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CHAPITRE IX*
LES BIBLIOTHÈQUES
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE ET BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
QU'IL ne se trouve pas de bibliothèque nationale parmi
les institutions fédérales que nous avions à examiner, voilà un fait qu'il importe de
souligner d'abord et qui a suscité des commentaires assez vifs au cours de nos séances.
Plus de quatre-vingt-dix groupements ont traité la question, certains soulignant avec
beaucoup de minutie la nécessité de remédier à ce qu'on a même appelé
une « honte nationale ».
2. Même si le pays n'a pas de bibliothèque nationale, il ne s'ensuit pas,
nous a-t-on fait observer, que la nation ne possède pas de livres. Nous en sommes
apparemment encombrés. Au dire du bibliothécaire du Parlement, sa collection comprend
plus de 550,000 ouvrages dont quelques-uns sont rares et précieux. On les conserve encore
dans un immeuble jugé trop exigu pour loger même les 83,000 volumes que possédait la
bibliothèque à l'époque de sa construction. Aujourd'hui, les livres se pressent en
doubles ou triples rangées sur les rayons ou s'entassent dans les réserves. L'accès
courant à ces volumes devient extrêmement difficile, le danger d'incendie est grand et
les quelques 6,000 ouvrages que l'on acquiert chaque année aggravent inexorablement
l'encombrement déjà excessif. Le personnel de la bibliothèque, entouré, voire
submergé de livres, tâche de maintenir certains services essentiels à l'intention des
membres du Parlement et, vu l'inexistence de tout autre organisme, de mettre à la
disposition des chercheurs et du public en général ces précieuses ressources. On
entretient avec d'autres bibliothèques, celles des universités surtout, des rapports
cordiaux et utiles.
3. La bibliothèque du Parlement maintient également des relations
mutuellement profitables avec d'autres dépôts d'ouvrages appartenant à l'État
notamment les 34 bibliothèques de ministères qui comptent, au total, 1,380,000 ouvrages
et 316,000 brochures. Ces diverses collections renferment probablement des trésors
insoupçonnés et, sans doute aussi, beaucoup d'ouvrages qui, inutilement ou non, font
double emploi.
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4. L'organisation et l'utilisation convenables des bibliothèques de
l'État exigent, de toute évidence, la création d'un organisme central qui établirait
un catalogue d'ensemble, assurerait un service de renseignements et d'acquisition, et
l'institution d'un dépôt central pour les livres dont on n'a besoin qu'à l'occasion.
Ces dispositions permettraient à la bibliothèque du Parlement de ne conserver dans son
local immédiat qu'une petite collection d'intérêt pratique et d'avoir accès rapidement
à ses collections moins souvent consultées. Plusieurs ministères pourraient se
départir de certains ouvrages très précieux mais peu employés qui requièrent de
l'espace et des soins. On admet donc en général, que, au seul point de vue du pouvoir
fédéral, la constitution d'une bibliothèque nationale serait fort avantageuse.
5. Mais la question de la création d'une bibliothèque nationale
n'intéresse pas uniquement le gouvernement fédéral. Elle a été portée à l'attention
du Gouvernement et du public à maintes reprises, par l'Association des bibliothèques
canadiennes, qui, depuis des années s'efforce, malgré la modicité de ses ressources, de
fournir certains des services que devrait assurer normalement une institution nationale.
Les bibliothèques et tous les Canadiens qui s'intéressent aux affaires du pays, doivent
beaucoup à cette Association qui leur a rendu ce service inappréciable que constitue la
confection d'un index des périodiques canadiens. L'Association s'est consacrée
également à une autre entreprise d'un intérêt particulier pour les historiens, soit la
reproduction sur microfilm de journaux canadiens anciens ou rares. Elle a obtenu, à cette
fin, une subvention de la Dotation Rockefeller. En novembre 1950, on avait terminé la
reproduction sur microfilm des anciennes séries de cinquante-huit journaux de toutes les
parties du Canada. Le travail avance à une allure rapide en tenant compte de l'importance
historique des articles et de l'état de conservation des journaux. Souvent, et cela parce
que nos vieux journaux étaient imprimés sur un papier plus durable, on photographie de
préférence des publications récentes plus susceptibles de se détériorer. Certains
journaux, conservés et reproduits de cette manière dans l'intérêt des chercheurs,
jettent sur notre passé une lumière indispensable. Qu'un groupe bénévole de gens ayant
d'autres occupations et dont les ressources sont limitées, ait rendu un service d'une
telle importance nationale, il y a lieu d'en être fier.
