Les
albums souvenirs du Canada des années 1880 et
1890 ont été publiés par des papetiers et des
libraires canadiens, ainsi que par les compagnies
de chemin de fer qui les destinaient à leurs clients.
(Les personnes qui voyageaient par bateau à vapeur
constituaient une autre clientèle, tout comme
le deviendront plus tard les touristes se déplaçant
en voiture.) La plupart des volumes de cette période
semblent avoir été imprimés aux États-Unis pour
le compte d'éditeurs canadiens. Les albums possèdent
des caractéristiques communes : les dessins reproduits
par photomécanique (qui semblent inspirés de vues
photographiques), colorés à l'occasion, sont imprimés
sur une seule feuille de papier pliée en accordéon,
puis placés dans un étui avec une couverture en
toile à timbre sec et parfois dorée. On passe
sous silence le nom des artistes qui ont réalisé
les dessins pour ces publications.
Au
tournant du siècle, on a recours à tout un éventail
de nouveaux procédés de photomécanique pour l’album
souvenir, tel que la photogravure, le demi-ton et
l’artotype; pour un grand nombre de publications,
on adopte le format de l’album à photos. Le texte
se limite habituellement à l’introduction et aux
légendes des images. La qualité du design, des
reproductions et de l’impression varie de modeste
à élégante. Même si les photographes locaux ou
itinérants restent souvent anonymes, dans les
premières années du siècle, on commence à les
identifier. Des photographes accomplis comme les
Livernois de Québec ou Notman de Montréal figurent
parmi ceux-là. Les albums témoignent de l’expansion
de la profession de photographe dans tout le pays,
et servent parfois à identifier des photographes
régionaux peu connus ainsi que leurs oeuvres.
Au
début du XXe siècle, les albums de
vues sont conçus non seulement pour plaire aux
touristes, mais aussi pour encourager le peuplement
et attirer les investisseurs. Les albums de l’Ouest
canadien en particulier contiennent des statistiques
hardies sur des facteurs comme la croissance de
la population, le nombre de permis de construction
délivrés ou le nombre de kilomètres de trottoirs
et de rues pavés, ainsi que des inventaires des
services publics : écoles, banques, hôpitaux,
églises, hôtels, abattoirs, bornes-fontaines,
quotidiens et « clubs pour gentlemen ». Les titres
des couvertures reflètent la fierté du citoyen
et le battage publicitaire : La ville phénoménale;
La ville merveille; La ville céleste; La ville
électrique; À croissance stable, prospérité solide;
Sa grandeur actuelle, sa splendeur future; et
N’a jamais connu de recul.
Des
artistes créent des vues utopiques du potentiel
et du progrès des nouvelles villes, et ces images
ornent la couverture de nombreux albums. Une avalanche
de superlatifs annoncent qu’il n’y a pas une ville
dans le Dominion qui ne soit pas: sans pareille,
glorieuse, irrésistible, majestueuse, charmante,
pittoresque, sublime, insurpassable, prospère,
merveilleuse, remarquable, belle ou pleine d’activité.
On qualifie chacune d’elles de mecque, de plaque
tournante, de joyau, de point de mire, de métropole,
de reine, de porte, de point de passage et on
fait l’éloge de leur emplacement, de leur éclairage
ou de leur réseau d’égouts. Ottawa est saluée
comme la « belle ville », la « couronne
de tours »; et Victoria, comme la ville de
l’Empire au destin pacifique.
En
guise de comparaison, on évoque l’Éden, les royaumes
européens, Babylone, la Suisse, Naples, le Rhin,
Gibraltar et les Tropiques. Les villes s’enorgueillissent
d’avoir le plus de personnes qui assistent aux
offices religieux, la jeunesse la plus ambitieuse,
le moins d’individus grossiers, le plus d’alarmes
à feu ou encore le plus grand nombre d’intersections
à angle droit. On affirme d’un centre urbain qu’il
est le plus tourné vers l’aviation; et d’un autre,
que son climat est le plus apprécié, quoique ses
étés soient impossibles à décrire.
Les
titres du XXe siècle proviennent de
maisons d’édition canadiennes et américaines spécialisées
dans la publication d’albums souvenirs : Valentine
& Sons (Montréal), W. G. MacFarlane (Toronto),
The Photogelatine Engraving Company (Ottawa) et
la Canadian Promotion Company (Winnipeg). Les
maisons d’édition canadiennes confiaient fréquemment
leurs travaux d’impression à des firmes situées
aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemage.
Parmi les plus prolifiques éditeurs d’albums souvenirs
du Canada, citons The James Bayne Company of Grand
Rapids, au Michigan, dont les volumes contenaient
des photographies regroupées en collage minutieux.
Le peu d’albums en français sur le Québec nous
rappelle la prédominance de l’anglais dans le
commerce de cette province à l’époque.
Un
grand nombre d’albums ne sont pas datés (nous
leur accordons la décennie probable de publication).
Des recherches plus poussées pour connaître la
date de construction (ou de disparition) des immeubles
et des monuments photographiés, ainsi que des
détails comme le mode de transport (véhicules
hippomobiles ou voitures à propulsion mécanique,
comme l’automobile) ou les vêtements des personnages,
peuvent nous aider à établir avec plus de précision
les dates de publication des albums.
Les
albums étaient envoyés à des amis ou à des membres
de la famille en guise de cadeaux ou de souvenirs,
comme en témoignent les inscriptions qu’on y trouve
: À Margaret de Flossie; Avec nos meilleurs
voeux pour le temps des fêtes; Joyeux Noël à May
d’Addie; à Harold, de Myra qui t’aime; En souvenir
des bonnes causeries. La popularité de l’album
souvenir avait diminué à la fin des années 1930,
sans doute parce que la Crise décourageait la
population de voyager, ou encore parce qu’une
période d’immigration et de prospérité venait
de se clôturer.
Les
publications suscitent un vif intérêt chez les
historiens de l’art, de l’architecture, du développement
urbain et de la photographie au Canada. Elles
possèdent un immense attrait en tant que témoins
d’une période dans l’histoire d’un jeune pays,
qui a été caractérisée par une croissance rapide
et une ambition grandiose.
La
recherche dans les collections est offerte par région,
par photographe, et par éditeur/imprimeur.
Les données bibliographiques sont tirées
du catalogue de la Bibliothèque du Musée des
beaux-arts du Canada.
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