvent présenter des difficultés semblables, bien que les enquêtes soient plus souples et puissent être moins austères. De plus, les enquêtes sont en général moins contraignantes—souvent, la victime n’est pas tenue de se présenter et de témoigner, contrairement à ce qui se passe habituellement lors d’un procès criminel.

Bien qu’il soit impossible de modifier en profondeur le déroulement des enquêtes criminelles et des poursuites pénales afin qu’elles soient mieux adaptées aux victimes, certaines améliorations sont néanmoins possibles. Les policiers pourraient être spécifiquement formés en vue de ce genre d’enquêtes. Ils pourraient travailler en équipes, équipes dont feraient partie des personnes susceptibles d’apporter un soutien aux victimes pendant toute la durée de l’enquête. Des personnes ressources capables d’apporter un soutien aux victimes et aux témoins pourraient être disponibles avant le procès, pendant le procès et après le procès, afin de soulager la tension nerveuse qu’engendre chez eux la perspective de témoigner et de les aider à surmonter les séquelles. Ces personnes peuvent également les aider à remplir la déclaration de la victime, déclaration dans laquelle la victime fait état des répercussions que le crime a eues sur elle.

Les actions civiles en dommages-intérêts offrent davantage de possibilités si l’on veut atteindre les objectifs que sont le respect et la participation parce qu’à titre de demandeurs ou de demanderesses, les victimes sont les principaux acteurs du système, ce qu’elles ne sont pas dans le cadre des procès criminels ou des enquêtes publiques. Dans ce rôle, les victimes ont un meilleur contrôle sur la formulation de la cause d’action, son orientation et sa conclusion. Leur ascendant est plus grand que dans le cadre d’un recours collectif, où aucun participant ne peut à lui seul influencer le déroulement de l’action. Dans l’un ou l’autre cas, les avocats peuvent donner plus de contrôle aux victimes en associant le plus possible leurs clients à la prise de décision.

Ce n’est que dans le cadre d’un recours extrajudiciaire que les victimes peuvent vraiment avoir la possibilité de déterminer l’étendue et la forme du processus choisi et son issue possible. Cela peut être vrai, dans une mesure plus ou moins grande, des enquêtes publiques, des programmes d’indemnisation et de tout mécanisme fondé sur la négociation comme par exemple le règlement amiable ou extrajudiciaire des conflits. Ce sont ces recours qui offrent les meilleures possibilités de négociation en terrain égal. C’est dans le cadre de ces recours que l’apport des victimes est essentiel, parce qu’il n’y a aucun obstacle à leur participation et donc aucune raison de ne pas les y engager complètement.

D. La guérison des maux

La mise au jour des fautes commises dans les établissements pour enfants, la reconnaissance de responsabilité, la présentation d’excuses relativement à ces fautes, le respect envers les victimes et leur participation la plus grande possible à l’élaboration des méthodes susceptibles de réparer ces fautes sont une nécessité fondamentale. Il importe également, toutefois, d’examiner de quelle façon les méthodes de réparation peuvent soulager ou guérir les maux qu’ont causé les sévices contre les enfants placés en établissement.

En général, les genres de résultats que recherchent les victimes sont connus. Nous les avons examinés au chapitre portant sur les besoins des victimes. La question qui se pose maintenant est celle-ci : quelles méthodes sont les plus susceptibles de répondre à ces besoins? Il ne s’agit pas seulement de déterminer quelles méthodes donnent les résultats voulus, mais aussi de déterminer lesquelles le font d’une manière qui favorise intrinsèquement la guérison et la réconciliation. Dans quelle mesure les différents processus qui touchent les victimes sont-il à la hauteur de ces attentes?

1. Les processus d’enquête
a. Les commissions d’enquête et autres enquêtes publiques indépendantes

Les enquêtes publiques n’apportent aucun avantage substantiel aux victimes et pourraient même, si elles étaient menées sans aucune délicatesse, leur être préjudiciables. Elles reposent sur le témoignage des victimes et pourtant, la publicité dont elles font parfois l’objet peut se révéler fâcheuse et fort difficile pour les victimes. D’autres enquêtes, comme celles que mènent les ombudsmans, les protecteurs du citoyen ou les avocats-conseil spéciaux, se déroulent habituellement d’une façon qui protège la confidentialité même si leurs conclusions sont rendues publiques.

Les enquêtes publiques et autres mécanismes semblables peuvent profiter aux victimes de plusieurs façons. Elles peuvent rendre publiques les fautes commises et, grâce à leur statut officiel, elles légitiment les doléances des victimes. Cette reconnaissance publique des faits passés, si elle ne constitue pas une réparation en soi, fait néanmoins pression sur ceux qui sont en mesure d’apporter un redressement. Les enquêtes publiques peuvent donc être un catalyseur de la réparation.

b. Les enquêtes policières

Les enquêtes policières sont habituellement un prélude des poursuites pénales. Elles montrent concrètement que les autorités considèrent comme sérieuses les allégations de violences sexuelles à l’égard des enfants placés en établissements. Une enquête sur des sévices passés est nécessairement difficile pour les victimes. Toutefois, si elle est menée avec compétence, sensibilité et respect, l’enquête policière peut donner aux victimes un sentiment de prise en charge et les convaincre qu’elles contribuent personnellement à traduire les agresseurs devant la justice.

c. Les enquêtes des journalistes

Si le processus judiciaire est public et peut se révéler intimidant ou coûteux, la divulgation aux médias peut quant à elle se faire en toute confidentialité et gratuitement. Les enquêtes des médias ont parfois donné lieu à la découverte d’actes criminels auxquels les institutions officielles n’ont pas, pour une raison ou une autre, donné suite. Les médias peuvent également éveiller l’attention du public et donc faire en sorte que des pressions publiques s’exercent, d’une manière qui est souvent inaccessible aux victimes.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Quels processus d’enquête sont les mieux adaptés aux cas de sévices contre les enfants placés en établissements?

