En manchette

«Ne laissez pas quelqu'un d'autre orienter votre avenir», déclare la nouvelle présidente de l'AMC aux médecins

Nancy Robb

Journal de l'Association médicale canadienne 1996; 155 : 454-456


Journaliste pigiste, Nancy Robb vit à Halifax.

© 1996 Nancy Robb


En bref

Le Dr Judith Kazimirski, de la Nouvelle-Écosse, deviendra la 126e présidente de l'AMC au cours de l'assemblée annuelle de l'Association, qui se tiendra à Sydney (N.-É.) plus tard ce mois-ci. Elle affirme que sa priorité de la prochaine année sera d'aider l'AMC à jouer un rôle de premier plan au moment où s'anime le débat sur l'avenir de la santé et des soins de santé au Canada. «Le moment est venu de tenir un débat très public sur ce que la population veut comme système, sur les problèmes qu'elle a et sur l'évolution de la réforme, affirme-t-elle. Les médecins ont un rôle crucial de premier plan à jouer.»


Le Dr Judith Kazimirski a beaucoup à dire sur de nombreux enjeux des soins de santé. Médecin de famille de Windsor (N.-É.), elle s'est spécialisée en obstétrique et en soins des femmes. Ancienne présidente du Comité consultatif sur la santé des femmes du Conseil de recherches médicales (CRM), elle a acquis une nouvelle perspective sur les besoins des patientes.

Comme elle a déjà présidé la Société médicale de la Nouvelle-Écosse (SMNE) et le Conseil d'administration de l'AMC, elle a vu évoluer de près, à l'échelon tant régional que national, des enjeux comme la réforme des soins de santé.

Quels buts la troisième femme à diriger l'AMC visera-t-elle donc au début de son mandat d'un an en août? Ils seront en grande partie liés, affirme-t-elle, aux besoins de l'AMC et aux enjeux auxquels l'Association fera face au cours de l'année. «Il doit y avoir un équilibre entre mes buts et les priorités et les enjeux établis pour l'année par le Conseil d'administration de l'AMC. La priorité la plus importante maintenant, c'est la réforme des soins de santé.»

Le Dr Kazimirski m'a accueillie dans le salon de sa maison de Falmouth (N.-É.) où elle vit avec son mari et partenaire en pratique, Mark, et avec leur chien et un chat persan de couleur fauve -- qui a passé la majeure partie de notre entrevue blotti confortablement sur ses genoux. La maison, où leurs deux fils adultes leur rendent souvent visite, se trouve tout près de la ferme blanche qui a vu naître son père, ingénieur minier à la retraite, et où elle a passé les étés de son adolescence. Née à Sudbury (Ont.), le Dr Kazimirski a étudié la médecine à l'Université d'Ottawa et fait son internat à l'Hôpital Général de Montréal. Elle est retournée définitivement à Falmouth en 1971 lorsque des médecins de la ville voisine de Windsor les ont invités, Mark et elle, à ouvrir une pratique.

Le Dr Kazimirski apportera à la barre de l'AMC une solide expérience de la politique médicale. Ancienne présidente de la SMNE et du Conseil d'administration de l'AMC, elle a présidé récemment un groupe de travail de la SMNE qui a étudié la prestation des services médicaux dans le cadre de la réforme provinciale. Elle siège toujours au conseil d'administration de sa région de santé.

Comme la plupart des médecins du Canada, elle a ressenti les premiers effets de la réforme de la santé et du changement : pénuries de lits et disparition de l'obstétrique à son hôpital communautaire.

Elle sait que c'est là un avant-goût seulement des défis et des changements auxquels font face l'AMC et ses membres d'un bout à l'autre du pays. «Les médecins sont de plus en plus frustrés parce qu'ils n'ont pas accès à des services de diagnostic et de traitement et ne peuvent faire hospitaliser leurs patients, affirme-t-elle. On nous arrache littéralement des mains les outils que nous étions habitués d'utiliser et l'on nuit de plus en plus à notre capacité de régler des problèmes médicaux. Jumelés à l'évolution spectaculaire et rapide en cours du système de soins de santé, qui est bien plus une restructuration et un réalignement qu'une réforme réelle, ces changements ont déstabilisé énormément la profession, poursuit-elle.»

