[29] CHAPITRE
III**
DIFFUSION
RADIODIFFUSION*
IL y a trente ans, la population commençait à s'intéresser à
un nouvel appareil « d'une puissance singulière, au triple point de vue de l'amusement,
de l'information et de l'influence sur l'opinion » (1). La radiodiffusion
semblait être la solution aux problèmes que l'isolement posait alors à une foule de
Canadiens. Pour les colons des vastes régions du Nord et de l'Ouest, qui, avec
l'avènement du chemin de fer et de l'avion, avaient vu disparaître maintes de leurs
difficultés, c'était le moyen d'accéder à certains avantages immatériels de la
civilisation auxquels leurs prédécesseurs n'auraient pu songer.
2. Les Canadiens qui ne comprirent pas tout de suite ces avantages étaient
sans doute plutôt rares. Une question d'ordre beaucoup plus pratique retenait cependant
leur attention : comment arriverait-on à doter rapidement le pays des services de la
radio? En plus du problème causé par la présence de deux principaux groupes ethniques
possédant chacun sa langue, il y avait celui posé par de vastes étendues, parsemées
d'établissements qu'on ne pouvait atteindre à moins de dépenses énormes. Et le Canada
était un pays relativement pauvre qui devait déjà verser des sommes considérables pour
s'assurer d'autres services, essentiels à son existence nationale.
3. Une réponse, facile et évidente, apparut bientôt. Aux États-Unis, la
nouvelle industrie de la t.s.f. connaissait des progrès prodigieux. Des hommes
entreprenants eurent tôt fait de maîtriser les difficultés techniques de la radio à
ses débuts et de mobiliser, en les adaptant au nouvel instrument, les talents les plus
nombreux et les plus divers. Les bénéfices pécuniaires venaient justifier leurs
placements. Le Canada avait là, semblait-il, la solution à ses problèmes. Le Sud lui
était facilement accessible; il pouvait, à peu de frais, canaliser les émissions
américaines à l'aide de postes échelonnés le
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long de la frontière. Les Canadiens pourraient de nouveau profiter largement et à bon
compte de la munificence des États-Unis, sans même être tenus, cette fois, de leur en
rendre grâces. C'est alors que certains Canadiens commencèrent à se dire que l'histoire
était sur le point de se répéter de nouveau et d'une façon alarmante.
4. Ceux qui avaient le sens de l'histoire se rappelaient en effet qu'un
demi-siècle plus tôt des Canadiens, résistant à la tentation de la route à moindres
frais que présentait le parcours Montréal-Winnipeg, par voie de Chicago [sic], avaient
exigé un chemin de fer courant en territoire exclusivement canadien. Ce tour de force
apparemment impossible fut accompli grâce à une combinaison remarquable de l'initiative
privée et de l'appui et du contrôle de l'État. Cette ligne de conduite fut assez
souvent critiquée à l'époque et par la suite, mais on convient maintenant, d'une façon
générale, que le réseau ferroviaire compliqué et coûteux que possède le Canada est,
sur le plan matériel, la base de son existence nationale. Nombre de Canadiens, se
rappelant ces faits, craignaient, dans les années 20, que l'annexion culturelle ne
suivît notre intégration dans la radio américaine, tout comme l'annexion économique et
même politique aurait sûrement suivi, cinquante ans plus tôt, notre intégration dans
le réseau ferroviaire des États-Unis. Le problème inquiétait vivement une foule de
gens réfléchis, d'aucuns pressentant même une nouvelle crise nationale.
5. C'est pourquoi, en 1928, une commission royale présidée par sir John
Aird était chargée « d'examiner la situation de la radiodiffusion au Canada et de
soumettre des vux quant à l'avenir, à l'administration, à la direction, au
contrôle et aux finances de la dite industrie » (2). L'enquête de la Commission confirma les
espoirs et les craintes que nous avons mentionnés. Le premier permis de radiodiffusion
avait été émis en faveur de la société Marconi en 1919. En 1929, quand la Commission
Aird soumit son rapport, on comptait soixante-deux postes au service de 296,926
radiophiles détenant un permis d'écoute. La Commission loua l'initiative privée des
efforts qu'elle avait accomplis en vue de divertir le public sans qu'il eût à acquitter
de frais directs, mais elle déplora quelques-uns des résultats d'un tel régime. La
réclame devenait de plus en plus criarde, la plupart des émissions provenaient de
sources étrangères et la concentration des postes dans les grandes villes laissait à
l'écart de vastes régions du pays.