2. Le processus judiciaire
a. Les poursuites pénales

Comme nous l’avons vu, les procès criminels peuvent être très difficiles pour les victimes—sur les plans affectif, psychologique et financier. Rien ne garantit que cet exercice exténuant donnera lieu à une condamnation. Même lorsqu’il y a condamnation, les victimes trouvent souvent que les peines infligées sont beaucoup trop légères. Quels avantages peuvent-elles donc avoir à s’engager dans un tel processus?

Lorsque les poursuites donnent lieu à une condamnation, on a la preuve que la société réprouve réellement les actes commis. Une déclaration de culpabilité accompagnée d’une peine traduit la répugnance de la société envers les actes commis. C’est une forme de châtiment collectif des sévices. Bien que les victimes n’aient pas toutes besoin de ce symbole public pour guérir et passer à autre chose, plusieurs jugent cette solution satisfaisante et estiment même qu’il s’agit là d’une étape nécessaire à leur guérison. Cela a certainement pour effet de prouver concrètement que c’est l’agresseur, et non pas la victime, qui porte l’entière responsabilité des violences commises. Pour ceux et celles dont la vie a été empreinte de confusion ou de honte par suite des sévices qu’ils ont subis, cette condamnation publique de l’agresseur peut avoir un effet thérapeutique considérable.

b. Les actions civiles en dommages-intérêts

Les actions civiles intentées par les victimes peuvent viser les agresseurs et quiconque était responsable de l’établissement (habituellement une Église ou un gouvernement). La norme de preuve est moins élevée que dans le cas des poursuites pénales (prépondérance des probabilités par opposition à la preuve hors de tout doute raisonnable) mais il incombe à la victime qui intente l’action d’établir le bien-fondé de ses prétentions. Les accords d’honoraires conditionnels entre avocats et clients ainsi que les recours collectifs ont rendu ces recours plus accessibles.

Comme dans le cadre des instances criminelles, la victime devra témoigner, ce qui soulève les mêmes problèmes affectifs. Qui plus est, comme il s’agit d’une action privée et non pas d’une action intentée par l’État, la victime demanderesse assume en règle générale la responsabilité de son financement. Les avantages qu’elle en retire lorsqu’elle a gain de cause sont toutefois plus concrets. À ces avantages s’oppose le fait qu’il est fort possible qu’il faille des années avant que l’affaire ne soit définitivement tranchée, si toutes les voies d’appel sont suivies.

Premièrement, il y a les dommages-intérêts. Les tribunaux peuvent seulement accorder des dommages-intérêts pécuniaires de telle sorte que les préjudices que le demandeur a subis doivent être évalués quantitativement. C’est là, bien entendu, l’avantage le plus palpable. Ce recours présente toutefois un avantage psychologique. Lorsqu’une action civile est accueillie, cela veut dire que le tribunal accepte le lien entre les actes fautifs du défendeur et le préjudice—physique, psychologique ou financier—que le demandeur a subi. L’établissement de ce lien de causalité prouve tout autant qu’une déclaration de culpabilité au criminel que la victime avait raison. En fait, il peut avoir un effet encore plus puissant parce qu’il se rapporte au demandeur personnellement et ce dernier en retire des avantages directs.

Lorsqu’un groupe de victimes a gain de cause à la suite d’un recours collectif, c’est tout le groupe qui obtient justice. Cela présente un avantage non seulement pour les membres du groupe mais aussi pour la collectivité à laquelle appartiennent ces personnes.

L’action civile ne permet pas au tribunal d’ordonner que certains services soient fournis ou que certains actes soient accomplis. Le demandeur pourrait, par exemple, vouloir obliger une Église à adopter un protocole plus strict de sélection des candidats à la prêtrise ou des employés laïques. À l’heure actuelle, les tribunaux ne peuvent qu’évaluer en dollars les dommages que le demandeur a subis.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Outre les différentes méthodes d’attribution de dommages-intérêts pécuniaires, quels nouveaux recours civils seraient susceptibles de répondre aux besoins des victimes?

3. Les programmes de réparation

Plutôt dans le présent Document de discussion, nous avons fait allusion aux programmes d’indemnisation, expression qui sert parfois à désigner une série de mesures, financières ou autres, proposées aux victimes afin de leur venir en aide. Dans certains cas, les conditions et modalités du programme sont négociées avec les victimes afin d’éviter les recours judiciaires—processus qui est souvent appelé règlement extrajudiciaire, ou amiable, des conflits.

Il serait préférable d’employer l’expression programme de réparation pour décrire les méthodes de redressement qui s’appuient sur la négociation entre les parties concernées pour résoudre les questions qui les opposent. Comme nous l’avons souligné, ces questions ne se limitent pas à l’indemnisation financière et comprennent la reconnaissance du préjudice qui a été causé, des excuses, le financement d’un traitement, des sommes pour l’éducation, des conseils financiers et tout autre service pertinent.

Contrairement aux tribunaux, les programmes de réparation ne comportent pas de contraintes préétablies en ce qui concerne les offres qui peuvent être faites aux victimes. Seuls les budgets et la créativité limitent la nature des prestations ou avantages qu’ils peuvent contenir. Les programmes de réparation unilatéraux et ceux qui sont négociés peuvent offrir une indemnisation dont les modalités et les montants sont semblables, mais la méthode utilisée pour mettre en oeuvre le train de mesures proposé peut avoir une incidence sur l’accueil que lui feront les victimes.

a. Les programmes de réparation unilatéraux

L’expression programme de réparation unilatéral désigne les méthodes de réparation qui sont conçues, élaborées et mise en oeuvre par le bailleur de fonds, sans la participation réelle de ceux et celles à qui elles sont destinées. Un ministère, une organisation religieuse ou un autre organisme quelconque pourrait élaborer une série de mesures réparatrices et les proposer aux personnes qui ont été victimes de sévices dans un établissement dont l’organisme était responsable. Il ne fait aucun doute qu’un train de mesures compensatoires qui serait proposé sans que l’on doive recourir aux tribunaux ou même à la négociation séduirait les victimes. La plupart d’entre elles ne sont pas riches et l’incertitude des autres solutions (ainsi que les coûts et les efforts qu’elles supposent) pourrait rendre irrésistible une proposition sérieuse. Le succès d’un programme ne saurait donc être valablement mesuré en fonction du nombre de victimes qui y souscrivent. Comme nous l’avons dit plus tôt, nombreuses sont celles qui estiment qu’une action civile est une entreprise trop difficile. Elles ne verraient donc pas qu’elles ont d’autres choix que celui d’accepter.

