CMAJ/JAMC Special supplement
Supplément spécial

 

Lignes directrices sur la transfusion de globules rouges et de plasma aux adultes et aux enfants

Addenda : Solutions de rechange aux transfusions de sang allogène en chirurgie

Cette question justifie une brève analyse même si elle n'est pas couverte par le mandat du GTE. On peut recourir à diverses stratégies pour réduire l'obligation de transfuser du sang allogène lors d'une chirurgie. La plupart des moyens disponibles portent sur la période périopératoire et ils viennent s'ajouter aux autres mesures destinées à améliorer l'hémostase pendant l'intervention de façon à réduire au minimum la perte de sang. On peut les subdiviser en trois grandes catégories :
  • création d'une réserve de sang autologue à administrer au cours de la période périopératoire;

  • remplacement de sang allogène par des produits de substitution non sanguins (cristalloïdes, colloïdes, solutions oxyphoriques);

  • utilisation d'agents pharmacologiques pour réduire la perte de sang.

La rareté des études randomisées d'envergure suffisante limite la valeur de ces stratégies. De plus, la plupart des études sur l'usage des agents pharmacologiques portent avant tout sur la chirurgie cardiaque et leur applicabilité à la chirurgie générale demeure limitée.

Les stratégies visant à créer des réserves de sang autologue comprennent le dépôt préalable de sang autologue, dont il a été question ailleurs dans ce document, l'hémodilution normovolémique et la récupération de cellules pendant la période périopératoire. On préconise l'hémodilution normovolémique (HNV) depuis des décennies166. Le principe est simple : on prélève chez le patient du sang que l'on remplace par des combinaisons de colloïdes et de cristalloïdes afin de maintenir le volume intravasculaire. Lorsqu'indiqué, le sang ainsi prélevé est retransfusé au patient. La dilution du sang circulant réduit le nombre de globules rouges perdus par hémorragie166, ce qui réduit le besoin de transfusions autologues.

Les données disponibles démontre toutefois que l'objectif visé par cette stratégie est rarement atteint dans la plupart des conditions chirurgicales167. Goodnough et ses collaborateurs168 ont utilisé l'hémodilution normovolémique chez des patients qui devaient subir une chirurgie radicale de la prostate. On a prélevé un litre de sang avant le début de l'intervention. Le bénéfice net a été estimé à 95 mL (plage de 25 à 204 mL) de globules rouges préservés, c'est-à-dire à moins de 10 % du volume perdu pendant la période opératoire. La modélisation mathématique de l'hémodilution normovolémique indique que l'avantage recherché qui est de réduire l'usage de sang allogène a plus de chance d'être réalisé de façon pertinente sur le plan clinique lorsqu'on prélève plus d'un litre de sang au patient avant le début de l'hémorragie chirurgicale167. La modélisation indique systématiquement un ratio de 4 à 5 unités prélevées chez le patient par unité de sang allogène sauvée167,169,170. Même si une hémodilution plus poussée permet d'en préserver davantage, on retire rarement le volume nécessaire à atteindre le degré d'hémodilution souhaitable168. De plus, les sous-populations de patients chirurgicaux qui toléreraient une hémodilution aussi agressive n'ont pas été bien définies45.

Afin de réduire les besoins en sang allogène, on préconise de plus en plus la récupération peropératoire et la retransfusion de sang perdu, avec ou sans lavage. Le principe sous-jacent est simple : le sang perdu durant l'intervention est recueilli et réinjecté au patient après avoir été lavé ou non. Le matériel requis et le processus lui-même sont coûteux et justifiés principalement lorsqu'on prévoit une hémorragie majeure. Lorsque les volumes de sang perdu sont plus faibles, le coût d'acquisition de cette technologie est élevé et rien n'indique en général qu'il vaut la peine de redonner au patient les faibles volumes recueillis. On est en train de revoir les programmes existants et de les restructurer pour tenir compte de ces faits.

On a préconisé l'administration peropératoire d'un certain nombre de médicaments pour réduire les besoins en sang allogène. Beaucoup d'études publiées sont de faible envergure, mais une méta-analyse de ces études a permis de tirer quelques conclusions171.

L'aprotinine atténue la fibrinolyse, ce qui diminue la dissolution des caillots et aide à préserver la fonction plaquettaire après une circulation extracorporelle. On l'a utilisée surtout chez les patients soumis à une chirurgie cardiaque avec circulation extracorporelle et l'on a constaté qu'elle réduisait la perte de sang pendant la période intraopératoire et postopératoire, de même que le nombre de transfusions requises, le volume de sang transfusé et l'utilisation d'autres produits sanguins. L'activité prothrombotique de l'aprotinine a soulevé des préoccupations quant à la possibilité d'occlusion plus fréquente des greffons coronariens et à la fréquence des infarctus du myocarde périopératoire chez les patients traités. On ne dispose pas encore de données convaincantes permettant de justifier ou de dissiper ces préoccupations à l'heure actuelle.