6. La Commission Aird, qui voyait dans la radio un puissant instrument à
mettre au service de l'éducation générale et de l'unité nationale, ne pouvait être
que peu satisfaite d'un système aussi incomplet et qui s'alimentait aussi largement à
des sources étrangères. [sic] « Dans un pays aussi étendu que le Canada, la
radiodiffusion deviendra sans aucun doute un puissant facteur dans l'épanouissement du
sentiment national et du civisme » (3).
Pour atteindre ces objectifs, la Commission préconisait l'institution d'une société
nationale qui posséderait et exploiterait tous les postes de radiodiffusion
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situés au Canada, la prise en charge, par cette société, des postes commerciaux ou
la fermeture de ces postes, ainsi que l'établissement éventuel de postes de grande
puissance, reliés par fil, afin que la radio pût atteindre tout le pays.
7. À la suite d'une décision du comité judiciaire du Conseil privé, qui
statua en 1932 que le Parlement du Canada avait compétence exclusive en matière de
radiocommunications au Canada, on adopta en 1932, 1936 et 1938 des lois qui donnaient
suite aux principales recommandations du rapport Aird. Ces lois stipulaient qu'il était
du ressort de l'État de posséder les postes de radio, de les régir et de se charger de
la production et de la réglementation des programmes. La loi canadienne de la
radiodiffusion, qui remonte à 1936, est, du point de vue législatif, à la base du
présent régime national. Cette loi établissait la Société Radio-Canada et lui donnait
pour objet d'assurer un service radiophonique national dans les limites du Canada. La
constitution et les pouvoirs de la Société sont restés sensiblement les mêmes. Elle se
compose d'un Bureau de neuf gouverneurs, dont un président, en fonction continue et
nommé pour trois ans, d'un directeur général qui est le fonctionnaire exécutif en chef
de la Société, et d'un adjoint au directeur général, tous nommés par le gouverneur en
conseil.
8. Les attributions du Bureau des gouverneurs, telles que les précisait en
1936 le premier président de cet organisme, consistaient à prendre des mesures qui
permettraient à tous les citoyens d'entendre les émissions de la Société et de leur
assurer les meilleures émissions possibles (4). Une étude technique effectuée à l'époque
indiquait qu'environ la moitié seulement de la population pouvait capter les émissions,
que ces auditeurs possibles habitaient pour la plupart dans les villes et que
l'interférence de source extérieure était considérable dans plusieurs régions. Une
étude portant sur les émissions révélait que le pays ne manquait pas d'artistes dont
il convenait de favoriser les talents divers et que l'on pourrait compter sur une
abondance de bonnes émissions diffusées de Grande-Bretagne, de France, des États-Unis
et d'ailleurs, dès que le Canada serait en mesure de les utiliser en échange de ses
propres émissions.
9. Ces études permirent au Bureau des gouverneurs d'adopter un programme
à longue portée, que, dans ses grandes lignes, il maintient encore. Pour obtenir un
rayonnement national, la radio canadienne devait être assurée d'un nombre suffisant de
bandes de fréquence libres de toute interférence de la part de postes étrangers. Il
n'existait pas encore d'entente internationale attribuant au Canada des bandes de
fréquence répondant à ses besoins. À la demande du Bureau des gouverneurs, le ministre
des Transports prit des mesures qui aboutirent à la tenue d'une conférence à La Havane,
vers la fin de 1937, à la suite de laquelle les principaux pays de l'Amérique du Nord
conclurent un véritable traité. Le Canada y obtenait
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un nombre de bandes de fréquence raisonnablement libres d'interférence, approprié
aux besoins d'une régie nationale. Telle est la base matérielle sur laquelle repose le
service radiophonique du pays. Radio-Canada possède actuellement huit postes de 50
kilowatts, ainsi qu'un certain nombre de postes moins puissants et de postes-relais (5).