C’est précisément pour cette raison que l’on est fondé à mettre en doute l’opportunité des programmes d’indemnisation unilatéraux. Bien que ce genre de programmes apporte indubitablement un avantage tangible aux victimes, il le fait au moyen d’un processus qui semble faire fi des besoins des victimes tout en tirant parti de leur indigence. Il est possible que la partie qui offre le programme n’ait que peu de latitude en ce qui concerne le montant de l’indemnité qu’elle peut offrir. Même dans ce cas, le fait de se réunir avec les victimes ou leurs représentants afin d’en discuter ouvertement serait l’occasion de donner à tous un pouvoir de décision conjoint sur la manière dont l’indemnité devrait être structurée ou répartie. Cela contribuerait également à dissiper le cynisme avec lequel un programme d’indemnisation unilatéral serait inévitablement accueilli.

Les victimes ne sont plus des enfants et si elles ont appris une chose, c’est à se méfier des dépositaires du pouvoir et de l’autorité qui n’ont pas su les protéger et qui pendant des années, ont fermé les yeux sur leurs allégations de violences ou les ont niées. Ce cynisme, ou du moins ce scepticisme, est notamment répandu parmi les survivants autochtones. La méthode retenue peut transmettre un message. Le message que transmettraient les programmes de réparation unilatéraux est que les choses n’ont pas vraiment changé. La méthode de réparation peut faire partie de la guérison mais elle peut tout aussi bien faire partie du préjudice.

b. Les programmes de réparation négociés

Font partie des programmes de réparation négociés les situations où les personnes qui proposent un redressement se réunissent avec les éventuels bénéficiaires et où tous déterminent conjointement la nature et l’étendue des mesures de redressement. Ces mesures peuvent comprendre une aide financière immédiate aux victimes sans préjudice de leur droit de se retirer des négociations et d’intenter des poursuites, jusqu’à ce que toutes les modalités du programme aient été fixées. L’avantage de cette méthode du point de vue des victimes est qu’elle peut répondre à différents genres de besoins, selon la définition qu’en donnent les victimes elles-mêmes. Quant au bailleur de fonds, il peut être presque assuré que ce qu’il propose sera bien reçu par ceux et celles au profit desquels l’offre est faite. Par conséquent, le risque que les victimes rejettent le train de mesures proposé et optent pour le recours aux tribunaux peut se trouver réduit.

En accordant de l’importance à la méthode, on obtient un avantage qui est à la fois tangible et symbolique. L’avantage concret qu’il y a à élaborer un programme d’indemnisation conjointement avec ceux et celles qui seront indemnisés est que cela garantit que le programme est orienté vers les secteurs que les victimes disent être prioritaires. Étant donné que les fonds versés dans ces programmes ne seront pas illimités, il est essentiel à la réussite d’un programme que les bonnes décisions soient prises en ce qui concerne la répartition des ressources. Dans ce contexte, la réussite veut dire que le programme suscite un fort taux de satisfaction parmi les victimes.

Les avantages symboliques peuvent être tout aussi importants. Si la négociation des mesures envisagées a lieu de bonne foi et si les victimes ont vraiment un mot à dire sur la conception, la teneur et la mise en oeuvre du programme, cela constitue en soi un avantage important. Il est fort possible que ce soit la première fois de leur vie que certaines victimes aient l’occasion de se réunir avec des représentants du gouvernement ou de l’Église et d’être traitées comme des égales. Cela peut leur donner un immense sentiment de prise en charge personnelle. À l’inverse, si les négociations ne sont qu’une imposture et si le gouvernement ou l’Église ont déjà décidé ce qu’ils veulent faire, leurs efforts peuvent se retourner contre eux. Un programme d’indemnisation qui, avec cynisme, essaierait de faire participer les victimes mais qui, en fait, n’accorderait aucun poids à leur opinion serait pire qu’un programme de réparation unilatéral. Cela serait susceptible d’anéantir la crédibilité de ceux et celles qui proposent l’indemnisation et de confirmer l’impression qu’ont certaines victimes qu’il ne faut pas faire confiance à l’État et à l’Église. Cela aggraverait également leur sentiment d’impuissance et d’exploitation et pourrait les pousser à intenter des poursuites, à supposer qu’ils n’aient pas renoncé à ce droit.

4. Les initiatives communautaires

Jusqu’à maintenant, la discussion a surtout porté sur les méthodes qui dépendent largement des mécanismes de l’État, comme les tribunaux, ou sur les initiatives de l’État ou d’une Église. Si la méthode de réparation a une certaine incidence sur l’efficacité de la réparation, la méthode la plus efficace devrait donc être celle qui est conçue et contrôlée par les victimes elles-mêmes ainsi que par leurs collectivités ou nations.

Certaines initiatives communautaires peuvent être mises en oeuvre par l’intermédiaire des tribunaux, comme c’est le cas lorsqu’un groupe de victimes décide d’intenter un recours collectif. D’autres initiatives peuvent être davantage axées sur la collectivité. Ainsi, une nation autochtone peut puiser dans ses propres ressources pour retrouver la langue, la spiritualité et la culture qui ont été effritées, en partie, par des décennies d’internat ou pour réadapter les agresseurs qu’elle compte dans ses rangs et guérir les victimes.

