[239] LA PEINTURE*
1. Dans plusieurs chapitres
antérieurs, nous avons mentionné le très vif
intérêt que les Canadiens portent aux
beaux-arts, et en particulier à la peinture.
Toutefois, nous avons jusqu'ici considéré les
choses plutôt du point de vue de l'amateur, du
« consommateur ». Passons maintenant aux «
producteurs », aux peintres eux-mêmes, qui nous
ont démontré que la peinture canadienne est
vraiment « en marche », pour reprendre un mot
prononcé au cours de nos audiences à Montréal.
C'est avec un grand intérêt que nous avons
recueilli les opinions de ces peintres qui ont
bien voulu nous exposer le mouvement progressiste
de leur art et la façon dont ils s'efforcent,
par l'intermédiaire de la peinture, de traduire
certaines qualités intangibles, certains
caractères impondérables de notre paysage et de
notre société.
2. La collaboration des peintres
au travail de la Commission a été spontanée.
Elle s'est manifestée tour à tour d'une façon
collective et individuelle. La Royal Canadian
Academy of the Arts nous a présenté ses
vues, de même que le Canadian Group of
Painters, le Conseil canadien des arts et la Federation
of Canadian Artists. Des groupes de jeunes
artistes et de peintres amateurs sont venus
expliquer non seulement les tendances de notre
peinture contemporaine mais les divers problèmes
qui se posent à l'artiste canadien. Enfin, nous
devons à deux personnalités canadiennes de
premier plan, une du Canada de langue française
et l'autre du Canada de langue anglaise, des
études spéciales sur la peinture canadienne,
dans lesquelles nous puisons largement pour la
rédaction des notes qui suivent.
LES TENDANCES ACTUELLES DE LA
PEINTURE CANADIENNE
3. D'éminentes autorités en la
matière nous ont exposé leurs vues sur les
lignes générales de direction que notre
peinture a suivies, sur les influences
canadiennes et étrangères qu'elle a subies, sur
sa qualité actuelle et son orientation probable
à l'avenir. Nous avons été frappés de
l'accord remarquable de ces témoins, qui
venaient pourtant de régions différentes et qui
n'appartenaient pas aux mêmes cercles de
critique.
4. La première école de peinture
véritablement canadienne a été, on ne l'ignore
pas, le « Groupe des Sept »; c'est dans
l'uvre de ce groupe que commence à poindre
une « manière » particulière aux peintres
canadiens. C'est grâce à l'effort commun de ces
artistes qu'on a senti, pour la première fois,
une volonté d'expression originale et un souci
de perfection artistique qui est devenu le
dénominateur commun de tous nos peintres, quelle
que soit l'école à laquelle ils se rattachent.
[240]
5. Pour bien saisir la
signification du Groupe des Sept, il faut sans
doute considérer attentivement l'uvre des
peintres distingués qui l'ont précédée.
Morrice et quelques-uns de ses prédécesseurs et
contemporains furent de grands peintres
canadiens; seulement, ils travaillaient
isolément et leur réputation personnelle
n'entraînait pas la reconnaissance d'une
peinture distinctement canadienne. De plus,
Morrice, par sa formation, par son genre
d'existence et même par ses sujets, appartenait
encore plus à la peinture internationale qu'à
la peinture canadienne. Morrice est mort à
Tunis. Il est peut-être symbolique que Tom
Thomson, qui avait des attaches si étroites au
Groupe des Sept et qui fut l'un de ceux dont les
uvres contribuèrent le plus à la
formation de cet esprit nouveau qu'on a appelé
le naturalisme romantique, se soit noyé dans
l'un de ces lacs du Grand Nord canadien, dont il
sut si bien exprimer le caractère particulier.
6. Nous avons eu l'avantage, non
seulement d'entendre parler du Groupe des Sept,
mais d'entendre ce groupe lui-même dans la
personne de l'un de ses premiers membres, M.