«Beaucoup de gens en sont à un point de leur vie ou de leur carrière où ils ont besoin de plus de sécurité que le système canadien ne peut leur en offrir aujourd'hui. D'autres se sentent stimulés par les possibilités de changement et de renouvellement, et veulent foncer et jouer un rôle de premier plan.»

Le Dr Kazimirski est d'avis que l'exode à l'étranger de médecins canadiens qui ont reçu une solide formation s'annonce «désastreux» pour les soins de santé au Canada. «Nous devrions pouvoir fournir un environnement professionnel propice à la pratique et c'est ce que nous sommes en train de perdre, affirme-t-elle. Ce phénomène a d'importantes répercussions non seulement sur le nombre, mais aussi sur la proportion des spécialistes par rapport aux médecins de famille.»

La réforme a aussi des répercussions sur l'éducation en médecine. Le Dr Kazimirski se réjouit de l'intervention de la profession médicale dans la planification des effectifs médicaux et de la mise en place de programmes d'encouragement à la pratique en milieu rural. Elle affirme toutefois que, jumelée à la disparition d'hôpitaux communautaires ou au changement de leur rôle, la «migration» des médecins de famille ruraux limite les possibilités de formation pour les futurs médecins déjà aux prises avec des restrictions sur les plans du permis d'exercice et de la mobilité.

«Si nous voulons envoyer des gens en milieu rural, il faut leur fournir une formation rurale», affirme le Dr Kazimirski, préceptrice en médecine familiale à l'Université Dalhousie et membre du Comité consultatif sur les effectifs médicaux de la Nouvelle-Écosse. «Cela signifie une exposition différente pour les résidents lorsqu'ils n'ont pas d'expérience dans un hôpital communautaire.»

Pour les patients, toutes ces retombées représentent une réduction de l'accès à des soins de santé de qualité. «Nous sommes conscients des réalités budgétaires, affirme le Dr Kazimirski. Les principes de la réforme des soins de santé -- qui comprennent le virage des soins hospitaliers aux soins communautaires et l'importance accrue accordée aux stratégies de promotion de la santé et de prévention des maladies -- n'ont malheureusement pas été intégrés à la réforme en cours. Nous en sommes encore à la restructuration et aux budgets de base et nous avons malheureusement instauré des changements sans mettre en oeuvre l'infrastructure qui permettra, par exemple, de prendre le virage ambulatoire.»

Les gouvernements n'ont pas intégré non plus à la réforme de moyens d'évaluer le changement. «Nous avons une idée de l'ampleur des économies que nous réalisons, mais nous ne savons pas du tout où cela nous mène.»

Le Dr Kazimirski prédit que la situation pourrait changer sous peu grâce aux pressions croissantes qui proviennent non seulement des milieux de la médecine, mais aussi de la population. Elle se réjouit des résultats d'un récent sondage de l'AMC qui a démontre clairement que la dégradation de l'accès et de la qualité préoccupe les Canadiens, qui préconisent l'octroi de «la priorité aux services d'urgence» et «une réaffectation des fonds du secteur public à l'enveloppe de la santé».

«C'est le moment de tenir un débat très ouvert sur ce que la population veut comme système, sur ses problèmes et sur l'évolution de la réforme», affirme-t-elle en signalant que le Forum national sur la santé mis sur pied par le gouvernement fédéral pourrait aider à jouer ce rôle. «Je demeure fermement convaincue qu'en bout de ligne, tous les intervenants veulent la même chose : maintenir et améliorer le système de soins de santé du Canada. C'est un élément très important de ce qui fait la canadianité.»