C’est en cela que consiste la véritable prise en charge de sa destinée. C’est la collectivité elle-même qui définit ce dont elle a besoin afin de guérir et qui décide des mesures à prendre pour remplir ces besoins. Les collectivités et nations autochtones en particulier reconnaissent qu’il est important qu’elles fassent preuve d’initiative en ce qui concerne la réparation des injustices faites aux victimes ainsi que dans d’autres domaines. Les cérémonies du cercle de guérison et les groupes de soutien des victimes sont des exemples de ce genre d’initiatives. Les victimes ont appris que parfois, elles doivent intenter des poursuites judiciaires pour obtenir l’attention de la partie avec laquelle elles veulent négocier.

Les questions d’indemnisation mises à part, les collectivités et nations prennent l’initiative sur d’autres plans. Ainsi, la marche vers une prise en charge autochtone des services de protection de l’enfance et des écoles est un des héritages des internats pour enfants autochtones. Les collectivités tiennent également des cérémonies du cercle de guérison et établissent leurs propres programmes afin d’aider les victimes à surmonter les conséquences à long terme des violences à l’égard des enfants placés en établissements.

Pour pouvoir accomplir ces tâches efficacement, les collectivités ont besoin de financement. La Fondation pour la guérison des autochtones est un programme qui vise à financer des initiatives de guérison au sein des collectivités autochtones. Il est manifeste que les méthodes de réparation qui appuient les initiatives des victimes et de leurs collectivités sont préférables à celles qui servent principalement les intérêts des responsables des établissements où les victimes ont subi des préjudices. Il peut s’agir d’initiatives aussi différentes que des commissions de la vérité et de la réconciliation, des monuments commémoratifs et des films documentaires.

ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
Y a-t-il d’autres possibilités en matière d’initiatives communautaires?

E. La prévention des sévices

Plusieurs des victimes qui ont participé aux recherches préliminaires effectuées dans le cadre du renvoi l’ont fait parce qu’elles espéraient que les travaux de la Commission contribueraient à prévenir les violences futures à l’égard des enfants. Ce désir d’avoir une influence sur la vie des enfants qui sont actuellement exposés à subir des sévices a une importance primordiale pour les victimes. Des études montrent clairement ce qui doit être fait pour réduire la fréquence des cas de violence à l’égard des enfants. Des mesures permettant de sélectionner et de former adéquatement les employés, d’informer les enfants de leurs droits, de leur donner accès à un surveillant indépendant et de maintenir un rapport employé-enfants qui soit convenable aideraient beaucoup à prévenir les sévices contre les enfants placés en établissements et permettraient aux institutions de faire l’excellent travail dont elles sont capables. De plus, des mesures devraient être adoptées dans tout le pays pour garantir une intervention immédiate et coordonnée lorsque des allégations de sévices contre des enfants sont formulées. Les personnes qui ont elles-mêmes été victimes de violences dans des établissements pendant leur enfance constituent une ressource inestimable à laquelle on pourrait faire appel en les nommant, par exemple, membres des conseils d’administration des établissements et de comités de surveillance ou conseiller auprès des ombudsmans, protecteurs du citoyen et organismes d’intervention en faveur de l’enfant.

C’est dans le cadre même des méthodes de réparation ou en complément à ces méthodes que l’on devrait envisager de prendre des mesures concrètes visant à mettre ces connaissances en pratique. Les murs des établissements pour enfants peuvent être abattus, mais les violences à l’égard des enfants ne disparaissent pas pour autant. Elles ne font que se déplacer. Les révélations de sévices qui ont été faites ces dernières années donnent à penser que la famille ou le foyer d’accueil est peut-être l’« institution » dont nous devons maintenant nous inquiéter. Nous avons également appris que le sport organisé est un milieu où les enfants peuvent être exploités et victimes de sévices pendant de longues périodes. En incorporant des mesures de prévention dans les méthodes de réparation, nous montrons non seulement que nous reconnaissons les injustices passées et que nous voulons y remédier mais également que nous en avons tiré des leçons suffisantes pour ne pas les répéter.

V. La voie à suivre

Au début du présent Document de discussion, nous avons dit que la Commission estime que l’examen des méthodes qui permettraient de répondre aux besoins des personnes touchées par les sévices contre les enfants placés en établissements ne se limite pas à un simple examen des façons d’indemniser un groupe de personnes pour des fautes passées. Pour que la réparation soit valable, il faut comprendre clairement le contexte dans lequel les sévices ont été infligés, les circonstances qui ont fait en sorte qu’ils se sont poursuivis pendant de longues périodes et les conséquences qu’ont eues sur les victimes et d’autres personnes tant les sévices que le retard à y mettre fin. Ce n’est que lorsque nous comprenons le contexte, les circonstances et les conséquences que nous pouvons formuler des solutions qui tiennent compte des facteurs qui préoccupent le plus les personnes touchées, savoir, notamment, la guérison et l’indemnisation, le châtiment et la réconciliation, l’imputabilité et la prévention.

Les méthodes actuellement employées pour remédier aux conséquences des sévices contre les enfants placés en établissements répondent souvent à certains objectifs alors qu’elles ne répondent pas et qu’elles nuisent même à d’autres objectifs. Par exemple, les poursuites pénales peuvent être une façon efficace de punir ceux et celles qui ont commis des actes de violence, mais elles ne donnent lieu à aucune indemnisation et peuvent se révéler traumatisantes pour les victimes qui témoignent. De même, un programme d’indemnisation qui donne de l’argent aux victimes et leur offre des services de counseling mais ne comporte aucune reconnaissance de responsabilité, aucune excuse ni aucune divulgation publique peut être insuffisant ou même inacceptable aux yeux de ses éventuels bénéficiaires.