6. Mais que ce service et d'autres semblables aient été laissés au
hasard, à une générosité aléatoire et surtout qu'ils aient été défrayés au moyen
de fonds étrangers, il n'y a pas lieu de s'en enorgueillir. L'Association des
bibliothèques canadiennes, consciente de l'insuffisance de tous les efforts qu'elle tente
pour répondre aux besoins du pays dans cet ordre de choses, a consacré tout son mémoire
à souligner l'urgence de créer une bibliothèque nationale et à définir les fonctions
qu'une telle institution pourrait remplir. Forte de 1,300 membres, tant de langue
française que
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de langue anglaise, exerçant une activité diverse, l'Association des bibliothèques
canadiennes est l'un des groupements bénévoles les plus importants du pays. D'autres
groupements de bibliothécaires et maintes autres associations ont appuyé le mémoire de
cet organisme central, en ont expliqué ou amplifié les principales conclusions. Nous
résumons ici les observations qu'on nous a formulées sur les fonctions que remplirait la
bibliothèque nationale projetée et les progrès déjà accomplis vers la réalisation de
ce projet.
7. Le Canada, a-t-on signalé, est le seul pays civilisé qui n'ait pas de
bibliothèque nationale. Pourtant, il en a tout particulièrement besoin. Malgré
l'abondance apparente des livres, nos bibliothèques, publiques et privées, sont, dans
l'ensemble, assez mal pourvues et elles sont dispersées. Ce sont surtout les universités
qui ont collectionné les livres. Or, trois universités canadiennes seulement possèdent
plus d'un demi-million de volumes; certaines n'en ont pas 100,000. La plus grande
bibliothèque, celle de l'Université Laval, compte 800,000 volumes. Les bonnes
collections de Canadiana sont rares dans le pays. Les trois meilleures qui existent
se trouvent aux États-Unis, à la bibliothèque du Congrès, à celle de la ville de
New-York et à la bibliothèque de l'Université Harvard. Règle générale, les ouvrages
canadiens paraissent en éditions limitées, qui, au bout de quelques années, sont
épuisées; et assez souvent, même lorsqu'ils sont dans les bibliothèques, on ne peut
les retrouver qu'au prix de recherches compliquées.
8. Ces circonstances ont poussé des bibliothèques canadiennes et d'autres
intéressés à affirmer que, au point de vue national, les services de catalogue, de
renseignements et d'acquisition étaient ceux dont le besoin se faisait le plus sentir.
Pour les assurer, il n'y avait pas lieu d'attendre, ce n'était d'ailleurs pas
nécessaire, la construction d'un édifice ni le groupement des volumes en un seul
endroit. On y parviendrait au moyen d'un Centre bibliographique n'exigeant qu'un modeste
local et un personnel peu nombreux mais hautement spécialisé. C'est en partie grâce à
ces interventions que le Parlement approuvait en principe il y a plus de deux ans (juin
1948) la création d'un Centre bibliographique, initiative qui représentait le premier
pas vers l'établissement d'une Bibliothèque nationale. Une Commission consultative de la
Bibliothèque nationale, comptant des délégués de toutes les provinces, a aussi été
constituée sous la présidence de l'archiviste fédéral, lui-même éminent
bibliothécaire. À la suite de quelques mois de préparatifs, le Centre prenait
officiellement naissance le ler juin 1950, lors de la nomination du présent
directeur.