10. C'est cependant à la qualité des émissions offertes aux auditeurs
canadiens que doit être jugé et que peut être justifié le maintien d'une régie
nationale. Le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada décida en principe de faire servir
les ressources culturelles du pays à le doter d'émissions de caractère purement
canadien, de rechercher la variété, et de compléter les programmes canadiens par
l'appoint des meilleurs programmes de l'étranger. Cette décision, qui a été maintenue
dans la pratique, est sensiblement celle que préconisait la Commission Aird, sauf que la
réclame radiodiffusée par les réseaux nationaux est beaucoup plus volumineuse que ne le
voulait cette commission.
11. Il est un autre aspect important des recommandations du rapport Aird
auquel on n'a pas donné suite. Les postes commerciaux d'initiative privée continuent en
effet à fonctionner, ils se sont même multipliés, et ils ont augmenté de puissance,
bien que le Bureau des gouverneurs ait été autorisé à les prendre en charge dans
l'intérêt national. Pendant quelque temps, après 1932, les propriétaires de postes
privés prirent pour acquis qu'ils seraient expropriés. Le temps à démontré,
cependant, que ces postes peuvent rendre d'importants services en tant que partie
intégrale du régime national de radiodiffusion. Leurs émissions publicitaires de
rayonnement local, dont ils tirent eux-mêmes des profits, stimulent le commerce; les
services qu'ils rendent au public sont indéniables; ils permettent également aux
artistes du cru de faire valoir un genre de talent qui, s'il ne mérite pas encore de
figurer dans les grandes émissions, doit cependant recevoir de l'encouragement.
12. La fonction la plus importante des postes privés, cependant, c'est de
servir régulièrement ou occasionnellement à la diffusion d'émissions d'envergure
nationale, et de conférer ainsi aux réseaux de Radio-Canada un rayonnement qu'ils
n'auraient pas autrement, sauf à grands frais pour le Trésor public. Les rapports qui
existent entre les postes privés et Radio-Canada sont variés et complexes. Certains
postes privés, dans les régions que Radio-Canada n'atteint pas ou presque pas,
constituent, dans le régime national de radiodiffusion, des postes de base ayant droit à
toutes les émissions de Radio-Canada, tant complémentaires que commerciales. Ils sont
tenus de réserver certaines périodes aux émissions complémentaires. Les postes de la
catégorie supplémentaire [sic] "A" ont droit de diffuser toutes les émissions
complémentaires du réseau national, sans toutefois être tenus d'en diffuser autant que
les postes de base. Ils peuvent, sur demande des commanditaires, diffuser les émissions
commerciales de Radio-Canada.
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Les postes de la catégorie supplémentaire « B » ne jouissent pas de plein droit de
la faculté de diffuser toutes les émissions, mais peuvent relayer les émissions
commerciales de Radio-Canada lorsque les commanditaires en expriment le désir. Ils
peuvent aussi se brancher sur un réseau national (comme les postes indépendants sont
également autorisés à le faire) pour la radiodiffusion d'un événement d'importance
nationale.
13. Grâce à cet engrenage bien monté, Radio-Canada atteint, par ses
grands réseaux, plus des neuf dixièmes de la population, tant de langue française que
de langue anglaise, et peut, en outre, assurer dans la soirée un second service en
réseau d'émissions de langue anglaise. Le réseau transcanadien de Radio-Canada utilise
24 postes de base (11 postes de la radio d'État et 13 postes privés), 15 postes
supplémentaires « A » et 3 postes supplémentaires « B ». Le second réseau de langue
anglaise, le réseau national, compte 31 postes de base (un de la radio d'État et 30
postes privés), 6 postes supplémentaires « A » et 11 postes supplémentaires « B ».