L’examen des différentes méthodes possibles montre que du point de vue de ceux et celles qui ont été victimes de sévices dans des établissements pendant leur enfance, chaque méthode est susceptible d’amélioration. Voici certaines observations qui se dégagent des recherches de la Commission :

Les enquêtes policières :
  • Les policiers devraient compter sur le fait que les victimes offriront leur concours à la suite d’un appel lancé par les médias plutôt que de se présenter au domicile ou au bureau des victimes sans y avoir été invités et sans s’être annoncés;
  • Lorsqu’ils réalisent des entrevues avec des victimes, les policiers devraient se faire accompagner de personnes qui savent comment agir lorsque les réponses à leurs questions sont source de traumatisme ou encore, être formés pour pouvoir y faire face eux-mêmes;
  • Les policiers devraient réduire au minimum le nombre des entrevues avec une personne;
  • Les victimes devraient pouvoir exercer un choix en ce qui concerne le sexe ou la race de la personne qui les interroge.

    Les enquêtes publiques :
  • Les personnes touchées par les violences devraient prendre part à l’établissement des paramètres de l’enquête;
  • Il faut trouver l’équilibre entre la nécessité de sensibiliser le public à ce qui s’est passé dans ces établissements et le respect de la vie privée des victimes et témoins, peut-être en donnant à ces derniers la possibilité d’un témoignage privé.

    Les procès criminels :
  • Les témoins à charge doivent recevoir des renseignements adéquats sur le déroulement du procès avant le début de l’instance ainsi qu’un soutien suffisant pendant et après l’instance;
  • Une aide financière devrait être offerte afin que les victimes puissent participer au procès à titre de témoins;
  • Dans des circonstances particulières, les témoins devraient être autorisés à témoigner derrière un écran qui les soustrait au regard du prévenu.
    Les actions civiles :
  • Il faut réduire les longs retards et les frais élevés que supposent les actions civiles;
  • Il devrait y avoir des possibilités de médiation.
    Les programme de réparation :
  • Les victimes ou leurs représentants devraient être associés à la conception de ces programmes;
  • Les personnes admissibles à ces programmes ne devraient pas être tenues de renoncer à leur droit d’intenter des poursuites ou d’exercer d’autres recours jusqu’à ce que tous les détails du programme soient connus et leur aient été présentés d’une manière impartiale.
  • ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
    Quelles autres améliorations ou modifications pourraient être apportées aux méthodes de réparation?

    Il arrive que les particularités d’une méthode compromettent les avantages que pourrait apporter une autre méthode et ce, au détriment des victimes. Par exemple, on estime nécessaire d’interdire aux victimes d’une institution qui fait l’objet d’une enquête de se parler jusqu’à ce que le procès criminel ait pris fin, afin de préserver la validité de leur témoignage. Or, cela peut mettre en péril le processus de guérison de ces victimes. De même, il arrive que des procès civils soient ajournés en attendant l’issue de procès criminels mettant en cause les mêmes présumés agresseurs. Étant donné l’incertitude d’une déclaration de culpabilité et les longs retards qu’entraînent souvent les procès criminels, reste à savoir laquelle de ces méthodes est la plus importante pour les victimes et doit donc avoir la priorité.

    ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
    Quelles méthodes de réparation sont les plus susceptibles de répondre aux besoins des victimes ?

    Pour que notre examen des méthodes de réparation des sévices contre les enfants placés en établissements soit complet, nous ne devons pas nous contenter d’envisager de légères améliorations ou des ajustements mineurs à des méthodes précises. Nous devons songer à adopter des nouvelles façons d’aborder la réparation qui soient plus globales. Le fait même que ce renvoi ait été présenté à la COMMISSION DU DROIT DU CANADA montre que les gouvernements sont conscients et s’inquiètent de l’accumulation des preuves de violence à l’égard des enfants dans un grand nombre d’établissements, dont certains sont toujours en activité. Le nombre des actions découlant des violences à l’égard des enfants placés en établissements qui sont intentées aux gouvernements ne cesse de croître.

    Les recours juridiques qui reposent sur la condamnation (civile ou criminelle) d’individus ou d’organismes précis pour des fautes précises commises à des dates précises ne sont pas vraiment propices à la réparation convenable des sévices en établissement et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, le nombre des personnes touchées est très élevé et celles-ci sont réparties dans tout le pays. Deuxièmement, le fait que les sévices ont été commis il y a des années et même des décennies et l’ont été contre des enfants, dont certains très jeunes, soulève des problèmes de preuve qui sont considérables dans le cadre d’une action civile et presque insurmontables dans le cadre d’une poursuite pénale. Troisièmement, il est très coûteux de lancer une action civile. De nombreuses victimes ne disposent pas des ressources nécessaires pour s’en prendre à leurs anciens agresseurs et encore moins aux Églises et gouvernements tout-puissants qui dirigeaient les établissements. Même la participation à une poursuite pénale peut entraîner de graves difficultés financières pour les victimes, sans compter les coûts affectifs.

    Les programmes de réparation extrajudiciaires sont sans doute moins durs pour les victimes sur les plans financier et psychologique. Souvent, toutefois, ces programmes ne sont mis en oeuvre qu’après que les victimes ont intenté un quelconque recours juridique. Dans ces cas, les programmes sont dès le départ en butte à des soupçons. Parce que l’attitude des responsables a généralement consisté à ne pas s’occuper des victimes jusqu’à ce qu’ils soient plus ou moins contraints de le faire, ces programmes peuvent être perçus comme des stratégies visant à atténuer le plus possible leur responsabilité. Cette impression est encore plus forte lorsque la portée et la teneur du programme sont fixées sans la participation véritable des victimes.