9. Le Centre s'occupe maintenant de préparer à Ottawa un catalogue
d'ensemble pour tout le pays. Qu'il suffise de dire, sans entrer dans les détails d'ordre
technique, que ce catalogue ne comprendra pas seulement
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les volumes canadiens, il énumérera aussi tous les livres qui se trouvent dans les
bibliothèques canadiennes, quel que soit leur pays de publication. On reproduira au
microfilm d'importantes collections conservées ici et là au pays, à commencer par
celles de l'État fédéral, qu'elles soient à la bibliothèque du Parlement ou ailleurs.
À l'aide de ce catalogue, le Centre pourra presque dès le début, indiquer aux
bibliothèques où se trouvent les livres rares qu'on pourra dès lors se procurer au
moyen d'échanges entre bibliothèques. Dans un avenir plus ou moins prochain, la
Bibliothèque nationale pourra elle-même offrir un service complet de circulation. D'ici
là, grâce à son catalogue, le Centre bibliographique organisera comme une sorte de mise
en commun des ressources des bibliothèques canadiennes, permettant ainsi au public de
tirer le meilleur parti possible de nos collections de volumes et révélant peut-être
bon nombre de trésors insoupçonnés même des personnes le plus en mesure de les
utiliser. Au cours de notre enquête, on nous a affirmé que, même si les ressources de
bibliothèques célèbres sont assez bien connues, il est incontestable que bon nombre
d'ouvrages rares et recherchés reposent cachés dans de petites collections. Une
société savante a souligné la valeur d'une telle organisation de prêts, surtout en ce
qui a trait aux revues scientifiques. Une autre observation intéressante sur l'importance
d'un catalogue d'ensemble et d'un service de circulation a été formulée par un groupe
intéressé à l'histoire régionale. Ce groupement signale que des livres rares,
intéressant l'histoire d'une région particulière, pourraient fort bien être dénichés
dans une autre partie du pays où les gens n'en apprécieraient pas la valeur. Depuis trop
longtemps déjà, le public canadien reste dans l'ignorance de ces questions, même si
elles sont bien connues des bibliothécaires.
10. En plus des services de catalogue et de circulation auxquels d'ailleurs
il ne peut être qu'étroitement lié, un service d'information bibliographique sera
établi. Le Centre recevra les publications bibliographiques régulières qui paraissent
aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France et ailleurs. On se propose également de
préparer et de publier des guides périodiques et bibliographiques des publications
canadiennes, documentation qui, jusqu'ici, nous a surtout été fournie par les
États-Unis et des entreprises bénévoles locales. Point n'est besoin de s'étendre sur
la valeur de tels instruments de travail tant pour l'étudiant que pour le savant; les
bibliothécaires estiment qu'ils seront également utiles au grand public(1). Déjà, le Centre a assumé la responsabilité de
la publication du Catalogue canadien, liste annuelle des ouvrages publiés au
Canada, au sujet du Canada ou écrits par des Canadiens, que la bibliothèque municipale
de Toronto faisait paraître depuis près de trente ans. il est également question de
préparer un catalogue de toutes les publications du gouvernement canadien, dont certains
bibliothécaires soulignent le besoin urgent. Le succès de ces deux projets repose sur la
collaboration
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que les éditeurs voudront bien assurer en déposant au Centre bibliographique des
exemplaires de toutes leurs publications. Certains bibliothécaires sont d'avis que le
Centre bibliographique devrait dresser également, si possible, les listes des
publications provinciales et municipales. Outre les listes courantes, le Centre
bibliographique songe à préparer des bibliographies spéciales. Il espère également
obtenir et microfilmer certains ouvrages rares qu'il mettra ainsi à la disposition du
public.
