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LETTRES ET JOURNAUX

Nouvelles de l'étranger

Extrait d'une lettre du révérend père Fourmond, O.M.I., missionnaire apostolique à Saint-Albert
Mission du Lac La Biche, Notre-Dame des Victoires, 14 décembre 1874

Aucun doute que vous serez étonné de recevoir une de mes lettres de ce nouveau poste. Qu'est ce que peux dire, j'ai été relégué ici par la sainte obéissance, et c'est suffisant pour se sentir satisfait; ce sont les conséquences de la révolution silencieuse, les seules qui se produisent autour d'ici. Grâce à une décision d'une autorité plus élevée, le Lac La Biche est redevenu, comme autrefois, sous la juridiction de l'évêque Grandin, avec ce fait exceptionnel que nous seront administré par un supérieur spécial, responsable seulement devant le révérend père général et partagant ses coûts et profits avec les deux vicaires : les évêques Faraud et Grandin.

Le révérend père Leduc, désigné supérieur, ayant malheureusement une santé sensible comme le révérend père Vegreville et le révérend père Rémas de cette même mission, usé par les difficultés d'un long apostolat, m'a invité à les aider comme directeur car ma santé est plutôt bonne. J'ai été forcé d'emballer mes affaires pour venir ici en hiver, environ deux cents lieues plus loin au nord que l'année dernière. Tout est différent ici : le pays et le peuple. Le pays : ce ne sont pas les vastes plaines imposantes, les montagnes colossales avec leurs mille formes pittoresques de la mission intacte de Notre-Dame-de-la-Paix. À Notre-Dame des Victoires, c'est seulement buisson, marais et lacs. Quant aux lacs, nous avons les lacs Beaver et Mhale, et le grand et beau Lac La Biche! Je ne sais toujours pas quels sont les deux premiers qui sont à quelques jours de marche d'ici, mais il y a beaucoup de familles de Métis déjà établies dans ces différents endroits. Je pense que très bientôt je devrai aller les évangéliser.

Quant au Lac La Biche, vous devez déjà la connaître depuis longtemps. Notre-Dame des Victoires est l'une des missions les plus anciennes du district de Saint-Albert, c'est également l'une des plus convenables; nous avons déjà un excellent établissement pour les sœurs, un orphelinat et une bonne ferme. Malheureusement, la maison des pères n'est pas assez grande pour loger les pères et les frères et nous sommes légèrement empilés les uns sur les autres. Mais grâce aux soins de nos prédécesseurs qui ont travaillé dur, une plus grande maison de deux étages, une merveille dans ce coin du pays, est déjà construite et ouverte : nous pourrons très probablement y déménager cet été.

La chapelle des sœurs qui sert d'église de paroisse est également très inadéquate. Mais comme nous sommes chanceux d'avoir ici comme supérieur le grands architecte et entrepreneur de la belle cathédrale de Saint-Albert; il projette déjà de mettre le bois à la hache pour construire ici une église conformément à l'importance de cette mission. Ceci est facilité parce que le bois de construction est proche et l'évêque Faraud nous a doté d'une scierie hydraulique avec notre moulin à farine.

Ce Lac La Biche est assurément la plus belle chose que j'ai jamais vue. Il est au moins une fois et demi plus grand que le lac Saint-Anne. Ses bords sont plus hauts formant autour de lui une vaste ceinture de baies, de péninsules, de collines et de vallées lui donnant à première vue un aspect beaucoup plus pittoresque : quelques grandes îles dispersées ici et là, quelques petites maisons d'une simplicité primitive entourées par des champs et construites sur les flans de coteaux et, pour compléter ce charmant paysage, des buissons, des marais, des fleuves et des criques qui étonne le voyageur. La mission, avec ses nombreux établissements et son petit fleuve qui s'enroule autour d'un marais de hauts roseaux pour finir sur le lac, son riche monticule, vous frappe immédiatement en tant que reine de ce beau lac !