    Les victimes elles-mêmes n’ont pas été des lobbyistes très influents, également pour un certain nombre de raisons. Elles sont dispersées dans tout le Canada. En général, elles n’ont pas les ressources financières ni les renseignements (comme par exemple des listes des pensionnaires des établissements) qui leur permettraient de s’organiser efficacement. Plusieurs d’entre elles ne veulent pas être publiquement reconnues comme les victimes d’actes que la société condamne ignominieusement. Plusieurs ne veulent pas être reconnues comme d’anciens pensionnaires de ces établissements, de telle sorte qu’elles ne participeraient pas nécessairement à un lobby. Il peut également y avoir des raisons d’ordre politique qui font en sorte que des victimes appartenant à une collectivité considèrent que leur cas est différent de celui d’autres victimes, ce qui les empêche d’unir leurs efforts.

    Tous ces facteurs semblent indiquer que le chemin sera long, douloureux et coûteux avant que le préjudice imputable aux violences contre les enfants placés en établissements soit réparé. Et cela ne règle en rien la question de savoir si des enfants souffrent, aujourd’hui encore, au sein de nos établissements pour enfants.

    ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
    Quelles nouvelles méthodes de réparation des sévices passés nous permettraient de mieux identifier les sévices actuels?

    Les éléments de preuve dont nous disposons donnent à penser qu’il est maintenant temps que les gouvernements, Églises et autres organismes se réunissent avec les victimes et examinent la situation dans son ensemble. Il est nécessaire de faire un relevé de tous les établissements où des enfants ont été placés. Y a-t-il eu des allégations de violence en ce qui concerne ces établissements? Si aucune allégation n’a été formulée, quelles mesures faut-il prendre pour savoir si des violences y ont effectivement été commises? Est-il possible d’établir des paramètres en ce qui concerne la prestation des services de counseling, d’éducation, de formation et autres services qui seront offerts? Est-il possible de sensibiliser davantage le public au vécu des enfants placés en établissement, par exemple en créant un centre d’archives où leurs expériences pourraient être recueillies, enregistrées et corroborées à l’aide de documents historiques?

    L’avantage de ce genre d’efforts de réparation concertés est que l’on éviterait ainsi l’attitude décousue et relativement passive qui a jusqu’à maintenant caractérisé la réponse que nous avons apportée, comme société, aux sévices contre les enfants placés en établissements. En rassemblant les ressources et l’expertise, nous pourrions éviter le recoupement et la multiplicité des recours, lesquels sont pour la plupart exercés indépendamment l’un de l’autre. Cela permettrait le partage des modèles, des expériences et des leçons apprises.

    ÉLÉMENT DE DISCUSSION :
    Si des démarches globales étaient adoptées, qui devrait en prendre la direction : les victimes, les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral, un organisme indépendant?

    Lorsqu’il s’agit d’envisager la voie à suivre, la Commission veut montrer qu’il est possible d’adopter une nouvelle approche—que l’on peut renoncer au cas par cas, aux décisions prises par contrecoup et aux méthodes accusatoires auxquels notre pays a largement eu recours en ce qui concerne les sévices contre les enfants placés en établissements. Elle veut encourager le développement d’une approche qui accorde des pouvoirs à ceux et celles qui en ont été privés, qui reconnaît la crédibilité de leurs voix, qui respecte la légitimité de leurs besoins et qui cherche à leur permettre de se réinsérer dans les familles, les collectivités et les nations dont ils ont été séparés.

    Finalement, une telle approche pourrait servir non seulement à réparer les injustices du passé, mais également à faire face aux dangers du présent. Les victimes ont beaucoup de choses à nous apprendre. En répondant à leurs besoins et en les écoutant, nous pourrions être en mesure d’adopter de meilleures pratiques en ce qui concerne le soin des enfants placés dans des milieux institutionnels de toutes sortes. Parmi ceux-ci figurent les garderies, les familles et foyers d’accueil, le sport organisé, les camps d’été ainsi que les différents genres d’établissements spécifiquement visés par le renvoi de la Ministre.

    Nous devons prendre l’initiative. Nous devons montrer que comme société, nous ne craignons pas de faire face à l’héritage qu’ont laissé les violences à l’égard des enfants placés en établissements et également, que nous ne tolérerons plus leur perpétuation par complaisance ou par négation.


    À BIEN DES ÉGARDS, ce qui est arrivé dans le monde du hockey s’apparente aux sévices commis contre des garçons confiés à des établissements religieux. Les deux mondes constituent ce que Steven Ortiz appelle des « institutions totalitaires ». « Les monastères, les établissements psychiatriques, les sectes et les équipes de sport professionnel entrent tous dans cette catégorie, affirme Ortiz. Il s’agit de milieux fermés, écartés de la société, à caractère fortement exclusif, chauvin. La culture macho du sport est un bon exemple. Si nous pouvions voir et entendre ce qui se passe dans les vestiaires, il nous semblerait à nous, les autres, qu’il s’agit de comportements inappropriés : les femmes sont dénigrées, on en parle comme des objets, et les hommes ont peur de mentionner quoi que ce soit qui évoquerait l’intimité avec une femme, parce que ce ne serait pas « viril ». En conséquence, pour être acceptés dans l’équipe, ils rationalisent un comportement anormal.» Ortiz estime que l’équipe constitue une « institution totalitaire mobile » en raison de la nature très instable du sport professionnel. En effet, la vie d’un joueur se trouve sans cesse en mouvement, que ce soit à cause des déplacements fréquents de l’équipe ou du risque constant d’être échangé ou blessé. L’aréna et le vestiaire constituent ainsi les seuls éléments stables de l’existence du joueur. D’où l’aréna qui devient son bastion. Tiré de Crossing the Line, à la page 57 [BACK]