11. Le Centre bibliographique peut inaugurer ces divers services sans
disposer d'un immeuble ou d'une collection régulière de livres. Toutefois, on est
généralement d'avis que pour la Bibliothèque, l'aménagement d'un édifice convenable
et l'adoption d'un système régulier d'acquisition s'imposent de toute urgence. Nous
avons déjà signalé l'encombrement et les risques d'incendie qui existent à la
bibliothèque du Parlement. Le bibliothécaire parlementaire et le président de la
Commission consultative de la Bibliothèque nationale conviennent que bon nombre
d'ouvrages que l'on voudrait donner à la nation ne lui sont pas offerts, à cause du
manque d'espace. Mais un plus grand désavantage, c'est que se trouve retardée la
collection que la nation devrait se donner à elle-même, précisément parceque n'existe
aucun local pour l'abriter. Bon nombre d'exposés suggèrent donc la construction d'un
immeuble approprié pour la Bibliothèque nationale.
12. Sur la nécessité d'acquérir des volumes pour la Bibliothèque
nationale, l'accord est général. Nous avons déjà signalé que les éditions d'ouvrages
canadiens s'épuisent rapidement. Les personnes qui font autorité en la matière
affirment qu'il est probablement devenu impossible de réaliser parfaitement le projet
d'une bibliothèque nationale canadienne idéale, c'est-à-dire une collection complète
de tous les volumes écrits par des canadiens ou traitant du Canada. Il est toutefois
possible de rectifier à l'avenir les négligences du passé par l'application rigoureuse
des dispositions de la loi du droit d'auteur et de combler, au moyen de patientes
recherches, maintes lacunes existantes. En outre, à toutes fins pratiques, on pourrait
compléter la collection, au moyen de microphotographies et grâce à l'obligeance des
bibliothèques américaines dont les collections de Canadiana sont relativement
complètes. Mais si d'une part on reconnaît qu'il y a lieu d'entreprendre dès maintenant
la collection d'ouvrages importants, tant canadiens qu'étrangers, surtout en français et
en anglais, d'autre part, il semble évident qu'il faille compléter le catalogue
d'ensemble avant de procéder à des acquisitions trop volumineuses. Cette sorte de mise
en commun des ressources de nos bibliothèques devant nous procurer la collection
complète des Canadiana et une liste convenable des autres livres disponibles au
Canada, il est essentiel de connaître avant tout la nature et l'étendue de ces
ressources, afin d'éviter le gaspillage qu'entraîneraient les acquisitions qui feraient
double emploi, particulièrement dans le cas des ouvrages rares et coûteux (2).
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13. Quant aux principes dont on doit s'inspirer pour ces acquisitions, on a
formulé un certain nombre de vux particuliers. La Société de géographie de
Montréal a proposé la création d'une bibliothèque de cartes où seraient réunies
toutes les cartes publiées au Canada. Cet établissement serait en outre chargé de
constituer des collections de cartes étrangères et de préparer un catalogue. D'autres
groupements ont parlé de l'importance de collections spéciales de musique, surtout de
musique canadienne inédite, ainsi que de livres d'art. On a aussi signalé les avantages
d'une collection de disques et de films d'intérêt national.
14. Nous avons entendu une foule d'observations sur les moyens à prendre
pour donner à une bibliothèque dite nationale un caractère vraiment tel. Une
bibliothèque nationale, a-t-on prétendu lors de nos séances, doit être notamment
chargée de distribuer des livres aux régions dépourvues de bibliothèques suffisantes.
Tous les bibliothécaires de métier rejettent cette proposition; ils estiment que la
Bibliothèque nationale est destinée à servir bibliothèques et bibliothécaires; son
utilité est nécessairement conditionnée par l'efficacité de la bibliothèque locale.
On a aussi préconisé la décentralisation des collections. Ainsi, par exemple, certains
groupes d'ouvrages présentant un intérêt historique particulier seraient conservés
dans la région à laquelle ils ont particulièrement trait. C'est là, toutefois, un
problème dont le microfilm peut fournir la solution. Il est possible de produire ainsi
des copies des catalogues de collections spéciales, voire des livres eux-mêmes, qu'on
pourrait mettre à la disposition des bibliothèques intéressées. Enfin, nous avons
constaté que, de l'avis général, une bibliothèque nationale devrait constituer un
centre d'où partiraient conseils et encouragements à l'adresse des groupements locaux
aux prises avec des problèmes qui leur sont propres.