Arthur Lismer, qui, pour expliquer et évaluer
l'importance de l'uvre accomplie par ses
collègues, nous a déclaré :
« Si l'uvre du Groupe des Sept
eut quelque mérite, c'est que ce groupe
réunissait des hommes, venus de régions et
de préoccupations bien diverses, et qui
immédiatement après la guerre de 1914
éprouvèrent le désir de donner au peuple
canadien une représentation visuelle,
nouvelle et révélatrice, de ce pays pour
lequel ils avaient lutté. Nous comprîmes
que notre devoir était de faire voir aux
gens l'aspect véritable de notre terre
canadienne, de leur faire comprendre qu'il
n'y avait pas là simplement une contrée à
exploiter industriellement... Des hommes tels
que Thomson, Jackson et Harris, avec leur
vision particulière du Nord canadien,
étaient des pionniers d'un genre nouveau » (1)
.
7. Le Groupe des Sept se
rattachait à la tradition descriptive et
romantique. C'est dire que, tout en se soumettant
d'abord à l'essentiel de l'objet, il conservait
la liberté de suggérer, à la fois par
l'intermédiaire et au delà de l'objet
immédiat, la grandeur et l'âpreté du paysage
canadien. Certains peintres actuels, notant les
mauvaises imitations de cette manière, signalent
qu'elle peut réduire la peinture à la simple
observation statique et passive du monde
extérieur, à une sorte de copie desséchée. Il
ne faut pas, pour autant, nier l'influence
profonde que cette manière a exercée sur la
formation d'une école de peinture de grande
valeur et nettement canadienne. À l'origine,
cette école ne comprenait que des peintres de
langue anglaise. Lorsqu'elle devint le Canadian
Group of Painters, elle admit des artistes de
langue française, préoccupés eux aussi, avant
tout, de nature et d'atmosphère canadiennes.
8. Ce n'est cependant pas dans
cette direction que nos peintres de langue
française apporteront leur véritable
contribution originale à la peinture canadienne.
Cette contribution est plutôt le fait d'un
groupe de
[241]
jeunes peintres de Montréal, qui, vers 1940,
subirent profondément l'influence de certains
artistes étrangers. Les expositions se
multiplient; des discussions passionnées
s'élèvent auxquelles le public finit
inévitablement par être mêlé. C'est alors que
M. Alfred Pellan rentre au Canada, après une
douzaine d'années de séjour à Paris, où il a
déjà acquis une belle réputation grâce à ses
uvres hardies et fraîches. Et sa première
exposition canadienne est à peine terminée
qu'il va de l'avant, se met à former des
élèves, essaie de nouvelles formules.
9. Cette nouvelle école
s'éloigne du naturalisme romantique pour se
diriger vers certaines formules qui sont en vogue
dans des pays plus avancés. La mort, en 1942, de
Clarence Gagnon, qui représentait le naturalisme
romantique dans ce qu'il avait de plus élevé et
de plus soigné, marque sans doute la fin d'une
époque. M. Lismer lui-même, que nous avons
déjà cité à son titre de membre du Groupe des
Sept, nous a parlé de la nouvelle école. Il
nous fit remarquer que les peintres du Groupe des
Sept, pionniers d'une école de peinture
véritablement canadienne, avaient senti le
besoin de s'éloigner des villes. Leur mérite
essentiel avait été de voir et de faire voir le
sens du paysage canadien. Mais leurs successeurs,
tout en conservant le souci traditionnel de
perfection technique, s'intègrent dans la
société et intègrent leur art dans la vie
canadienne. Ils s'intéressent moins à
l'édification d'un art canadien; l'important, à
leurs yeux, c'est que l'art soit pratiqué au
Canada. « Leurs uvres émergent d'un
nouvel esprit canadien, au lieu de surgir
simplement de la contemplation du paysage
canadien » (2) .
10. Cette façon très fine et
très désintéressée d'apprécier une école de
peinture aux antipodes de sa propre manière,
chez un peintre canadien d'une génération
précédente qui a donné le meilleur de son
talent dans d'autres directions, est, à notre
point de vue, très significative. Elle est le
signe d'une continuité dans la tradition
picturale du Canada, qui dépasse toutes les
chicanes d'écoles. L'auteur de l'une de nos
études spéciales corrobore la position prise
par M. Lismer à l'égard de la nouvelle école,
lorsqu'il écrit que l'influence internationale
n'a pas été l'adversaire d'un canadianisme
vigoureux; au contraire, des circonstances
nationales et internationales ont créé un
nouvel art canadien. À l'audience de Montréal,
un jeune peintre a souligné cette vérité, en
ces termes :
« La peinture canadienne n'est
canadienne qu'à la condition d'être d'abord
de la peinture; c'est-à-dire qu'elle relève
de l'esprit qui est transcendant au sujet,
qui dépasse le sujet. L'uvre
prévaudra par la valeur humaine de
l'impression qu'elle créera et non pas par
le sujet » (3) .