    DU POINT DE VUE DES ENFANTS, le fait de faire confiance à quelqu’un pouvait entraîner une trahison. Donc, être seul a d’abord consisté à s’isoler des autres enfants et des adultes... Les sentiments d’aliénation qu’ils ont éprouvés après s’être fermés au monde de l’internat ont été exacerbés parce que les « séjours » dans leurs familles et leurs collectivités sont devenus de plus en plus tendus et difficiles. Dans certains cas, le sentiment de colère et de trahison qu’ils ont éprouvé à l’idée d’être « envoyés » dans un internat a contribué à « rompre » leurs liens avec leur famille... Dans d’autres cas, le sentiment « d’avoir honte d’être un Indien » ou « de ne pouvoir faire confiance à personne » les a isolés de leur famille. Tiré de Breaking the Silence, à la page 32 [BACK]

    LE FAIT D’INSPIRER de la honte à un enfant et de l’humilier en le dénigrant et en le ridiculisant est un autre moyen de le blesser sur le plan affectif. Ce genre de souffrances a été infligé à certains enfants plus qu’à d’autres; mais il est clair que le simple fait d’être témoin d’une humiliation, d’un dénigrement ou d’une raillerie était malgré tout blessant. De nombreux exemples ont été mentionnés au cours des entrevues : le fait de se faire constamment qualifier... de « sauvage » ou de « païen » ou encore de se faire infliger une punition humiliante, comme par exemple d’être obligé de se mettre à quatre pattes et de lécher du lait dans une soucoupe, comme un chat, devant une salle pleine d’enfants, d’être forcé de porter un sous-vêtement taché sur la tête parce qu’on s’était mal essuyé, d’avoir la tête rasée parce que l’on s’était enfui, d’être obligé de manger des aliments que l’on avait vomis ou d’être forcé d’avoir une chaussette usée attachée au collet toute la journée. Tiré de Breaking the Silence, à la page 41 [BACK]

    ILS VOULAIENT FAIRE de nous des Blancs. Vous savez, ils nous battaient parce qu’on parlait notre langue ou des choses comme ça; chaque fois que nous recevions de l’artisanat ou des billes décoratives de chez nous, par exemple, ils nous les confisquaient. Tiré de Indian Residential Schools: The Nuu-chah-nulth Experience, à la page 142 [BACK]

    UN FACTEUR CRITIQUE demeure préoccupant aujourd’hui : l’incapacité de presque tous les parents, du personnel enseignant et soignant de l’établissement Jericho Hill, des professionnels et des policiers de communiquer avec des enfants sourds. Peu d’employés connaissaient assez bien le langage signé pour comprendre ce que les enfants disaient. Tiré de Abuse of Deaf Students at Jericho Hill School, à la page 41 [BACK]

    LES ÉLÈVES ONT identifié les adultes qui les ont agressés. Ils ont aussi identifiés d’autres enfants qui avaient été maltraités. Ils ont raconté avoir eux-mêmes été violents envers d’autres enfants. Et ni les policiers ni les autorités responsables des soins aux enfants n’ont donné suite à ces récits. Forts de leur expérience dans des enquêtes portant sur des agressions commises contre les enfants, les membres de l’équipe MRH responsable de ce genre de dossiers ont confirmé officiellement avoir la conviction que les enfants disaient la vérité. Les employés du dortoir de l’établissement Jericho Hill ont nié avoir eu connais-sance des sévices, et leurs affirmations ont été jugées crédibles, même s’ils se trouvaient clairement en conflit d’intérêts, ayant besoin de se protéger. Il semble que certains membres du personnel aient eu connaissance des actes d’agression. Ceux qui ne croyaient pas les enfants ont tenté de discréditer et d’écarter les gens qui défendaient leurs intérêts et qui persistaient à déclarer que les plaintes étaient dignes de foi. Tiré de Abuse of Deaf Students at Jericho Hill School, à la page 40

    JOHN WILLIAMS, policier d’Ottawa à la retraite, a raconté à un journaliste de l’ Ottawa Citizen qu’il s’était souvent rendu au centre d’éducation surveillée St. Joseph comme bénévole le jour des olympiades annuelles. À une occasion, certains jeunes de l’établissement avaient tenté de se plaindre des mauvais traitements, mais personne ne leur avait prêté attention. Il avait déjà trouvé caché dans son exemplaire du programme de la journée une note dactylographiée décrivant les sévices que les Frères des Écoles chrétiennes infligeaient à leurs pupilles. Il y avait ainsi le cas d’un garçon de onze ans qui avait fait dans son lit et qui avait dû se tenir debout, dans le froid de l’hiver, la tête enveloppée de ses draps couverts d’excréments, jusqu’à ce que les draps gèlent sur son visage. L’auteur de la note mentionnait aussi diverses punitions, celle où les garçons étaient forcés de se tenir, vêtus de leurs seuls sous-vêtements, debout devant les fenêtres ouvertes en plein hiver, ou encore celle où ils devaient se mettre sur la pointe des pieds avec des punaises que les frères plaçaient sous leurs talons pour les empêcher de poser complètement le pied par terre... Williams affirme avoir discuté de ces allégations avec un officier supérieur qui avait assisté aux olympiades ce jour-là, mais cet officier lui avait dit de ne pas en tenir compte. « Ces jeunes sont des sales gamins qui méritent probablement ce qu’on leur fait subir », lui répondit-il. Tiré de Boys Don’t Cry, à la page 189BACK[BACK]