LES BIBLIOTHÈQUES LOCALES
15. Au cours de notre tournée, nous avons souvent entendu parler des
problèmes des bibliothèques locales. On nous a fait remarquer que, parmi les
institutions locales d'enseignement ou de culture, la bibliothèque est appelée à jouer
un rôle essentiel. Non seulement elle exerce par elle-même un rayonnement légitime et
général, mais encore sert-elle d'auxiliaire indispensable au musée, à la galerie
d'art, à toutes les autres institutions d'enseignement ou de culture. Elle jouit
d'ailleurs d'un avantage dont sont dépourvus musée et galerie. Ses services, en effet,
ne sont pas limités par des contingences de temps ou d'espace. Elle exerce son action en
tout temps et en tout lieu où ses livres sont lus.
16. Nous ne nous proposons pas de présenter ici une étude d'ordre
général sur les bibliothèques canadiennes, pour utile que serait cet examen. Nous nous
bornons, comme nous l'avons fait dans le cas des autres institutions, à résumer les
renseignements qui nous ont été communiqués dans les mémoires qu'on nous a soumis ou
lors de nos séances,
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et à faire connaître certains besoins pressants qu'il appartient aux pouvoirs publics
de combler, selon une opinion généralement exprimée.
17. Nous avons été frappés de la diversité des bibliothèques dont on
nous a expliqué le travail et les difficultés. Elles vont de la riche bibliothèque
municipale ontarienne qui se vante de poursuivre l'uvre des anciens cercles
d'artisans, « Mechanics institutes » (en y ajoutant toutefois un décor luxueux
et un matériel visuel et auditif perfectionné), jusqu'à la caisse de livres dont la
circulation est assurée, dans les régions rurales de l'Alberta, par les Women's
Institutes, et dont le contenu est distribué sur place par une ménagère attentive,
inquiète du sort de son parquet fraîchement lavé. Nous avons aussi entendu les exposés
de certaines bibliothèques spécialisées, bibliothèques de sociétés scientifiques, de
cercles d'ouvriers, d'universités et de gouvernements provinciaux. Partout, nous avons
été frappés de la conscience professionnelle et du dévouement des conservateurs ou
fonctionnaires de ces bibliothèques, de l'étendue de leurs rapports mutuels et de leur
esprit de collaboration. Comme le disait l'un d'eux, les bibliothécaires ont tant de
problèmes à résoudre qu'ils finissent par avoir un « extraordinaire esprit de clan »,
sans préjudice de la loyauté ou de la fierté qu'ils éprouvent à l'endroit de leurs
institutions respectives (3).
18. Les nombreux entretiens que nous avons eus avec les bibliothécaires
nous ont permis de nous rendre compte par nous-mêmes de cet esprit d'amicale et
fructueuse collaboration. Bien que près d'une centaine de groupements et de particuliers
nous aient parlé de problèmes de bibliothéconomie, ce sont, il va sans dire, les
groupements de bibliothécaires, entendus dans toutes les régions, qui ont été pour
nous les plus précieuses sources d'information. Nous avons déjà parlé de l'Association
des bibliothèques canadiennes et des nombreux aspects de son activité. Cependant, la
plupart de nos renseignements sur les conditions d'ordre local nous viennent des
associations provinciales de bibliothécaires de l'Ouest et des provinces Maritimes, dont
nous avons reçu des commentaires plutôt pessimistes sur le niveau général des services
canadiens de bibliothèque.