Il est vrai que maintenant ces beautés de la nature sont légèrement cachées par un épais manteau de neige que le vent du nord a parsemé autour de nous de sorte que, si vous souhaitez faire une courte promenade, vous devez être prêts à marcher dans la neige jusqu'aux genoux ou à utiliser l'invention lumineuse que sont les raquettes ou les traîneaux de chiens; un système très bon marché qui remplace dans ce pays vos chemins de fer et carrosses d'état. Si la civilisation est incomparablement plus merveilleuse et plus rapide, la primitivité a ses avantages et également ses plaisirs. Ainsi, ces raquettes qui, tout en vous permettant de marcher une canne à la main si vous le souhaitez sur des banquises de neige où sans elles vous seriez enterré vivant, vous donnent un certain air de dignité qui pourrait être envié par beaucoup de personnalités de la classe aristocratique futée de votre monde civilisé!

Et ce léger traîneau fait en parchemin, tiré par trois ou quatre chiens, peut mettre au défi vos meilleures équipes. Avec lui, vous voyagez de longues distances sans vous souciez de la présence des fleuves, des lacs ou des banquises de neige. Ce n'est pas tout. Combien de fois ces chiens fidèles, ayant tiré toute une journée sans manger les poissons que vous jetez au camp de nuit, viennent chauffer vos pieds par une nuit claire et froide sous la lune et les étoiles, avec - 40 degrés. Un service à ne pas rejeter! Puis comment décrire les drôles de tours qu'ils jouent pour vous amuser sur le chemin; se tournant impatiemment vers vous pour se rassurer que vous êtes toujours là. Parfois, ils oublient et violent le code en se lançant vers vous pour vous caresser; alors le conducteur, qui souvent n'apprécie pas ces méthodes, les appelle de nouveau au devoir avec le fouet. Vous devenez alors le témoin des scènes particulières : les pauvres animaux, soudainement confus, se roulent parterre, hurlent sous les coups et parfois se vengent contre leur guide inflexible. Ils se libèrent de leur harnais grâce à des manœuvres intelligentes, s'éloignent et rient de l'homme avec le fouet. Ce dernier est alors forcé de recourir à des procédures plus polies et d'être en pourparlers avec le fugitif pour l'amener de nouveau au poste. Mais heureusement que peu de chiens connaissent ce tour!

Quelques mots maintenant sur les habitants du pays. Tandis qu'à Notre-Dame-de-la-Paix nous sommes au centre même de la barbarie et de la sauvagerie, surtout aujourd'hui car ils nous disent que de nouveau la paix est menacée entre les Crees et les Blackfoots (ici comme à Saint-Albert), nous avons cependant des chrétiens qui nous consolent. Ils sont presque tous des Métis, Canadiens-français, certains Canadiens de souche, tout à fait paisibles, vivant la plupart du temps de la chasse et de la pêche. Quant à l'agriculture, ils ont tout au plus un petit champ à cultiver autour de la maison et plantent chaque année de l'orge ou du blé et des pommes de terre. Ayant toujours autant d'excellents poissons qu'ils le veulent, ils ne comprennent pas l'utilité de cultiver autant car cela leur coûterait beaucoup de sueur. Aussi, ici, gagner son pain à la sueur de son front est quelque chose d'inconnu. Néanmoins, en voyageant, ils peuvent travailler comme un cheval, pour ne pas dire comme un chien. Mais il semble que ce soit dans leur nature de courir un jour entier au lieu de travailler la terre. Cette passion pour le voyage et la chasse nous rend la tâche difficile en ce qui touche le rassemblement autour de nos missions et nous force à courir après eux pour pouvoir les évangéliser et leur donner les sacrements, rendant notre ministère beaucoup plus difficile.

Pour cette raison, un certain nombre de maisons construites par les premiers colons dans ces endroits peu développés sont aujourd'hui abandonnées, leurs habitants ayant élu domicile ailleurs jusqu'à ce qu'ils se déplacent encore selon leur gré. La même chose à Saint-Albert, la majorité des colons ont déménagé dans la prairie pour chasser le bison; ils passent l'hiver au lac Buffalo où ils construisent environ soixante maisons. Le père Doucet est avec eux. Sans compter qu'environ cent familles de Métis de Saint-Boniface sont venues camper dans la même prairie aux collines Cypress. C'est d'ici que le père Lestang est venu remplacer le père Leduc à Saint-Albert.

Votre humble serviteur,

J. Fourmond


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