La nouvelle école comprend des peintres de
langue anglaise aussi bien que de langue
française, bien que les spécialistes notent des
différences entre les uns et les autres. Les
premiers, nous dit-on, traduisent plus facilement
une expérience intellectuelle et l'incertitude
de la vie moderne.
[242]
Les seconds expriment avec plus de bonheur la
joie de vivre, de penser et de sentir. Mais ils
sont tous également éloignés de l'ancienne
formule du naturalisme interprétatif. Il semble
donc, assure-t-on, que la peinture canadienne
cherche sa voie définitivement en dehors de la
nature et que, malgré cela, elle n'en soit pas
moins de chez nous.
1l. Nous avons, il va sans dire,
appris avec intérêt le rayonnement de notre
peinture à l'étranger. L'école des
naturalistes romantiques a bien servi le Canada
dans les autres pays. Elle a provoqué
l'admiration des connaisseurs à l'Exposition de
Wembley en 1924-1925 et à l'Exposition du Jeu du
Paume à Paris en 1927. Nos peintres actuels ne
cherchent plus à exploiter la nouveauté du
paysage canadien. Notre jeune peinture,
préoccupée de formes et de couleurs, est jugée
sur un pied d'égalité avec la peinture moderne
des autres pays. Le prestige esthétique du
Canada n'y perd rien si l'on en juge par le
succès de l'exposition Pellan, à Paris avant la
guerre, par celui plus récent de l'exposition
LaPalme à Rome et aussi à Paris. C'est surtout
par sa peinture que le Canada brille dans le
domaine des arts à l'étranger aussi bien que
chez lui, et aucun des spécialistes qui se sont
présentés devant la Commission n'a fait
entendre la moindre note discordante sur la
valeur éminente de notre peinture, autant comme
témoignage canadien que comme réussite
artistique.
LES PROBLÈMES DU PEINTRE
CANADIEN
12. Et cependant, le peintre
canadien se voit en face de très graves
problèmes. La peinture n'est pas encore devenue
complètement, chez nous, un élément
généralisé de culture, ce dont souffrent et le
peintre canadien et la population en général.
La peinture canadienne ne jouit pas d'une
considération suffisante, ni auprès des milieux
officiels ni parmi les particuliers. Il en
résulte que, en dépit de l'exubérance qui
règne chez les peintres et d'importants groupes
d'amateurs, il existe de sérieuses lacunes dans
le système des relations unissant le peintre
canadien et son milieu national. Les musées,
nous l'avons dit, s'efforcent d'établir la
liaison, mais ils ne sont pas dans une situation
qui leur permettrait de stimuler la création en
assurant aux peintres une vente régulière de
leurs uvres. Il en ressort que, si la
peinture canadienne a atteint un très haut
niveau de qualité, il faudrait au Canada plus de
peintres et plus de tableaux. La Royal
Canadian Academy of the Arts nous a
mentionné « ce besoin que nous avons d'une
production accrue dans un pays où d'autre part
la qualité de la peinture ne laisse pas à
désirer » (4) .
13. Et pourtant ce groupe
restreint de peintres canadiens participe d'une
façon très intense et très efficace à la vie
culturelle du pays. On nous a signalé le cas
d'un centre d'art qui a été fondé en grande
partie grâce à la générosité de peintres
canadiens qui ont mis à sa disposition les
sommes que leur avaient procurées la vente de
certains de leurs tableaux.
[243]
Nos peintres, ainsi qu'il nous l'ont appris
eux-mêmes, prêtent constamment et gratuitement
leurs uvres à des expositions de tous
genres, bien qu'elles leur reviennent souvent
endommagées. La Northern Ontario Association
a tenu à signaler la générosité avec laquelle
des peintres de grande réputation ont
contribué, sans profit matériel pour
eux-mêmes, à l'organisation de cours
d'initiation aux Beaux-Arts. Le West Vancouver
Sketch Club a exprimé lui aussi sa
reconnaissance à cet égard. En face d'un tel
sens de la collaboration nous ne saurions
qu'admirer l'extrême réserve avec laquelle nos
peintres ont parlé de leurs problèmes
matériels et de l'aide dont ils ont besoin.