19. Six bibliothèques municipales, dont quatre en Ontario, dépensent, au
Canada, 40 p. 100 de tous les crédits consacrés aux bibliothèques par les
municipalités et soixante bibliothèques municipales absorbent 80 p. 100 de la totalité
de ces sommes. Nous tenons ce renseignement de l'Alberta. La Saskatchewan, établissant
son calcul en fonction du nombre de livres plutôt qu'en dollars, déclarait que le nombre
de livres en bibliothèque, par habitant, va de 1 pour chaque personne en Ontario à un
pour six personnes au Manitoba. La Saskatchewan a deux livres par sept personnes dans la
province en général, mais elle n'en a qu'un par neuf personnes en dehors de Regina,
Saskatoon et Moose-Jaw. Les provinces Maritimes, le Nouveau-Brunswick en particulier qui
n'a que
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deux bibliothèques publiques dans toute la province (Saint-Jean et Moncton),
s'inquiètent vivement, aussi, de l'insuffisance de leurs services de bibliothèque. Nous
notons avec intérêt qu'il y a, dans [sic] Québec, des centaines de
bibliothèques paroissiales où l'on trouve, outre des ouvrages de caractère religieux,
des livres d'information générale et de distraction.
20. Une quinzaine de groupements ont indiqué la nécessité d'assurer au
moins certains services nouveaux de bibliothèque, sinon d'améliorer ceux qui existent.
« Les grandes distances de l'Ouest, les longs hivers et l'isolement font qu'il est
indispensable, du point de vue éducatif et moral, d'assurer assez de lecture... Mais les
restrictions d'ordre financier, là où le revenu général dépend des caprices du temps,
constituent un sérieux empêchement
», nous a-t-on dit en Saskatchewan (4) . Les bibliothécaires
conviennent que l'insuffisance du service est, avant tout, un problème pécuniaire. Une
des provinces de l'Ouest ne consacre aux services de bibliothèque que 65c. par habitant
dans ses cinq villes principales, et que 3 1/2c. dans les régions rurales. Or, on estime
généralement que le maximum doit être $3 par habitant et le minimum, $1. Pour certaines
régions du Canada, même ce minimum semble un maximum inaccessible.
21. Il ne s'ensuit pas qu'on n'ait encore rien accompli. Les services de
bibliothèque relèvent habituellement des municipalités. Cependant, les bibliothèques
municipales ne desservent effectivement que les villes ou régions populeuses. C'est
pourquoi les autorités provinciales ont pris des mesures en vue de satisfaire aux besoins
des campagnes. Dans les provinces de l'Ouest, les bibliothèques ambulantes provinciales
existent depuis longtemps. Plus récemment, d'autres provinces se sont attaquées au
problème. Huit des dix provinces ont maintenant adopté des mesures législatives à
l'égard des bibliothèques. La méthode récente qui semble rallier les préférences
consiste à aménager des bibliothèques régionales plutôt qu'à confier à un seul
centre le soin de desservir toute la province par la poste. Le mode régional prévoit des
immeubles, peu coûteux mais suffisants, dans le centre régional même, et des dépôts
dans diverses petites localités pour en desservir les besoins. Le dépôt peut consister
en une pièce spéciale, mais, bien souvent, on utilise un coin du bureau de poste, d'un
magasin, d'une école ou même d'une maison privée. On estime avantageux de nommer
bibliothécaire régionale une personne ayant reçu une formation professionnelle, mais
celle-ci devra compter sur des adjoints sans instruction spéciale, ne travaillant que de
temps à autre (5).
22. L'expérience déjà acquise en Angleterre et aux États-Unis s'est
révélée des plus utiles dans l'organisation des bibliothèques régionales chez nous.
Les États-Unis ont offert, en outre, une aide financière. Grâce aux subventions de la Carnegie
Corporation, une bibliothèque régionale était établie dans la vallée du Fraser au
cours des années 30. Une subvention de la même Dotation permettait d'établir un
réseau complet de biblio-
thèques dans l'Île du Prince-Édouard, régime que le gouvernement provincial,
maintient, depuis. La Colombie-Britannique a étendu son activité dans ce domaine. La
Nouvelle-Écosse vient d'établir un service régional et la Saskatchewan en prépare un
pour la région de Prince-Albert. D'après l'Association des bibliothèques canadiennes,
la situation est maintenant plus prometteuse, dans les régions rurales, qu'elle ne
l'était il y a quelques années, bien que l'amélioration puisse être à peine
perceptible. Le Canada rural, dans la proportion d'environ 7 à 10 p. 100, jouit
maintenant d'un service de bibliothèque, comparativement à 5 p. 100 en 1937.