Le réseau de langue française dispose de 3 postes de base appartenant à Radio-Canada et
de 12 postes supplémentaires « A » (5).
Ces dispositions sont très avantageuses pour le public, car elles assurent un vaste
rayonnement à un coût minimum. Les postes privés en profitent également, car ils en
obtiennent des revenus et des émissions complémentaires gratuites. Les postes privés
sont rémunérés selon un barème établi par Radio-Canada pour le relai d'émissions
commerciales. Règle générale, les postes privés n'ont rien à payer dans le cas des
émissions de l'un ou l'autre réseau de Radio-Canada qu'ils diffusent, bien que, en vertu
d'une entente, quelques-uns acquittent certains frais de location des lignes
télégraphiques.
14. Lors de l'adoption des principes régissant la radiodiffusion, on ne se
proposait pas d'englober les postes privés dans les réseaux d'État, leur inclusion a
toutefois bien servi les intérêts du pays. Le Bureau des gouverneurs régit toujours les
bandes de fréquence et les émissions grâce, premièrement, à l'autorité qu'il
possède de proposer au ministre des Transports l'octroi, le renouvellement ou
l'annulation des permis et, deuxièmement, à la faculté qui lui est reconnue de régler
la nature de la réclame et la proportion du temps qui peut y être consacré, les
émissions de caractère politique et, en général, la nature de toutes les émissions
radiodiffusées au Canada par un poste de l'État ou par un poste privé.
15. Le régime national de radiodiffusion au Canada a été ingénieusement
improvisé afin de fournir le plus tôt possible un service complet aux auditeurs d'un
pays qui, au point de vue radiophonique, est peut-être le plus coûteux et le plus
difficile à desservir au monde. Comme nous l'avons déjà signalé, la faible population
du pays est clairsemée, et bien des régions habitées sont isolées les unes des autres.
Les postes de radiodiffusion à grand rayon d'action les atteignent difficilement. Le
réseau transcanadien et le réseau de langue française, qui diffusent 16 heures par
jour, doivent
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utiliser cinquante-six postes; or, à New-York, un seul poste peut atteindre une
population égale à celle du Canada tout entier. La Grande-Bretagne dessert une
population de 50 millions au moyen de 975 milles de lignes, tandis qu'au Canada il faut
15,000 milles de lignes télégraphiques ou téléphoniques pour fournir un service
national de radiodiffusion aux 14 millions d'habitants.
16. Toutefois, la distance et les difficultés d'accès ne sont pas les
seuls éléments du problème que pose un rayonnement approprié. Le Canada étant divisé
en six fuseaux horaires, il faut diffuser à plusieurs reprises les mêmes émissions de
portée nationale, pratique difficile et coûteuse. En outre, ses diverses régions, qui
diffèrent nettement les unes des autres à maints égards, exigent des services
régionaux spéciaux. Ses deux langues principales exigent également des réseaux bien
distincts. Sa proximité des États-Unis, où l'on peut affecter des millions à des
émissions commerciales de grande classe, a fait naître aussi chez les Canadiens le goût
d'émissions très coûteuses.
17. Dans l'examen des fonctions et des réalisations de Radio-Canada, on
doit tenir compte de tous ces faits. Actuellement, la radio-État est aux prises avec un
double problème. Premièrement, le besoin d'étendre et de développer ses services à
même un revenu dont la valeur réelle baisse constamment, constitue un grave problème
financier. Deuxièmement, bien qu'en général ses rapports complexes avec les postes
privés qui lui sont affiliés aient été harmonieux et amicaux, depuis quelques années
les postes privés sont devenus mécontents de leur sort. Ils ont présenté des
revendications aux comités de la Chambre des communes et comparu, collectivement et
séparément, devant notre Commission afin de réclamer la révision de la loi et des
règlements régissant la radiodiffusion au Canada.