14. Nous avons remarqué
également leur sens très développé de la
liberté et de l'intégrité de l'artiste. Nous
lisons dans le mémoire de la Federation of
Canadian Artists :
« Les arts ne doivent être ni
dominés ni enrégimentés, et ils ne doivent
pas être asservis à des fins spéciales et
étroites... Les arts sont l'expression
indépendante de la conscience profonde de
l'individu ou de la société... Ils peuvent
être encouragés, stimulés et aidés; on
peut même leur indiquer de nouveaux
horizons, et c'est tout à leur avantage,
mais, si l'on intervient de l'extérieur dans
leur évolution naturelle, quels que soient
les résultats immédiats de cette
intervention, elle finira dans la
dégradation des arts et dans la destruction
du pouvoir qui aura attenté à leur liberté
» (5) .
Dans son témoignage, le représentant de la
même association a précisé en ces termes la
position de tout ce groupe à propos de
l'organisme envisagé pour la coordination des
arts :
« . . . Cet organisme, quelle qu'en
soit la constitution, devrait se garder
d'attenter à la liberté et à
l'indépendance de l'artiste. Ce dernier ne
doit être soumis à quelque directive
extérieure que ce soit quant à la nature
même de son uvre » (6)
.
Ce n'est pas que nos peintres cultivent
secrètement des goûts d'isolement et qu'ils se
tiennent en marge de leur milieu. Au contraire,
ils ont manifesté qu'ils se sentent solidaires
des mouvements intellectuels et sociaux de leur
pays et du monde. On a vu plus haut l'insistance
qu'ils mettent à faire valoir l'idée de
l'intégration des artistes dans la société
canadienne. Le porte-parole de la Royal
Canadian Academy of the Arts a déclaré,
pour sa part, que c'est son désir qu'on la
considère comme un organisme de travail, qui
essaie de servir le pays plutôt que les groupes
particuliers qu'elle représente. Les peintres
canadiens veulent mettre en lumière aussi bien
leur liberté de créateurs que la fonction
essentielle qu'ils remplissent dans la société
comme artistes et comme citoyens. Ils n'en sont
pas, pour autant, champions d'un nationalisme
étroit. Le Groupe de peintres canadiens demande
que se multiplient les invitations aux peintres
étrangers à tenir des expositions au Canada.
[244]
15. D'autre part, ainsi que nous
l'avons indiqué, les peintres canadiens pensent
qu'ils serviraient mieux leur pays si, au Canada,
on reconnaissait de façon plus appropriée la
valeur et la dignité de leur rôle et de leur
profession; si, en particulier, on permettait
davantage aux peintres de vivre de leur art sans
devoir recourir à d'autres occupations. La
Commission lui ayant demandé si les conditions
économiques étaient favorables à la pratique
de l'art, M. Pellan répondit: "Nous devons
faire certains travaux qui ne sont pas de l'ordre
de nos préoccupations artistiques. Nous ne
pouvons pas vivre de notre art " (7)
. Un jeune amateur de Chicoutimi, cette région
du Québec où tous les peintres canadiens, les
abstraits comme les naturalistes, vont
régulièrement rafraîchir leur inspiration, a
été plus direct encore.
- « Comme les ouvriers, les artistes
ont droit de manger, de se loger et même
de dormir sans trop d'inquiétude. Il ne
peut y avoir des hommes qui ont le droit
de vivre et d'autres le devoir
de crever de faim. Prolonger le martyre
de toute une pléiade d'hommes de talent,
sous l'absurde prétexte que la
production de l'esprit n'est point
immédiatement monnayable, est l'une de
ces grossièretés qui déshonorent une
nation » (8)
.
16. La Federation of Canadian
Artists a montré qu'il est avantageux pour
la nation, à tous les points de vue, de procurer
un gagne-pain à l'artiste.