23. Les bibliothécaires professionnels n'ont pas été les seuls à nous
saisir de ce problème. Une citoyenne du Nouveau-Brunswick nous a raconté comment elle
avait dû, faute de trouver dans sa province les sources bibliographiques nécessaires,
poursuivre des recherches sur un sujet d'histoire locale à la bibliothèque de Bangor
(Maine) laquelle, en l'occurrence voulut bien déroger à un règlement interdisant
l'envoi de ses livres hors du pays. Cette personne soulignait l'importance des
bibliothèques en ces termes :« Trop nombreux parmi nous sont ceux qui ont une cuisine de
mille dollars et une bibliothèque de dix dollars. J'aimerais voir Shelley jouir d'un
prestige égal à celui de la lessiveuse Bendix » (6). Elle convenait, toutefois, qu'il est bien
difficile de décider les municipalités à assumer une partie quelconque des frais
d'établissement d'une bibliothèque ou d'amener les particuliers à offrir leur aide à
titre bénévole. La même difficulté a été soulignée ailleurs. Il y a lieu,
semble-t-il, de voir d'abord quelle est la demande locale avant de procéder trop vite à
l'aménagement de bibliothèques.
24. La solution, nous a-t-on dit, consiste à préparer plus de
bibliothécaires bien formés et, pour l'opinion, à mieux comprendre leurs fonctions. La
lecture est un goût qui s'acquiert. Le développement de ce goût est l'un des problèmes
les plus graves qui se posent à l'enseignement postscolaire. Partout, en conséquence,
les bibliothécaires demandent avec instance qu'on dote les bibliothèques régionales
d'au moins un noyau d'employés formés et expérimentés. Il ne suffit pas de fournir et
de faire circuler les livres; encore faut-il parvenir à y intéresser les gens. Les
bibliothécaires doivent connaître leurs livres et savoir comment en prendre soin; ils
doivent également connaître leur public et savoir lui être utiles. Au même titre que
le pasteur ou l'instituteur, le bibliothécaire doit être une personnalité dirigeante
dans son milieu(7). Du
fait que nombre de ruraux ne réclament pas de livres, il faut déduire le besoin qu'ils
en ont. Cependant, le goût de la lecture s'acquiert vite. Il faut sans doute un certain
temps pour fonder des bibliothèques régionales mais, dès qu'elles fonctionnent, elles
jouent vite dans la société un rôle indispensable (8) .
25. Tous les bibliothécaires, tant de l'Ouest que des provinces Maritimes,
s'accordent à souligner l'insuffisance des ressources existant au
Canada pour la formation des bibliothécaires. On déplore que le Canada ne
possède à peu près aucun moyen de formation supérieure, mais cette lacune semble
encore moins grave que le manque de moyens de formation première. On nous a fait observer
qu'il faudrait plus d'écoles de bibliothéconomie au Canada. Les provinces de l'Ouest en
désirent une dans l'Ouest. Afin d'encourager les études de bibliothéconomie, le
gouvernement de la Saskatchewan offre trois bourses annuelles, mais ce geste ne constitue
qu'une solution partielle.
26. Il est un problème spécial, qu'on nous a exposé en diverses parties
du pays, et c'est celui de la pénurie de bibliothèques enfantines. Sans doute y a-t-il
un coin des enfants dans les bonnes bibliothèques municipales. Nous avons même reçu un
intéressant mémoire de la Bibliothèque des enfants de Montréal, qui est soutenue par
des dons privés, en plus de subventions municipales et provinciales, et qui reçoit
beaucoup d'aide bénévole. Cette bibliothèque, malgré l'insuffisance de ses fonds pour
l'achat de livres et le paiement des traitements, non seulement dessert l'un des quartiers
les moins favorisés de Montréal, mais dirige en outre un service ambulant dont
bénéficient 57 districts de toutes les parties de la province.