    APRÈS UNE LONGUE enquête, le président Gordon Winter et les quatre membres de sa commission ont conclu que, contrairement aux affirmations antérieures de Penney, l’archidiocèse de St. John avait été informé à plusieurs reprises des allégations de violence sexuelle contre les enfants avant la crise de 1988 et que « l’archevêque n’avait pas pris de mesures efficaces pour régler l’affaire, en dépit des sérieux problèmes causés par les déviances sexuelles de certains prêtres. » Les auteurs du rapport Winter ont constaté que les activités sexuelles reprochées à cinq prêtres au moins étaient connues de l’archevêque, formellement ou non, mais que celui-ci n’a rien fait. Par exemple, le cas d’un de ces prêtres, James Hickey, avait été porté à l’attention de Penney quatre longues années avant qu’il ne soit reconnu coupable à vingt chefs d’accusation d’agression sexuelle sur de jeunes garçons. En effet, durant les événements de 1984, le vicaire général, monseigneur Raymond Lahey, avait informé l’archevêque que la police royale de Terre-Neuve soupçonnait Hickey d’avoir commis une agression sexuelle sur un jeune dans sa paroisse de Portugal Cove. Or, au lieu de prendre des mesures, l’archevêque s’est contenté de poser des questions au père Hickey parce qu’il craignait d’empiéter sur sa vie privée. Aucune enquête n’a été menée par la suite. Tiré de Unholy Orders, à la page 371 [BACK]

    UN ANCIEN pensionnaire, Ralph Jackson, a mis fin à ses jours lorsque sa plainte a été immobilisée quelque part dans le système. « Il croyait qu’il ne serait jamais indemnisé, précise Tina Lentz, coordonnatrice de la ligne d’urgence. Il se sentait abandonné. Il y a tout simplement trop de « Désolé, mais... », trop de formulaires, trop d’attente. » Selon elle, le processus est beaucoup trop exigeant pour la plupart des anciens pensionnaires, dont bon nombre ont à peine l’équivalent d’une 4 e année. Tiré de Boys Don’t Cry, à la page 288 [BACK]

    NI GERRY BELECQUE ni David McCann n’avaient le goût de se réjouir du verdict : même si la déclaration de culpabilité était importante à leurs yeux, elle ne leur apportait aucune joie. Belecque affirme qu’il aurait été plus heureux si Bergeron avait avoué avoir agressés sexuellement les garçons au lieu de perpétuer le mensonge avec lequel eux-mêmes et d’autres ont dû composer toute leur vie durant. « S’il s’était simplement excusé, j’aurais été tellement content! », ajoute Belecque. Tiré de Boys Don’t Cry, à la page 188 [BACK]

    « AIDER DES gens ne revient pas à s’avouer coupable. » Tiré de Unholy Orders, à la page 18 [BACK]

    MAIS AU-DELÀ des froides équations des calculs judiciaires, de la tâche futile qui consiste à accorder une valeur pécuniaire aux larmes d’un enfant, s’ouvre le vide émotionnel où évoluent des hommes adultes qui renferment en eux le garçon brisé qui ne grandira jamais, hors de la portée des indemnisations financières, de la justice rétroactive et de la sympathie bien réelle d’étrangers. Chacun de ces hommes savait depuis le début qu’au moment où la dernière caméra de télévision s’éteindrait, au moment où le marteau du vieux juge retentirait une dernière fois pour clore l’instruction, il retournerait dans la réalité, ce vide sans air où la vie doit être réinventée à partir des souvenirs douloureux d’une enfance devenue désespérément tragique. Tiré de Unholy Orders, à la page 375 [BACK]

    IL NE LEUR manquait pas seulement l’instruction : ils étaient atteints émotivement, cognitivement et intellectuellement. La plupart d’entre eux étaient dépourvus des connaissances pratiques élémentaires, ce qui ne facilitait en rien leurs relations avec les autres. « La violence avait complètement perturbé leur capacité de nouer des liens véritables avec les gens de l’extérieur, précise Landino. Si quelqu’un les regardait dans la rue, ils le frappaient. Ils portaient des couteaux, et même une arme à feu dans bien des cas. Ils étaient enragés contre la terre entière. Honnêtement, je crois que s’ils n’étaient pas venus en thérapie, bon nombre d’entre eux auraient tout simplement mis fin à leurs jours, ou bien dévalisé une banque ou agressé quelqu’un. Les tentatives de suicide étaient fréquentes, soit par pendaison, soit par ingestion de médicaments. » [BACK]

    DAVID McCANN sait pertinemment où il se trouverait s’il n’avait pas bénéficié d’une thérapie grâce à l’entente. « Je n’aurais pas survécu aux six dernières années, affirme-t-il. Je me serais suicidé. C’est la thérapie qui m’a permis de m’ouvrir sans crainte aux autres et de laisser approcher ceux qui m’aiment. » Tiré de Boys Don’t Cry, à la page 283

    S’IL Y A UNE CHOSE que le Mohawk Institute a volé à notre peuple, c’est le sens de la famille, car à l’institut on vous apprenait que la survie des meilleurs et de l’individu, le moi, et moi seul, était ce qu’il y avait de plus important. Comme on ne fonctionnait pas comme une famille là-bas, on n’a pas appris les valeurs de la vie familiale, et on n’a donc pas appris à être parents, car on n’a pas eu de parents. Tiré de The Mush Hole, à la page 390

    « J’AI L’IMPRESSION que j’en sors enfin vainqueur. Je suis heureux d’avoir pu témoigner. C’était presque comme aller au confessionnal—sauf que, jusqu’à il y a un an, je pensais que c’était moi le coupable. » Tiré de Boys Don’t Cry, à la page 199 [BACK]

    CERTAINES FAMILLES ont ressenti une énorme culpabilité et une immense colère parce qu’elles n’avaient pas pris de mesures actives pour intervenir lorsqu’elles ont été avisées des mauvais traitements subis par leurs enfants ou lorsque ceux-ci ont fait savoir clairement qu’ils ne voulaient pas retourner à l’établissement. Certains parents n’ont pas compris ce que leurs enfants disaient et les ont renvoyés en résidence; ils nous ont affirmé qu’arrivés à l’âge adulte, leurs enfants ont coupé tout contact avec eux parce qu’ils n’ont pas su les protéger. Nous estimons que le gouvernement a une responsabilité envers les familles des enfants qui ont signalé les agressions en 1982 et celles des enfants qui ont été identifiés comme victimes. Tiré de Abuse of Deaf Students at Jericho Hill School, à la page 47 [BACK]