18. Nous passerons en revue ces problèmes dans la seconde partie du
Rapport, avant de formuler des recommandations quant aux principes et aux pratiques qui
devraient régir la radiodiffusion au Canada. Notre objectif immédiat est de déterminer
si la radio canadienne a bien servi la nation et si, pour paraphraser le rapport Aird,
elle a fourni aux auditeurs canadiens des émissions propres à favoriser le sentiment
national et le civisme, en même temps qu'elle leur donnait les meilleures de celles
émanant du Canada même et de l'étranger.
19. Afin de sonder l'opinion canadienne à l'égard de ces émissions, nous
avons examiné et analysé avec soin les points de vue exprimés à ce sujet dans de
nombreux mémoires et au cours de maintes audiences publiques. On nous a peu entretenu des
problèmes d'ordre administratif ou technique. La plupart des Canadiens, semble-t-il, ne
savent pas grand-chose du fonctionnement de leur régime national de radio; ils ne
paraissent guère s'en soucier d'ailleurs. Cela n'a rien d'étonnant. Naturellement, ils
s'intéressent
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plutôt aux services que la radio leur rend et doit leur rendre, et, à cet égard, ils
s'expriment avec conviction et sans équivoque.
20. Bien que personne n'ait guère mentionné le rapport Aird, nous avons
l'impression que le régime national actuel a réussi d'une façon remarquable à
accomplir exactement ce que préconisaient les auteurs de ce rapport. On a formulé à
maintes reprises trois déclarations. D'abord, les émissions d'ordre national ont été
accueillies avec reconnaissance dans toutes les régions du pays, surtout dans ces
multiples collectivités de population restreinte et ces nombreux foyers isolés où les
autres moyens de divertissement et de culture personnelle font défaut. Certains témoins
ont déclaré franchement que de nombreux citoyens aimeraient que leurs enfants puissent
jouir d'avantages qu'eux-mêmes n'ont pas connus, et qu'ils comptaient en partie sur la
radio pour les leur procurer. En second lieu, on a convenu que seul un régime étatisé
de radiodiffusion a permis de conserver à la radio canadienne un caractère
essentiellement canadien. Sans la radio-État, nous aurions « une copie au carbone du
système américain et, encore, une copie tirée aux États-Unis », a déclaré le
Congrès canadien du Travail (6).
Plusieurs autres groupements et particuliers, notamment certains organismes d'envergure
nationale, comme l'Église unie du Canada et la Fédération canadienne de l'agriculture,
se sont ralliés à ce point de vue. Enfin, le régime national, grâce à son large
rayonnement, à la collaboration qu'il assure avec les postes nationaux et locaux et à
ses émissions bilingues émanant de toutes les régions du pays, a contribué
puissamment, nous a-t-on signalé, à favoriser l'unité canadienne, à faire connaître
et comprendre le Canada en général et les diverses régions en particulier et, partant,
à développer une vie culturelle véritablement canadienne.
21. Bref, parmi les quelque 170 organismes bénévoles qui ont parlé de la
radiodiffusion au cours de nos audiences publiques, presque tous ont approuvé le régime
national. Beaucoup affirment avec enthousiasme que c'est une réalisation canadienne de
caractère exceptionnel, « notre plus grand élément de culture », et « le plus
remarquable régime de radiodiffusion de l'Amérique du Nord » (7). De fait, d'aucuns s'inquiètent de la
possibilité d'un changement, soutenant que le régime actuel a jusqu'ici assez bien
réussi à empêcher les émissions canadiennes de revêtir un caractère commercial ou
trop américain. Ces commentaires, généralement favorables, n'étaient pas sans
comporter certaines critiques. Si l'on manifestait une vive appréciation des
réalisations du passé, on insistait aussi sur l'importance d'améliorer sans cesse les
émissions, et de développer le goût et la compréhension du public.