27. Nombre de groupements ont souligné l'urgente nécessité d'un tel
service. Beaucoup d'enfants se procurent des livres à la bibliothèque de leur école
mais, surtout dans les régions rurales ou pauvres, cela ne suffit pas. Les autorités
scolaires s'efforcent d'y remédier, et l'Imperial Order Daughters of the Empire a
généreusement doté un grand nombre d'écoles de collections de livres. Il reste encore
beaucoup de besogne à accomplir. Nous avons reçu en particulier les observations
convaincantes de la British Columbia Parent-Teacher Federation, qui s'est efforcée
d'améliorer la situation au moyen de guides de lecture pour enfants mais rédigés et
publiés à l'intention des parents, et de clubs de lecture de congé, dont le nombre
atteint maintenant quarante et qui réunissent 3,000 enfants. De l'avis de ce groupe, les
livres manquent (un demi-livre par écolier à Vancouver) et, d'autre part, les parents ne
saisissent pas assez l'importance de la question. On affecte de fortes sommes à la
santé, mais on néglige le bien-être moral et spirituel, non moins important. Il y a
lieu de se réjouir de l'interdiction des romans policiers en image, mais on souligne la
nécessité d'une action positive. « Tout enfant canadien devrait avoir l'occasion de
lire des livres où l'on décrit de façon appropriée les faits et gestes de l'homme
ainsi que ses aspirations. Ce qui importe, c'est la qualité des lectures et non la
quantité... » (9).
28. Des sociétés professionnelles et autres nous ont transmis nombre de
propositions touchant la manière dont les organismes fédéraux pourraient convenablement
aider l'uvre des bibliothèques. Une certaine
aide pourrait d'abord venir de la Bibliothèque nationale, a-t-on observé.
Certains ont aussi demandé, en y insistant, des subventions fédérales aux
municipalités ou aux provinces en vue de la création de bibliothèques, surtout de
bibliothèques rurales et de bibliothèques pour enfants. Selon d'autres, l'État devrait
offrir gratuitement des livres spécialisés, en particulier, ses publications officielles
de tous genres. Un autre groupe propose l'établissement d'un service national de
microfilms qui contribuerait à augmenter l'actif des bibliothèques de moindre
importance. Trois autres groupes ont formulé d'intéressantes propositions visant
l'établissement de services généraux pour bibliothèques. La Saskatchewan Library
Association propose que la Commission consultative de la Bibliothèque nationale soit
invitée à conseiller le gouvernement relativement à tous les genres de problèmes que
posent les bibliothèques, notamment la nécessité d'établir des normes convenables en
ce domaine et d'étudier les mesures à prendre afin d'y atteindre. La British Columbia
Parent Teacher Federation préconise une enquête d'envergure nationale sur la
question des lectures enfantines, y compris les mesures qui s'imposent afin de remédier
à une situation qu'elle juge des plus déplorables. Le Musée du Nouveau-Brunswick a
proposé une étude semblable ayant pour objet de favoriser la création de bibliothèques
régionales.
29. Nous ne prétendons pas avoir exposé complètement la situation des
bibliothèques locales au Canada; nous avons voulu plutôt donner une idée générale des
renseignements utiles qui nous ont été fournis et des idées fécondes soumises à notre
étude. Près d'une centaine de groupements nous ont parlé de la question des
bibliothèques. Ils nous ont fait comprendre que les bibliothécaires de profession et
nombre d'autres personnes s'émeuvent de ce que les Canadiens souffrent, comme disent ces
gens, d'une sous-alimentation intellectuelle si grave que beaucoup ont même cessé
d'avoir faim. Ils reconnaissent que la question relève des administrations municipales,
mais sont persuadés que, pour mettre fin à ce qui constitue presque un scandale
national, il faut que le gouvernement fédéral lui-même fasse sa part.
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