« La pratique des arts n'est pas une
activité de luxe mais une condition
essentielle à l'établissement et à
l'expansion d'une culture nationale bien
assise, et à cause de cela elle requiert une
dépense considérable d'efforts et d'argent.
Comme le langage parlé est nécessaire au
développement de la raison, le langage plus
fondamental des arts est nécessaire au
développement de cette partie émotive et
imaginative de notre culture qui est
sous-jacente à la raison, mais qui inspire
très souvent notre action. Sans un
développement approprié de cette partie
obscure et mystérieuse de l'homme, la
société qu'il crée manquera
nécessairement d'authenticité, de
cohésion, de confiance en soi et de
conscience de son entité »(9)
.
17. Nous avons entendu avec
intérêt un certain nombre de propositions sur
les moyens à prendre pour assurer à nos
peintres plus d'indépendance matérielle et par
conséquent, plus de liberté d'action et plus de
temps pour produire. Plusieurs sociétés
d'amateurs, comme la Northern Ontario Art
Association, la Canadian Federation of
Home and School et le Conseil canadien des
arts, conseillent qu'on donne aux peintres de
renom des bourses ou des prix qui leur permettent
de se consacrer entièrement à leur art pendant
une période plus ou moins longue. La Federation
of Canadian Artists va même jusqu'à
indiquer un titre pour ces bourses et prix : «
Dominion of Canada Art Scholarships ». Ce serait
l'équivalent, au Canada, des pensions que
certains pays accordent à leurs poètes et à
leurs artistes.
[245]
18. Cette même association
ajoute, à cette première proposition
préconisant des octrois de caractère gratuit,
une série de recommandations en faveur de
l'institution d'un concours national, dans le
domaine artistique, semblable au War Artists
Project des États-Unis. Cette initiative,
dont l'État ferait les frais, inciterait nos
peintres à produire des uvres dont les
meilleures entreraient dans les collections de la
Galerie nationale. D'autres uvres, d'un
caractère moins désintéressé, constitueraient
le noyau des collections consacrées à la
description de secteurs ou de certaines phases de
la vie canadienne. On en commanderait une série
pour la décoration de nos édifices publics et
de nos ambassades. Enfin, par l'intermédiaire
d'un organisme approprié, on pourrait pousser la
vente de peintures de tous genres à de grandes
institutions publiques ou privées. La Federation
inclut aussi, dans ce projet, des commandes de
pièces représentatives des différentes
techniques et des différents états de notre
peinture destinées à la vente aux musées
régionaux. L'intérêt de ce vaste programme,
qui a d'ailleurs été exposé d'une façon moins
élaborée par le Calgary Allied Arts Centre,
c'est qu'en plus de fournir nos meilleurs
peintres de commandes bien rétribuées, il
créerait autour de la peinture canadienne ces
courants de curiosité qui sont aussi
nécessaires à la vitalité d'un art que la
circulation du sang à la vie du corps.
19. Les projets d'ordre public qui
nous ont été suggérés sont utiles et même
nécessaires à l'encouragement de la peinture
canadienne, mais le Conseil canadien des arts
nous rappelle que le principe des achats et des
commandes particulières est toujours le plus
satisfaisant pour l'artiste. Au Canada, il est
resté très difficile à un artiste de vivre par
ce moyen. La Galerie nationale est l'institution
la plus importante, qui se fait une pratique
régulière d'acheter des uvres
canadiennes. On nous a déclaré que les $32,000
que la Galerie a pu consacrer à ses achats
annuels, pendant les dix dernières années, sont
loin d'être suffisants, surtout si l'on songe à
la proportion minime qu'elle en peut affecter à
l'acquisition de tableaux canadiens. Les
sociétés bénévoles ont insisté également
sur l'urgence qu'il y a d'organiser, dans tout le
pays, des expositions plus nombreuses et plus
représentatives afin de former le goût des
masses. À la longue, ces expositions, en mêlant
intimement la peinture aux préoccupations de
tous les citoyens, auraient, comme premier
résultat pratique, d'amener un plus grand nombre
de gens à acheter des toiles. Ces expositions
serviraient donc, non seulement à éduquer le
public, mais aussi à aider l'artiste.