22. Plusieurs groupements, y compris ceux qui se sont abstenus de formuler
des propositions concrètes, ont fait l'éloge de certaines émissions diffusées par
Radio-Canada, ajoutant qu'ils accueilleraient avec bienveillance un plus grand nombre
d'émissions semblables. Ils mentionnaient la
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plupart des émissions musicales, dramatiques et éducatives, notamment Wednesday
Night, Farm and Citizens' Forums, Cross Section, In Search of Ourselves, le Réveil
rural, le Choc des Idées, les Idées en marche, la Chronique littéraire,
l'École des parents, Radio-Collège, les School Broadcasts, la
série Stage, les symphonies dominicales, les opéras , les
émissions dites Capital Report, Week-end Review, et d'autres encore. De l'avis
général, il y aurait lieu de multiplier le nombre de ces émissions, et, au besoin, d'y
consacrer de plus fortes sommes.
23. Plusieurs groupements ont formulé des commentaires et des avis à
l'égard d'émissions qui les intéressaient particulièrement. Les émissions de la radio
scolaire de langue anglaise préparées, soit par les autorités locales soit en étroite
collaboration avec elles, ont donné lieu à des éloges enthousiastes ainsi qu'à des
critiques et des propositions utiles (8).
Certains groupes reconnaissent l'utilité de la radio scolaire pour toutes les écoles,
mais surtout pour les écoles des régions rurales à population clairsemée, où la
pénurie d'institutrices impose souvent un lourd fardeau à des personnes insuffisamment
formées. Plusieurs mémoires préconisaient l'extension de cette formule, afin d'offrir
aux enfants des campagnes et à ceux des villes les mêmes occasions de s'instruire. Un
bon nombre ont signalé l'aide que certains organismes bénévoles ont accordée à des
écoles afin de leur permettre d'acheter des appareils de t.s.f. et de bénéficier ainsi
des avantages de la radio scolaire. On a également noté le fruit que peuvent en tirer
les mères de famille qui suivent ces émissions et qui se renseignent ainsi sur ce que
les écoles s'efforcent d'enseigner. Plusieurs groupes de langue française ont fait
mention avec éloges de Radio-Collège dans leurs mémoires et demandé un plus
grand nombre d'émissions de ce genre à des heures plus commodes. Ils demandaient en
particulier des émissions du soir à l'intention des adultes.
24. Nous avons reçu des observations toutes spéciales au sujet de la
radio éducative de la part du National Advisory Council on School Broadcasting ainsi
que de particuliers et d'associations locales de maintes parties du pays. Les groupements
d'instituteurs y sont allés carrément de leurs critiques et de leurs propositions. L'Ontario
Teachers' Federation estime qu'on devrait tirer un meilleur parti de l'expérience des
instituteurs compétents. Elle s'exprime en ces termes: « Lorsqu'on a refusé de tenir
compte de l'avis d'instituteurs, ou modifié le fond de textes rédigés par eux, on a
diminué la valeur éducative de l'émission » (9). C'est là, nous semble-t-il, un euphémisme
voulu. On sait gré aux autorités d'avoir fourni des reproductions des peintures de la
Galerie nationale afin d'illustrer les conférences relatives à la Galerie. De l'avis des
instituteurs, il y aurait lieu de se servir d'images pour illustrer convenablement
d'autres causeries. Afin de résoudre le problème des horaires et conserver certaines
émissions précieuses, on
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réclame avec instance l'établissement d'un système d'enregistrement convenable. De
l'avis général, il y aurait lieu de consacrer beaucoup plus d'argent et d'efforts à cet
important service national. Pour mille émissions de la radio scolaire, le Canada emploie
dix-huit personnes et fait paraître neuf publications, tandis que, pour le même nombre,
la B.B.C. utilise les services de quatre-vingts personnes et fait paraître cinquante-six
publications, à en croire le National Advisory Council on School Broadcasting.