Partisane des principes fondamentaux de la réforme, elle mentionne quelques «premiers pas» comme le financement fédéral des centres d'excellence en santé des femmes et le fonds de recherche sur les services de santé, dont on a annoncé récemment la création et qui aidera à déterminer «ce qu'il faut maintenir et ce qu'il faut changer» dans le système de soins de santé. «Les médecins ont toujours demandé pourquoi il faudrait créer un nouveau système et ils veulent que l'on pense plutôt à construire à partir de ce que nous avons de mieux et à instaurer uniquement les changements qui s'imposent.»

Solide partisane des conférences de l'AMC sur le leadership qui aident les médecins à faire face au changement, le Dr Kazimirski sait qu'il ne sera pas facile de s'adapter à un ordre nouveau. Les médecins devront «accepter la réalité de la réforme des soins de santé», acquérir de nouvelles compétences spécialisées et apprendre à travailler en équipe avec d'autres professionnels de la santé.

Ils ne doivent toutefois pas désespérer. «Il y a de grands défis à relever dans le système, mais je pense aussi que la médecine offre de merveilleuses possibilités», affirme le Dr Kazimirski, dont les deux fils, Marc et Luc, espèrent suivre l'exemple de leurs parents. «Je suis fière d'être médecin -- la médecine est une profession noble.»

Elle voit pour les médecins une occasion d'aider à assurer que la médecine garde le cap. «Il sera très important d'oeuvrer activement dans les associations médicales provinciales ou territoriales afin que l'expérience unique que les médecins acquièrent grâce à leurs contacts personnels avec les patients puisse jouer dans la prise des décisions, affirme-t-elle. Mon message à tous les médecins est simple. Peu importe ce qui vous intéresse ou vous attire : participez. Ne laissez pas quelqu'un d'autre orienter votre avenir.»

Son activité dans la profession médicale a connu des débuts modestes aux réunions de section de la SMNE. «Je les ai trouvées fascinantes et intéressantes», rappelle le Dr Kazimirski, qui a aussi siégé aux comités d'éducation et de discipline du Conseil médical provincial de la Nouvelle-Écosse. «On y traitait d'un aspect de ma vie et de ma pratique que je ne connaissais pas vraiment.»

Le Dr Kazimirski, qui est aussi membre du Bureau du CRM et présidente du Centre de recherche de l'Atlantique sur l'arriération mentale, sait toutefois trop bien combien il est difficile d'établir un équilibre entre les impératifs familiaux, la pratique privée, les activités de la profession et les intérêts spéciaux.

Se préparant à remplacer le Dr Jack Armstrong, pédiatre de Winnipeg, à la barre de l'AMC, elle voyage depuis deux mois, assiste à des réunions et prend contact avec des médecins de toutes les régions du pays. Elle admet prendre le temps de céder à ses passions pour la cuisine et le jardinage -- les Kazimirski ont plusieurs massifs de fleurs, un grand jardin maraîcher, une framboiseraie et une pleine serre de basilic -- et de se rattraper dans sa pratique. «Mon travail à l'AMC m'éloigne maintenant davantage de ma pratique, affirme-t-elle. Elle me manque, mais je me rattraperai après mon mandat à la présidence.»

Comme présidente de l'AMC, elle compte mettre en pratique son intérêt pour la recherche et pour la santé des femmes, et appuyer des initiatives comme les conférences sur le leadership qui attirent les femmes dans les milieux de la médecine organisée. Même maintenant, pendant qu'elle sillonne le pays, elle «s'efforce de rencontrer des femmes médecins» ou d'assister à des activités qui portent sur les enjeux liés à la santé des femmes. Au cours des semaines qui ont suivi notre entrevue, par exemple, elle devait prendre la parole à une conférence sur la santé des femmes à Toronto, et ensuite à une conférence internationale sur la santé des femmes à Ottawa.

Le Dr Kazimirski souligne qu'elle a l'intention d'agir comme porte-parole efficace de tous les médecins. «Je suis incroyablement honorée d'être la prochaine présidente de l'AMC, affirme-t-elle, et je demande aux milieux de la médecine et à tous mes collègues de m'appuyer.»


| JAMC le 15 août 1996 (vol 155, no 4) |