20. Que l'éducation du public
canadien soit une question de toute première
importance, on nous l'a déclaré à maintes
reprises. Le directeur de la Galerie nationale a
bien servi la cause de la peinture en signalant
que les expositions qui se tiennent dans le pays
ne donnent pas encore les résultats pratiques
que les expositions de peinture canadienne à
l'étranger ont pu avoir. Nos peintres ont
exposé en Angleterre, en France, en
[246]
Afrique du Sud, en Australie, aux États-Unis,
en Italie, au Brésil et en Belgique. En plus de
l'accroissement de prestige que ces expositions
leur ont apporté, elles leur ont permis de
vendre quelques-unes de leurs toiles là-bas.
Mais il n'en est pas ainsi pour les expositions
qui se tiennent ici même. Comme l'a conseillé
la Société canadienne d'enseignement
postscolaire, il faudrait multiplier les
expositions à l'étranger, tout en cherchant à
obtenir plus de résultats pratiques des
expositions qui se tiennent au Canada.
21. On nous a présenté d'autres
avis sur la façon d'accroître l'intérêt du
public à l'endroit de la peinture canadienne.
Par exemple, la Vancouver Art Gallery et
la Northern Ontario Art Association
croient qu'une diffusion systématique de Canadian
Art, cette revue spécialisée qui tire
actuellement à quelque 6,000 exemplaires,
provoquerait une curiosité efficace envers la
peinture canadienne. D'autres associations
voudraient que l'État subventionnât la
publication de monographies et d'albums de
peintres canadiens. Le problème des
reproductions de la Galerie nationale a fait
aussi l'objet de propositions qui vont dans le
sens de l'intérêt bien entendu de nos peintres.
Le Saskatchewan Arts Board affirme que des
reproductions des uvres canadiennes
devraient être exposées dans les écoles en vue
de faire de l'art canadien une réalité
quotidienne pour les enfants. À l'heure
actuelle, par malheur, le goût du public est si
peu formé que l'Art Gallery de Toronto
nous a rapporté qu'elle a dû abandonner, par
manque d'intérêt chez le public, et d'appui
financier, la pratique qu'elle a suivie de
publier chaque année une grande reproduction
d'un peintre canadien. Rappelons, à propos des
reproductions, que la Société des sculpteurs
s'est indignée de l'activité « de pirates »
à laquelle se livrent même des organismes
fédéraux. À son avis, contrairement à ce qui
se passe trop souvent, les artistes devraient
toucher une compensation pour toutes les
reproductions qu'on fait de leurs uvres.
22. On nous a défini un autre
projet destiné à aider, ou plutôt à
rémunérer convenablement les peintres, et qui
consisterait à leur verser un honoraire pour le
prêt de toiles aux expositions. Ainsi que nous
l'avons déjà mentionné, ils prêtent
maintenant leurs tableaux gratuitement et
parfois, après un long intervalle, on leur
retourne, en mauvais état, des uvres
qu'ils auraient peut-être eu l'occasion de
vendre en vente privée. Aux États-Unis, il
arrive qu'on achète en bloc tout ce qu'un
peintre expose, mais, le plus souvent, on
s'engage à en acquérir une certaine proportion.
On a recommandé que cette formule soit adoptée
au Canada.
23. Nous avons déjà mentionné
un certain nombre d'autres propositions en vue
d'accroître au Canada la compréhension et
l'appréciation du travail des peintres
canadiens. On convient en général que la
Galerie nationale pourrait étendre son travail
éducatif; que Radio-Canada et
[247]
l'Office national du film pourraient faire
davantage pour stimuler l'intérêt public qui a
déjà réagi chaleureusement à leurs efforts du
passé.
24. La peinture canadienne, par son
authenticité et sa qualité, est devenue, avant
tous les autres arts, le grand moyen d'expression
de l'esprit canadien. Notre peinture est un
élément d'unité nationale et elle a la
supériorité de ne pas se heurter aux barrières
des différences de langage. Mais elle ne pourra
exercer son action civilisatrice à l'extérieur
et à l'intérieur que si les peintres reçoivent
l'appui qui s'impose. Il s'agit maintenant de
trouver la formule pratique qui intégrera le
peintre dans la vie nationale avec autant de
générosité qu'il sait intégrer, lui-même,
certains aspects moraux et matériels de cette
vie dans la peinture canadienne.
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