25. Les principales initiatives de Radio-Canada dans le domaine de la
formation des adultes (National Farm Radio Forum, le Choc des idées, Citizens' Forum et
les Idées en marche) s'adressent surtout à des groupes d'auditeurs qui sont
censés s'être renseignés d'avance sur le sujet, afin de pouvoir participer, par la
suite, à une discussion dirigée. Ces groupes, surtout ceux de langue anglaise, sont bien
organisés et ont fait l'objet de beaucoup d'éloges. Un expert américain en matière de
radio vante le National Farm Radio Forum en ces termes: « Radio-Canada a rendu un
grand service à la nombreuse population rurale du Canada; son National Farm Radio
Forum réunit l'un des groupes d'auditeurs organisés les plus considérables au monde
» (10). De l'avis des
responsables de ces associations d'auditeurs, de telles associations justifient
l'existence d'une radio nationale. L'audition et la discussion en groupe ont suscité dans
plusieurs régions rurales un sens civique très prononcé et donné lieu à nombre
d'initiatives locales fort utiles. De toutes parts, on réclame la création d'autres
groupes semblables, surtout parmi les auditeurs de langue française. Un groupe albertain
propose l'organisation d'émissions éducatives de ce genre destinées aux petites
agglomérations, afin de résoudre, en partie, les difficultés que présente le
déplacement des instructeurs dans les régions rurales. La Confédération des
Travailleurs catholiques du Canada demande instamment la création, aux réseaux français
et anglais, d'émissions d'information destinées aux ouvriers tout comme il y a le Réveil
rural pour les agriculteurs.
26. Nous avons constaté l'accueil favorable que reçoivent partout les
émissions d'informations et les revues d'actualités. Beaucoup, cependant, voudraient
qu'on fournisse de plus amples renseignements sur les affaires publiques et les problèmes
internationaux et qu'on appuie davantage sur la célébration et le sens des fêtes
nationales, ainsi que sur les programmes d'histoire du Canada, notamment l'histoire de nos
deux cultures. Nombre d'associations ont souligné l'importance d'utiliser la radio aux
fins de conserver les traditions artisanales de nos groupes ethniques, et d'enrichir ainsi
la vie culturelle de tous les Canadiens.
27. Trois groupes, représentant les confessions religieuses les plus
importantes du Canada, ont soumis à la Commission des mémoires où ils soulignent le
rôle essentiel de la religion dans tous les domaines de la vie et formulent des
propositions touchant l'importante question des émissions religieuses. La Conférence
catholique canadienne, après avoir exprimé sa
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vive satisfaction des émissions religieuses transmises par Radio-Canada et par des
postes privés qui ont « fréquemment permis à l'Église de faire servir la radio à des
fins spirituelles » (11),
demande qu'on s'efforce de placer les émissions religieuses à des heures d'écoute plus
générale. La Conférence catholique demande aussi avec instance que Radio-Canada veille
au choix de programmes dominicaux « qui ne soient pas indignes du jour du Seigneur ».
L'Église Unie du Canada s'est exprimée dans les termes suivants :
« Nous tenons à féliciter Radio-Canada de
l'excellente qualité de certaines de ses émissions religieuses. Outre un effort constant
en vue d'améliorer ces émissions, nous demandons qu'on réserve un certain temps à la
lecture de la Bible, de la manière dont savent s'en acquitter certaines personnalités
éminentes du théâtre. Nous demandons aussi la diffusion, au réseau national, d'un
service du dimanche soir » (12)
L'Église anglicane du Canada, après avoir fait l'éloge
de la haute tenue de certaines des émissions religieuses, ajoute :
« À notre avis, cependant, on n'a pas jusqu'ici
accordé l'attention nécessaire à la technique propre à l'émission religieuse, en
présumant trop souvent que les moyens employés ordinairement pour l'instruction et le
culte religieux répondaient aux exigences de la radio » (13).
28. Un groupe nous a proposé de compléter
les leçons ordinaires de français par des causeries destinées tout particulièrement,
grâce à la simplicité du style et à la lenteur de l'élocution, aux nombreux Canadiens
qui lisent le français mais ne peuvent suivre la langue parlée. En instituant au réseau
français une série anglaise équivalente, on réussirait sûrement à favoriser un
civisme mieux compris en même temps qu'à élever le niveau général de la culture.