L'acide tranexamique et l'acide epsilon-aminocaproïque inhibent la fibrinolyse. L'utilisation de ces médicaments a été évaluée surtout chez les sujets soumis à une chirurgie cardiaque. Les deux ont été efficaces pour réduire la perte de sang et le volume de sang transfusé171.

La desmopressine (DDAVP) stimule la libération du facteur von Willebrand et du facteur VIII:C à partir de l'endothélium, favorisant ainsi l'interaction entre les plaquettes et les tissus sous-endothéliaux. Une méta-analyse des données disponibles n'a toutefois pas réussi à démontrer un avantage de la desmopressine en ce qui a trait à la réduction des hémorragies chirurgicales171.

L'utilisation périopératoire de l'érythropoïétine humaine recombinante a été approuvée récemment. Ce produit stimule l'érythropoïèse chez les patients anémiques et les non anémiques, facilite le don préalable de sang autologue et aide à maintenir la concentration d'hémoglobine [Hb] circulante en période périopératoire. L'exposition au sang allogène n'est toutefois réduite que chez certains sous-groupes de patients172­174. On a signalé de l'hypertension et des événements thrombotiques en association avec le traitement à l'érythropoïétine. Dans l'ensemble, la fréquence des événements thrombotiques est toutefois semblable à celle que l'on observe chez les patients qui ne reçoivent pas d'érythropoïétine175.

L'utilisation de produits de substitution artificiels pour compenser les hémorragies possède une certaine utilité, mais elle donne des résultats limités. Dans la mesure où l'on accepte des valeurs d'hématocrite faibles et parfois même très faibles, la pratique clinique qui consiste à remplacer des volumes importants de sang perdu uniquement par des solutions de cristalloïdes et de colloïdes est maintenant acceptée. On ne connaît pas le risque posé par l'absention de toute transfusion dans de telles situations. Dans certains cas, ce risque peut être plus grand que le risque posé par la transfusion elle-même. Des recherches sur des solutions oxyphoriques à base de fluorocarbone ou des dérivés de l'hémoglobine se poursuivent. On ne trouve pas encore dans le commerce d'agents oxyphoriques qui présentent une activité et une sûreté démontrées comparables à celles du sang176.

La plupart des stratégies mentionnées ci-dessus permettent de réduire les besoins en sang allogène. Toutes ont deux éléments en commun. Tout d'abord, leurs coûts supplémentaires ne sont pas encore bien définis, même si la réduction des besoins en sang allogène les compense en partie. Habituellement, la population ou l'organisme qui assume le coût d'une nouvelle stratégie n'est pas nécessairement celle qui bénéficie de la réduction des coûts du sang allogène. Deuxièmement, on n'a pas évalué comme il se doit les risques que présente la mise en œuvre de stratégies de rechange en fonction des avantages que présente l'abstention de transfuser du sang allogène. En ce qui concerne les médicaments, par exemple, un seul décès causé sur un total de 200 000 à 500 000 cas suffirait à annuler la réduction de risque obtenue en s'abstenant de recourir au sang allogène (Andreas Laupacis). L'avantage du don préalable de sang autologue dans le but de réduire l'exposition au sang allogène chez les patients soumis à un pontage aortocoronarien disparaît si un patient sur 101 000 est victime d'un ACV, d'un infarctus ou s'il meurt à la suite du don de sang177. Les dons autologues provoquent des effets secondaires chez environ 4 % des patients qui, pour des raisons médicales, ne répondraient pas aux critères normalement imposés aux donneurs sains. Dans environ 1 % des cas, il s'agit d'effets secondaires graves178,179. Une étude67 rapporte que 1 personne sur 17 000 donneurs de sang autologue a éprouvé une réaction suffisamment grave pour nécessiter son admission à l'hôpital.

Il est clair que lorsqu'ils recommandent des solutions de rechange au sang allogène à leurs patients, les médecins doivent tenir compte du risque global que comportent ces solutions. Dans nombre de cas, il n'est pas évident que les stratégies de rechange présentent moins de risques éventuels pour le patient qu'une transfusion de sang allogène.


Suivant :  Références
Précédent :  Les risques d'une transfusion sanguine
[Table des matières]

| CMAJ June 1, 1997 (vol 156, no 11) / JAMC le 1er juin 1997 (vol 156, no 11) |
CPG Infobase / Infobanque des GPC