29. Sur le plan de la culture, considéré
indépendamment de celui du civisme, si distinction il y a, on demande en général de
multiplier les causeries scientifiques qui semblent intéresser tout particulièrement le
public de langue française; les conférences sur la littérature, surtout la littérature
canadienne, sur l'histoire et sur d'autres sujets également sérieux. Nous avons déjà
mentionné qu'on demande des émissions du soir à Radio-Collège. De diverses
parties du pays, on préconise une participation plus étroite des universités aux
émissions radiophoniques et même l'organisation d'une Radio-Université. On souligne
aussi l'importance de donner des émissions musicales et dramatiques de nature à
améliorer le goût du public et créer une mentalité proprement canadienne. Au dire d'un
certain groupe, il y aurait lieu d'organiser des séries régulières d'émissions
préparées par des artistes sur l'art canadien, français ou anglais, ou même sur
certaines périodes de l'histoire universelle de l'art. On soulève aussi la question du
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langage, sur lequel la radio exerce une si forte
influence. Nombre de groupes, tant français qu'anglais, demandent qu'on apporte plus de
soin à la diction, au bon goût et au style. La Société des écrivains canadiens a
particulièrement insisté sur ce point. Les dirigeants de Radio-Canada nous assurent
qu'ils ont conscience du problème et qu'ils l'étudient sérieusement.
30. Afin d'améliorer la tenue des émissions
de Radio-Canada et d'en augmenter l'attrait pour la masse, plusieurs groupes nous ont
proposé la création d'organismes consultatifs plus ou moins officieux, sur le plan
national ou régional, ou même les deux. Quelques-uns appuient l'idée en théorie, sans
présenter de proposition. Un des mémoires suggère un organisme assez complexe, composé
d'individus pris dans les professions et les métiers, et choisis par leurs collègues
mêmes: « Une telle méthode permettrait à nos gens de prendre un intérêt beaucoup
plus direct et personnel à Radio-Canada . . .[sic] Elle offrirait un moyen
beaucoup plus sûr de juger l'opinion que " la méthode douteuse des sondages auprès
des auditeurs " Elle servirait également à éclairer Radio-Canada et à renseigner
davantage le public sur les objectifs que celle-ci s'efforce d'atteindre. « L'activité
même de ces Conseils amènerait une amélioration du goût populaire, puisque nos gens y
deviendraient plus familiers avec ces objectifs, les très louables objectifs visés par
Radio-Canada . . . » (14).
31. La portée des programmes radiophoniques
ne se restreint pas au plaisir de l'auditoire, mais s'étend aussi à l'influence qu'ils
exercent sur ceux qui y prennent part. De façon générale, avons-nous constaté, on se
rend compte de la valeur du travail accompli par Radio-Canada pour encourager les
écrivains, compositeurs et artistes canadiens dans les domaines de la littérature, de la
musique et du théâtre. Chacun peut s'adonner ainsi au travail auquel il est apte, et
cela dans sa propre localité où il est normal de penser que son rendement est le plus
efficace. De la sorte, s'affirment beaucoup de talents créateurs qui autrement se
perdraient. La collectivité en bénéficie de diverses manières. Comme nous l'expliquait
d'une façon concrète un groupe de Vancouver, peu nombreux sont les artistes qui peuvent
compter exclusivement sur les recettes qu'ils touchent de la radio. Ces recettes ne sont
qu'un appoint aux gains que leur rapportent d'autres formes d'activité auxquelles ils se
livrent dans leurs collectivités respectives; elles les aident cependant à demeurer dans
leur milieu habituel qui, autrement, pourrait être entièrement privé de leurs services.
Comme nous le signalerons plus loin, (15) on a
chaleureusement reconnu l'apport direct et indirect de Radio-Canada au maintien d'un bon
nombre d'orchestres symphoniques.
32. Par contre, le peu d'intérêt des postes
privés à l'égard des artistes (à une notable exception près) a provoqué de vives
critiques. Les artistes de la radio de Toronto et de Winnipeg ont établi la statistique
comparée des montants versés aux exécutants par Radio-Canada et par les |